CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 24 février 2022, n° 19/01307
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
14 Productions (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Faits et procédure :
M. X exerce à titre individuel sous l'enseigne « Entractes » les activités de merchandiser, de publicité sur les lieux des événements, de vente d'objets publicitaires à l'effigie d'artistes.
La société 14 Productions (anciennement dénommée société Etc...Etc...) est spécialisée dans le secteur d'activité des arts du spectacle vivant, dans la production audiovisuelle, dans l'enregistrement sonore et l'édition musicale. Elle a pour gérant M. Y, artiste ayant une activité d'acteur ainsi que d'auteur-compositeur-interprète et d'éditeur musical-producteur.
Dans le cadre de son activité d'auteur-compositeur-interprète, M. Y réalise des tournées de concerts.
Entre 1990 et 2014, il a organisé 7 tournées importantes qui se sont déroulées en France, en Europe, aux États-Unis et au Canada. Chaque tournée représentait environ entre 100 et 130 dates de concerts dans des salles pouvant aller jusqu'à plus de plus de 5 000 personnes.
La société Etc...Etc devenue 14 Productions a fait appel aux services de M. X pour le merchandising de ses représentations artistiques lors de tournées de concerts.
Les 17 juin 1994, 13 décembre 1999 et 20 juin 2006, des conventions ont ainsi été signées entre M. X d'une part, ainsi que la société Etc...Etc... et M. Y d'autre part.
Une nouvelle convention de marchandising portant sur la tournée 2013-2014, datée du 30 avril 2013, a été conclue entre d'une part, M. X, et d'autre part, la société 14 Productions et M. Y. Cette convention prévoyait des conditions financières et des modalités de fonctionnement différentes des contrats des tournées précédentes.
Les relations entre les parties se sont dégradées et au début de l'année 2014, un litige est né entre les parties.
Dans le cadre de ce différend, la société 14 Productions a proposé à M. X, par courriel du 28 avril 2014, un projet d'avenant au contrat daté du 30 avril 2013 visant à solder définitivement les comptes entre les parties.
Par courriel du même jour, M. X a refusé cet accord.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 juin 2014, la société 14 Productions a réitéré sa proposition à M. X de solder définitivement les comptes entre les parties moyennant le paiement d'une somme de 13 322,67 euros TTC.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 20 octobre 2014 et 7 septembre 2015, M. X a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société 14 Productions de lui payer une somme de 49 322,67 euros.
Depuis, la société 14 Productions n'a plus fait appel aux services de M. X notamment pour les concerts de M. Y de 2015 et 2016.
Par acte du 1er février 2017, M. X a assigné la société 14 Productions en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris se prévalant d'une facture de 60 000 euros TTC émise le 29 avril 2014.
Par échanges de correspondances officielles entre conseils des 20 et 22 mars 2017, M. X a accepté de se désister de son instance en référé en contrepartie du paiement d'une somme de 13 322,57 euros TTC au titre du solde de sa rémunération pour son activité de merchandising sur la tournée 2013/2014.
Par acte en date du 9 juin 2017, M. X a assigné la société 14 Productions devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'elle soit condamnée à lui verser les sommes de :
316 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
50 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef du préjudice moral et d'une atteinte à l'image ;
50 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef de parasitisme ;
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.
M. Y est intervenu volontairement à l'instance et a formulé à l'encontre de M. X une demande de dommages et intérêts en se prévalant d'une atteinte à l'image.
Par jugement du 17 décembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit M. Y recevable et bien fondé en son intervention volontaire ;
- Dit que M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » justifie de relations commerciales qui ne peuvent être qualifiées d'établies au sens de l'article L442-6, 1, 5° du code de commerce ;
- Dit n'y avoir lieu à examiner si la société 14 Productions a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes» ;
- Débouté M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation ;
- Débouté la société 14 Productions de ses demandes d'indemnisation pour atteinte à l'image, bénéfices dissimulés, préjudice économique et de remboursement ;
- Débouté M. Y de sa demande d'indemnisation pour atteinte à l'image ;
- Débouté la société 14 Productions de sa demande de dommages et intérêts, pour procédure abusive ;
- Condamné M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » à payer à la société 14 Productions la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » à payer à M. Y la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples on contraires ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Condamné M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 174,70 euros dont 28,90 euros de TVA.
