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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 7, 24 février 2022, n° 19/06792

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Réussite Immobilière (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deltort

Conseillers :

M. Roulaud, Mme Dolbeau

Avocats :

Me Komnidis, Me Hervet

Cons. prud'h. Paris, du 24 avr. 2019, n°…

24 avril 2019

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 2 novembre 2015, Mme X a conclu un contrat d'agent commercial avec la société Réussite Immobilière.

Sollicitant la requalification de ce contrat en contrat de travail, Mme X a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 15 décembre 2017 aux fins d'obtenir la condamnation de la société Réussite Immobilière au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement en date du 24 avril 2019, le conseil de prud'hommes a :

- Débouté Mme X de l'ensemble de ses demandes.

- Débouté la société Réussite Immobilière de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné Mme X aux dépens.

Le 30 mai 2019, Mme X a interjeté appel de ce jugement.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 29 août 2019, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de dire qu'elle était salariée de la société Réussite Immobilière et non agent commercial et, en conséquence de :

- Condamner celle-ci à lui verser les sommes suivantes :

- 20.514,48 euros à titre de rappel de salaires fixes non versés.

- 15.000 euros pour heures supplémentaires impayées.

- 20.468, 22 euros à titre d'indemnités pour travail dissimulé.

- 30.000 euros à titre d'indemnité pour harcèlement moral, pratiques dégradantes et atteinte à la dignité.

- 10.000 euros pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

- 3.500 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

- 3.500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

- 25.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Ordonner à l'employeur la remise de certificat de travail et de bulletins de paie sous astreinte de 100 euros / jour.

Subsidiairement, au cas où sa qualité de salariée ne serait pas reconnue, elle demande à la cour de lui allouer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce.

En tout état de cause, elle demande à la cour de :

- Dire que les condamnations seront majorées du taux d'intérêt légal.

- Condamner la société Réussite Immobilière à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens distraits au profit de l'avocat constitué.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 21 octobre 2019, la société Réussite Immobilière demande à la cour de :

- Confirmer le jugement.

- Condamner Mme X à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner Mme X aux entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L'instruction a été déclarée close le 3 novembre 2021.

MOTIFS :

Sur la requalification du contrat de mandat d'agent commercial en contrat de travail :

La société Réussite Immobilière soutient que Mme X, agent commercial, ne renverse pas la présomption légale de non-salariat et qu'elle avait donc bien la qualité de prestataire de service à son égard et non de salariée.

Mme X soutient au contraire, d'une part, qu'elle a en réalité accompli les prestations de travail en litige sous la subordination juridique de la société Réussite Immobilière et, d'autre part, que le contrat d'agent commercial s'analyse en un contrat de travail conclu avec cette société.

Elle expose ainsi que la société :

- Lui a donné des directives précises en matière d'horaires, d'habillement et de rangement de l'agence, sous peine de sanction.

- Lui a imposé des permanences.

- L'a intégré à son équipe en lui faisant bénéficier du système d'échange d'informations « groupe What's App Réussite immobilière. »

- Lui a adressé la liste de ses missions dans un document intitulé "Missions Jessye".

- Lui a donné des cartes de visite ne mentionnant pas clairement qu'elle était un agent indépendant.

A l'appui de ses prétentions, elle produit :

- Des conversations par SMS entre elle et MM. A et B, respectivement président et directeur général de l'entreprise dans lesquelles ceux-ci lui rappelaient les horaires de l'agence, qu'il y avait des règles à respecter et qu'elle ne pouvait faire ce qu'elle voulait sans autre précision, que si elle voulait travailler à sa manière, "ce n'était pas ici", qu'elle devait se rendre à certaines réunions, qu'elle « était de perm à 30. »

- Des consignes de l'employeur extraites du système "What's App" d'information du personnel auquel elle était associée, rappelant à l'ensemble des destinataires les horaires de l'agence, ainsi que certaines règles de conduite ("être propre sur soi", "bien ranger le bureau"...) et précisant que si la "corbeille et le panneau" étaient volés, leur prix serait déduit de la paye du négociateur.

- Un document manuscrit intitulé "Missions Jessye", n'indiquant pas son auteur, non daté et non signé.

- Une de ses cartes de visite mentionnant "X conseillère immobilière/AC".

Selon l'article L. 8221-6 du code du travail, sont notamment présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au registre des agents commerciaux et les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.

Toutefois, ce même article prévoit que l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes mentionnées précédemment fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Par ailleurs, selon l'article L. 134-1 du code du commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Enfin, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et il appartient au juge de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements d'un subordonné.

