CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 février 2018, n° 16/13779
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Steflo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thaunat
Conseillers :
Mme Fremont, Mme Gil
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 14 avril 1999, Mme Anne-Marie O. épouse A. et Mme Francine O. épouse V. (ci-après dénommées les consorts O.) ont donné à bail à M. P. des locaux dépendant d'un immeuble situé [...], pour une durée de 9 années à compter du 1er août 1999 et pour l'activité de "fast food, croissanterie pré-emballée sans friture et sans crêpes".
Par acte sous seing privé du 6 avril 2000, M. P. a cédé son fonds de commerce à la SARL Steflo, la cession de fonds de commerce emportant cession du droit au bail.
Par acte extrajudiciaire du 12 septembre 2011, les consorts O. ont délivré congé à la SARL Steflo et offert le renouvellement du bail moyennant le paiement d'un loyer déplafonné.
Par courrier du 5 octobre 2011, la SARL Steflo a accepté le principe du renouvellement mais contesté le montant du loyer proposé par les bailleresses. Elle demandait soit que le loyer soit révisé selon l'indice du bail, soit que le loyer soit déplafonné en contrepartie d'une déspécialisation partielle de la destination des locaux, afin que soit autorisée l'activité de friture.
Par actes d'huissier de justice en date du 27 décembre 2011 et du 10 octobre 2012, les consorts O. ont fait constater la vente de frites par la SARL Steflo, ainsi que la présence, dans les locaux loués, d'une friteuse et d'un grille-viande.
Par jugement du 21 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a débouté les consorts O. de leur demande en résiliation de bail, après avoir constaté que les manquements aux clauses relatives à la destination du bail ont cessé ou qu'ils ne constituent pas une faute suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SARL Steflo.
Par actes extrajudiciaires des 15 et 21 mai 2014, la SARL Steflo a notifié aux bailleresses une demande de déspécialisation partielle, sollicitant l'adjonction de l'activité complémentaire de friterie à la destination du bail, à laquelle les consorts O. se sont opposés par acte du 10 juillet 2014.
Par assignation du 3 septembre 2014, la SARL Steflo a attrait Mme Anne-Marie O. épouse A. et Mme Francine O. épouse V. devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir notamment, au visa des articles L. 145-15 et suivants du code de commerce et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, déclarer nulle et de nul effet la clause du bail interdisant la FRITURE, l'autoriser à adjoindre à son activité celle de friterie, débouter les consorts O. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Par jugement en date du 2 mai 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :
- Rejeté les fins de non-recevoir soulevées par Mme Anne-Marie O. épouse A. et Mme Francine O. épouse V.,
- Déclaré recevables les demandes formées par la SARL Steflo,
- Débouté la SARL SIEFLO de sa demande en nullité de la clause de destination inscrite aux termes du bail en date du 14 avril 1999 ayant pour objet les locaux situés [...],
- Dit que l'activité de friterie n'est pas une activité complémentaire de l'activité de fast-food,
- Débouté la SARL Steflo de sa demande tendant à être autorisée à adjoindre l'activité de friterie à celle de " fast food, croissanterie pré-emballée sans friture et sans crêpes", prévue au bail,
- Condamné la SARL Steflo à payer à Mme Anne-Marie O. épouse A. etMme Francine O. épouse V. la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,
- Condamné la SARL Steflo aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Société Steflo a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 22 juin 2016.
Par dernières conclusions signifiées le 2 octobre 2017, la Société Steflo demande à la Cour de :
- Dire cet appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par Mesdames A. et V.,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Société Steflo à payer à Mesdames A. et V. la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
Vu les articles L.145-15 et L.145-47 du code de commerce et les pièces produites,
Vu la jurisprudence invoquée.
- Débouter Mesdames A. et V. de toutes leurs demandes,
- Déclarer non écrite la clause de destination du bail interdisant la vente de friture,
- Autoriser la Société Steflo à adjoindre à l'activité de fast-food, prévue par la clause destination du bail, l'activité de friterie,
- Condamner Madame V. et Madame A. à payer à la Société Steflo une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens dont le recouvrement sera directement poursuivi par la SCP R. B. M., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau (sic) code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 6 novembre 2017, Madame Anne-Marie O., épouse A. et Madame Francine O., épouse V. demandent à la Cour de :
- Déclarer mal fondée la Société Steflo en son appel du jugement rendu le 2 Mai 2016,
- L'en débouter ainsi que de toutes demandes, fins et conclusions,
- Recevoir les consorts A. Visconti en leur appel incident,
En conséquence,- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par Madame A. et Madame V. et déclaré recevables les demandes formées par la Société Steflo,
Statuant a nouveau,
- Déclarer la Société Steflo irrecevable en sa demande de nullité de la clause destination, et subsidiairement confirmer le jugement entrepris en ce qu'il I'a débouté de cette demande.
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, Y ajoutant,
- Condamner la Société Steflo au paiement de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner la Société Steflo aux entiers dépens tant d'appel que de première instance qui seront recouvrés par la SCP N. H., Avocat aux offres de droits.
