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Décisions

Cass. com., 19 novembre 2002, n° 00-15.203

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Toulouse, du 5 avril 2000

5 avril 2000

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 5 avril 2000), que l'Association pour l'essor de la transfusion sanguine de la région Nord (l'AETS) est titulaire d'un brevet européen désignant la France, délivré sous le n° 0317376 et couvrant une technique de préparation de concentré de facteur IX humain de haute pureté et d'autres protéines plasmatiques, reposant notamment sur l'élévation croissante de la force ionique d'un tampon assurant l'élusion de la préparation ; que sur la base d'une autorisation conférée par ordonnance sur requête rendue le 1er février 1993 et modifiée par ordonnance du 8 février 1993, l'AETS a fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux du Centre de transfusion sanguine de Montpellier (le CRTS), puis a poursuivi en contrefaçon de brevet la société Octapharma, qui avait passé avec ce dernier une convention portant sur la fourniture de tels produits ; que, réformant le jugement qui avait prononcé la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, la cour d'appel a décidé que cette saisie était valable, rejeté les contestations élevées par la société Octapharma à propos de la validité du brevet, accueilli l'action en contrefaçon et prononcé condamnation au paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la société Octapharma fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir validé la saisie contrefaçon pratiquée à la requête de l'AETS, d'avoir déclaré valable le brevet déposée par celle-ci, et d'avoir déclaré la société Octapharma coupable de contrefaçon de ce brevet en la condamnant à des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1 / qu'il résulte du dispositif de l'ordonnance du 1er février 1993, autorisant la saisie, que l'huissier, chargé à titre personnel de la saisie, ne pouvait que se faire assister d'un expert, conseil en propriété industrielle ; qu'il résulte du dispositif de l'ordonnance du 8 février 1993 que l'huissier pouvait soumettre les documents saisis par lui et placés sous scellés audit conseil, mais n'avait pas pour autant la possibilité de s'en dessaisir ; que l'arrêt attaqué, en validant la saisie terminée après dessaisissement partiel et temporaire, par l'huissier, des documents saisis, a violé l'autorité de chose jugée attachée aux ordonnances précitées, et l'article 1351 du Code civil ;

2 / qu'en reconnaissant expressément que l'huissier avait laissé les documents saisis sans la surveillance personnelle qui lui incombait, la cour d'appel a derechef violé la force de l'autorité de chose jugée qu'elle-même accorde expressément aux ordonnances précitées, et violé l'article 1351 du Code civil ;

3 / que l'autorité de chose jugée est d'ordre public lorsque les décisions ont été rendues dans la même instance ; que, dans cette hypothèse, la constatation de la violation de cette autorité n'est pas subordonnée à la constatation d'un grief particulier ; que la simple constatation de ce que les opérations de saisie-contrefaçon n'avaient pas été effectuées en conformité avec l'autorisation donnée par le juge devait aboutir à la nullité de la saisie ; que la cour d'appel a violé l'article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

4 / que le caractère essentiel d'une saisie-contrefaçon est son caractère probant ; que les secrets auxquels sont tenus successivement les personnes ayant pu avoir accès aux pièces saisies sont étrangers au caractère probatoire de la saisie ; qu'en statuant par motifs inopérants, la cour d'appel a violé l'article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

5 / qu'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 février 1993 que, si l'huissier a conservé le double des documents qu'il a adressés au conseil par la poste, il a adressé les quatre exemplaires des deux produits saisis ; que la cour d'appel, qui ne s'explique pas sur le fait que les produits eux-mêmes ont été perdus de vue par l'huissier, pendant leur transport, ni sur les garanties d'authenticité qu'ils pouvaient encore offrir avec ce transport, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que, la société Octapharma n'ayant pas soulevé l'irrecevabilité de l'action, mais la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, la cour d'appel n'était pas tenue de s'expliquer sur la fin de non-recevoir visée au pourvoi ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu que les opérations faites hors la surveillance personnelle constante de l'huissier demeuraient intégralement contrôlables par référence, en cas de besoin, à l'enveloppe identiquement composée et scellée, demeurée dans son coffre, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'il ne résulte pas des productions que la société Octapharma ait invité la cour d'appel à statuer sur les éventuelles conséquences du dessaisissement de l'huissier, en ce qu'il portait, non pas sur les documents, mais sur les produits saisis ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en ses trois premières branches, est irrecevable en sa cinquième branche et n'est pas fondé en sa quatrième branche ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la société Octapharma fait encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré valable le brevet déposé par l'AETS, de l'avoir déclarée coupable de contrefaçon de ce brevet, et de l'avoir condamnée à des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1 / qu'elle faisait valoir que la notion de paliers, utilisée dans le brevet, signifiait un procédé d'utilisation par périodes stationnaires qui ne figurait pas dans la demande, laquelle ne parlait que de degrés d'élévation de la force ionique, sans y introduire la notion de progression par périodes stationnaires, qui constituait un apport technique, non révélé par rapport à la demande ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 613-25 du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu'il résulte des annexes aux conclusions d'appel incident de la société Octapharma du 24 septembre 1999 que celle-ci avait produit en appel les pièces communiquées en première instance, soit son opposition et sept pièce annexes, ce qui impliquait une communication ; que la cour d'appel a ainsi dénaturé le cadre du litige ;

