Cass. com., 24 février 1998, n° 95-19.047
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Defrenois et Levis
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 1995), que M. Z..., employé en qualité d'ingénieur par la société Socotec chargé du contrôle technique des études de génie civil relatives aux réfrigérants atmosphériques et sollicité à titre personnel par la société EDF, pour faire partie d'un groupe de travail dit "EDF-réfrigérants" ayant pour mission de rechercher des solutions aux exigences techniques liées aux réfrigérants atmosphériques de grande dimension, a, dans le cadre de cette mission, adressé, le 11 avril 1979, à la société EDF sur papier à en-tête de la société Socotec, un "mémoire sur les possibilités d'améliorer le rendement des réfrigérants atmosphériques par certaines dispositions constructives" ; que par contrat daté du 28 décembre 1979, se référant aux clauses administratives applicables aux contrats d'études, la société EDF a confié à la société Socotec une mission de recherche consacrée à la recherche de nouvelles structures pour les réfrigérants atmosphériques; que le 18 mars 1980, la société EDF a effectué le dépôt d'une enveloppe Soleau pour l'invention d'un nouveau type de "supportage" des tours des réfrigérants atmosphériques et le 20 mars 1981 elle a effectué le dépôt enregistré sous le numéro 81-05. 641 d'une demande de brevet relative à une "cheminée, notamment tour de réfrigérant atmosphérique", invention de MM. Z..., A..., X... et Y... en précisant qu'elle tenait l'acquisition du brevet de contrats de travail; que le 31 mars 1983, M. Z..., alors en pré-retraite, a proposé à la société EDF, qui l'a accepté, de poursuivre son activité sur les tours de réfrigérants à piles à titre bénévole ; que le 26 mars 1985, il a sollicité l'attribution d'une prime dont le montant de quarante mille francs lui a été alloué le 7 janvier 1986; qu'il a cessé sa collaboration avec la société EDF en juillet 1988; que le 6 décembre 1991, alléguant le dépôt frauduleux de la demande de brevet numéro 81-05.641 il a assigné la société EDF en revendication de la copropriété du titre à concurrence du quart ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'action en revendication était prescrite et de l'avoir rejetée, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'aveu ne pouvant porter que sur des points de fait et non de droit, c'est au juge qu'il appartenait de qualifier ses travaux et de rechercher lui-même en fonction des éléments de preuve produits et quelles que soient ses déclarations, si l'invention objet du brevet revendiqué, résultait ou non des travaux effectués en dehors de tout contrat par lui à titre personnel et préalablement à la convention du 28 décembre 1979, en application de laquelle selon la société EDF, l'invention avait été au contraire découverte; qu'en se bornant à opposer son "propre aveu" pour dénier que l'invention eût préexisté à la dite convention, la cour d'appel a violé l'article 1354 du Code civil; alors, d'autre part, qu'en se bornant à opposer son "propre aveu" sans rechercher si la mauvaise foi de la société EDF. ne résultait pas des faits attestés par les responsables de la société Socotec, les entreprises concernées et MM. X... et A..., co-inventeurs salariés de la société EDF, que son mémoire du 11 avril 1979 faisait partie intégrante de l'invention revendiquée, que celle-ci avait été découverte préalablement à la convention du 28 décembre 1979, que la profession en avait eu connaissance avant la conclusion de ce contrat, que le brevet n'a fait que reprendre ses dessins antérieurs, que les calculs informatiques attestant de la viabilité de l'invention avaient été de même effectués antérieurement au contrat par la société Socotec à sa demande sur la base de ses dessins, que la société Socotec n'avait contracté avec la société EDF que parce que l'invention avait déjà été découverte, que la convention en faisait d'ailleurs elle-même référence en prévoyant la remise dans les trois jours des calculs informatiques précités afférents à "une nouvelle assise des réfrigérants atmosphériques" pour laquelle un appel d'offres devrait pouvoir être lancé dès février 1980, que les prestations de la société Socotec s'étaient effectivement limitées outre ces calculs, à une simple assistance technique des projets en dérivant, assuré sur place par lui, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle; et alors, enfin et subsidiairement, que l'aveu doit être clair et non équivoque; que sa lettre du 26 mars 1985 concluait que "ma proposition du 11 avril 1979 