La procédure a été clôturée le 13 décembre 2017.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande :
La société Steflo demande par application des articles L.145-15 et L.145-47 du code de commerce de déclarer nulle et de nul effet la clause de destination du bail interdisant l'activité de friture.
Cette demande de nullité a été introduite par assignation du 3 septembre 2014, après notification d'une demande déspécialisation partielle faite par acte extrajudiciaire des 15 et 21 mai 2014.
Les consorts O. soulèvent l'irrecevabilité de la demande comme soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce courant à compter de la conclusion du bail, puisque l'article L.145-15 du code du commerce issu de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel, ne s'applique qu'aux procédures engagées postérieurement au 30 juin 2014, date de son entrée en vigueur.
Rappelant que l'action en déspécialisation a été introduite par la société Steflo par la notification de sa demande de déspécialisation partielle des locaux les 15 et 21 mai 2014 tendant à se voir autoriser à adjoindre l'activité complémentaire de friterie, qui en constituait le préalable obligatoire, ils affirment que c'est à cette date que le litige s'est noué entre les parties sous l'empire de la loi ancienne concernant la qualification des clauses, ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L.145-47 qualifiées alors par L. 145-15 du code de commerce de clause atteintes de nullité.
Ils en concluent que la procédure ayant été introduite antérieurement à son entrée en vigueur, le litige doit être tranché en application des dispositions de la loi ancienne, et que la demande de la SARL Steflo est prescrite.
La SARL Steflo, arguant que l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 7 août 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, ce sont les dispositions de cette loi qui trouvent application, affirme que c'est à bon droit que le tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l'article L.145-15 du code du commerce, aux termes desquelles sont réputées non-écrites, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour objet de faire échec au droit de renouvellement institué par le statut ou aux dispositions des articles L.145-4, L.145-37 à L.145-41 du premier alinéa de l'article L.145-42 et des articles L.145-47 à L.145-54, a jugé qu'aucun délai de prescription n'est applicable à la demande tendant à déclarer non-écrite une clause restreignant la destination des lieux.
Elle demande donc qu'il soit statué sur sa demande visant à voir déclarer non-écrite la clause de destination du bail interdisant la friture.
La cour relève que si effectivement l'assignation en justice, non précédée de la demande préalable de déspécialisation, ne peut faire courir le délai de réponse du bailleur, et que ce n'est qu'en cas de contestation par le bailleur ou en cas de refus non motivé, qu'il appartient à la partie la plus diligente de saisir le tribunal compétent, il n'en demeure pas moins que c'est l'enrôlement de l'assignation qui introduit l'action en justice et qui détermine la loi applicable à cette date. Ainsi l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 7 août 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, ce sont les dispositions de cette loi qui trouvent application, de sorte que la demande visant à voir déclarer non-écrite la clause de destination du bail interdisant la friture n'est pas prescrite en application de l'article L.145-60 du code de commerce.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée :
Les consorts O. soutiennent qu'en vertu des dispositions de l'article 1351 du code civil et du principe de concentration des moyens qui y est attaché la demande présentée par la société Steflo, visant à remettre en cause la validité de la clause interdisant l'activité de friture dans les lieux loués, se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement contradictoire et définitif rendu le 21 novembre 2013, ayant statué au vu de ladite clause dont la validité a été reconnue.
En droit, l'autorité de la chose jugée n'a lieu, énonce l'article 1351 du code civil, qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En fait, au cours de la procédure ayant donné lieu au jugement rendu le 21 novembre 2013, les bailleresses ont reproché à la société preneuse d'exercer une activité de friterie en infraction avec les dispositions contractuelles, mais ce manquement aux clauses du bail, dont la validité n'était alors pas contestée par la SARL Steflo, ayant cessé, les juges ont débouté les bailleresses de leur demande de résiliation de bail aux torts de la SARL Steflo.
Certes il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci.
Mais en l'espèce, la demande originaire dont était saisie le tribunal de grande instance de Paris qui a statué par jugement du 21 novembre 2013 et qui tendait à voir statuer sur la résiliation du bail pour faute contractuelle du preneur, diffère de la demande dont la cour est aujourd'hui saisie, à savoir une demande de déspécialisation du bail ; dès lors la SARL Steflo est admise à invoquer un fondement juridique qu'elle s'était abstenue de soulever dans la procédure précédente, de sorte que la demande ne se heurte pas à l'autorité de la chose précédemment jugée.
Les fins de non-recevoir seront donc rejetées.
Sur le caractère non-écrit de la clause de destination du bail interdisant la friture :
La SARL Steflo soutient que l'évolution des usages commerciaux permet de considérer l'activité de friterie comme une activité complémentaire à celle de fast-food autorisée par le bail, et qu'en matière de restauration rapide une garniture de frites est considérée comme le complément des mets servis.
Elle en conclut que l'activité de friterie a donc un caractère objectivement complémentaire de l'activité de restauration rapide, et que par conséquent, en se fondant, non sur le caractère objectivement connexe ou complémentaire des activités dont l'adjonction était demandée, mais exclusivement sur la clause litigieuse, alors qu'une clause de destination ne peut avoir pour effet d'interdire au preneur de solliciter une déspécialisation partielle ou l'adjonction d'une activité accessoire et complémentaire, le tribunal a violé l'article L.145-47 du code du commerce.