Par déclaration du 18 janvier 2019, M. X a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il :
- N'a pas fait droit aux demandes de M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » tendant notamment à voir :
Dire et juger que la société 14 Productions a commis des fautes délictuelles de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle ;
Dire et juger que la société 14 Productions a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec M. X depuis 25 ans ;
Dire et juger que la société 14 Productions a commis des actes de parasitismes ;
Dire et juger les demandes reconventionnelles de la société 14 Productions irrémédiablement prescrites et en tout cas manifestement mal fondées ;
Déclarer M. Y irrecevable et mal fondé en son intervention volontaire et le débouter de ses demandes ;
Débouter la société 14 Productions et M. Y de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
En conséquence :
Condamner la Société 14 Productions à payer à M. X la somme de 316 000,00 euros à titre de dommages et intérêts du chef de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamner la même à payer à M. X la somme de 50 000,00 euros, à titre de dommages et intérêts du chef du préjudice moral et d'une atteinte à l'image ;
Condamner la même à payer à M. X la somme de 50 000,00 euros, à titre de dommages et intérêts du chef de parasitisme ;
Condamner la même à payer à M. X la somme de 20 000,00 euros, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;
Voir publier, aux frais de 14 Productions et de l'artiste, et ce dans le journal des fans de l'artiste le dispositif de la décision à intervenir et ce pendant un (1) mois ;
Dire et juger que le montant des condamnations alloué portera intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;
Condamner la même à payer la somme de 15 000,00 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
- A dit M. Y recevable et bien fondé en son intervention volontaire ;
- A dit que M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » justifie de relations commerciales qui ne peuvent être qualifiées d'établies au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ;
- A dit n'y avoir lieu à examiner si la société 14 Productions a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » ;
- A débouté M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation pour atteinte à l'image, bénéfices dissimulés, préjudice économique et de remboursement ;
- A débouté M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » de ses autres demandes ;
- A condamné M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » à payer à la société 14 Productions la somme de 2 000 euros et à M. Y la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- A condamné M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » aux dépens.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 28 septembre 2021, M. X demande à la cour de :
Vu les articles 328 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1382 ancien et suivants et 1240 nouveau et suivants du code civil,
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil,
Vu les articles L. 442-6, I, 5° et suivants du code de commerce,
- Recevoir M. X exerçant sous l'enseigne Entractes en son appel.
- Le déclarer recevable et bien fondé.
Y Faisant droit :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
- Juger l'appel incident tant irrecevable que mal fondé.
Et statuant à nouveau :
- Juger M. X recevable et bien fondé en toutes ses demandes et y faisant droit :
- Juger que la société 14 Productions a commis des fautes délictuelles de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle ;
- Juger que M. X et la société 14 Productions étaient liés par une relation commerciale établie en raison de leur ancienneté, régularité, continuité, significativité, stabilité et pérennité ;
- Juger que la société 14 Productions a imposé une modification substantielle de la relation commerciale ;
- Juger que la société 14 Productions a rompu totalement et brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec M. X ;
- Juger que la relation s'apparente à la fourniture de produit sous marque de distributeur ;
- Fixer à 36 mois la durée du préavis qu'il convient de doubler (72 mois) en raison de la fourniture sous MDD ;
- Juger que 14 Productions a commis des agissements parasitaires en reprenant le catalogue et en s'appropriant le savoir-faire et les méthodes d'Entractes (M. X) ;
- Juger que M. X a subi un préjudice moral et d'atteinte à son image ;
- Juger les demandes de la société 14 Productions est irrémédiablement prescrites et en tout cas manifestement mal fondées ;
- Juger M. Y irrecevable et mal fondé en son intervention volontaire et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Juger l'appel incident irrecevable et mal fondé ;
- Juger les demandes de la société 14 Productions et M. Y prescrites ;
- Débouter la société 14 Productions et M. Y de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
En conséquence :