qui a été à l'origine des nombreuses études mentionnées, constitue, me semble-t-il, une invention dans le domaine des réfrigérants", pour la protection de laquelle" il m'a semblé inutile de prendre des précautions administratives et de déposer une enveloppe Soleau" compte tenu de la notoriété de la société EDF; qu'en déduisant de la lettre du 26 mars 1985 l'aveu de ce que les travaux antérieurs au contrat du 28 décembre 1979, pour lesquels il a explicitement réservé la qualification d'invention, ne relevaient au contraire que de la simple idée innovatrice, la cour d'appel a violé l'article 1354 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le 4 septembre 1978 s'est tenue une réunion entre M. Z... et un responsable de la société EDF au cours de laquelle a été évoquée la possibilité pour la société EDF d'entreprendre des recherches pour accroître le degré de fiabilité des réfrigérants, que le 11 avril 1979, M. Z... a adressé au directeur technique de la direction de l'équipement de la société EDF sur papier à en-tête de la société Socotec un mémoire sur les possibilités d'améliorer le rendement des réfrigérants atmosphériques et qu'enfin le 28 mars 1985, il a adressé une lettre à la société EDF en rappelant sa qualité d'employé de la société Socotec, et le fait que le contrat du 28 décembre 1979 avait permis son détachement auprès de cette société pour étudier en collaboration avec ses spécialistes "les infrastructures nouvelles des réfrigérants"; que la cour d'appel, qui a déduit de ces constatations et appréciations que le contrat conclu entre les sociétés Socotec et EDF était un contrat de recherche et que M. Z... ne pouvait pas ignorer que les recherches entreprises étaient destinées à la société EDF a donc, sans méconnaître les règles juridiques de l'aveu, recherché si la société EDF était ou non de mauvaise foi; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'action en revendication était prescrite et de l'avoir rejetée, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le seul fait qu'il ait exécuté en qualité de salarié la convention du 28 décembre 1979 le détachant à sa demande pour étudier les nouvelles infrastructures des réfrigérants atmosphériques, n'emporte pas qu'il ait été partie contractante au marché souscrit sans son concours par la société EDF et son employeur et dont il n'est même pas relevé qu'il eût connu les stipulations; qu'il n'en résulte pas en effet qu'il ait personnellement donné son consentement aux obligations du dit contrat, ni qu'il ait renoncé à ses droits de propriété industrielle, de sorte qu'étant un tiers à cette convention celle-ci ne pouvait par elle-même l'obliger; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses énonciations en violation des articles 1134 et 1165 du Code civil ; alors, d'autre part, que les articles L. 111-23 et L. 111-25 du Code de la construction et de l'habitation limitent expressément les attributions des sociétés de contrôle technique à la "mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages notamment sur les problèmes qui concernent la solidité... et la sécurité des personnes "et leur défendent en revanche "l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage"; que la nullité d'ordre public frappant les conventions enfreignant ces prohibitions édictées dans l'intérêt général interdit au juge de leur faire produire le moindre effet, de sorte qu'il ne pouvait en tout état de cause être privé du droit et d'invoquer la nullité de la convention du 28 décembre 1979 qui n'a pu légalement servir de cadre à l'invention litigieuse et de se prévaloir de la mauvaise foi de la société EDF qui a expressément reconnu dans une note non contestée, du 6 mars 1981, que la société Socotec l'avait avertie de ce qu'il lui était interdit de faire oeuvre inventive; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle et l'article 6 du Code civil; alors, de plus et en toute hypothèse, que ne résulte même pas du seul fait qu'il ait exécuté la convention du 28 décembre 1979 le détachant à sa demande pour étudier les nouvelles infrastructures des réfrigérants atmosphériques, qu'il ait agi en connaissance de l'illicéité de sa mise à disposition; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc en tout état de cause privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 du Code civil; et alors, enfin, que selon ses propres constatations, il n'a agi qu'en qualité de salarié de la seule société Socotec, ce qui excluait précisément que la prime qu'il a sollicitée de la société EDF puisse être la rémunération supplémentaire pouvait être due par l'employeur à un salarié qui n'a pas de droit de propriété sur l'invention faite dans l'exécution de son contrat de travail; qu'en retenant le contraire la cour d'appel a violé l'article L. 611- du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, que le moyen tiré de la nullité du contrat conclu le 28 décembre 1979 entre la société Socotec et la société EDF en raison de l'illicéité éventuelle de son objet ou de ses clauses, est inopérant au regard de la propriété de l'invention litigieuse dès lors que la cour d'appel a retenu que M. Z... avait agi dans le cadre d'une mission inventive au profit de son employeur ;
