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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 1 décembre 2009, n° 09/01628

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autocam France (SARL)

Défendeur :

Techniques Surfaces Andrezieux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robert

Conseillers :

M. Busché, M. Morel

Avoué :

SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon

Avocats :

SCP Ribeyre, David & Associés, Me Blanchard

TGI Bonneville, du 12 nov. 2008

12 novembre 2008

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement du 12/11/2008, le tribunal de grande instance de BONNEVILLE, statuant en matière commerciale, a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société AUTOCAM FRANCE, qui exerce une activité de décolletage et produit des pièces pour les constructeurs d'automobiles ou leurs fournisseurs.

Me SAPIN a été désigné en qualité d'administrateur judiciaire avec mission de surveillance et Me BLANCHARD en qualité de mandataire.

Par requête datée du 15/12/2008, l'administrateur judiciaire a demandé au juge-commissaire d'autoriser la société AUTOCAM FRANCE à transiger en réglant en 6 échéances mensuelles à la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX la somme de 30 862,85 euros TTC, correspondant au montant de sa créance de sous-traitance impayée, cette dernière renonçant alors à procéder directement au recouvrement de cette créance auprès des clients de la société AUTOCAM FRANCE, comme le lui permet la loi du 31/12/1975.

Par ordonnance du 21/1/2009, le juge-commissaire a rejeté cette requête en retenant que les dispositions de l'article L. 622-7 alinéa 2 du code de commerce ne lui permettaient pas d'autoriser le règlement d'une créance née antérieurement au jugement d'ouverture pour le motif invoqué.

Par courrier reçu au greffe le 10/03/2009, la société AUTOCAM FRANCE a formé un recours à l'encontre de cette ordonnance.

Par jugement du 02/07/2009 le tribunal de commerce d'ANNECY, substitué par le tribunal de grande instance d'ANNECY, a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire.

Les premiers juges ont retenu que si l'alinéa 2 de l'article L. 622-7 du code de commerce disposait que le juge commissaire pouvait autoriser le chef d'entreprise ou l'administrateur à transiger, en revanche, cette transaction ne pouvait avoir pour effet d'autoriser le paiement de dettes antérieures à l'ouverture de la procédure collective en dehors des cas limitativement prévus par l'alinéa 3 de ce texte, à savoir pour retirer un gage ou une chose légitimement retenue, la transaction sollicitée ne pouvant conduire à faire échec à l'application de la règle d'ordre public de l'interdiction de règlement des dettes antérieures au jugement d'ouverture.

Par déclaration reçue au greffe le 20/07/2009, la société AUTOCAM FRANCE et Me SAPIN ont relevé appel de ce jugement.

Me BLANCHARD, ès qualité de mandataire liquidateur à la sauvegarde de la société AUTOCAM FRANCE, régulièrement assigné, n'a pas constitué avoué.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société AUTOCAM FRANCE et Me SAPIN, ès qualité d'administrateur judiciaire à sa procédure de sauvegarde, demandent à la cour :

- de réformer le jugement.

- d'autoriser la société AUTOCAM FRANCE à transiger avec la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX aux fins de régler sa créance d'un montant de 30 862,85 euros suivant 6 échéances mensuelles en contrepartie de l'abandon, par la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX, de son droit de rétention et de son action en paiement direct prévue par la loi du 31/12/1975.

Ils exposent qu'en application de l'article 2286 du code civil, la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX dispose d'un droit de rétention sur les biens que lui a confiés la société AUTOCAM FRANCE, qu'elle détient utilement ;

Ils en déduisent que, dans la mesure où la libération des marchandises retenues permet de livrer les clients et donc de pérenniser l'activité de la société AUTOCAM FRANCE, il y avait matière à application de l'alinéa 3 de l'article L. 622-7 du code de commerce qui permet au juge commissaire d'autoriser le paiement d'une créance antérieure pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue.

Ils font valoir d'autre part qu'elle dispose, en sa qualité de sous-traitant, d'une action directe à l'encontre des clients de son donneur d'ordre, ce qui est de nature à engendrer des conséquences préjudiciables pour la société AUTOCAM FRANCE, qui aura des difficultés pour obtenir le paiement de ses prestations et qui risque au final de perdre sa clientèle ;

Ils en déduisent que, compte tenu de son intérêt pour l'entreprise, la transaction proposée devait être autorisée par le juge commissaire, gardien de la sauvegarde de l'entreprise et chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence.

La société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX demande à la cour :

- de lui donner acte de ce qu'elle s'associe pleinement aux demandes formulées par la société AUTOCAM,

- de l'autoriser à transiger aux fins d'être réglées de sa créance, d'un montant de 30 862,85 euros, en six échéances mensuelles d'un montant de 5 862,85 euros pour la première et 5 000 euros pour chacune des suivantes, en contrepartie de l'abandon par elle de son droit de rétention et de son action en paiement direct.

