CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 5 mars 2009, n° 07/00883
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mme Henriet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Marron
Conseillers :
M. Coupin, M. Delbois
Avoué :
SCP Keime Guttin Jarry
Avocats :
Me Lipman, Me Boccara
FAITS ET PROCEDURE :
Par acte sous-seing privé en date du 16 décembre 1992, Lucette HENRIET a renouvelé le bail concédé à la SARL NOUVELLE DU CADRAN (ci-après dénommée SNDC), exploité [...], ayant pour objet les activités de BRASSERIE- RESTAURANT-DANCING-CABARET ce pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 1993, moyennant un loyer annuel de 117 000 FF (17 836,54 euros).
A la suite d'un congé avec offre de renouvellement, le juge des loyers a fixé, après arrêt partiellement confirmatif du 3/5/07, le loyer annuel à 33 240 euros au 1er janvier 2002, sur la base duquel il devait être révisé à compter du 1er janvier 2005.
Par acte extra-judiciaire du 12 juillet 2004, la SNDC a formé une demande de déspécialisation restreinte afin d'adjoindre à sa destination l'activité de bowling présentée comme connexe ou complémentaire à son activité actuelle ce, en application de l'article 145-47 du code de commerce.
Par acte du 13 septembre 2004, Lucette HENRIET s'est opposée à cette demande au motif qu'il s'agissait d'une déspécialisation plénière et non restreinte, faisant disparaître au rez-de-chaussée les activités de dancing-cabaret.
Saisissant le tribunal de grande instance de NANTERRE, par assignation en date du 21 mars 2005, la SNDC maintenait à titre principal la qualification de sa demande (déspécialisation restreinte) dès lors qu'elle était acquise par défaut de contestation par la bailleresse dans le délai légal de 2 mois (13/9 au lieu du 12/9).
Subsidiairement SNDC demandait que l'activité de bowling soit déclarée complémentaire aux autres activités, y compris en jugeant que les conditions de la déspécialisation plénière étaient réunies, et de l'autoriser à exercer l'activité convoitée.
La SNDC réclamait en outre l'octroi d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La défenderesse maintenait son analyse et sa position.
Par le jugement déféré, en date du 28 novembre 2006, le tribunal de grande instance de NANTERRE a déclaré recevable en la forme la contestation du bailleur conforme aux conditions de l'article L.145-49 du code de commerce et a débouté la SNDC, locataire, de l'ensemble de ses prétentions aux motifs que l'activité nouvelle revendiquée constituait une activité de substitution et non une adjonction. Le tribunal qualifiait la demande de déspécialisation de plénière et non de restreinte.
Le tribunal a également rejeté les prétentions subsidiaires de la demanderesse pour défaut de preuve de l'existence des conditions cumulatives exigées par l'article 145-48 du code de commerce, à l'exception de la restriction prise par le maire de COLOMBES par arrêté du 6 novembre 2001 quant à l'ouverture des établissements de nuit jusqu'à 1h maximum.
Les premiers juges ont, enfin, condamné la demanderesse aux dépens, mais ont dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, la SARL NOUVELLE DU CADRAN maintient sa thèse d'origine selon laquelle d'une part, par sa réponse tardive (plus de 2 mois), la bailleresse doit être déclarée déchue de son droit de contestation.
Elle estime que d'autre part, sur le fond, que quand bien même l'activité nouvelle serait prépondérante, elle doit être reconnue comme correspondant aux besoins et aux désirs de la clientèle existante.
Subsidiairement, l'appelante entend démontrer que la nouvelle activité ferait suite à une dégradation économique de sa situation, en particulier de celles de 'dancing-cabaret', au surplus, plus restrictivement réglementées depuis l'arrêté préfectoral des HAUTS DE SEINE, du 6 novembre 2002, imposant la fermeture des activités nocturnes au plus tard à 1h du matin.
Elle considère que la nouvelle activité ne compromettrait pas la sécurité de l'immeuble.
