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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch.1, 21 mars 2012, n° 09/23852

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arcelormittal France (Sté)

Défendeur :

Voestalpine Stahl GMBH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Avocats :

SCP Monin-d'Auriac, Me Armengaud, SCP Grappotte-Benetreau-Jumel

TGI Paris, du 2 oct. 2009

2 octobre 2009

LA COUR,

Vu l'appel relevé par la société Arcelormittal du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 2ème section, n° de RG : 07/10952), rendu le 2 octobre 2009 ;

Vu les dernières conclusions de l'appelante (6 février 2012) ;

Vu les dernières conclusions (7 février 2012) de la société de droit autrichien Voestalpine, intimée et incidemment appelante ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 7 février 2012  ;

SUR QUOI,

Considérant que la société de droit autrichien Voestalpine, ayant reçu de la société Arcelormittal une lettre du 20 janvier 2005 lui reprochant d'offrir à certains constructeurs automobiles des feuilles d'acier référencées HT1500PSD susceptibles de contrefaire son brevet FR 00 04 427, et avisée de ce qu'un de ses clients avait reçu une lettre de la même société se prévalant de ses droits sur ce même brevet, a assigné la société Arcelormittal aux fins de voir annuler de ce brevet français intitulé « Procédé de réalisation d'une pièce à très hautes caractéristiques mécaniques mise en forme par emboutissage, à partir d'une bande de tôle laminée, et notamment laminée à chaud et revêtue », déposé le 7 avril 2000 par la société Usinor devenue Arcelor France, qui a été publié sous le numéro 2.807.447 et enregistré sous le n°00 04427 ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, a rejeté le moyen de nullité tiré de l'insuffisance de description du brevet, annulé les revendications 1, 2 et 7 du brevet pour défaut de nouveauté au regard de l'antériorité constituée par la demande de brevet européen EP 0 971 044 AI déposée le 7 juillet 1999 par la société Sollac, publiée le 12 janvier 2000 et intitulée « Tôle d'acier laminée à chaud et à froid revêtue et présentant une très haute résistance après traitement thermique » et annulé les revendications 3, 4, 5 et 6 pour défaut d'activité inventive ;

Considérant que la société Arcelormittal, ayant déposé auprès du directeur général de l'INPI une requête en limitation des revendications du brevet en litige, requête qui a été acceptée et inscrite au Registre national des brevets le 16 avril 2010, se prévaut devant la cour des revendications limitées et conclut à la réformation du jugement en ce qu'il a annulé pour défaut d'activité inventive la revendication 3 du brevet et l'a condamnée à payer à la société défenderesse une indemnité de procédure ; qu'elle demande en outre à la cour de dire que le brevet tel que limité constitue l'objet de l'action en nullité engagée par la société Voestalpine et de déclarer valables les revendications modifiées du brevet n° 0004427 ;

Considérant que la société Voestalpine demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a refusé d'annuler le brevet pour insuffisance de description et d'annuler en conséquence ledit brevet, y compris dans sa forme limitée ;

Considérant que l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Le brevet est déclaré nul par décision de justice : [...] b) S'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter » ;

Considérant que les parties s'accordent sur la définition de l'homme du métier, présenté comme « un spécialiste dans le domaine de la métallurgie, en particulier dans la mise en forme, notamment par emboutissage, de pièces à partir de flans découpés dans une bande de tôle, et il est censé connaître les traitements thermiques usuels effectués sur les tôles, notamment les traitements de surface thermiques et thermochimiques. » ;

Considérant, que l'invention consiste, schématiquement, à obtenir, à partir d'une bande d'acier laminée, des pièces à très haute caractéristiques mécaniques protégées en surface par un revêtement métallique posé sur la tôle avant sa mise en forme et non après celle-ci ; qu'il est en effet rappelé que la très haute résistance d'une pièce en acier s'obtient par une élévation de température par emboutissage et suivie d'un refroidissement et que, dans l'art antérieur, un revêtement à base de zinc, considéré comme ne pouvant supporter l'élévation de température nécessaire, devait être posé après formage de la pièce, ce qui était source de divers inconvénients que le brevet en cause a pour objet d'éviter en permettant le traitement thermique et la mise en forme de flans de tôle déjà pourvus d'un revêtement de zinc ou d'un alliage à base de zinc ;

Considérant que la société Voestalpine dénonce de nombreuses imprécisions et contradictions de la description, qu'elle qualifie de confuse, dans l'emploi d'expressions telles que « élévation de température » (page 3, ligne 26 ; page 4, ligne 13 ; page 5, ligne 3), « mise en forme à chaud » ou « formage à chaud » (page 3, ligne 21 ; page 4, ligne 27;

page 3, ligne 19 ; page 4, lignes 25-26 et 27), « traitement thermique » (page 3, lignes 19 et 25 ; page 4, lignes 7 -8, 12, 23, 25 ; page 5, ligne 33) « traitement en température » (page 4, ligne 171, ) ou encore « austénitisation » (page 5, ligne 26), dont le lecteur ne sait jamais, selon l'intimée, s'ils expriment les mêmes traitements, ou des traitements intervenant dans des conditions différentes mais qui ne peuvent être identifiées ;

Que c'est ainsi que l'élévation de température dont il est question est donnée comme « supérieure à 700 ° » ou « comprise entre 700 ° et 1200 ° » sans mention de durée, ou mentionnant une durée de « plusieurs minutes » ;

Qu'il n'est mentionné aucune précision quant à la composition de l'acier ainsi traité, notamment sa teneur en carbone, quant à la teneur en zinc du revêtement, ou quant aux conditions de pression du milieu lors de l'opération d'austénitisation ;

