Livv
Décisions

Cass. com., 7 juillet 2015, n° 14-12.733

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Gestra (Sté)

Défendeur :

NGE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Aix-en-Provence, du 5 déc. 2013

5 décembre 2013

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Gestra et BSS font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :

1°) que le dispositif breveté par la société Gestra et couvert par les revendications consistait en un procédé de ripage permettant le déplacement d'éléments de balisage de voie de circulation ; que les sociétés Gestra et BSS faisaient valoir que ce procédé pouvait être utilisé soit par un seul véhicule soit par plusieurs véhicules opérant simultanément, ce qui permettait d'accélérer le processus de pose des balises ; que pour écarter toute faute de la société NGE, la cour d'appel se contente d'énoncer que sur les photographies montrant à l'oeuvre les engins de la société NGE, deux véhicules sont utilisés pour la pose des balises, alors que le brevet déposé par la société Gestra ne visait que l'emploi d'une seule machine motorisée ou tractée, ce dont la cour déduit « l'absence très nette de ressemblance entre le matériel breveté et les machines » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, à qui il appartenait de rechercher si la société NGE, quel que soit le nombre de véhicules qu'elle avait mis en place, n'avait pas utilisé, pour chacun d'eux, le dispositif de ripage qui constituait l'objet du brevet, a statué par un motif inopérant et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 613-3 et L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 1382 du code civil ;