Elle fait valoir que le juge commissaire peut, en application de l'article L. 622-7 du code de commerce, autoriser une transaction afin d'interdire à titre conservatoire toute action de rétention ou toute action directe, étant observé que le paiement permet de sauvegarder l'ensemble des intérêts des parties en présence.

Le Ministère Public conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Il fait valoir que les dispositions d'ordre public de l'article L. 622-7 alinéa 1 du code de commerce ne peuvent être combattues par des hypothèses fondées sur des relations contentieuses futures avec les clients, qui découleraient de l'exercice par le sous-traitant de son action directe.

Il ajoute qu'il n'est pas établi que l'exercice du droit de rétention compromettrait la pérennité de l'entreprise, l'activité de celle-ci s'étant poursuivie malgré la non-restitution de la marchandise, lorsque celle-ci a été dûment constatée.

Il en déduit que le juge commissaire n'était, dès lors, pas tenu d'autoriser le débiteur à payer des créances antérieures au jugement de sauvegarde, conformément à l'article L. 622-7 II alinéa 2 du code de commerce.

MOTIFS

Attendu que l'article L. 620-1 du code de commerce institue une procédure de sauvegarde dans le but de faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ;

Attendu que ces objectifs fondateurs doivent primer sur toutes autres considérations et guider les décisions qui seront prises dans le cadre de cette procédure ;

Attendu que l'article L. 622-7 du même code, après avoir posé le principe de l'interdiction de paiement de toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, permet toutefois au juge commissaire d'autoriser le chef d'entreprise ou l'administrateur, dans son alinéa 2, à compromettre ou transiger, et, dans son alinéa 3, à payer des créances antérieures pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue, lorsque ce retrait est justifié par la poursuite de l’activité ;

Attendu que le principe de l'interdiction de payer les créances antérieures n'a de raison d'être que dans la mesure où il permet de faciliter la sauvegarde de l'entreprise, conformément aux objectifs fondateurs de cette procédure;

Que, par conséquent, dès lors que son application aboutirait au résultat inverse, il doit y être dérogé, dérogation qu'autorise l'article L 622-7 précité, sous le contrôle du juge-commissaire, tant dans le cadre général d'une transaction que dans celui, spécifique, du retrait d'un gage ou de marchandises nécessaires au fonctionnement de l'entreprise, puisqu'il en va de l'intérêt de celle-ci et, partant, de celui, bien compris, de l'ensemble de ses créanciers ;

Attendu qu'il résulte des productions qu'au 12/11/2008, date de l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société AUTOCAM FRANCE, la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX, disposait à son encontre d'une créance de sous-traitance d'un montant de 30.862,85 euros et était en possession des pièces correspondantes, qu'elle avait traitées pour le compte de cette dernière;

Qu'elle entendait, faute de règlement, en se prévalant de l'article 12 de la loi du 31/12/1975 relative à la sous-traitance, actionner directement en paiement les clients de la société AUTOCAM FRANCE ;

Qu'en application des dispositions de l'article 2286 du code civil et de l'article 9-2 de ses conditions générales de vente, elle pouvait aussi exercer un droit de rétention sur les pièces en sa possession;

Attendu que l'exercice, tant de cette action que de ce droit, aurait gravement préjudicié à la sauvegarde de l'entreprise, d'une part en ruinant la confiance des clients actionnés directement, qui, dès lors, auraient été susceptibles de rompre toute relations avec celle-ci ou de suspendre leurs paiements dans la crainte d'autres actions de ce type, d'autre part en perturbant, voire en paralysant son activité, les pièces commandées ne pouvant plus être fournies ;

Attendu que la transaction proposée comporte des concessions réciproques, la créancière renonçant à l'exercice de l'action directe et du droit de rétention et acceptant un paiement échelonné de sa créance, de manière à ne pas nuire à la poursuite de l'activité de l'entreprise sous sauvegarde, et cette dernière, en contrepartie, acceptant de la payer ;

Que cette transaction réponde aux objectifs de la procédure de sauvegarde puisqu'elle permet la poursuite de l'activité, le maintien de l'emploi et le règlement de l'ensemble des créanciers ;

Qu'il y a donc lieu de l’autoriser ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Réforme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Autorise la société AUTOCAM FRANCE à transiger avec la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX aux fins de régler sa créance d'un montant de 30 862,85 euros suivant 6 échéances mensuelles d'un montant de 5 862,85 euros pour la première et 5 000 euros pour chacune des suivantes, en contrepartie de l'abandon, par la société TECHNIQUES SURFACES ANDREZIEUX, de son droit de rétention et de son action en paiement direct,

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais de sauvegarde, dont distraction au profit des avoués de la cause en ce qui concerne les dépens d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 01 décembre 2009 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et signé par Madame ROBERT, Président et Madame VIDAL, Greffier.