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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 21 septembre 2012, n° 10/11630

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société de Conception de Presse et d'Edition - SCPE (SA)

Défendeur :

JALONS EDITIONS (Sarl), COGENOR (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lachacinski

Conseillers :

M. Rajbaut, Mme Nerot

Avocats :

Me MONTRAVERS, Me FISSELIER, Me GORINS, SELARL MONTRAVERS YANG TING

TGI de Paris, 3e ch. 2e sect., du 18 mar…

18 mars 2005

Par défaut,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

La société de Conception de Presse et d'Editions, ci-après SCPE, (RCS de Nanterre n° 431 876 499) à l'adresse du [...] édite un mensuel intitulé 'ENTREVUE' ;

Sur le fondement du droit des marques et du droit d'auteur qu'elle prétend détenir, la SCPE a saisi le Président du tribunal de grande instance de Nanterre d'une demande d'interdiction de publication de la revue 'FIENTREVUE' par la société JALONS EDITIONS et COGENOR au visa de l'article L.716-6 du code de la propriété intellectuelle laquelle a fait l'objet d'un rejet par ordonnance du 28 mai 2003 ;

La SCPE a, par ailleurs, par assignation du 7 juillet 2003 saisi au fond le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droit d'auteur, de droit de dessins et modèles portant sur la couverture type du magazine ENTREVUE n° 02 4831 du 7 août 2002 et de droit de marques constitué par :

- la maquette représentant la page de couverture du magazine enregistrée le 7 août 2002 sous le n° 02 3 178 722,

- la marque dénominative ENTREVUE n° 93 473 463 déposée le 23 juin 1993 et renouvelée le 13 juin 2003,

- la marque semi-figurative ENTREVUE n° 93 486 211 déposée le 5 octobre 1993, renouvelée le 30 juin 2003 consistant en l'insertion à l'intérieur d'un cartouche rectangulaire de couleur jaune, du terme ENTREVUE en lettres-bâton, grasses et italiques de couleur noire,

Ainsi que d'une action en réparation d'agissements parasitaires ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont opposé à la SCPE notamment l'exception de parodie visée par l'article L. 122-5-4 du code de la propriété intellectuelle et ont reproché à la SCPE de s'être rendue responsable d'actes de parasitisme en faisant paraître un 'autopastiche' de la revue ENTREVUE appelé ENTRECUL ce qui lui aurait causé un préjudice matériel résultant de ce que les ventes de la revue FIENTREVUE ont été moindres que prévu ;

Par jugement du 18 mars 2005, le tribunal a notamment :

- dit qu'en réalisant et en diffusant un magazine de couverture, la maquette du sommaire et celle de deux pages intérieures reproduisant les dessins et modèles n° 02 4831 dont la SCPE est titulaire, les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de cette dernière,

- fait interdiction aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR de réitérer les faits précités sous astreinte de 30 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire de cette mesure,

- condamné in solidum les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à verser à la SCPE la somme de 2 500 euros à titre de dommages intérêts et la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a rejeté toute autre demande, notamment reconventionnelle,

- condamné in solidum les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR aux entiers dépens ;

Vu l'appel interjeté le 13 avril 2005 par la Société de Conception de Presse et d'Edition - SCPE ;

Vu l'appel incident formé par conclusions signifiées le 23 janvier 2006 par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ;

Vu la décision de retrait du rôle prise par le magistrat de la mise en état à l'audience du 30 novembre 2006 ;

Vu l'ordonnance de radiation du 6 décembre 2007 prise par le magistrat de la mise en état au motif que le calendrier arrêté n'avait pas été respecté ;

Vu l'assignation en intervention forcée du 26 octobre 2009 adressée par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à Hélène Montravers es qualités de mandataire judiciaire de la SCPE et à la SELARL Michel Miroite-Gorins es qualités d'administrateur de la SCPE ;

Vu l'ordonnance de retrait du rôle du 25 mars 2010 rendue par le magistrat de la mise en état ;

Vu l'assignation en intervention forcée du 1er octobre 2010 adressée par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à la société de Conception de Presse et d'Editions SCPE (RCS 399 391 879 ayant son siège [...]) ;