2°) que tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à affirmer « l'absence très nette de ressemblance entre le dispositif breveté et les machines » sans préciser en quoi les véhicules utilisés par la société NGE ne reprenaient pas les éléments techniques couverts par le brevet Gestra, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) qu'à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs par lesquels les premiers juges ont estimé péremptoirement que « les énonciations du constat sont insuffisantes pour démontrer que les machines utilisées reprennent le dispositif tel que décrit dans les revendications 1 et suivantes du brevet EP 0 527 093 B1, elle devait s'expliquer, comme elle y était invitée, sur la présence sur le chantier litigieux de deux véhicules, un ripeur et un suiveur, disposant d'un bec à l'extrémité avant et arrière permettant un ripage par le bas, et utilisant un convoyeur long constituant le chemin de guidage des balises déplacées, ce qui a conduit les industriels ayant d'ores et déjà mis en oeuvre le dispositif Gestra à attester que la société NGE employait bien le procédé breveté, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt, tant par motifs propres qu'adoptés, relève qu'il ressort des termes du constat et des photographies annexées, prises de nuit, que la société NGE utilise un ensemble de deux machines, la ripeuse et la suiveuse, qui déplacent latéralement un balisage de chantier, cependant que le matériel breveté ne comprend qu'un seul véhicule, et en déduit l'absence très nette de ressemblance entre le matériel breveté et les machines incriminées ; qu'il retient, en outre, que, si l'opération ainsi pratiquée correspond au but poursuivi par l'invention, les énonciations de ce constat sont insuffisantes pour démontrer que les machines utilisées reprennent le dispositif tel que décrit dans les revendications 1 et suivantes du brevet n° EP 0 527 093 ; qu'ayant ainsi estimé souverainement que le dispositif incriminé ne constituait pas la contrefaçon de ce brevet, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à affirmer qu'il n'existait pas de ressemblance entre les dispositifs en présence, mais a procédé à la comparaison de leurs caractéristiques, au vu des éléments fournis par le procès-verbal de constat, dont elle a relevé les limites, n'a pas méconnu les textes invoqués par la première branche ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que les sociétés Gestra et BSS font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°) qu'en affirmant péremptoirement que les plans détenus par la société Abotech étaient « totalement différents » de ceux contenus dans le brevet Gestra et qu'ils n'étaient pas contrefaisants sans s'expliquer, ainsi qu'elle y était invitée, sur la présence d'un convoyeur long permettant un ripage par le bas et supportant des galets, dont le gérant de la société Abotech avait admis devant l'huissier de justice qu'il pouvait poser des problèmes de brevet, ni sur le fait que les plans ainsi prélevés étaient en tous points semblables à ceux qui avaient été élaborés par la société SMTI, sous brevet Gestra, pour le compte de ses licenciés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) qu'en l'espèce, les sociétés Gestra et BSS se prévalaient, outre du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 janvier 2007, du descriptif d'une machine que la société Abotech avait élaborée pour le compte de la société NGE, laquelle reprenait notamment le principe d'un ripage par le bas à l'aide d'un convoyeur long équipé de galets ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui étaient de nature à démontrer que la société Abotech avait ainsi commis un acte de contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt, tant par motifs propres qu'adoptés, relève d'abord que, lors de la saisie-contrefaçon, l'huissier de justice n'a pas constaté la présence d'une machine mais de pièces détachées, qu'il décrit, destinées à former un ripeur automoteur dont le plan est différent de celui du brevet européen et qui, selon le gérant de la société Abotech, fonctionne avec un autre engin ; qu'il relève ensuite que, d'après le plan joint au procès-verbal, la machine en cours d'assemblage doit recevoir un panier, décrit dans la revendication 1 comme un chemin de guidage, mais que ce panier n'est pas réalisé et qu'à supposer qu'il le soit, les plans fournis ne permettent pas de constater l'existence, à chaque extrémité de l'engin, de becs pivotants et blocables, lesquels constituent le dispositif caractérisant l'invention, et en déduit que, si la machine en cours de fabrication a le même usage que la machine issue du brevet et reproduit une partie des éléments revendiqués, notamment les roues orientables et un chemin de guidage, il n'est pas établi qu'elle reproduise la revendication 1 principale et les revendications accessoires dudit brevet, de sorte que la contrefaçon n'est pas caractérisée ; qu'il relève enfin que le rapport du conseil en propriété industrielle fourni par les sociétés Gestra et BSS porte sur un matériel différent de celui examiné lors des opérations de saisie-contrefaçon ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés Gestra et BSS font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande de la société Gestra en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des redevances éludées au cours du contrat de licence alors, selon le moyen, que tenu de rendre compte du chiffre d'affaires réalisé dans le cadre de la licence qui lui est concédée, le licencié a le devoir d'informer loyalement et complètement le breveté du résultat dégagé grâce au procédé breveté et de lui communiquer les pièces justificatives ; qu'en l'espèce, la société Gestra faisait valoir que la société NGE avait laissé planer la plus grande opacité sur le chiffre d'affaires qu'elle avait réalisé avec le procédé breveté du temps où elle était licenciée, qu'elle n'avait jamais communiqué les décomptes généraux définitifs qui étaient en sa possession et qui étaient les seuls documents permettant d'établir la réalité du chiffre d'affaires qu'elle avait réalisé grâce au procédé breveté ; qu'elle faisait valoir qu'il était dès lors indispensable que la société NGE produise aux débats le décompte général définitif pour les chantiers concernés ; qu'en déboutant la société Gestra de sa demande en paiement de redevances, au motif que les éléments produits à l'appui de cette demande étaient insuffisants et qu'elle ne rapportait pas la preuve de ce que les déclarations, par la société NGE, quant au chiffre d'affaires réalisé du temps où elle était licenciée n'étaient pas sincères, et en faisant ainsi reposer sur la société Gestra la charge de la preuve du chiffre d'affaires réel réalisé par son contractant, cependant qu'il incombait à la société NGE de communiquer à la société Gestra les documents nécessaires pour mettre celle-ci en mesure de s'assurer de ce que l'intégralité du chiffre d'affaires lui avait été déclaré, de débattre contradictoirement de ces éléments et de justifier par là de l'exécution intégrale de ses obligations, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1315 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la société Gestra, qui a fourni des pièces comptables, lesquelles sont, par leur caractère unilatéral, insuffisantes à prouver que la société NGE a dissimulé une partie de son chiffre d'affaires, n'a formulé aucune réclamation à ce titre avant la délivrance de l'assignation ; qu'en l'état de ces appréciations, faisant ressortir que cette société s'était abstenue de faire jouer, après la cessation du contrat de licence, son droit de vérification comptable dans le délai de trois mois à compter de la déclaration de paiement final des redevances de la société NGE, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 615-5 et R. 615-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction applicable en la cause ;

Attendu que, selon ces textes, il appartient au requérant, sous peine de nullité de plein droit de la saisie, de se pourvoir devant le tribunal dans le délai de quinze jours à compter du jour où la saisie ou la description est intervenue ;

Attendu que pour prononcer la nullité de la saisie-contrefaçon du 11 janvier 2007 à l'égard de la société Abotech, l'arrêt retient que le délai de quinzaine devait impérativement être respecté vis-à-vis de celle-ci dans les locaux de laquelle la saisie-contrefaçon, pour partie réelle, avait été pratiquée et que, si la société NGE a été assignée dans le délai imparti, il n'en est pas de même de la société Abotech, assignée plus de six mois après le déroulement des opérations ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'une assignation avait été délivrée aux sociétés NGE et EGS le 25 janvier 2007, ce dont il résultait qu'il avait été satisfait à l'obligation de se pourvoir devant le tribunal dans le délai de quinzaine suivant la saisie-contrefaçon, la cour d'appel, qui y a ajouté une condition qu'ils ne prévoient pas, a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ;

Attendu que par l'effet du rejet du pourvoi sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, il ne reste plus rien à juger à l'égard de la société Abotech ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité de la saisie-contrefaçon du 11 janvier 2007 à l'égard de la société Abotech, l'arrêt rendu le 5 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.