En l'espèce, les parties reconnaissent que Mme X était inscrite au registre spécial des agents commerciaux, conformément aux stipulations du contrat d'agent commercial versé aux débats, et qu'il existait entre celle-ci et la société une présomption de relation non salariale. Dès lors, il appartient à Mme X d'apporter la preuve qu'elle fournissait à la société Réussite Immobilière des prestations dans des conditions qui la plaçaient dans un lien de subordination juridique à l'égard de celle-ci.

En premier lieu, il ne résulte pas des termes du contrat d'agent commercial que la société Réussite Immobilière a disposé du pouvoir de donner des ordres et des directives à Mme X, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements. Le contrat stipule ainsi qu'il « ne peut être considéré comme un travail ni, en particulier, être soumis aux dispositions des articles L. 751-1 et suivants du code du travail » et que Mme X « agit en qualité d'entrepreneur indépendant » (art. 1er) et qu'elle « organisera librement et en toute indépendance son activité de représentation à laquelle (elle) s'engage à apporter toute sa diligence dans le but de réaliser un maximum d'affaire » (art. 3).

En deuxième lieu, Mme X verse au débat un document intitulé "missions Jessye", listant un certain nombre d'obligations que cette dernière est tenue de respecter telles que "tenir des perms" ou "faire administratif". La cour constate que ce document a une faible valeur probatoire dans la mesure où, d'une part, il n'est pas sourcé et, d'autre part, l'employeur considère qu'il s'agit d'un faux.

En troisième lieu, si Mme X reproche à la société de ne pas avoir mentionné sur ses cartes de visite sa qualité d'agent commercial, celle-ci indique, au contraire, que le sigle "AC" qui y est inscrit signifie "agent commercial". En tout état de cause, à supposer que ce sigle n'ait pas cette signification, la cour considère que le fait que le statut d'agent commercial de Mme X ne soit pas mentionné sur les cartes de visite mises à sa disposition par la société et qu'elle utilisait, n'est pas déterminant, à lui seul, pour établir le lien de subordination ni une volonté de dissimuler ce statut aux clients. Il était en effet loisible à celle-ci d'ajouter sur ses cartes cette mention et il n'est ni allégué, ni justifié que la société lui avait interdit d'apporter sur ces documents une telle précision.

En quatrième et dernier lieu, le fait qu'il résulte des pièces versées aux débats que Mme X était tenue de se rendre à certaines réunions avec son mandant et que ce dernier lui fournissait des moyens (cartes de visites, accès au réseau de communication interne et utilisation des locaux pour recevoir des clients) relèvent des relations normales entre un mandataire et un mandant. En outre, l'article 2-2 d) du contrat d'agent commercial stipule que « le mandataire devra communiquer au mandant toutes informations commerciales nécessaires et le tenir informé du résultat de ses informations selon une périodicité et des modalités déterminées d'un commun accord. »

S'il ressort des échanges versés aux débats que la société a rappelé à Mme X les horaires d'ouverture de l'agence, la nécessité de se rendre à certaines réunions dont l'objet n'est pas précisé ou encore les règles de conduite à respecter au sein de l'agence, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir l'existence d'un lien de subordination entre le mandant et la mandataire, même si dans certains de ces messages la société indiquait sèchement à Mme X qu'elle ne pouvait s'affranchir de ces règles, sans toutefois la menacer d'une quelconque sanction disciplinaire. La société explique d'ailleurs, sans être contredite, que ces remarques étaient liées à des rendez-vous manqués avec des clients qui étaient venues se plaindre à l'agence.

Si Mme X soutient qu'elle était soumise à une obligation de permanence au sein de l'agence, la preuve de celle-ci ne ressort, selon ses conclusions, que des termes d'un SMS qui lui a été adressé par M. A et mentionnant seulement : « impossible. Tu es de perm à 30. Nous avons un rendez-vous ». Compte tenu de l'imprécision de ce message, la cour ne peut considérer comme établi le fait que Mme X était tenue d'assurer une permanence régulière pour la société.

De même, si Mme X expose que les directives de l'employeur étaient accompagnées de menaces de sanction, celle-ci ne produit à l'appui de ses allégations que l'extrait d'un message « What's App » adressé à l'ensemble du personnel et dans lequel la société menace ses employés de déduire de leur paye la perte de la corbeille et du « panneau » si ces objets étaient volés pendant la nuit alors que les locaux n'étaient pas correctement fermés.