Vu la constitution de Maître Marie-Hélène Montravers es qualités de mandataire judiciaire de la SCPE du 11 février 2011 ;

Vu l'assignation en intervention forcée du 9 mai 2012 adressée par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à la SELARL Montravers Yang Ting es qualités de liquidateur de la Société de Conception de Presse et d'Editions en liquidation judiciaire (la SCPE dont le RCS Paris porte le n° 399 391 879 et dont le siège social était [...]) prise en la personne de Maître Marie-Hélène Montravers ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 10 mars 2010 par lesquelles la Société de Conception de Presse et d'Editions (SCPE) (RCS Nanterre n° 431 876 499 demanderesses en première instance et actuellement en liquidation judiciaire) demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à l'exception de parodie invoquée par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR et a jugé que ces dernières n'avaient pas commis à leur préjudice d'actes de contrefaçon de droits d'auteur,

- de dire que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR sont coupables de contrefaçon d'une oeuvre originale, à savoir :

La maquette de couverture de son magazine ENTREVUE composée de la combinaison spécifique, originale et constante des éléments caractéristiques suivants :

Un bandeau de titre original,

Une page de couverture originale avec une structuration de l'espace en deux parties sous forme de L renversé,

La composition et la présentation des rubriques et des articles,

La reproduction servile d'images exclusives des comiques Bollo'ch et Solo,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a cru devoir faire droit à l'exception de parodie alléguée,

- de dire que le magazine FIENTREVUE ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l'exception de parodie en ce que ce magazine n'est pas conforme aux lois du genre, ne présente aucun décalage manifeste avec l'oeuvre première dont elle constitue un décalque et reprend les codes et les rubriques originales sans travestissement ni apport comique,

- de condamner les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages intérêts pour la contrefaçon des droits d'auteur sur la maquette de couverture, le visuel, le titre, la présentation originale des rubriques, accroches, légendes, reproduction sans droit des clichés des comiques Bolloc'h et Solo,

- de leur interdire la poursuite des actes de contrefaçon dénoncés sous astreinte définitive d'un montant de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir (sic),

- de dire que la magazine FIENTREVUE ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l'exception de parodie en ce que le magazine incriminé n'est pas conforme aux lois du genre et se présente comme un magazine décalqué d'ENTREVUE avec pour seul objectif la recherche de profit,

- de dire que les sociétés JALONS Editions et COGENOR se sont rendues coupables de contrefaçon par reproduction, subsidiairement par imitation des marques :

La marque dénominative ENTREVUE n° 93 473 463 déposée le 23 juin 1993 et dûment renouvelée le 13 juin 2003 pour les classes 16, 35, 38 et 41,

La marque semi-figurative ENTREVUE n° 93 486 211 déposée le 5 octobre 1993, dûment renouvelée le 30 juin 2003 désignant les 'périodiques, magazines, revues, publications, photographies consistant en l'insertion à l'intérieur d'un cartouche rectangulaire de couleur jaune, du mot ENTREVUE en lettre-bâton, grasses et italiques de couleur noire et en petits caractères et entre guillemets d'une citation placée sous le mot ENTREVUE, les marques nominatives et figuratives de la maquette représentant la page de couverture du magazine ENTREVUE, enregistrée sous le n° 023 178 722 le 7 août 2002 consistant en l'impression du titre du magazine en haut de la page, en caractères gras d'imprimerie de couleur noire, calligraphié en italique sur un cartouche de couleur claire, la dernière lettre du titre étant en partie tronquée par la surimpression d'un macaron de couleur claire, comportant une indication textuelle en écriture penchée, immédiatement sous le titre et toujours à l'intérieur du cartouche, en petits caractères, une phrase en lettres droites, sur les deux tiers droit de l'espace disponible sous le cartouche, dans le sens de la longueur, sur une fond de couleur claire à l'aspect moiré, une silhouette désignant l'emplacement de la photographie mi-corps d'une femme aux formes avantageuses dont le haut de la tête dépasse les limites du cartouche du titre et en masque une partie, avec, en surimpression, deux mentions écrites, l'une placées sur le côté et à hauteur de la tête du sujet, l'autre, en gros caractères, placée sur la partie basse du buste, sur le tiers restant, côté gauche, une enfilade de cinq accroches d'articles sous forme, pour les quatre premières, de carrés contenant chacun quelques lignes de texte et une photographie d'illustration, et pour la dernière, d'une bulle de couleur claire (jaune) empiétant sur la photographie des deux tiers droit, et renfermant également quelques lignes de texte et une photographie, avec, en surimpression sur le troisième encart en partant du haut, une petite estampille de forme rectangulaire et de couleur rouge, bordée d'un trait blanc dans le sens de la longueur avec à l'intérieur, une mention écrite, la marque semi-figurative ENTREVUE 'Toutes les vérités sont bonnes à dire' n° 95.578.636 du 3 juillet 1995 désignant les périodiques, magazines, revues, publications photographies consistant en l'insertion à l'intérieur d'un cartouche rectangulaire, du mot ENTREVUE en lettre-bâton, grasses et italiques de couleur noire et, en petits caractères et entre guillemets, de la citation 'Toutes les vérités sont bonnes à dire' placées sous le mot ENTREVUE,

