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Décisions

CA Lyon, 7e ch., 29 janvier 2009, n° E.R. 411/08

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nokia Gmbh (Sté)

Défendeur :

Procomak (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Sardin, Me Delorey

TGI Lyon, 19 janv. 2007

19 janvier 2007

Sur quoi la Cour a mis l'affaire en délibéré ; après en avoir avisé les parties présentes, elle a renvoyé le prononcé de son arrêt à l'audience publique de ce jour en laquelle, la cause à nouveau appelée, elle a rendu l'arrêt suivant :

Le 25 mars 2005, la société NOKIA Gmbh déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Lyon, contre personnes non dénommées, du chef de contrefaçon.

Elle exposait qu'elle avait déposé, à titre de modèles, des façades interchangeables de téléphones portables pour ses modèles référencés sous les numéros 1100, 6230 et 6610. Le 8 mars 2005, les douanes l'avaient avertie de la retenue, au titre de l'article L.521-7 du Code de la propriété intellectuelle, de 5 000 coques de téléphones portables compatibles avec ces modèles, fabriquées en Chine et destinées à être livrées à une société nommée PROCOMAK, située à Villeurbanne. L'examen de ces articles l'avait amenée à conclure à leur caractère contrefaisant.

Une information judiciaire était ouverte, le 25 mai 2005, contre personne non dénommée du chef de contrefaçon.

Karim A., gérant de la société PROCOMAK, chargé des importations, était entendu dans le cadre d'une commission rogatoire et se déclarait de bonne foi. Il expliquait que PROCOMAK importait depuis plusieurs années des coques de téléphones portables compatibles avec les appareils NOKIA, c'est-à-dire pouvant s'y adapter, mais ne comportant pas le logo NOKIA et de couleurs autres que celles utilisées par cette société. Il supposait que la saisie était due au fait que ce fabricant avait déposé, non seulement son logo et sa charte graphique, mais également ses modèles, ce qu'il ignorait.

Aurélie N., cogérante de la société avec Karim A., contestait s'être rendue coupable de contrefaçon. Elle exposait que pour constituer les stocks de leur entreprise, ayant pour objet social la fourniture comme grossiste d'accessoires pour téléphones portables, ils avaient décidé de se fournir directement en Chine, à Shenzhen, où tous les constructeurs locaux avaient un pas de porte. Elle affirmait qu'ils n'avaient pas voulu acheter des contrefaçons, ce qui aurait été pourtant très aisé, et avaient commandé notamment les façades saisies qui ne comportaient pas le logo NOKIA et étaient de couleurs différentes de celles de ce constructeur.

L'examen des certificats de dépôt produits par la partie civile permettait de constater qu'ils incluaient la protection des coques des téléphones portables concernés dans leur ensemble, y compris les façades détachables, ces certificats étant largement antérieurs à la retenue douanière et aux différents documents afférents aux importations réalisées par les mis en examen.

Au terme de l'information, le magistrat instructeur a rendu, le 28 août 2006, une ordonnance prescrivant le renvoi de Karim A. et Aurélie N. devant le tribunal correctionnel de Lyon sous la prévention d'avoir, à Colombier-Saugnieu, Villeurbanne et sur le territoire national, le 8 mars 2005 et depuis temps non prescrit, importé des marchandises présentées sous une marque contrefaite, en l'espèce 5 000 façades interchangeables de téléphones portables pour les modèles NOKIA 1100, 6230 et 6610, en vue de les vendre, fournir, offrir à la vente ou louer, faits prévus par les articles L.716-9 A), L.711-1, L.713-1, L.713-2, L.713-3, L.715-1 du Code de la propriété intellectuelle et réprimés par les articles L.716-9 alinéa 1, L.716-11 alinéa 1, L.716-13, L.716-14 du Code de la propriété intellectuelle.

Par jugement contradictoire du 19 octobre 2007, le tribunal correctionnel de Lyon a requalifié le délit de contrefaçon de marque en contrefaçon de modèles, a renvoyé les deux prévenus des fins de la poursuite et a déclaré mal fondée la constitution de partie civile de la société NOKIA Gmbh.