- Condamner la Société 14 Productions à payer à M. X la somme de 316 000 euros à titre de de dommages et intérêts du chef de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
- Condamner la même à payer à M. X la somme de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts du chef de parasitisme ;
- Condamner la même à payer à M. X la somme de 25 000 euros, à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et d'atteinte à l'image ;
- Condamner la même à payer à M. X la somme de 10 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;
- Juger que le montant des condamnations alloué portera intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;
- Condamner les mêmes à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 29 septembre 2021, la société 14 Productions et M. Y demandent à la cour de :
Vu l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce,
Vu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction avant l'ordonnance du 10 février 2016 en vigueur au moment des faits et vu l'actuel article 1240 du code civil,
Vu l'article 1235 du code civil,
Vu les articles 328 et suivants du code de procédure civile,
- Dire la société 14 Productions et M. Y recevables et bien fondés en leurs demandes ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement prononcé le 17 décembre 2018 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
Dit M. Y recevable et bien fondé en son intervention volontaire dans la procédure de première instance ;
Dit que M. X, exerçant sous l'enseigne « Entractes » justifie de relations commerciales qui ne sauraient être qualifiées d'établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Débouté M. X, exerçant sous l'enseigne « Entractes » de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, formulées notamment au titre de la rupture commerciale des relations établies, du parasitisme, du préjudice moral et d'atteinte à l'image, de la résistance abusive, de la publication de la décision à intervenir et de l'article 700 du code de procédure civile et d'exécution provisoire ;
- Infirmer le jugement prononcé le 17 décembre 2018 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
Débouté la société 14 Productions de ses demandes d'indemnisation pour atteinte à l'image, bénéfices dissimulés, préjudice économique et de remboursement ;
Débouté M. Y de sa demande d'indemnisation pour atteinte à l'image ;
Débouté la société 14 Productions de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive.
Partant et statuant à nouveau :
- Condamner M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » à payer les sommes de :
25 862,00 euros au bénéfice de la société 14 Productions en réparation de son préjudice moral pour atteinte à l'image ;
48 491,72 euros au bénéfice de l'artiste M. Y pour atteinte à l'image ;
88 180 euros H.T. au bénéfice de la société 14 Productions au titre des bénéfices dissimulés par M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes », pour les tournées 2003 à 2013, à charge pour la société 14 Productions d'en reverser 20 % à l'artiste M. Y en application des contrats ;
15 792,00 euros H.T. au bénéfice de la société 14 Productions en réparation du préjudice économique pour manque à gagner au titre des stocks, à charge pour la société 14 Productions d'en reverser 20 % à l'artiste M. Y en application des contrats ;
30 000,00 euros H.T. au bénéfice de la société 14 Productions au titre de la somme versée par celle-ci à M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » pour l'année 2014, en l'absence de services réalisés en contrepartie ; à charge pour la société 14 Productions d'en reverser 20 % à l'artiste M. Y en application des contrats ;
25 000,00 euros au bénéfice de la société 14 Productions pour procédure abusive.
En tout état de cause,
Condamner M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » à payer à la société 14 Productions la somme de 10 000,00€ et à M. Y la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. X exerçant sous l'enseigne « Entractes » aux entiers dépens.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 septembre 2021.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. Y
M. X conclut à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. Y dans la mesure où il estime n'être lié contractuellement qu'à la société 14 Productions. Il prétend que le seul fait que M. Y soit mentionné aux contrats conclus entre la société 14 Productions et lui-même ne saurait lui conférer un intérêt à agir à son encontre.
M. Y estime qu'il a intérêt à agir à l'encontre de M. X dès lors qu'il est parti aux contrats de merchandising conclus et qu'il était intéressé aux bénéfices tirés de ce contrat. En outre, il prétend que le comportement de M. X dans le cadre de l'exécution de ces contrats et de ses tournées de concerts lui a causé un préjudice.
L'article 30 du code de procédure civile prévoit que l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. L'article 31du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ;
L'intérêt à agir n'est cependant pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action.