- de condamner les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR in solidum à lui payer la somme de 300 000 euros à titre de dommages intérêts pour la contrefaçon des marques sus-visées,

- d'interdire aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir (sic),

- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR coupables de contrefaçon des dessins et modèles n° 02 48.31 déposés le 7 août 2002,

- de le réformer partiellement en ce qu'il a limité à la somme de 2 000 euros (sic) le montant des dommages intérêts et les fixer à la somme de 100 000 euros,

- d'interdire aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte définitive d'un montant de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir (sic),

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire,

- de dire que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont commis des agissements parasitaires et se sont rendues coupables de concurrence déloyale en calant la date de sortie du magazine sur celle de la revue ENTRECUL, en réalisant une réplique d'un hors-série d'ENTREVUE aux fins d'assimilation et de confusion dans le public avec la sortie d'un numéro spécial d'ENTREVUE, en visant à commercialiser et à s'approprier la clientèle d’ENTREVUE en définissant un prix égal à celui du magazine ENTREVUE pastiché et un positionnement identique, en entretenant un dénigrement systématique de la SCPE, du magazine ENTREVUE et une incitation au boycott de ce magazine,

- de débouter les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR de l'ensemble de leurs demandes,

- de condamner les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à lui payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages intérêts,

- d'interdire aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR la poursuite des actes de parasitisme sous astreinte définitive d'un montant de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir (sic),

- d'ordonner la publication du jugement (sic) à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix aux frais des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR pour un montant de 3 800 euros hors taxes par insertion et d'ordonner le remboursement de chacune des insertions autorisées sur simple présentation des factures, le montant au principal étant augmenté des intérêts courant au taux légal majoré de cinq points passé le délai de huit jours à compter de cette présentation,

- de condamner les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 mai 2012 par lesquelles la société JALONS EDITIONS et COGENOR demandent à la cour :

- de dire qu'elles sont recevables et bien fondées en leur assignation en intervention forcée de la SCPE SAS (RCS PARIS 399 391 879) venant aux droits de la SCPE (RCS PARIS 431 876 499),

- de dire qu'elles sont recevables et bien fondées en leur assignation en intervention forcée de la SELARL Montravers Yang Ting prise en la personne de Maître Marie-Hélène Montravers es qualités de liquidateur de la Société de Conception de Presse et d'Edition,

- de réformer le jugement en ce qu'il a dit qu'elles ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la SCPE,

- de dire que le pastiche FIENTREVUE respecte les limites posées par les lois et la jurisprudence en matière de pastiche, de parodie et de caricature,

- de dire que le pastiche FIENTREVUE bénéficiant de l'exception de parodie et du principe de suprématie du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression ne constitue pas une contrefaçon,

- de rejeter les demandes de la SCPE fondées tant sur la contrefaçon des marques, de dessins et modèles, de droits d'auteur que sur la concurrence déloyale et le parasitisme,