Par déclaration au greffe du tribunal de grande instance de Lyon du 29 octobre 2007, le conseil de la société NOKIA Gmbh a relevé appel de l'ensemble du jugement.

MOTIFS de la décision

En la forme

Attendu que l'appel de la société NOKIA Gmbh est recevable et régulier en la forme pour avoir été interjeté dans le délai légal et selon les modalités prescrites ; que, toutefois, cet appel, en ce qu'il émane de la partie civile, sera considéré comme portant sur les seules dispositions civiles du jugement, et non pas sur l'ensemble du jugement comme indiqué sur l'acte d'appel ;

Attendu que Karim A. et Aurélie N. n'étaient ni présents ni représentés à l'audience de la Cour ; qu'Aurélie N. a été citée à parquet général, alors que Karim A. a été cité en mairie (accusé de réception signé) ;

Attendu que la société NOKIA Gmbh était représentée par son conseil ;

Attendu, dès lors, qu'il sera statué par arrêt de défaut à l'égard d'Aurélie N., par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de Karim A. et par arrêt contradictoire à l'égard de la partie civile, la société NOKIA Gmbh ;

Sur le fond

Attendu que la société NOKIA Gmbh a déposé des conclusions par lesquelles elle demande à la Cour :

- de réformer le jugement entrepris,

- de condamner Aurélie N. et Karim A. à lui payer la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de dessins et modèles et celle de 5 000 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- d'ordonner, à titre complémentaire, la publication du jugement à intervenir dans deux journaux au choix de la société NOKIA Gmbh, sans que le coût de chacune des publications n'excède 2.500 euros,

- d'ordonner la destruction des marchandises litigieuses aux frais exclusifs d'Aurélie N. et Karim A. ;

Attendu, tout d'abord, que le tribunal a, à bon droit, requalifié les faits poursuivis en contrefaçon de modèles, les objets argués de contrefaçon ne concernant pas la marque NOKIA elle-même, mais des modèles protégés de façades de téléphones mobiles ;

Attendu que la société NOKIA est titulaire de nombreux enregistrements de modèles portant sur la forme extérieure des téléphones qu'elle conçoit et fabrique ; qu'ainsi elle est titulaire notamment des modèles suivants :

- modèle international n° DM/062 321 déposé le 17 décembre 2002 correspondant au téléphone NOKIA référencé 6610,

- modèle international n° DM/065 073 déposé le 26 février 2004 correspondant au téléphone NOKIA référencé 1100,

- modèle international n° DM/065 421 déposé le 31 mars 2004 correspondant au téléphone NOKIA référencé 6230 ;

Attendu qu'en application de l'article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle, " à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle sont interdits" ; que l'article L. 521-10 du Code de la propriété intellectuelle dispose que " toute atteinte portée sciemment aux droits garantis par le présent livre est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende " ;

Attendu que l'article L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu'un " dessin et modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée " ;

Attendu, en conséquence, que le titulaire d'un dessin et modèle enregistré est protégé contre l'exploitation de produits incorporant, sans son autorisation, soit un dessin ou modèle identique, soit un dessin ou modèle ne produisant pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ;

Attendu que, pour renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, le tribunal a indiqué " qu'à défaut de saisie judiciaire d'au moins un exemplaire des objets argués de contrefaçon par la société NOKIA Gmbh, il n'était pas en mesure de constater si ces derniers incorporent les modèles protégés ou ne produisent pas sur l'observateur averti une impression d'ensemble visuelle différente ; qu'en effet, les seules photographies desdits objets figurant à cette fin dans les conclusions de partie civile ne sont pas de nature à permettre au tribunal d'en apprécier le caractère contrefaisant " ;

Attendu, en réalité, que les façades importées par Karim A. et Aurélie N. sont des copies quasi-serviles des modèles dont est titulaire la société NOKIA, qu'il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les photographies des coques litigieuses transmises par les douanes avec les dessins et modèles dont est titulaire la société NOKIA ;