Elle conclut à l'infirmation de la décision entreprise, demandant que soient constatés le caractère restreint de la déspécialisation envisagée, le bien-fondé de sa fin de non-recevoir à l'égard de la contestation tardive de la bailleresse, et que l'activité sollicitée soit déclarée acquise. A défaut, SNDC demande que soit autorisée l'activité de bowling en raison de son caractère d'activité complémentaire à celles prévues au bail d'origine.
Plus subsidiairement, elle demande qu'il soit reconnu qu'elle remplit les conditions de la déspécialisation plénière, et sollicite d'être autorisée en conséquence à exercer la nouvelle activité de bowling.
Elle demande enfin que la bailleresse soit déboutée de toutes ses prétentions et condamnée à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
Lucette HENRIET réplique, à titre principal, que le bowling doit être considéré comme une activité sportive, sans rapport avec le dancing-cabaret que la preneuse n'exploite plus de son propre fait ce, sans rapporter la preuve qu'elle réunit les conditions cumulatives exigées par l'article 145-48 du code de commerce. Elle estime en outre que l'occupation majeure du rez-de-chaussée par la nouvelle activité (250 m2 sur 393,70 m2) substituerait le bowling à l'activité dancing-cabaret, qu'ainsi la déspécialisation demandée est plénière et non restreinte.
Lucette HENRIET estime qu'elle a répondu dans le délai légal des deux mois et souligne qu'il en résulte que sa contestation est donc recevable. Elle estime que l'affirmation de l'appelante selon laquelle la nouvelle activité s'adresserait à une clientèle identique et répondrait aux besoins de celle-ci est dépourvue de toute valeur probante.
Elle conclut à la confirmation pure et simple du jugement entrepris et à la condamnation de SNDC à lui verser las somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 06 décembre 2007.
SUR CE LA COUR
Attendu que selon l'article L.145-47 du code de commerce, le locataire peut adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires ; qu'à cette fin, il doit faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé ; que cette formalité vaut mise en demeure du propriétaire de faire connaître dans un délai de deux mois, à peine de déchéance, s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de ces activités ; qu'en cas de contestation, le tribunal de grande instance, saisi par la partie la plus diligente, se prononce en fonction notamment de l'évolution des usages commerciaux ;
Attendu, sur la forclusion de la contestation, qu'en l'espèce SNDC a notifié à Lucette HENRIET son intention d'adjoindre aux activités exercées (brasserie, restaurant, dancing, cabaret), celle de bowling ; que cette notification a été effectuée par acte extrajudiciaire en date du 12 juillet 2000 ;
Attendu que, par application des dispositions précitées, la bailleresse avait, à peine de déchéance, un délai de deux mois, si elle contestait le caractère connexe ou complémentaire de cette dernière activité, pour le faire connaître à la locataire ; que ce délai, qui se compute de quantième à quantième, a commencé à courir le 13 juillet 2004 et expirait en conséquence le Lundi 13 septembre 2004 ; que la notification de refus de déspécialisation de la bailleresse a été notifiée à SNDC le 13 septembre ; qu'elle a dès lors été formalisée dans le délai requis et ne se heurte pas à la forclusion ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'examiner le bien fondé de la contestation de Lucette HENRIET selon laquelle la déspécialisation envisagée serait, en réalité, une déspécialisation plénière ;
Attendu en l'espèce, qu'il résulte des constatations du rapport d'expertise judiciaire, ordonné par le juge des loyers, qui a relevé que la surface du dancing-cabaret prévu au bail était de près de 179 m² ainsi que des propres conclusions de la SNDC et des documents qu'elle a versés desquels il résulte que la superficie totale consacrée à l'activité bowling envisagée serait de 250 m², que l'activité envisagée, loin d'être une activité complémentaire, serait nécessairement, par l'importance de l'occupation des locaux qu'elle engendrerait, une activité de substitution à celle de dancing-cabaret ; que le jugement déféré a constaté exactement que cette dernière activité, pour l'implantation de laquelle le locataire a introduit une demande au titre de l'article L.145-47 du code de commerce, constitue en réalité une activité de substitution justifiant une déspécialisation plénière et non restreinte ;