- de dire que la SCPE a commis à leur égard des fautes de nature délictuelle,

- de condamner la SCPE à leur payer la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral et la somme de 58 461 euros au titre de leur préjudice matériel,

- de condamner la SCPE à leur payer la somme de 23 940,69 euros, à parfaire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'assignation en intervention forcée délivrée le 26 octobre 2009 par les sociétés JALONS Editions et COGENOR à Maître Hélène MONTRAVERS es qualités de mandataire judiciaire de la SCPE et à Maître Gorins es qualités d'administrateur de la SCPE ;

Vu l'assignation en intervention forcée délivrée le 1er octobre 2010 par les sociétés JALONS Editions et COGENOR à la SCPE (Société de Conception de Presse et d'Edition RCS 399 391 879 ayant son siège social [...]) ;

SUR QUOI, LA COUR :

La SCPE revendique sur la dénomination et la maquette d'ENTREVUE un certain nombre de droits de propriété intellectuelle sur lesquels elle fonde son action à l'encontre des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ;

Elle invoque :

- des droits d'auteur sur le bandeau de titre, sur la première de couverture, la composition des articles,

- la marque dénominative ENTREVUE n° 93 473 463 déposée le 23 juin 1993 et renouvelée le 13 juin 2003,

- la marque semi-figurative ENTREVUE n° 93 486 211 déposée le 5 octobre 1993, renouvelée le 30 juin 2003 consistant en l'insertion à l'intérieur d'un cartouche rectangulaire de couleur jaune, du terme ENTREVUE en lettres-bâton, grasses et italiques de couleur noire,

- la maquette représentant la page de couverture du magazine enregistrée le 7 août 2002 sous le n° 02 3 178 722,

- la marque semi-figurative ENTREVUE 'Toutes les vérités sont bonnes à dire' n° 95 578 636 déposée le 3 juillet 1995 en classes 16, 35, 38 et 41 pour toutes les marques,

- l'enregistrement de la maquette de couverture, de la composition du sommaire et de la composition d'un article type au titre des dessins et modèles n° 02 4831 du 7 août 2002 et soutient que la marque tant verbale que figurative ENTREVUE est une marque notoire ;

Elle ajoute être titulaire de la marque dénominative et figurative ENTRECUL enregistrée le 10 novembre 1995 sous le n° 95 596 820 dans les classes 16, 35 et 41 et s'être apprêtée à diffuser un numéro hors-série sous ce titre au mois de mai 2003 lorsque les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont pris, à son insu, l'initiative de mettre en vente le magazine intitulé FIENTREVUE le 21 mai 2003 ; que la confusion avec son magazine ou ses numéros hors-série, tels qu'ENTRECUL résulte de la conception, la présentation, la composition, la pagination, la qualité du papier ainsi que de la date de parution et du positionnement du magazine FIENTREVUE dans les étalages, les kiosques, les points de vente exposé parmi ses propres magazines ENTREVUE, ENTREVUE CHOC et ENTRECUL ;

Elle en conclut que la diffusion du magazine FIENTREVUE ne constituait pas un pastiche de sa propre publication mais n'avait pour but que de créer une confusion dans l'esprit du public et de s'approprier sa clientèle en lui donnant à croire qu'il s'agit d'un nouveau hors-série d’ENTREVUE, ce que le procès-verbal de constat d'huissier du 28 mai 2003 a, selon elle, relevé lorsqu'il mentionnait la présence dans les points de vente, côte à côte, des revues ENTREVUE, ENTRECUL et FIENTREVUE ;

Elle critique la décision déférée en ce qu'elle a, à tort selon elle, considéré au titre du droit des marques que l'imitation des marques opposées n'était pas susceptible de générer dans l'esprit du public un risque de confusion sur l'origine de la publication litigieuse, au titre du droit d'auteur estimé que le magazine FIENTREVUE constitue une oeuvre parodique qui doit bénéficier de l'exception aux droits de l'auteur énoncée à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle et a refusé de considérer que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR avaient commis à son encontre des actes de concurrence déloyale ;

Sur la contrefaçon des marques dénominative, semi-figurative et figurative :

Les marques opposées par la SCPE sont :

