CA Paris, 2e ch., 5 mai 2017, n° 14/19226
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Maschinen Apparatebau GMBH & CO.KG (Sté)
Défendeur :
Newmat (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Renard, Mme Douillet
FAITS ET PROCEDURE
La société Newmat fabrique et commercialise des plafonds tendus qui sont généralement constitués d'une nappe en matériau synthétique habituellement munie à sa périphérie d'un dispositif d'accrochage, ledit dispositif venant s'ancrer dans des lisses disposées sur toute la périphérie de la pièce, en général sur la partie supérieure des murs.
Ces lisses ou profils peuvent être de conceptions diverses et variées.
Pour l'une de ces lisses, la société Newmat est titulaire du brevet français FR 98 15151 ayant pour titre "Pièce profilée pour l'accrochage d'un plafond tendu"(ci-après, le Brevet) déposé par le 27 novembre 1998, publié le 2 juin 2000 sous le n° 2 786 515 et délivré le 2 février 2001..
Cette lisse a pour objet principalement de permettre un accrochage efficace d'un plafond tendu, tout en masquant, grâce à ses caractéristiques, les éventuels défauts et imperfections d'aspect des murs sur lesquels les lisses sont à fixer.
La société E. B. Maschinen Apparatebau Gmbh & Co.kg (ci-après B.) est une société de droit allemand spécialisée dans la fabrication et l'exploitation de machines de perforation; elle exerce également une activité de service consistant à perforer des rouleaux de toile destinés à constituer des nappes pour la formation de plafonds tendus ; elle intervient ainsi en qualité de sous traitante de la société Normalu, société concurrente de la société Newmat dans la commercialisation de plafonds tendus sur le territoire français.
La société Newmat a opposé à la société Normalu, cliente de la société B., le brevet français 98 15 151; par arrêt définitif du 19 mai 2010 la cour d'appel de Paris a déclaré valable ce brevet et a interdit à la société Normalu de continuer à commercialiser les lisses contrefaisantes.
La société B. estime avoir été impactée par cette interdiction ; c'est dans ces condidtions qu'elle a, par acte du 2 juillet 2012, fait assigner la société Newmat en nullité du brevet FR 98 15151.
Par jugement du 5 juin 2014, le tribunal de grande instance de Paris a :
- jugé irrecevable la société B. de sa demande de nullité des revendications 1 à 7 du brevet français 9815151 de la société Newmat
- condamné la société B. à verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
- condamné la société B. à payer à la société Newmat la somme de 3 0000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société B. a interjeté appel de ce jugement le 22 septembre 2014.
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 janvier 2017 par lesquelles la société B. demande à la cour de :
- infirmer le jugement et statuant à nouveau
- dire la société B. recevable en ses demandes
- prononcer la nullité pour défaut de nouveauté ou très subsidiairement , pour défaut d'activité inventive, de la revendication 1 du brevet français n°98 15 151 dont la société Newmat est titulaire
- prononcer la nullité pour défaut d'activité inventive des revendications 2 à 7 du brevet précité
- ordonner que mention du jugement à intervenir sera faite au Registre National des Brevets
- débouter la société Newmat de ses demandes recnventionnelles pour procédure abusive et pour appel abusif
- condamner la société Newmat à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 septembre 2016 par lesquelles la société Newmat demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf à :
- porter son indemnisation à 100 000 euros pour procédure abusive
- condamner la société B. à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour abus du droit d'appel
- condamner la société B. à lui payer la somme complémentaire de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société B. aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Christian V..
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes de la société B.
Considérant que la société B. fait grief au jugement entrepris de l'avoir déclarée irrecevable alors que le brevet n°98 15 151 dont la société Newmat est titulaire peut nuire à son activité dans la mesure où celle-ci dépend de tous les types de lisses et notamment de celles protégées par ce brevet.
Considérant que l'article 31 du code de procédure civile dispose que:« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ».
Considérant que l'intérêt à agir s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice et doit être direct, personnel, né et actuel ; qu'il n'est dès lors pas obligatoirement lié à la mise en oeuvre par le demandeur de la technique, objet du brevet.
Considérant que le brevet en cause porte sur un type de lisse destinée à permettre la fixation de plafonds tendus; que, si la société Newmat et la société B. agissent toutes deux sur le marché des plafonds tendus, la société B. décrit son activité comme étant une activité de service consistant à perforer des rouleaux de toile destinés à constituer des nappes pour la formation de plafonds suspendus; qu'en conséquence elle ne fabrique ni ne vend de lisses ou de plafonds tendus , son coeur de métier étant la fabrication de machines de perforation pour différents matériaux à laquelle s'ajoute une activité de service consistant à perforer des toiles pour le compte de ses clients dont la société Normalu.
