Cass. soc., 26 janvier 2012, n° 10-13.825
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Hémery et Thomas-Raquin
Sur les premier, deuxième et cinquième moyens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Polimeri fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que la demande n'était pas prescrite, alors, selon le moyen :
1°) que la prescription quinquennale, qui s'applique à la créance de « rémunération supplémentaire » due au salarié auteur d'une invention de service, court à compter de la date à laquelle il a connaissance de l'événement ouvrant droit à cette rémunération ; qu'en application de l'article 17 de l'avenant Cadres du 16 juin 1955 de la Convention Collective des Industries Chimiques et Connexes, cet événement résulte de l'exploitation « commerciale » de l'invention dans un délai de 5 ans à compter de son dépôt (ce délai ayant été porté à 10 ans par accord du 18 avril 1985) ; qu'en l'espèce, la société Polimeri faisait valoir qu'eu égard à ses fonctions d'Ingénieur de recherches « procédé », M. X... avait connaissance de l'éventuelle mise en exploitation de ses propres inventions ; qu'elle produisait à l'appui de cette affirmation, outre les rapports notifiés au salarié et qui ont été écartés des débats, une note de service du 28 septembre 1995, la fiche de fonction du salarié, deux organigrammes ainsi qu'un plan du site avec l'emplacement des bureaux de M. X... ; que s'il prétendait « ignorer les conditions précises de l'exploitation », M. X... reconnaissait pour sa part qu'il « n'a jamais prétendu ignorer l'exploitation des procédés brevetés » et encore « qu'il n'a jamais été contesté qu'en qualité d'ingénieur procédé exerçant sur le site industriel de Dunkerque à compter de 1995, M. X... connaissait l'exploitation des procédés dont il était l'inventeur » (conclusions du 28 mai 2009, p. 29 et 30) ; qu'en retenant que le point de départ de la prescription ne pouvait être que « celui où M. X... a été informé des différents critères posés dans la convention collective permettant l'évaluation de sa rémunération » pour en déduire que l'ignorance des « conditions de l'exploitation commerciale des brevets en cause » et de leur « intérêt économique » rendait inopposable à l'intéressé la prescription quinquennale, lorsque celle-ci pouvait commencer à courir dès lors que M. X... avait eu au moins connaissance de l'existence de l'exploitation, à charge pour lui de solliciter toute mesure d'instruction utile pour faire évaluer le montant de la créance, la cour d'appel a violé l'article 2277 du code civil, ensemble l'article 17 de l'avenant Cadres du 16 juin 1955 de la Convention Collective des Industries Chimiques et Connexes ;
2°) que l'article 17 de l'avenant Cadres du 16 juin 1955 de la Convention Collective des Industries Chimiques et Connexes dispose que « si, dans un délai de cinq ans délai porté à dix ans à compter de l'entrée en vigueur de l'accord du 18 avril 1985 consécutif au dépôt d'un brevet pour une invention visée au présent paragraphe II, ce brevet a donné lieu à une exploitation commerciale ou industrielle, directe ou indirecte, l'ingénieur ou le cadre dont le nom est mentionné dans le brevet a droit à une rémunération supplémentaire en rapport avec la valeur de l'invention, et ceci même dans le cas où l'ingénieur ou le cadre ne serait plus en activité dans l'entreprise. Le montant de cette rémunération supplémentaire qui pourra faire l'objet d'un versement unique sera établi forfaitairement en tenant compte du cadre général de recherche dans lequel s'est placée l'invention, des difficultés de la mise au point pratique, de la contribution personnelle, originale de l'intéressé dans l'individualisation de l'invention elle-même et de l'intérêt commercial de celle-ci. L'intéressé sera tenu informé de ces différents éléments » ; que l'obligation d'information du salarié ne conditionnant ni la naissance de la créance ni le cours de la prescription, la suspension de cette dernière ne saurait résulter que de l'éventuelle ignorance par le salarié du principe de sa créance ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que l'employeur avait exécuté son obligation conventionnelle d'informer son salarié sur son droit à rémunération, ni sur les éléments nécessaires pour déterminer la quotité de la créance, pour en déduire que la prescription quinquennale lui était « inopposable », lorsque cette seule circonstance n'avait en elle-même aucune incidence sur le cours de la prescription, l'inopposabilité ne pouvant résulter que de la seule ignorance de l'exploitation des brevets, la cour d'appel a violé l'article 2277 du code civil, ensemble la disposition conventionnelle précitée ;