1° - la marque dénominative ENTREVUE n° 93 473 463 déposée le 23 juin 1993 et renouvelée le 13 juin 2003,

2°- la marque semi-figurative ENTREVUE n° 93 486 211 déposée le 5 octobre 1993, renouvelée le 30 juin 2003 consistant en l'insertion à l'intérieur d'un cartouche rectangulaire de couleur jaune, du terme ENTREVUE en lettres-bâton, grasses et italique de couleur noire et en petits caractères et entre guillemets la citation 'Toutes les vérités sont bonnes à dire placée sous le mot ENTREVUE,

3°- la marque dénominative et figurative de la maquette représentant la page de couverture du magazine enregistrée le 7 août 2002 sous le n° 02 3 178 722,

4°- la marque semi-figurative ENTREVUE 'Toutes les vérités sont bonnes à dire' n° 95 578 636 déposée le 3 juillet 1995, toutes les marques ayant été déposées en classes 16, 35, 38 et 41 ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR qui reconnaissent avoir usé et incorporé certains éléments caractéristiques du magazine ENTREVUE font valoir qu'elles l'ont fait dans le seul but d'élaborer un pastiche, genre qui nécessite, par nature, de telles reprises ;

Comme il est souligné dans le jugement déféré, les trois premières marques déposées sont en effet reprises par la publication litigieuse dans une forme très voisine ; que le terme FIENTREVUE reprend intégralement le terme ENTREVUE auquel l'adjonction des deux lettres F et I ne fait pas perdre sa distinctivité propre ;

Le magazine contesté reprend également la présentation du titre écrit en lettres-bâton, grasses, et italiques de couleur noire avec la citation 'Toutes les conneries sont bonnes à dire' placée sous le titre lequel se trouve dans un cartouche de couleur orangée qui se différencie de la couleur jaune originelle ;

Pareillement, la maquette déposée à titre de marque représentant la page de couverture du magazine consistant en l'impression du titre du magazine en haut de la page, en caractères gras d'imprimerie de couleur noire, calligraphié en italique sur un cartouche de couleur claire, la dernière lettre du titre étant en partie tronquée par la surimpression d'un macaron de couleur claire, comportant une indication textuelle en écriture penchée, immédiatement sous le titre et toujours à l'intérieur du cartouche, en petits caractères, une phrase en lettres droites, sur les deux tiers droit de l'espace disponible sous le cartouche, dans le sens de la longueur, sur une fond de couleur claire à l'aspect moiré, une silhouette désignant l'emplacement de la photographie mi-corps d'une femme aux formes avantageuses dont le haut de la tête dépasse les limites du cartouche du titre et en masque une partie, avec, en surimpression, deux mentions écrites, l'une placées sur le côté et à hauteur de la tête du sujet, l'autre, en gros caractères, placée sur la partie basse du buste, sur le tiers restant, côté gauche, une enfilade de cinq accroches d'articles sous forme, pour les quatre premières, de carrés contenant chacun quelques lignes de texte et une photographie d'illustration, et pour la dernière, d'une bulle de couleur claire (jaune) empiétant sur la photographie des deux tiers droit, et renfermant également quelques lignes de texte et une photographie, avec, en surimpression sur le troisième encart en partant du haut, une petite estampille de forme rectangulaire et de couleur rouge, bordée d'un trait blanc dans le sens de la longueur avec à l'intérieur, une mention écrite est reproduite ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR qui reconnaissent à juste titre que les législations relatives aux marques et aux dessins et modèles ne prévoient pas d'exception de parodie demandent de limiter la protection de la marque aux seuls cas où elle est utilisée par un tiers non autorisé dans la vie des affaires comme le prévoient les dispositions de l'article 5 paragraphe 1er de la Directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 applicables en l'espèce quand bien même elles n'ont pas été transposées en droit interne, ce qui serait selon elles conforme à la fonction de la marque ;