En l'espèce, il apparaît que M. Y était partie aux contrats de merchandising conclus entre M. X et la société 14 Productions et qu'il percevait une partie des bénéfices tirés de la vente des articles à son effigie. Il justifie ainsi d'un intérêt personnel et légitime à agir à l'encontre de M. X en lui reprochant des comportements ayant porté atteinte à son image dans le cadre de l'exécution de ces contrats.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a reçu l'intervention volontaire de M. Y.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
A l'appui de son action en responsabilité, M. X se prévaut d'une relation commerciale établie avec la société 14 Productions de 25 années et de la rupture de cette relation en 2014 sans aucun préavis écrit. Il explique être ainsi intervenu pour le merchandising et la réalisation des programmes des tournées mais également dans les relations de l'artiste avec son fan club lors des répétitions et des concerts, dans la recherche d'annonceurs ou encore pour la programmation de concerts privés...
Il précise qu'entre les tournées, son activité consistait à commander les produits dérivés, à élaborer de nouveaux produits, rechercher de nouveaux sponsors, organiser des concerts privés...Il fait valoir qu'il pouvait légitimement croire en la poursuite des relations dans la mesure où M. Y a toujours déclaré vouloir poursuivre sa carrière de chanteur et est un artiste renommé dont le succès est solide. Il dénie ainsi toute précarité des relations et explique la rupture des relations par la volonté de la société 14 Productions d'internaliser l'activité de merchandising. Pour justifier du préjudice qu'il allègue, il se prévaut de sa dépendance économique à l'égard de la société 14 Productions qui était quasiment son unique client. Il estime le préavis qui aurait dû être respecté à 36 mois eu égard à l'ancienneté de la relation et à cette dépendance économique et invoque la fourniture de produits sous marque de distributeur pour revendiquer le doublement de la durée du préavis.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Il sera rappelé que la relation commerciale suppose un flux financier entre les parties. Ainsi les activités « bénévoles » de M. X auprès de M. Y ou encore son entremise auprès de ses fans ou de financeurs, dont il n'est pas démontré qu'elles ont donné lieu à rémunération, ne seront pas prises en compte par la cour.
En l'espèce, il résulte des documents versés aux débats que M. X a été chargé par la société 14 Productions (anciennement dénommée Etc...Etc...) du merchandising à l'occasion des tournées de concerts de M.B. en 1990, 1994, 2000-2001, 2002-2003, 2006-2007, 2008-2009, 2013-2014. Les contrats écrits de merchandising produits aux débats en date du 17 juin 1994 (tournée 1994-1995), du 13 décembre 1999 (tournée 2000) et du 20 juin 2006 (tournée 2006-2007) précisent que la concession exclusive du merchandising à l'entreprise Entractes consiste en la diffusion sur le lieu des concerts du programme officiel de la tournée ainsi que de tous les articles à l'effigie de l'artiste pendant la tournée. Ils indiquent que les articles sont réalisés d'un commun accord entre Etc et Entractes et que les recettes et charges liés à cette activité sont exposés par Entractes à charge pour elle de reverser 70 % des bénéfices à la société 14 Productions qui en reverse 20 % à M. Y.
Il est également établi que le chiffre d'affaires réalisé par M. X au titre de cette activité a été de 72.835 euros en 2003 (242 785 euros x 30 %), 110 252 euros en 2006 (367 506 euros x 30 %), 66.568 euros en 2007 (221 895 x 30 %), 29 370 euros en 2008 (97 201 x 30 %), 53 628 euros en 2009 (178 761 euros x 30 %) et 100 000 euros en 2013/14 (469 731 euros x 30 % plafonné à 100 000 euros).
Il ressort de ces éléments et, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la relation commerciale, nouée en 1990, a été intermittente et marquée par plusieurs interruptions pendant plusieurs années. Ainsi aucun flux financier n'a été enregistré en 1990 et 1994, puis entre 1994 et 2000, entre 2003 et 2006 et enfin entre 2007 et 2013. En effet, la relation relative au merchandising lors des tournées était liée à l'évolution de la carrière artistique de M. Y, ce dernier alternant des activités d'auteur, compositeur, interprète donnant lieu à des tournées et d'autres activités audiovisuelles, ne nécessitant pas de prestation de merchandising. Les contrats liés à cette prestation étaient d'une durée limitée à une tournée sans aucun engagement de flux ni de renouvellement. Ainsi à la fin de chaque tournée, M. X ne pouvait pas légitimement espérer la poursuite de la relation, celle-ci étant dépendante des choix de carrière et de l'inspiration artistique de M. Y.