3 / qu'en toute hypothèse, les pièces communiquées en première instance sont intégrées au débat et que la cour d'appel doit se prononcer sur elles, au besoin en ordonnant leur communication à la cour si elle l'estime nécessaire ; qu'en refusant d'examiner les pièces régulièrement communiquées en première instance et acquises aux débats, la cour d'appel a violé les articles 132 et 909 du nouveau Code de procédure civile , les droits de la défense et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4 / que ni le fait que le procédé aboutisse à un résultat, ni que ce résultat ait été exploité industriellement, ne suffit à caractériser l'activité inventive, qui résulte, non pas de ce qu'un résultat est désormais obtenu par l'utilisation systématique d'une technique, mais de ce que cette utilisation est le fruit d'un effort intellectuel ayant consisté à rapprocher des techniques jusque là ignorantes l'une de l'autre ; que la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle ;

5 / que ne relève pas de l'activité inventive la juxtaposition d'opérations connues qui doit, d'évidence, aux yeux de l'homme du métier, aboutir à un résultat connu ou attendu au regard des résultats déjà connus des opérations en cause ; que, faute de rechercher si la juxtaposition des procédés connus de chromatographie, par des méthodes connues d'échanges d'anions puis d'affinité, pour séparer divers facteurs sanguins, résultat auquel chacun de ces procédés étaient employé, n'était pas le résultat évident de connaissances acquises sur l'utilisation de chacun de ces procédés dans la séparation de ces mêmes facteurs, et si le simple fait de modifier par paliers la force ionique du tampon, dont les différences de concentration étaient déjà connues pour chacune des opérations, ne constituait pas un élément relevant de l'évidence pour l'homme de l'art, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'activité inventive manifestée par les auteurs de cette juxtaposition, et a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 611-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que les revendications dépendant de la revendication numéro 20 de la demande décrivent précisément des paliers d'augmentation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'était pas légalement tenue d'ordonner que les pièces communiquées entre parties lui soient remises ;

Attendu, enfin, que, retenant que l'invention porte sur une combinaison adaptée de moyens connus permettant l'obtention de quantités de produits de haute pureté dans des conditions susceptibles d'application industrielle, et qu'il ne résulte d'aucun des éléments invoqués pour critiquer l'activité inventive que la juxtaposition de ces quelques méthodes de laboratoires permettrait d'y parvenir, la cour d'appel a, tout à la fois, caractérisé l'effort inventif, et exclu que la technique brevetée soit évidente pour l'homme de l'art ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Octapharma fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir déclarée coupable de contrefaçon et de l'avoir condamnée à des dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que seule la contrefaçon réalisée peut donner lieu à réparation ; que, dès lors qu'il résulte de l'arrêt lui-même que le savoir faire concédé par la société Octapharma n'a jamais été utilisé industriellement ni commercialement, peu important les raisons de cette inutilisation dès lors que la tentative de ce délit n'est pas punissable, la cour d'appel ne pouvait entrer en voie de condamnation à raison de la seule expérimentation du savoir faire prétendument protégé ;

que la cour d'appel a ainsi violé les articles L. 613-3, L. 613-5, L. 615-1, L. 615-2 du Code de la propriété intellectuelle et 121-4 du Code pénal ;

Mais attendu qu'ayant, indépendamment de ses motifs concernant le comportement du CRTS, retenu que la société Octapharma avait concédé le savoir-faire litigieux dans la seule perspective de la production et de la commercialisation du produit, et qu'elle devait en être rémunérée, la cour d'appel a caractérisé, à la charge de cette partie, l'exploitation sans autorisation de la technique brevetée ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Octapharma AG aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de l'Association pour l'essor de la transfusion sanguine de la région Nord ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille deux.