Mais contrairement à ce qui est soutenu par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR, l'imitation des marques déposées l'a précisément été dans un contexte de vie des affaires puisque les publications ont été proposées à la vente par l'intermédiaire du même circuit de presse au prix de 3 euros l'exemplaire et qu'elles ont généré aux dires des sociétés exploitantes des recettes évaluées à la somme de 150 560,90 euros et un déficit de 11 310,81 euros de sorte que le magazine FIENTREVUE est de nature à faire croire au consommateur qu'il existe un lien commercial entre leur publication et celle ENTREVUE diffusée par la SCPE ;

Aussi les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ne peuvent-elles soutenir comme elles le font que le droit des marques ayant une vocation purement économique, la logique commande que le droit d'interdire qui procède de la marque ne puisse être opposé que dans la seule sphère commerciale entendue restrictivement et que la protection accordée à la marque doit être limitée à sa finalité d'identification de l'origine d'un produit ;

Elles ne sont donc pas fondées à prétendre que leur magazine FIENTREVUE était destiné au seul lectorat JALONS, différent de celui d'ENTREVUE dans la mesure où s'agissant l'une et l'autre de revues à connotation humoristique, elles étaient susceptibles de s'adresser à un même public adepte du même genre d'humour ;

En outre, comme il a été dit supra, si la diffusion de la revue FIENTREVUE l'a été avec l'intention de polémiquer, cette intention n'est cependant pas étrangère à la vie des affaires ;

Selon les dispositions de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour les produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement est interdit, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion ;

Il n'est pas contesté qu'aucune autorisation n'a été donnée par le titulaire des marques aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR et que les produits ou services en présence, s'agissant de publications par voie de presse sont identiques ou à tout le moins similaires ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR revendiquent en revanche avec force avoir intentionnellement imité avec leur revue FIENTREVUE celle de la société SCPE puisqu'il s'agissait de la pasticher ;

De ces constatations, il devrait s'en déduire que l'infraction de contrefaçon est constituée sauf à démontrer à la charge des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR l'inexistence d'un quelconque risque de confusion entre les signes opposées,

au sujet de la marque dénominative ENTREVUE n° 93 473 463 :

S'il existe des ressemblances visuelles du fait de la seule déclinaison finale entre ENTREVUE composé de huit lettres grasses, noires et en italique et FIENTREVUE écrit avec dix lettres également grasses, noires et en italique, il n'existe en revanche aucune similitude visuelle du fait des syllabes d'attaque déterminante 'ENTRE' qui ne ressemblent pas à 'FIENTR ;

Cette absence de ressemblance se concrétise également dans la prononciation du terme décomposé en trois syllabes FIEN- TRE-VUE où la consonne labiale sourde F suivi de la voyelle I et du son 'an' est déterminante et se démarque de la prononciation d’EN-TRE-VUE ;

Si le terme ENTREVUE possède du point de vue conceptuel une signification positive puisqu'il sert à définir une rencontre concertée entre des personnes qui ont à parler ou à discuter entre elles, en revanche le terme FIENTREVUE opposé fait référence aux déjections de volatiles et sert à qualifier la revue critiquée ;

Le risque de confusion allégué entre les magazines ENTREVUE et FIENTREVUE par la société SCPE étant absent, le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

 Au sujet de la marque semi-figurative ENTREVUE n° 93 486 211

Les considérations ci-dessus exposées au sujet de la marque dénominative ENTREVUE et du terme FIENTREVUE doivent être ici repris, la transformation de la citation entre guillemets Toutes les vérités sont bonnes à dire' en Toutes les conneries sont bonnes à dire placée sous les titres n'étant manifestement pas de nature à engendrer un risque de confusion pour le consommateur qui au moment de son achat aura son attention focalisée principalement par le titre inscrit dans un cartouche de couleur différente, jaune pour ENTREVUE et orangée pour FIENTREVUE ;

au sujet de la marque semi-figurative ENTREVUE 'Toutes les vérités sont bonnes à dire n° 95 578 636 et de la maquette n° 02 3 178 722

La présentation de la page de couverture du magazine FIENTREVUE est une reprise à l'identique de la première page de la revue ENTREVUE, utilisation identique des caractères typographiques pour le titre, même citation et même personnage féminin exhibant les mêmes attributs, présentation identique sur la partie gauche de la couverture de quatre encarts contenant des informations outrancières et d'un médaillon ovale ;

