Cass. com., 17 février 2015, n° 12-29.550
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gadiou et Chevallier, SCP Piwnica et Molinié
Vu leur connexité, joint les pourvois n° T 12-29.550, n° Y 13-18.956 et n° G 13-20.230 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que, par contrats du 12 février 2001, la société Dupiré Invicta industrie s'est engagée à fournir des appareils de chauffage à la société Gabo qui les commercialisait en Pologne et en Slovaquie ; qu'invoquant une augmentation du coût des matières premières, la société Dupiré Invicta industrie a refusé de livrer les appareils aux prix convenus ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° G13-20.230 :
Attendu que la société Dupiré Invicta industrie fait grief à l'arrêt n° RG : 11/02698 de rejeter ses demandes alors, selon le moyen, que les parties sont tenues de remplir leurs obligations, quand bien même l'exécution en serait devenue plus onéreuse, sous réserve des dispositions relatives au hardship ; qu'il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l'équilibre des prestations, notamment lorsque le coût des matières premières se trouve considérablement augmenté, au-delà de ce qu'auraient pu prévoir les parties ; que pour considérer que l'augmentation exceptionnelle du coût des matières premières ne constituait pas un cas de hardship, la cour d'appel a énoncé que la société Dupiré Invicta industrie « assumait le risque que l'exécution de sa prestation devienne plus onéreuse » ; qu'en ne recherchant pas si l'augmentation du coût des matières premières, par son importance, n'excédait pas les risques normaux d'augmentation des matières premières assumés par la société Dupiré Invicta industrie, et ne constituait dès lors pas un cas de hardship, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1131 et 1134 du code civil et article 6-2 des principes d'Unidroit ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la société Dupiré Invicta industrie, qui produit aux débats une documentation sur le cours mondial des matières premières ainsi que diverses lettres de ses fournisseurs annonçant des hausses de prix de 4 % à 16 %, et qui évoque la nécessité corrélative d'augmenter le prix des marchandises facturées à la société Gabo en raison de la diminution de 58% de sa marge brute, ne rapporte pas la preuve de l'augmentation du coût de l'exécution des ses obligations au titre du contrat du 12 février 2001, ni d'une situation qui a altéré fondamentalement l'équilibre des prestations et constituant un cas de hardship ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° T 12-29.550 :
Attendu que la société Gabo fait grief à l'arrêt n° RG : 11/01602 de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société Dupiré Invicta industrie à lui payer la somme de 1 587 750,41 euros au titre des pénalités contractuelles de 10 % du fait du retard de livraison des marchandises, outre intérêts légaux, alors, selon le moyen :
1°) que le juge ne peut méconnaître les termes du litige dont il est saisi ; que la société Dupiré Invicta industrie admettait elle-même avoir averti la société Gabo de l'impossibilité de fabriquer et livrer des appareils de chauffage, compte-tenu de l'absence de répercussion immédiate de la hausse du coût des matières premières sur les prix de vente ; que la société Dupiré Invicta industrie reconnaissait ainsi la réalité des retards qui lui étaient reprochés avant la rupture du contrat, se plaignant même de ce que les pénalités étaient établies au lendemain de l'expiration des délais de livraison fixés ; qu'en décidant dès lors que la société Gabo ne rapportait « aucunement la preuve d'un retard dans les livraisons de la société D2I avant la résolution du contrat » quand ces retards n'étaient pas contestés par le fournisseur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) que le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même ne s'applique pas au fait juridique ; qu'en énonçant que les documents « dont la rédaction (était) due (à la société Gabo) ne rapportent aucunement la preuve d'un retard dans les livraisons de la société Dupiré Invicta industrie avant la résolution du contrat », la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que, la société Dupiré Invicta industrie ayant soutenu dans ses conclusions d'appel que la société Gabo ne justifiait pas ses prétentions, s'agissant des retards de livraisons des commandes de juin et novembre 2004, et que la demande de pénalités de retard de la société Gabo pour la période postérieure faisait double emploi avec celle de dommages-intérêts au titre du refus d'honorer les commandes passées à compter du 4 février 2005, la cour d'appel n'a pas méconnu l'objet du litige ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas fait application du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi même ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du même pourvoi :