Considérant que la société B. estime que l'interdiction qui a été faite à son donneur d'ordre pénalise son activité et prétend qu'il existe un lien objectif entre celle-ci et le brevet, s'appuyant sur l'arrêt rendu le 11 janvier 2012 par la cour de céans qui, pour chiffrer le préjudice commercial subi par la société Newmat du fait de la contrefaçon de son brevet, a jugé que le plafond tendu avec la lisse formait un 'tout indivisible'.
Considérant que l'appréciation de ce tout commercial vise le préjudice et ne saurait valoir démonstration d'un intérêt à agir de la société B. en nullité du brevet n°98 15 151 ; que dans le contentieux ayant opposé les sociétés Newmat et Normalu, seuls deux types de lisses, B312 et B313 commercialisées par la société Normalu ont été jugés contrefaisants ; que la société B. ne démontre pas que les toiles perforées par elle et commercialisées par la société Normalu ne pourraient être fixées qu'à l'aide de ce type de lisses.
Qu'en cause d'appel, la société B. ne rapporte pas la preuve que son activité aurait été affectée du fait de l'interdiction de commercalisation faite à la société Normalu des deux types de lisses précités dès lors qu'elle a poursuivi son activité de sous traitance pour le compte de la société Normalu qui consiste à perforer des toiles, activité dont elle ne démontre pas la dépendance avec les lisses protégés par le brevet n°98 15 151; que l'interdiction faite à son donneur d'ordres ne faisait pas obstacle à son développement vers d'autres clients en France.
Considérant que, si dans un autre contentieux la société Newmat oppose à la société Normalu, le brevet EP186 dont elle est titulaire, celui-ci porte sur une technologie appelée 'toile acoustique' constituée par une feuille polymère seule soumise à une phase d'aiguilletage jusqu'à sa microperforation'; que ce brevet est parfaitement distinct du brevet n°9815151; qu'il importe peu que la société Normalu ait confié à la société B. la phase de perforation et que la société Newmat soit titulaire des deux brevets en cause, la société B. qui est active dans le domaine de la perforation ne pouvant tirer argument de cette activité pour caractériser un intérêt pour obtenir l'annulation du brevet n°9815151 qui a objet des lisses sans qu'il s'ensuive un lien nécessaire avec l'activité de fabrication des toiles.
Considérant que c'est donc à bon droit par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont déclaré la sociétét B. irrecevable à agir.
Sur la demande reconventionelle pour procédure abusive
Considérant que la société B. fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à des dommages et intérêts pour procédure abusive, soutenant qu'elle n'a fait qu'user de son droit d'agir en justice et que les allégations selon lesquelles elle aurait agi pour faire échec aux décisions rendues à l'encontre de la société Normalu ne sont pas fondées.
Considérant que la société Newmat fait valoir que l'action de la société B. constitue une interposition frauduleuse au profit de la société Normalu pour tenter de faire invalider le brevet n°9815151 en violation de l'autorité de la chose jugée, la société B. n'ayant aucun intérêt direct et personnel à agir.
Considérant que par jugement du 5 octobre 2004 le tribunal de grande instance de Paris a notamment rejeté la demande d'annulation des revendications1à 6 du brevet n°98 15 151 dont la société Newmat est titulaire et dit que la société Normalu et M.H. ont commis des actes de contrefaçon des revendications 1 à 6 du brevet; que par arrêt du 30 juin 2006 la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement et annulé ces revendications pour défaut d'activité inventive; que par arrêt du 30 juin 2006 la cour de cassation a cassé cet arrêt sur ce point; que par arrêt du 19 mai 2010 la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 5 octobre 2004; que par arrêt du 21 juin 2011 a été rejeté le pourvoi en cassation formé par la société Normalu de sorte que l'arrêt du 19 mai 2010 est devenu définitif en ce qui concerne la demande d'annulation des revendications 1 à 6 du brevet.
Considérant que la société B. a assigné la société Newmat en nullité du brevet n°98 15 151 le 2 juillet 2012 ; qu'elle ne pouvait ignorer le contentieux existant entre la société Newmat et la société Normalu, ni son issue, à savoir une décision définitive rejetant les demandes en nullité du brevet n°98 15 151 formées par la société Normalu; que, par son action, elle a tenté de remettre en cause l'autorité de la chose jugée ce qui caractérise une intention malicieuse et une mauvaise foi manifeste, celle-ci l'étant d'autant plus qu'elle a poursuivi son action en faisant appel.
Considérant que, c'est à bon droit que les premiers juges ont indemnisé à hauteur de 15 000€ le préjudice de la société Newmat du fait de cette procédure abusive ; que la cour ajoutera une indemnité de 50 000€ au titre de l'appel abusif.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que la société Newmat a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge , qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à y ajouter.
CONDAMNE la société E. B. Maschinen Apparatebau Gmbh & Co.kg à payer à la société Newmat la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'appel.
CONDAMNE la société E. B. Maschinen Apparatebau Gmbh & Co.kg à payer à la société Newmat la somme de 20 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société E. B. Maschinen Apparatebau Gmbh & Co.kg aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.