Attendu que cette comparaison permet de constater que les façades litigieuses reprennent l'ensemble des caractéristiques des modèles déposés ; qu'en effet, les modèles litigieux reproduisent à l'identique les contours du modèle, à savoir les mêmes lignes et courbes caractéristiques des contours de la façade extérieure ;

Attendu que les modèles litigieux reproduisent également à l'identique le clavier et les touches tels que déposés par la société NOKIA, que la seule différence entre les deux modèles réside dans la physionomie de la coque arrière, qui se caractérise par la présence d'un appareil photographique ; que cette seule différence n'est pas de nature à affecter l'impression d'ensemble qui se dégage des modèles en cause ;

Attendu d'ailleurs que lors de leurs auditions, Karim A. et Aurélie N. ont reconnu que les façades saisies étaient destinées à être adaptées sur des téléphones NOKIA référencés 1100, 6230 et 6610 commercialisés par la société NOKIA ; que la matérialité de l'infraction ne peut donc pas être contestée ;

Attendu que l'élément intentionnel est tout aussi établi en ce qu'il est de principe, en matière de contrefaçon de dessins et modèles, que la mauvaise foi est présumée et qu'il appartient aux professionnels de vérifier, avant de fabriquer ou de commercialiser des dessins ou des modèles, s'il n'existe pas de droit sur ces dessins ou modèles ;

Attendu qu'en l'espèce, il incombait aux prévenus de prendre toutes les informations leur permettant d'éviter le risque de contrefaçon du modèle, ce qu'ils n'ont pas fait ;

Attendu qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré sur les dispositions civiles, en retenant :

- que Karim A. et Aurélie N. ont importé, sous un modèle contrefait, 5 000 façades de téléphones portables pour les modèles NOKIA 1100, 6230 et 6610, en vue de les vendre,

- qu'ils ont ainsi occasionné à la société NOKIA Gmbh un préjudice personnel né directement de cette infraction, ce qui rend recevables et bien fondées les demandes de dommages-intérêts de la société NOKIA Gmbh ;

Attendu que, compte tenu des éléments versés aux débats, le préjudice de la société NOKIA sera équitablement réparé par l'attribution de 5 000 euros de dommages-intérêts et par la publication du dispositif du présent arrêt, aux frais de Karim A. et de Aurélie N. dans deux journaux au choix de la société NOKIA Gmbh, sans que le coût de chaque publication n'excède 2.500 euros ;

Attendu, enfin, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société "NOKIA Gmbh", les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer la défense de ses intérêts, et il lui sera alloué, à ce titre, une somme de 1500 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt de défaut à l'égard de Aurélie N. et par arrêt contradictoire à l'égard de Karim A. et de la société NOKIA Gmbh, à signifier à Karim A., en matière correctionnelle, sur intérêts civils, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 19 octobre 2007 par le tribunal correctionnel de Lyon sur les dispositions civiles, et statuant à nouveau,

Dit que Karim A. et Aurélie N. ont à Colombier-Saugnieu, Villeurbanne et sur le territoire national, le 8 mars 2005, importé des marchandises présentées sous un modèle contrefait, en l'espèce 5 000 façades interchangeables de téléphones portables pour les modèles NOKIA 1100, 6230 et 6610, en vue de les vendre ou les offrir à la vente,

Condamne solidairement Karim A. et Aurélie N. à payer à la société NOKIA Gmbh la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et celle de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt, aux frais de Karim A. et Aurélie N. dans deux journaux au choix de la société NOKIA Gmbh, sans que le coût de chacune des publications n'excède 2.500 euros,

Rejette toutes autres prétentions comme non fondées.

Ainsi fait par Monsieur BREJOUX, Président, Madame CARRIER et Monsieur GRAMAIZE, Conseillers, présents lors des débats et du délibéré,

et prononcé par Monsieur BREJOUX, Président,

En foi de quoi, la présente minute a été signée par Monsieur BREJOUX, Président, et par Madame ROMAN, Greffier Divisionnaire, présente lors des débats et du prononcé de l'arrêt.