Attendu au surplus que les deux activités de dancing-cabaret, d'une part, et de bowling, d'autre part, si elles sont l'une et l'autre des distractions para-sportives, ne sont nullement complémentaires, dans la mesure où elles ne s'adressent pas au même public ;
Attendu dans ces conditions qu'il échet d'examiner le bien fondé de l'opposition de la bailleresse à la demande de déspécialisation plénière formée par SNDC ;
Attendu que selon l'article L.145-48 du code de commerce, le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier ;
Attendu que, pour faire juger que sa demande de déspécialisation plénière est fondée, SNDC verse aux débats le journal "l'officiel des spectacles" qui précise l'adresse des établissements exploitant des billards et bowling à Paris et en région parisienne dont il résulte qu'aucun commerce de bowling n'est exploité dans le département des Hauts de Seine ; qu'elle fait valoir par ailleurs que l'expert désigné pour la détermination de la valeur locative a clairement indiqué que la salle de dancing était désaffectée ; qu'elle précise à cet égard que depuis l'année 2002 le commerce de dancing et cabaret est particulièrement réglementé vu la dégradation de l'environnement à Colombes et qu'à ce titre le préfet des HAUTS DE SEINE a pris des mesures relatives aux horaires d'ouverture et de fermeture des débits de boissons fixé par un arrêté en date du 6 novembre 2002 à 23 h et à 1h du matin ;
Attendu cependant qu'il n'apparaît nullement de ces pièces que la conjoncture économique justifierait l'abandon de l'activité de dancing ; que, comme le souligne la bailleresse, le fait que la salle de dancing soit actuellement désaffectée procède seulement d'un choix de la locataire ; que ce choix ne saurait, en rien, administrer la preuve de ce que cette activité ne serait plus rentable ;
Attendu par ailleurs que le courrier des services de la préfecture versé aux débats pour justifier de l'arrêté préfectoral du 6 novembre 2001, qui indique que « des autorisations d'ouverture tardives (sic) peuvent être accordées, après avis de commissaire de police de Colombes, à l'occasion de soirées privées à caractère exceptionnel » ne justifie pas de ce que cette réglementation aurait rendu l'exercice de l'activité de dancing plus difficile ; qu'au demeurant, cette réglementation s'appliquerait de la même manière à l'activité de bowling, les établissements l'exerçant entrant, eux aussi, dans la catégorie des établissements de divertissement du public ;
Attendu dans ces conditions qu'il n'est pas justifié de ce que la conjoncture économique justifierait la déspécialisation demandée ;
Attendu par ailleurs que la seule production du journal « l'officiel des spectacles » ne justifie pas, non plus, des nécessités alléguées de l'organisation rationnelle de la distribution, dès lors d'une part qu'il apparaît que, si ce journal ne mentionne pas l'existence d'une salle de bowling dans le département des hauts de Seine, la rubrique dans laquelle sont mentionnées les bowlings s'intitule « à travers paris » ; qu'en toute hypothèse, elle mentionne dix établissements de cette sorte à Paris intra muros ou en proche banlieue, ce qui démontre que les nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution sont largement satisfaites ;
Attendu enfin et surabondamment, ce point n'étant pas discuté par les parties, que si SNDC fait valoir que selon l'installateur du bowling, « les pistes sont posées sur le sol avec leurs fondations sans modifier le sol ni la structure du bâtiment, les machines sont posées et fixées sur les pistes sur des éléments prévus spécialement à cet effet. Ces pistes peuvent être démontées en quelques jours et rendre le bâtiment dans son état initial sans aucune détérioration du sol. La charge au sol est inférieure à la charge d'une personne adulte, le poids des quatre pistes est de 7.600 Kilos répartis sur le 175 m² de surface des pistes, soit 43, 42 kilos au m²... », ces seuls éléments justifient certes de la compatibilité entre l'installation matérielle projetée et la nature de l'immeuble, mais non de la compatibilité entre les activités nouvelles projetées et la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier ;
Attendu que l'équité s'oppose à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré et statuant plus avant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SOCIETE NOUVELLE DU CADRAN aux dépens et admet la SCP KEIME-GUTTIN-JARRY, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Albert MARON, Président et par Madame GENISSEL, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.