3°) que le droit à un procès équitable exclut que l'application de l'interprétation nouvelle d'une règle légale de prescription ait pour effet de faire renaître une action déjà prescrite à la date du revirement ; que l'état d'une interprétation jurisprudentielle s'apprécie au regard des décisions de la Cour de cassation ; que par un arrêt du 5 mai 2004 (N° 02-13. 318), la chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé que les gratifications dues au titre des inventions « constituaient une rémunération complémentaire de nature salariale, qui sont soumises à la prescription quinquennale », quand bien même elles auraient été indéterminées en leur montant ; qu'en vertu de cette règle jurisprudentielle, la société Polimeri faisait valoir que les éventuels droits au titre des inventions litigieuses étaient en toute hypothèse prescrits au 22 février 2005, date à laquelle la chambre commerciale de la Cour de cassation (N° 03-11. 027) avait jugé que « la prescription quinquennale n'atteint les créances que si elles sont déterminées et qu'il n'en est pas ainsi lorsque leur fixation fait l'objet d'un litige entre les parties » ; qu'à supposer qu'elle ait écarté par motifs adoptés, la prescription quinquennale au profit de la prescription trentenaire s'agissant d'une créance indéterminée au prétexte, d'une part, que l'arrêt du 22 février 2005 ne constituait pas un revirement de jurisprudence eu égard à la jurisprudence de juridictions du fond et à des arrêts postérieurs de la chambre sociale des 28 février 2006 (pourvoi n° 03-45. 311), 9 avril 2008 (pourvoi n° 06-43. 768), 16 janvier 2008 (pourvoi n° 06-42. 787), d'autre part, que le revirement allégué était déjà intervenu au moment de l'introduction de l'instance, lorsqu'elle faisait application d'une règle de prescription qui avait pour effet de faire renaître une action qui aurait été prescrite, à la date de l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, par application de la règle alors posée par la chambre sociale de la Cour de cassation, la cour d'appel aurait violé l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et les articles 2277 et L. 611-7 du code de la Propriété Intellectuelle ;
4°) que les obligations nées entre un commerçant et un non commerçant se prescrivent par 10 ans, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; qu'à supposer que la créance indéterminée en son montant ne puisse être soumise à la prescription quinquennale, elle relève de la prescription décennale qui ne saurait être supplantée par une prescription trentenaire plus longue ; qu'en disant que la prescription décennale ne pouvait s'appliquer « dans un litige concernant une créance née en exécution d'un contrat de travail », lorsque l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique à tout rapport noué entre un commerçant et un non-commerçant qui n'est pas soumis à une prescription plus courte, sans exclure les rapports de travail, la cour d'appel a violé le texte précité ;
Mais attendu que le délai de prescription d'une créance de rémunération court à compter de la date à laquelle le salarié a connaissance des éléments ouvrant droit à une rémunération ;
Et attendu que la cour d'appel, après avoir retenu à bon droit que les dispositions conventionnelles obligeaient l'employeur à communiquer au salarié inventeur, en vue d'une fixation forfaitaire de la créance prenant en compte la valeur de l'invention exploitée, les éléments nécessaires à cette évaluation, a constaté, d'une part, que les fonctions exercées par le salarié dans l'entreprise ne lui permettaient pas de connaître par lui-même ces éléments, d'autre part, que l'employeur, qui les détenait, ne les avait pas communiqués au salarié, bien qu'il y fut tenu, et avait opposé un refus de principe à leur communication ; qu'elle a pu en déduire que le délai de prescription n'avait pas couru avant l'introduction de l'instance ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le quatrième moyen :
Vu les articles L. 2254-1 du code du travail, ensemble l'article L. 2261-8 de ce code et l'article 2 du code civil ;
Attendu que, pour juger que l'article 17 de l'avenant n° 111 de la convention collective nationale des industries chimiques, tel qu'il résultait d'une modification intervenue en 1985 et portant le délai dans lequel devait être exploitée l'invention pour ouvrir droit à rémunération de 5 à 10 ans, était applicable à toutes les inventions antérieures au 26 novembre 1990, la cour d'appel a retenu que les clauses nouvelles d'une convention collective renégociée se substituent immédiatement aux anciennes clauses ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'application immédiate de l'avenant modificatif négocié en 1985, qui n'avait pas valeur d'avenant interprétatif, ne pouvait avoir pour effet de soumettre au nouveau délai de dix années les inventions antérieures dont le délai d'exploitation de cinq années était expiré au jour de l'entrée en vigueur de cet avenant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la cour est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre partiellement fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge que l'article 17 de l'avenant n° 111 de la convention collective nationale des industries chimiques, tel qu'il résultait d'une modification intervenue en 1985 est applicable à toutes les inventions antérieures au 26 novembre 1990, l'arrêt rendu le 15 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Douai.