Considérant que la société Voestalpine souligne encore que le brevet, quoiqu'il se donne pour objet de définir un procédé de réalisation d'une pièce « à très hautes caractéristiques mécaniques », ne renseigne pas exactement sur la nature de ces caractéristiques, lesquelles ne sont donc pas suffisamment décrites pour permettre à l'homme du métier d'exécuter ledit procédé ;

Considérant que, pour illustrer sa thèse selon laquelle les insuffisances de la description sont telles que l'homme du métier, tel que précédemment défini, se trouve dans l'impossibilité d'exécuter l'invention, la société Voestalpine verse au débat un rapport de l'Institut Max Planck dont les conclusions, exactement reproduites dans le jugement, indiquent : « A une température du four de 1.100° C ou à une température de la tôle supérieure à 1.000° C, tous les revêtements en zinc des tôles d'acier ont été détruits, c'est-à-dire les tôles d'acier électrozinguées comme celles galvanisées au trempé ayant des épaisseurs de 1 à 2 mm. Le revêtement de la tôle d'acier galvanisée au trempé de 2 mm d'épaisseur a même brûlé dans le four de la société Hofmann dès une température de 900°C seulement. La destruction ou non de la couche dépend donc, outre l'épaisseur de la tôle et la composition de la couche de zinc, non seulement de la température du four mais aussi des caractéristiques du four à moufle lui-même, par exemple du profil d'écoulement, c'est à dire de la cinétique de l'apport d'oxygène pour l'oxydation de la vapeur de Zn. » ;

Considérant que ce rapport regroupe les résultats des essais dans un tableau montrant les tôles avec les différentes conditions d'essais et décrivant succinctement la surface de la tôle après l'essai ; que ce tableau donne à voir que, sur un total de 24 expériences, 8 ont abouti à un résultat négatif, les tôles ayant brûlé  ;

Considérant, au contraire de ce que relève le jugement, que tous les essais ont été réalisés dans des conditions conformes à celles du brevet ; que le rapport précise : « les paramètres proches des limites de plages ayant délibérément été ignorés, par exemple environ 1200°C., couches de zinc très minces et températures inférieures à la température d'austénitisation. Le MPI (i.e. Institut Max Planck) a proposé des séries d'essais dans la plage de température de 800 à 1.100°C et une épaisseur de couche de zinc de 15 µm » ;

Considérant que la société Arcelormittal reproche à l'Institut Max Planck d'avoir, pour certains essais, délibérément choisi des temps de séjour dans le four supérieurs à ceux que l'homme du métier serait normalement amené à choisir, au vu de l'enseignement du brevet, et ajoute que le laboratoire a travaillé sur des petits échantillons, dans des fours de laboratoire de petites dimensions cm et de sorte que les conditions auxquelles ont été soumis les produits testés sont très éloignées des conditions de fabrication à l'échelle industrielle ;

Mais considérant que la société Voestalpine réplique pertinemment que la première critique est inopérante dès lors qu'elle confond temps de séjour dans le four et durée d'exposition à la température requise, négligeant ainsi la phase d'élévation de la température, et que les conditions de laboratoire sont, au contraire de ce que soutient la société Arcelormittal, beaucoup plus précises et contrôlables que celles de la production industrielle et ne sont donc pas de nature à retirer aux essais leur caractère démonstratif ;

Considérant, en conclusion, que la société Voestalpine souligne à juste titre qu'une description dont la forme préférentielle ne permet d'obtenir le résultat prétendu qu'une fois sur trois ne répond pas à la condition de suffisance de description ;

Considérant enfin qu'il n'est pas indifférent de relever que le brevet EP 1 143 029, déposé, sous priorité du brevet français FR 0004427 en cause, a été révoqué, pour insuffisance de description, par décision de la chambre des recours de l'Office Européen des Brevets du 18 août 2011 qui a relevé que ce brevet n'indiquait aucun exemple ni aucune valeur pour huit caractéristiques mentionnées dans la description, à savoir : la résistance à l'abrasion, la résistance à l'usure, la résistance à la fatigue, la dureté du revêtement avant la trempe, les qualités de lubrifiant du revêtement, la déformabilité de l'acier, la dureté de l'acier et du revêtement après la trempe et la résistance à la rupture, et que, pour 14 paramètres, il n'est donné aucune valeur ou une plage de valeurs excessivement large, qu'il en est ainsi notamment pour la composition de l'acier formant la tôle, le pourcentage en zinc du revêtement de l'acier, les différentes températures de l'étape d'élévation de température, 1es durées de l'application de ces différentes températures, les vitesses d'augmentation de la température ;

Que la Chambre des recours de l'OEB en a ainsi conclu que, pour exécuter l'invention, l'homme du métier était confronté à un véritable programme de recherche représentant un effort excessif, révélateur d'une insuffisance de description ;

Considérant, au vu des motifs qui précèdent que cette conclusion doit être également retenue en ce qui concerne le brevet français FR 00 04427 ; que celui-ci, par voie d'infirmation du jugement entrepris seulement quant à la validité du brevet, sera annulé pour insuffisance de description par application des dispositions de l'article L. 613-25, b) du code de la propriété intellectuelle ;

 

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions relatives à la nullité des revendications1 ,2 et 7 du brevet français n° 00 04427 pour défaut de nouveauté et à la nullité des revendications 3, 4, 5 et 6 de ce même brevet pour défaut d'activité inventive,

Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ces seuls chefs,

PRONONCE la nullité du brevet français FR 00 04427 pour insuffisance de description,

DIT que la présente décision sera transmise par les soins du greffier au directeur général de l'INPI pour inscription au Registre National des Brevets,

CONDAMNE la société Arcelormittal aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Voestalpine 100.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.