En conséquence, force est de constater que la relation litigieuse présentait un caractère instable et discontinu par nature de sorte qu'elle ne peut être considérée comme établie. A cet égard, il importe peu que M. Y ait, après la rupture des relations avec M. X, réalisé d'autres tournées et que la société 14 Productions, dont il est le gérant, ait internalisé l'activité de marchandising puisque le critère déterminant est l'absence de croyance légitime que pouvait former M. X à la fin de chaque tournée dans la poursuite d'une relation dépendante d'une activité artistique, par nature aléatoire et précaire.
L'action en responsabilité de M. X à l'encontre de la société 14 Productions pour rupture brutale des relations commerciales sera donc écartée et les demandes de dommages et intérêts formulées au titre de la perte financière et du préjudice moral et de l'atteinte à l'image seront rejetées. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur le parasitisme et la concurrence déloyale
M. X fait grief à la société 14 Productions d'avoir commis des actes de parasitisme en reprenant, pour la suite de la tournée de 2014, à l'identique le catalogue qu'il avait conçu pour la tournée de 2013. Il explique que la société 14 Productions s'est ainsi appropriée de manière illicite son travail, son expérience et son savoir-faire qui avait nécessité des investissements onéreux et la recherche de partenaires compétents. Il reproche encore à l'intimée d'avoir repris les mêmes produits dérivés que ceux qu'il proposait lors de sa collaboration et d'avoir débauché son personnel et fait appel aux mêmes prestataires et fournisseurs.
La société 14 Productions dénie tout acte de parasitisme. Elle fait valoir que M. X n'était aucunement chargé de la conception du programme de tournée mais uniquement de son édition et de sa diffusion. Elle conteste tout acte de débauchage en soulignant que de tels agissements ne peuvent pas concerner le recours aux mêmes prestataires et d'anciens salariés de M. X. Elle ajoute qu'aucune désorganisation de l'entreprise de M. X n'est démontrée.
Le parasitisme est le fait, pour un professionnel, de se placer dans le sillage d'un concurrent et de tirer profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée « sans porter atteinte à un droit privatif », en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées.
Pour qu'il y ait parasitisme, il faut que soit préalablement établie l'existence d'une technique ayant nécessité des efforts tant intellectuels que financiers importants, ou d'un nom commercial jouissant d'une réputation ou d'une notoriété particulière, résultant notamment d'une publicité très onéreuse et quasi permanente et représentant une valeur économique importante en soi.
En l'espèce, il résulte des contrats de marchandising versés aux débats que si M. X était chargé de la réalisation d'un commun accord avec la société 14 Productions des articles dérivés, il n'a jamais été chargé de concevoir les programmes des tournées mais était chargé uniquement de leur édition. L'attestation de M. K., concepteur graphique, qui précise que M. X assurait la « direction artistique » de la réalisation des programmes et articles dérivés ne saurait suffire à contredire les clauses claires du contrat d'autant plus que M. X ne justifie d'aucun savoir-faire spécifique, d'aucune renommée particulière ni d'aucun investissement important dans ce domaine. Aucun acte de parasitisme ne peut être retenu sur ce point.
La concurrence déloyale suppose une faute au sens de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. La simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive. De même, le débauchage n'est pas en lui-même fautif. Le débauchage n'est illicite que s'il s'accompagne de manœuvres déloyales et qu'il produit un effet de désorganisation interne.
En l'espèce, l'emploi par la société 14 Productions d'anciens salariés de M. X, entreprise concurrente, ne peut revêtir un caractère fautif dès lors que lesdits salariés n'étaient liés que par des contrats de travail à durée déterminée qui avaient pris fin et qu'ils n'étaient tenus d'aucune obligation de non-concurrence. Par ailleurs, M. X ne justifie d'aucune manoeuvre déloyale de la part de la société 14 Productions ni d'un quelconque effet de désorganisation interne de son entreprise.
Enfin le fait de recourir aux mêmes fournisseurs ou aux mêmes prestataires qu'une entreprise concurrente ne peut être constitutif d'une faute en l'absence de violation d'une clause d'exclusivité.
En conséquence, l'action en responsabilité pour des faits de parasitisme et de concurrence déloyale de M. X à l'encontre de la société 14 Productions sera rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la résistance abusive
Il résulte de ce qui précède qu'aucune résistance abusive ne peut être reprochée à la société 14 productions. La demande de dommages et intérêts sur ce point ne peut prospérer.
Sur les demandes reconventionnelles
Sur les demandes de la société 14 Productions
Sur l'inexécution contractuelle
La société 14 Productions reproche à M. X différents manquements à ses obligations contractuelles. Elle lui fait grief d'avoir eu un comportement irascible et agressif, d'avoir subi un contrôle de l'URSSAF au cours d'une tournée, d'avoir été absent et enfin d'avoir dissimulé des bénéfices. Elle prétend qu'à la suite du comportement professionnel critiquable de M. X, elle a perdu une chance de vendre des articles de merchandising et a subi un manque à gagner.
M. X conteste tout inexécution contractuelle.
Il convient de relever que les nombreuses attestations produites par la société 14 Productions émanent de ses salariés ou de prestataires qui collaborent avec elle de sorte que leur caractère probant n'apparaît pas suffisant. Il sera relevé que plusieurs des personnes ayant témoigné des manquements de M. X avaient, dans le cadre d'une autre procédure, loué ses qualités professionnelles. Par ailleurs, le fait de subir un contrôle de l'URSSAF au cours d'une tournée ne peut caractériser une faute et il n'est pas démontré que ce contrôle ait donné lieu à un relevé d'infraction. En outre, la société 14 Productions ne peut justifier des absences reprochées à M. X à l'occasion des concerts par un tableau qu'elle a elle-même établi. Il sera en outre observé qu'elle n'a à aucun moment fait ce grief à M. X avant la présente procédure.
En ce qui concerne la dissimulation de bénéfices, il sera relevé que la prescription ne peut être invoquée dès lors que la société 14 Productions établit qu'elle n'a eu connaissance des faits critiquées qu'au détour de la présente instance, par des conclusions du 13 avril 2018.
Contrairement à ce que soutient la société 14 Productions, aucune dissimulation des bénéfices n'est établie, il apparaît que les chiffres qu'elle produit sont exactement ceux attestés par l'expert-comptable de l'entreprise Entractes.
En conséquence, les demandes de dommages et intérêts de la société 14 Productions au titre du préjudice moral et de l'atteinte à l'image et des pertes financières seront rejetées.
Sur l'indû
La société 14 Productions prétend avoir payé à M. X une somme de 30 000 euros HT en 2014 alors que ce dernier n'a exécuté aucune prestation.
M. X fait valoir que cette somme lui a été versée spontanément par la société 14 Productions en exécution de leur accord.
Il sera relevé qu'en vertu du contrat sur le merchandising de la tournée 2013-2014 Patrick B. daté du 30 avril 2013, il a été prévu que l'entreprise Entractes serait rémunérée à concurrence de 20 % des bénéfices réalisés en 2013 grâce à l'activité de merchandising et de 15 % des bénéfices réalisés en 2014 avec un plafond de 100 000 euros pour les deux années.
Il apparaît que la société 14 Productions a payé cette somme à M. X en pleine connaissance de cause le 22 mars 2017 en contrepartie du désistement de ce dernier de son action en référé.
Aucun indû n'est donc démontré et la demande de restitution sera rejetée.
Sur la procédure abusive
Aucun abus du droit d'agir en justice n'est caractérisé à l'encontre de M. X. La demande à ce titre sera écartée.
Sur la demande de M. Y
Il ressort de ce qui précède qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de M. X. La demande de dommages et intérêts de M. Y au titre d'un préjudice moral et d'une atteinte à l'image sera rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. X succombe à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées. M. X sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société 14 Productions une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les demandes de M. Y et de M. X sur ce fondement seront rejetées.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne M. X à payer à la société 14 Productions une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes de M. Y et de M. X sur ce fondement ;
Condamne M. X aux dépens de l'instance d'appel ;
Rejette les autres demandes.