Toutefois, soulignent-elles, dans le but d'éviter tout risque de confusion avec la marque semi-figurative ENTREVUE Toutes les vérités sont bonnes à dire et d'appuyer ainsi l'effet canular, les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR déclarent avoir mis en exergue en haut de la page de couverture les mentions : 'Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée JALONS et, en haut à droite 3€ comme le vrai ! ;

Comme l'ont ainsi exactement apprécié les premiers juges, l'ensemble de ces éléments contribuent à informer l'acheteur potentiel sur le propos de cette publication et sur l'initiative de la société JALONS EDITIONS, connue pour ses canulars qui a pris l'initiative de sa réalisation et de son édition ;

Le jugement déféré qui a considéré que l'imitation des quatre marques opposées n'est pas susceptible de générer dans l'esprit du public un risque de confusion sur l'origine de la publication litigieuse laquelle ne sera pas attribuée à la société SCPE sera par conséquent confirmé ;

Sur l'atteinte au droit d'auteur :

La SCPE se prévalant de droit d'auteur reproche aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR d'avoir repris le titre et le sous-titre d' ENTREVUE, la maquette de couverture, son sommaire, la présentation de l'ensemble de ses rubriques, les couleurs des différentes rubriques, jaune et noir pour la rubrique enquête, bleu pour la rubrique internet, mire pour la rubrique télévision, représentation du visage d'Andy Warhol pour les canulars téléphoniques, le curseur placé sur le bandeau à côté des titres ou les cartouches rectangulaires placés en fin d'article annonçant l'actualité des personnages interrogés ou fournissant des éclaircissements sur le sujet de l'article, son style décalé, calqué à l'identique; de n'avoir entrepris aucun effort intellectuel, de n'avoir livré aucune oeuvre de création comportant leur empreinte personnelle ou fourni une prestation originale ; d'avoir indiqué au bas de chaque page qu'il s'agissait d'un numéro spécial d'ENTREVUE pour faire accroire aux lecteurs qu'ils achetaient bien une publication SCPE ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ne contestent pas que la présentation, le style, la ligne éditoriale du magazine ENTREVUE sont protégeables au titre du droit d'auteur; que l'originalité de l'oeuvre découle du visuel, de son logo et de la couverture originale immédiatement identifiée par le public comme renvoyant à ENTREVUE et que ladite originalité est caractérisée par un faisceau d'éléments dénotant l'empreinte de la personnalité de ses auteurs se démarquant de l'ensemble des magazines existant ou ayant existé mais soutiennent que c'est précisément ce qui fait qu'elles ont volontairement repris l'ensemble de ces éléments caractéristiques de cette création pour la reproduire en la parodiant ;

Elles invoquent pour solliciter le rejet des demandes formées par la SCPE au titre de la contrefaçon des droits d'auteur l'application à leur profit des dispositions de l'article L. 122-5 4° du code de la propriété intellectuelle qui prévoient que lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire…. La parodie, le pastiche ou une caricature compte tenu des lois du genre ;

Si la parodie est l'imitation satirique d'un texte en le détournant de ses intentions finales afin de produire un effet comique, elle n'est cependant autorisée que si elle révèle une intention humoristique évidente, si elle n'engendre aucune confusion entre l'oeuvre seconde et l'oeuvre parodiée laquelle ne doit pas être dénigrée et avoir pour conséquence de lui nuire ;

La SCPE reconnaît, comme l'a fait le tribunal, que son magazine ENTREVUE cultive un style qui se veut provocateur, outré, accrocheur qui tourne en dérision et parodie des personnes et utilise des formules-choc et des photographies soft ;

Il convient de souligner que le fait que le magazine diffusé par la SCPE soit une publication satirique n'interdit pas qu'elle soit elle-même parodiée à la condition que les trois exigences sus-visées soient remplies ;

Les parties opposées ne contestent pas que la revue FIENTREVUE possède le même niveau humoristique que la revue imitée ; la première condition sus-visée est donc remplie ;