Attendu que la société Gabo fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société Dupiré Invicta industrie à lui payer la somme principale de 930 euros au tire des frais de transport restés à sa charge alors, selon le moyen :
1°) que le juge doit observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, pour s'opposer à la demande formée par la société Gabo en paiement des frais de transport, la société Dupiré Invicta industrie se bornait à soutenir que ces frais n'étaient pas justifiés par la société Gabo sans nullement faire valoir que selon l'article 4 du contrat, le vendeur serait la société Gabo ; qu'en conséquence, en relevant d'office ce moyen, sans avoir préalablement invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en énonçant purement et simplement que le vendeur « s'entenda(it) de la société Gabo à l'égard de ses clients en Pologne et en Slovaquie » sans préciser sur quelle pièce elle se fondait pour procéder à une telle affirmation, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a statué par un motif péremptoire et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que, saisie d'une demande de la société Gabo tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de la société Dupiré Invicta industrie, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel a vérifié l'absence ou la réunion des conditions d'application de la règle de droit invoquée ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a précisé que, selon l'article 4 du contrat du 12 février 2001, le vendeur s'entendait de la société Gabo à l'égard de ses clients en Pologne et en Slovaquie ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° Y 13-18.956, pris en sa première branche :
Vu l'article 23 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
Attendu que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, l'arrêt n° RG : 11/01602 retient qu'il appartient à la loi française de déterminer la condition de triple identité des parties, d'objet et de cause à laquelle est subordonnée l'autorité de chose jugée, que le jugement du tribunal de Tarnow (Pologne) du 18 décembre 2007 a statué sur les prétentions de la société Gabo en concurrence déloyale commise par la société Dupiré Invicta industrie et une autre société en violation de la clause d'exclusivité des contrats du 12 février 2001, et que, la triple identité de la loi française édictée à l'article 1351 du code civil n'étant pas réunie, c'est sans remettre en cause l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal polonais que la société Gabo a saisi le juge français de demandes en réparation de la mauvaise exécution du contrat du 12 février 2001 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions du règlement n° 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci, et non selon les règles de procédure de la juridiction saisie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le premier moyen du pourvoi n° T 12-29.550, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Gabo en paiement de la somme de 2 766 753,50 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte financière subie du fait du refus de la société Dupiré Invicta industrie d'honorer les commandes, l'arrêt n° RG : 11/01602 retient que la société Gabo produit des bilans de la période 2001-2005, l'état des bénéfices des années 2001-2004 et le bénéfice de l'année 2005, les bénéfices perdus pour la non-réalisation du contrat par la société Dupiré Invicta industrie, un supplément en polonais aux copies des bilans 2001 à 2006, une sommation de payer une certaine somme à titre d'avantages perdus en 2005 et 2006, un état des marges pour chaque année et un état des commandes non réalisées en 2005 par la société Dupiré Invicta industrie entre février et octobre 2005, et que cette documentation, établie par les soins de la société Gabo, ne permet pas de conclure à la certitude de l'existence et de l'étendue du préjudice subi par celle-ci comme conséquence de l'inexécution de la société Dupiré Invicta industrie, pas plus qu'à la prévisibilité du préjudice qu'un professionnel raisonnable pouvait faire sur les conséquences d'une éventuelle inexécution telle qu'elle résulte du cours ordinaire des choses et des circonstances particulières du contrat qui est exigée par l'article 74 de la Convention de Vienne ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans procéder à aucune analyse, même sommaire, des pièces qui lui étaient soumises, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
REJETTE le pourvoi n° G 13-20.230 ;
Et sur les pourvois n° T 12-29.550 et Y 13-18.956 :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° RG : 11/01602 rendu le 4 septembre 2012, par la cour d'appel de Reims ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens.