Livv
Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 12 mars 2018, n° 17/00430

NANCY

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Richet

Conseillers :

M. Ferron, M. Creton

TGI Nancy, du 23 févr. 2017, n° 14/05580

23 février 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société M. et la société Graniterie P. ont pour activité la conception et l'installation de monuments funéraires.

Le 16 mai 2012, la commune de Le Menil-Thillot a commandé à la société Graniterie P. un columbarium.

Faisant valoir que celle-ci a copié servilement le modèle de columbarium 'Lozaris' qu'elle a déposé à l'institut national de la propriété industrielle le 20 juillet 2009, enregistré sous le numéro 093507-016, la société M. l'a assignée en contrefaçon de modèle et de droit d'auteur, subsidiairement sur le fondement de la concurrence déloyale.

Par jugement du 15 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Nancy a rejeté ces demandes et condamné la société M. à payer à la société Graniterie P. la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour rejeter l'action en contrefaçon de modèle, le tribunal a retenu que les seuls éléments identiques entre le columbarium Lozaris et celui de la société Graniterie P. sont le nombre de cases, l'aspect général triangulaire et la possibilité de poser des objets commémoratifs aux abords des cases mais que la forme géométrique des cases et des plateaux, la contenance, les dimensions et la base de chacun des monuments sont autant d'éléments qui donnent une impression visuelle d'ensemble différente pour l'observateur averti.

Il a rejeté l'action en contrefaçon de droit d'auteur en relevant que les columbariums Lozaris et Lozeckhos ont chacun un caractère original lié à la combinaison innovante de formes géométriques mais qu'en raison de l'absence d'élément de décoration, de l'utilisation de formes carrées simples pour les portes, de l'ensemble triangulaire, des plateaux hexagonaux, de la présence de niches qui n'est que la conséquence nécessaire de la simple juxtaposition des formes géométriques utilisées, il n'apparaît pas que ces columbariums expriment la personnalité de leur auteur.

Le tribunal a enfin débouté la société M. de son action en concurrence déloyale en retenant que la société Graniterie P. n'a commis aucune faute au motif qu'elle a été démarchée, comme plusieurs entreprises, par la commune de Le Menil-Thillot et que l'offre de la société M., présentée par l'intermédiaire de la société Graniterie P., n'a été rejetée que parce qu'elle ne respectait pas les exigences fixées par le cahier des charges.

La société M. a interjeté appel de ce jugement.

Pour soutenir que l'impression visuelle des columbariums en cause est semblable, elle explique que sont reprises par le columbarium créé par la société Graniterie P. les caractéristiques suivantes du modèle Lozaris :

- l'association de cases posées sur des plateaux, créant des renfoncements constituant des niches permettant aux familles d'y déposer un objet personnel ;

- la structure du monument caractérisée par quatre plateaux, les deux premiers en partant du bas qui sont de même taille, les deux suivants de taille décroissante ;

- la forme générale pyramidale/rectangulaire ;

- le monument est posé sur trois blocs de granit distincts ;

- le jeu de couleur créé par les portes qui sont de couleurs différentes.

Elle ajoute que les différences ne portent que sur la forme des plateaux (droit pour le columbarium de la société Graniterie P., légèrement courbe pour le modèle Lozaris et le nombre de côtés, respectivement la forme des cases (octogonale pour le columbarium de la société Graniterie P., hexagonale pour le modèle Lozaris).

Sur la contrefaçon de droit d'auteur, la société M. fait valoir qu'elle a créé en 2010 un modèle 'Lozaris' droit composé de douze cases dont l'originalité réside dans les caractéristiques suivantes :

- l'association de cases posées sur des plateaux de manière à créer des renfoncements appelés 'niches' qui permettent aux familles d'y déposer un objet personnel ;

- la structure du monument caractérisée par quatre plateaux, les deux premiers en partant du bas étant de même taille, les deux suivants de taille décroissante ;

- la forme générale pyramidale/triangulaire ;

- le monument est posé sur trois blocs de granit distincts ;

- la disposition entre chaque plateau des alvéoles hexagonales avec sur le devant une porte ;

- la forme générale hexagonale permettant la création de niches entre chaque case ;

- la couleur différente des portes créant un jeu de couleur caractéristique.