Les consorts O. répliquent que les dispositions des articles L.145-15 et L.145-47 du code du commerce n'interdisent certainement pas au bailleur de définir l'activité autorisée dans les lieux loués et d'en interdire certaines, et qu'elles ne dispensent pas plus le locataire d'user de la chose louée suivant la destination qui lui a été donnée et qui constitue une obligation principale du bail.
Ils en concluent que la clause litigieuse est parfaitement valide.
L'activité prévue au bail est celle de " fast food, croissanterie pré-emballée sans friture et sans crêpes ".
Cette clause qui interdit limitativement l'activité de friterie et de crêperie, n'a pas pour effet d'interdire aux locataires de procéder à toute déspécialisation, et est conforme aux dispositions de l'article L.145-47 du code de commerce.
La SARL Steflo sera donc déboutée de sa demande tendant à voir déclarer non-écrite ladite clause.
Sur la demande de déspécialisation partielle :
La SARL Steflo expose que l'adjonction de la vente de frites en accompagnement du plat principal ne nécessite que peu d'aménagement dans le local loué, déjà ouvert sur l'extérieur, comme en atteste M. D., l'architecte consulté par la société locataire, et ne créerait pas de nuisances particulière en raison d'une installation existante adaptée (système de ventilation, hotte-extracteur).
Elle en conclut qu'ainsi la vente de frites, nécessairement incluse dans la destination contractuelle du bail, ne saurait créer des nuisances ou risques supplémentaires par rapport à son activité actuelle, et est nécessaire au développement de son activité dans un quartier très concurrentiel face à des fast-foods qui offrent tous d'accompagner leurs plats de frites.
Les consorts O. répliquent que les dispositions de l'article L 145-47 du code de commerce ne confèrent pas au juge le pouvoir de modifier l'activité initiale telle que prévue au bail, que l'article 1728 du code civil impose au locataire d'user de la chose louée conformément à la destination donnée par le bail, et qu'il en résulte que le preneur ne peut pas modifier son activité, sauf à obtenir l'accord du bailleur.
Ils contestent la conformité des travaux effectués par le preneur sans autorisation préalable du bailleur et affirment que l'exploitation d'une telle activité dans les lieux présente des risques certains au niveau de l'hygiène et de la sécurité au regard de l'emplacement et de la configuration des locaux.
Ils ajoutent que ce commerce est exploité depuis de très nombreuses années sans que l'activité de Fritures et Crêpes ne soit autorisée dans lieux, et que la progression du chiffre d'affaires de la société Steflo laisse apparaître que l'absence de friterie ne saurait être retenue comme étant un frein à l'exploitation de son commerce.
La cour relève que le fast-food est un type de restauration rapide, distribué à toute heure, pour un prix peu élevé, de quelques produits froids ou chauds (sandwich, pizza, hot-dog, croque-monsieur, panini, etc), qui peuvent être consommés sur place ou emportés.
Ce type de restauration ne nécessite aucune préparation culinaire, hormis un réchauffage rapide de certains plats proposés à la vente.
Le bail, qui fait la loi des parties, s'impose aux cocontractants, et l'article 1728 du code civil enjoint au locataire d'user de la chose louée conformément à la destination donnée par le bail.
En interdisant expressément dans le bail l'activité de friterie et de crêperie, les bailleurs ont voulu préserver les occupants de l'immeuble de nuisances olfactives évidentes.
L'article L.145-47 du code du commerce autorise le locataire à adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires, et donne pouvoir au juge, en cas de contestation, d'autoriser cette activité connexe ou complémentaire en fonction notamment de l'évolution des usages commerciaux.
La vente de frites ne peut être considérée comme incluse dans la destination contractuelle du bail, comme le soutient la société Steflo, puisqu'elle en est expressément exclue.
L'activité connexe ou complémentaire doit être unie à l'activité principale par un lien suffisant.
Et une activité est connexe ou complémentaire si le produit vendu s'exploite dans les mêmes conditions que le produit initial.
Or en l'espèce, comme l'ont relevé les premiers juges, l'activité de friterie, qui nécessite, pour sa réalisation, une installation spécifique des locaux pour leur ventilation et l'évacuation des fumées et des odeurs, dans le respect de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité, ainsi qu'un matériel distinct pour cuisiner les plats proposés à la vente, ne peut être considérée comme une activité complémentaire à celle de fast-food.
La SARL Steflo sera donc déboutée de sa demande de déspécialisation.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
La SARL Steflo sera condamnée au paiement d'une indemnité procédurale de 4 000 euros, l'indemnité allouée aux consorts O. en première instance leur restant acquise.
Les dépens d'appel seront supportés par la SARL Steflo.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
Condamne la SARL Steflo à payer à Mme Anne-Marie O. épouse A. et Mme Francine O. épouse V., ensemble, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Steflo aux dépens et fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP N.H.