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Décisions

CE, 3e et 8e ch. réunies, 20 mai 2016, n° 376823

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

Mme Egerszegi

Rapporteur public :

Mme Cortot-Boucher

Avocat :

SCP de Chaisemartin et Courjon

CE n° 376823

19 mai 2016

Vu la procédure suivante :

Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 28 mars, 30 juillet et 4 décembre 2014 et les 13 février et 24 avril 2015, la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne, la Fédération du Crédit Mutuel du Sud-ouest et la Fédération du Crédit Mutuel du Massif central demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 janvier 2014 par laquelle le conseil d'administration de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) a rejeté leur demande tendant à l'abrogation de sa décision du 28 novembre 2013 et de la décision à caractère général (DCG) n° 1-1993 du 6 octobre 1993 en tant que ces décisions permettent à des entreprises qui ne sont pas des banques mutualistes d'utiliser l'appellation " Crédit Mutuel " ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de la CNCM du 28 novembre 2013 et la DCG n° 1-1993 du 6 octobre 1993 en tant que ces décisions permettent à des entreprises qui ne sont pas des banques mutualistes d'utiliser l'appellation " Crédit Mutuel " ;

3°) de mettre à la charge de la CNCM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la confédération nationale du Crédit Mutuel ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mai 2016, présentée par la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres ;

1. Considérant que la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres demandent au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 janvier 2014 par laquelle le conseil d'administration de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) a rejeté leur demande tendant à l'abrogation de sa décision du 28 novembre 2013 et de la " décision à caractère général " (DCG) n° 1-1993 du 6 octobre 1993 en tant que ces décisions permettent aux filiales des caisses du Crédit mutuel d'utiliser dans leur dénomination sociale l'appellation " Crédit Mutuel " et, d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir ces deux décisions ;

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 715-1 du code de la propriété intellectuelle : " La marque est dite collective lorsqu'elle peut être exploitée par toute personne respectant un règlement d'usage établi par le titulaire de l'enregistrement " ; qu'aux termes de l'article L. 716-3 du même code : " Les actions civiles et les demandes relatives aux marques, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire " ;

3. Considérant que le litige soulevé par la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres porte sur les conditions dans lesquelles la CNCM, titulaire de la marque collective " Crédit Mutuel ", accorde, conformément au règlement d'usage de cette marque, le droit d'utiliser cette dernière aux filiales des caisses de crédit mutuel pour l'exercice de leur activité ; qu'eu égard à sa nature, un tel litige est au nombre de ceux visés à l'article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle et ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ; que, par suite, les conclusions de la requête de la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

4. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme qui est demandée à ce titre par la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres soit mise à la charge de la CNCM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres le versement de la somme qui est demandée au même titre par la CNCM ;

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et autres est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Les conclusions de la CNCM tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne, à la Fédération du Crédit Mutuel du Sud-ouest, à la Fédération du Crédit Mutuel du Massif central et à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel. 



Par une décision du 19 juin 2012, prise en sa qualité de directeur de la publication du magazine d'information municipale " Votre Ville ", le maire de Chartres a refusé de publier dans le numéro des mois de juillet-août 2012 la tribune intitulée " La ligne jaune ", rédigée par M. A...B...et Mme D..., conseillers municipaux d'opposition ;

Par un jugement n° 1202304 du 8 novembre 2012, le tribunal administratif d'Orléans, saisi par M. B...et de Mme C..., a, d'une part, annulé la décision du maire de Chartres du 19 juin 2012 et, d'autre part, lui a enjoint de publier cette tribune dans la partie " tribunes de l'opposition " du numéro du bulletin municipal suivant la notification du jugement.

La commune de Chartres a relevé appel de ce jugement. Par un arrêt n° 13NT00014 du 14 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 15 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Chartres demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. B...et de Mme C...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la commune de Chartres ;

1. Considérant que l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales dispose : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale " ; que l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose : " Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. / Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure " ; que l'article 42 de cette loi dispose : " Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir : / 1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations (...) " ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales qu'une commune de 3 500 habitants et plus est tenue de réserver dans son bulletin d'information municipale, lorsqu'elle diffuse un tel bulletin, un espace d'expression réservé à l'opposition municipale ; que ni le conseil municipal ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace ; qu'il en va toutefois autrement lorsqu'il ressort à l'évidence de son contenu qu'un tel article est de nature à engager la responsabilité pénale du directeur de la publication, notamment s'il présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire, directeur de publication du bulletin municipal, sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881 ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que le motif tiré de ce que la tribune intitulée " La ligne jaune ", émanant de conseillers municipaux d'opposition, n'était pas en rapport direct avec les affaires de la commune de Chartres mais avait trait à un problème de politique nationale n'était pas au nombre des motifs qui pouvaient légalement justifier la décision du maire de Chartres de s'opposer à sa publication dans l'espace d'expression réservé à l'opposition municipale du bulletin d'information municipal "Votre Ville" des mois de juillet-août 2012 ;

4. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les auteurs de la tribune en cause y dénonçaient les conditions dans lesquelles le maire de Chartres aurait obtenu sa réélection à l'Assemblée nationale et faisaient part de leur crainte de voir des élus appartenant au Front national intégrer la prochaine équipe municipale ; que si cette tribune est rédigée sur un ton vif et polémique, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant qu'elle ne saurait pour autant être regardée comme présentant manifestement un caractère diffamatoire ou outrageant de nature à justifier qu'il soit fait obstacle au droit d'expression d'élus n'appartenant pas à la majorité municipale ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la commune de Chartres doit être rejeté ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B...et de Mme C..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Chartres est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Chartres, à M. A...B...et à Mme D.