Elle soutient que le columbarium de la société Graniterie P. reprend ces caractéristiques, ce qui constitue une contrefaçon.

La société M. réclame la condamnation de la société Graniterie P. à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 40 000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits, la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 10 000 euros au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur. Elle réclame enfin une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Graniterie P. conclut à la confirmation du jugement et sollicite la condamnation de la société M. à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE :

1- Sur la contrefaçon de modèle

Attendu que la société M. justifie avoir déposé auprès de l'INPI le modèle 'Lozaris biface 12 cases' le 20 juillet 2009 et avoir fait une demande de renouvellement de ce dépôt le 23 mai 2014 qui a été acceptée le 1er août 2014 ;

Attendu, sur la contrefaçon, que le dépôt protège un columbarium de forme générale pyramidale, composé d'un socle rectangulaire sur lequel sont posés quatre plateaux de forme hexagonale et légèrement courbés, la courbure pouvant être convexe ou concave ; que les deux premiers plateaux, en partant du sol, ont la même dimension, celle des deux plateaux supérieurs étant décroissante ; que sont posées trois cases sur le premier plateau, deux cases sur le deuxième plateau et une case sur le troisième plateau ; que ces cases, destinées à recevoir les urnes funéraires, sont de forme hexagonale et séparées par des niches ouvertes ;

Attendu que le columbarium créé par la société Graniterie P. est posé sur trois blocs de granit ; qu'il est également composé de quatre plateaux, les deux premiers en partant du sol étant de même taille et les deux plateaux supérieurs de dimension décroissante ; que ces plateaux sont droits et de forme octogonale ; que sont posées trois cases sur le premier plateau, deux cases sur le deuxième plateau et une case sur le troisième plateau, ces cases étant de forme octogonale et séparées par des niches ouvertes ; que la forme générale du bâtiment est également pyramidale ;

Attendu qu'en dépit des différences invoquées par la société Graniterie P. tenant principalement à la forme des plateaux (ceux du modèle 'Lazaris' étant courbe et ceux du monument qu'elle a réalisé étant droit) et des cases (celle du modèle 'Lazaris' étant hexagonale et celles du monument qu'elle a réalisé étant octogonale), il résulte de la comparaison entre le modèle déposé par la société M. et le columbarium incriminé que les ressemblances, qui tiennent principalement à la forme générale pyramidale du monument, à la dimension décroissante des plateaux, à l'emplacement, au nombre et à forme des cases destinées à recueillir les urnes funéraires ainsi qu'à la présence de niches entre les cases, ces caractéristiques n'étant pas imposées par la fonction du monument, ne produisent pas sur un observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que la société Graniterie P., quelle que soit sa bonne foi qui est indifférente en matière de contrefaçon, a commis des actes de contrefaçon du modèle 'Lazaris' déposé par la société M. ;

2 - Sur l'indemnisation du préjudice

Attendu que la société M. réclame une somme de 40 000 euros au titre du gain manqué et de la perte subie sans toutefois justifier l'existence de ces préjudices ; qu'il convient en conséquence de débouter la société M. de cette demande ;

Attendu qu'elle réclame en outre une somme de 10 000 euros au titre des bénéfices réalisés par la société Graniterie P. ; qu'il n'est pas justifié de la commercialisation du columbarium contrefaisant le modèle de la société M. en dehors de celui qui a fait l'objet du marché avec la commune de Le Menil-Thillot pour un prix H.T. de 6 020 euros ; qu'il convient ainsi d'évaluer à 1 000 euros le bénéfice réalisé au titre de ce marché ;

Attendu, enfin, que la société M. ne justifiant pas avoir subi un préjudice moral, la demande formée de ce chef doit être rejetée ;

3 - Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Attendu qu'il convient de condamner la société Graniterie P. à payer à la société M. la somme de 1 800 euros ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Constate que le columbarium réalisé par la société Graniterie P. constitue une contrefaçon du modèle Lozaris déposé par la société M. ;

Condamne la société Graniterie P. à payer à la société M. la somme de MILLE EUROS (1 000 €) à titre de dommages-intérêts et rejette le surplus de la demande de la société M. ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Graniterie P. et la condamne à payer à la société M. la somme de MILLE HUIT CENTS EUROS (1 800 €) ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame RICHET, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.