Il se déduit de ce qui précède que les éléments versés au débat ne permettent de démontrer ni le fait que Mme X était astreinte à une permanence régulière au sein de l'entreprise, ni que l'employeur exerçait un contrôle et un pouvoir de sanction sur elle dans le cadre de ses missions telles que stipulées à l'article 2 du contrat d'agent commercial. Le seul fait de recevoir des directives de son mandant relatives aux modalités de fonctionnement de l'agence (horaires, règles de conduite), qui est le lieu d'activité de la mandataire selon l'article 6 dudit contrat, n'est pas de nature à établir le lien de subordination en l'absence de preuve de la réalité d'un contrôle permanent de la société et en l'absence de pouvoir de sanction du prétendu employeur.

La cour confirmera en conséquence le jugement entrepris qui a estimé que Mme X ne démontrait pas l'exécution d'un contrat de travail avec la société Réussite Immobilière, à défaut d'établir avoir travaillé sous la subordination de cette société.

Mme X, qui ne renverse pas la présomption de non-salariat prévue par les dispositions de l'article L. 8221-6 du code du travail, doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes principales qui sont conditionnées à l'existence d'une relation de travail entre elle et la société. Le jugement sera en conséquence confirmé.

Sur la demande subsidiaire au titre de l'indemnité de rupture :

Mme X sollicite de la cour la somme de 25.000 euros au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce. Elle expose que saisi de ces conclusions, le conseil de prud'hommes n'a pas retenu son incompétence mais a statué au fond en la déboutant de cette demande.

La société demande à la cour de confirmer le jugement en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître d'une demande de condamnation à une indemnité de rupture entre un mandataire et un mandant dans le cadre d'un contrat d'agent commercial.

* Sur la compétence de la cour :

Selon l'article 75 du code de procédure civile, s'il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.

Selon l'article 76 du même code, devant la cour d'appel, l'incompétence en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution ne peut être relevée d'office que si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française.

En l'espèce, la cour constate que contrairement aux allégations de la société, le conseil de prud'hommes ne s'est pas déclaré incompétent du chef de cette demande subsidiaire dans le dispositif de sa décision attaquée.

De même, la cour constate que dans ses conclusions d'appel, la société, qui soulève l'incompétence de la cour du fait de cette demande subsidiaire, ne fait pas connaître devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée. Son exception d'incompétence est, par suite, irrecevable en application de l'article 75 du code de procédure civile.

Enfin, la cour constate qu'elle ne peut soulever d'office son incompétence dans la mesure où la demande formulée devant elle ressort de la compétence des juridictions judiciaires. Il est en effet rappelé qu'en raison du caractère civil de son activité, l'agent commercial peut assigner le mandant, à son choix, devant le tribunal de commerce ou devant le tribunal judiciaire.

* Sur le bien-fondé de la demande :

Selon l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

La notification prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce, qui doit manifester l'intention non équivoque de l'agent de faire valoir ses droits à réparation, n'est soumise à aucun formalisme particulier et peut résulter de la saisine d'une juridiction, fût-elle incompétente pour connaître du litige.

Sauf circonstances particulières, l'usage fixe à deux ans de commissions brutes le montant de l'indemnité de rupture due à l'agent commercial par le mandant et, selon une jurisprudence constante, l'indemnité de cessation de contrat due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice subi qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature.

En premier lieu, les parties s'accordent sur le fait que le contrat d'agent commercial a été rompu fin décembre 2016. Mme X a ainsi procédé à la notification prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce dans le délai d'un an prescrit par ce texte, dans la mesure où elle a saisi le conseil de prud'hommes de sa demande subsidiaire le 15 décembre 2017. La cour constate, en outre, que ce point n'est pas contesté par la société.

En second lieu, Mme X produit un tableau détaillant les différentes commissions qu'elle a perçues en tant qu'agent commercial et fixant le montant global de celles-ci à 23.337 euros. Dans la mesure où ce montant, d'une part, correspond à 13 mois d'activité et, d'autre part, n'est pas contesté par l'intimée, la cour, statuant dans la limite de l'appel, condamne la société à verser à Mme X la somme de 25.000 euros à titre d'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2017, date de demande en justice de cette somme.

Sur les demandes accessoires :

Il est dit que chacune des parties garde à sa charge les frais qu'elle a engagés en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Réussite Immobilière, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe.

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme Y X de sa demande tendant au versement d'une indemnité de rupture en application de l'article L. 134-12 du code de commerce ;

Statuant du chef infirmé et y ajoutant,

DIT irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Réussite Immobilière ;

CONDAMNE la société Réussite Immobilière à verser à Mme Y X la somme de 25.000 euros à titre d'indemnité de rupture en application de l'article L. 134-12 du code de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2017 ;

DIT que chacune des parties garde à sa charge les frais qu'elle a engagés en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme X aux dépens d'appel.