Et attendu, en second lieu, que la cour d appel a pu décider que l'octroi, par la société EDF, de la prime réclamée par M. Z..., démontrait que cette société n'avait pas commis de fraude sans qu'il puisse en être déduit que la société Socotec n'était pas l'employeur de M. Z... ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'action en revendication était prescrite et de l'avoir rejetée alors, selon le pourvoi, qu'il était également soutenu que la société EDF avait agi irrégulièrement et de mauvaise foi, d'un côté en déposant sa demande de brevet en violation des stipulations du contrat du 28 décembre 1979 lui imposant d'en aviser préalablement la société Socotec, afin d'éviter ses protestations et les siennes et, d'un autre côté, en le trompant sur le contenu de ses droits dans la mesure où la société EDF lui a expressément demandé qu'il lui cède son droit de propriété industrielle sur l'invention pour les Etats-unis et que cet établissement public lui a ensuite déclaré le 18 octobre 1983, que leur coopération passée avait été "concrétisée par le dépôt de brevet commun"; qu'en omettant de se prononcer à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'après avoir rejeté le moyen tiré de la mauvaise foi de la société EDF, la cour d'appel, qui en a déduit qu'il résultait du contrat de recherche conclu entre la société EDF et la société Socotec que le résultat des recherches était la propriété de la société EDF, et qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a légalement justifié sa décision; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'action en revendication était prescrite et de l'avoir rejetée alors, selon le pourvoi, qu'aux termes de sa lettre du 18 octobre 1983, la société EDF lui a expressément déclaré de manière claire et précise, que leur coopération sur "les tours de réfrigérants à piles" avait été "concrétisée par le dépôt de brevet commun"; que cette fausse déclaration sur l'existence d'un titre de propriété industrielle qui serait commun à lui et à la société EDF constituait une faute de la part de cet établissement public qui était tenu d'indiquer à l'inventeur la réalité de ses démarches ayant abouti à la délivrance le 27 avril 1984 du brevet d'invention; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'en retenant qu'il était établi que M. Z... avait reconnu avoir participé, dans un premier temps, à titre personnel et bénévole, aux recherches et que le contrat du 28 décembre 1979 précisait exactement la nature et la portée de sa participation, la cour d'appel a pu décider qu'il n'était pas démontré l'existence d'une faute à la charge de la société EDF;
d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le cinquième moyen :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'action en revendication était prescrite et de l'avoir rejetée alors, selon le pourvoi, qu'il justifiait sa demande d'indemnisation par les nombreuses études et recherches diverses effectuées antérieurement et postérieurement à l'invention et aux six mois de son détachement résultant de la convention du 28 décembre 1979, travaux qu'il a fourni à la société EDF à titre personnel et en l'absence de tout contrat jusqu'en 1988, même après le versement de la prime qui lui a été allouée en 1985 pour sa contribution à l'invention; que dès lors en se bornant à rappeler de manière générale le caractère subsidiaire de l'action de in rem verso et, de manière inopérante, la prescription de l'action en revendication de l'invention, sans autrement justifier sa décision au regard des faits, allégués par lui, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du Code civil ;
Mais attendu qu'en retenant que M. Z... reconnaissait avoir travaillé en qualité de salarié de la société Socotec et avoir reçu une rémunération de la société EDF pour sa collaboration ultérieure, la cour d'appel a répondu au moyen tiré de l'enrichissement sans cause;
d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.