Les informations figurant sur la couverture, notamment l'avertissement écrit en caractères blancs sur fond noir Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée JALONS cette dernière mention écrite sur fond rouge, 3€ comme le vrai, les indications contenues à la page 3 sous la mention Eté 2003 et à la troisième page de couverture représentant sous le titre FIENTREVUE une nouvelle parodie signée JALONS' les diverses publications parodiées avec en dessous la mention Toutes nos conneries sont à vendre sur jalons.fr sont suffisamment significatives et éloquentes pour que l'acheteur ne se méprenne pas sur l'origine de cette publication de sorte qu'il n'existe aucune risque de confusion entre l'oeuvre seconde et l'oeuvre parodiée ; la deuxième condition est par conséquent également remplie ;

Pas davantage le magazine ENTREVUE n'est dénigré ou avili dans la mesure où le magazine FIENTREVUE utilise les mêmes méthodes que son modèle en forçant plus encore le trait dans l'outrance et dans les fausses révélations comme le souligne exactement le tribunal ; il n'est en outre pas démontré que la publication du magazine FIENTREVUE par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ait nui aux intérêts de la SCPE ;

La SCPE ne faisant que revendiquer dans la présente instance des droits sur le magazine ENTREVUE dont les droits de propriété intellectuelle auraient été, selon elle, violés, elle ne saurait par conséquent pas se prévaloir des droits de même nature sur le magazine ENTRECUL lequel ne constitue pas l'objet du litige ;

La publicité faite pour le magazine FIENTREVUE, l'emplacement de celui-ci dans les points de vente, la similitude de prix de vente sont, comme la justement reconnu le tribunal, indifférents du fait des éléments qui la caractérisent et ne sauraient conduire l'acheteur à confondre les deux revues opposées ;

Il n’est ainsi nullement démontré que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont méconnu les lois du genre visées par l'article L. 122-5 4° du code de la propriété intellectuelle ;

Le jugement déféré sera par conséquent également confirmé sur ce point ;

Sur l'atteinte au droit de dessins et modèles :

La SCPE revendique des droits de dessin et modèle portant sur la couverture type du magazine ENTREVUE n° 02 48 31 du 7 août 2002 comprenant la protection de :

- la présentation du sommaire sur deux pages, chacune d'entre elles étant divisées suivant le mode d'une colonne sur le quart gauche, une colonne sur les deux quarts centre et une colonne sur le quart droit, en haut de chacune des colonnes figurant une mention écrite en lettres bâton grasses et italiques, à l'intérieur de chacune des colonnes les différentes annonces d'articles étant ordonnancées sous forme d'encarts de différentes dimensions, prévoyant un emplacement pour l'insertion d'une photographie vignette d'illustration et de mentions écrites,

- la composition spécifique en bandes horizontales comportant chacune, sur un fond de couleur noire trois encarts composés d'un emplacement pour une photographie vignette d'illustration, avec, au-dessous de chacune d'entre elles, un texte de plusieurs lignes ;

Conformément aux articles L. 513-4 et L. 513-5 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, à défaut de consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation ou la détention à ces fins d'un produit incorporant le dessin ou modèle, la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étendant à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ;

Toute atteinte portée aux droits de propriétaire d'un dessin ou modèle constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR soutiennent que dès lors que l'application du droit des marques a été écartée dans le cas d'un usage polémique et humoristique étranger à la recherche d'un profit, rien ne justifie qu'une solution différente soit adoptée en matière de dessin et modèle, le rôle du juge étant de rechercher une articulation équilibrée entre les deux droits, le droit de propriété et la liberté d'expression et qu'en décider autrement, reviendrait à interdire les pastiches de journaux, solution qui serait contraire aux principes à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression ;

Elles ajoutent qu'on ne peut faire une parodie sans reproduire, au moins en partie, la maquette du magazine parodié, dès lors que si le lecteur n'identifie pas immédiatement la parution parodiée, le pastiche manque son but ;

Elles soutiennent encore qu'un droit à l'usage d'un dessin ou d'un modèle à des fins parodiques doit être accordé au parodiste qui respecte les lois du genre, dans les mêmes conditions qu'en matière de marque ;

Elles poursuivent que l'article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle interdit, à défaut de consentement du propriétaire, la commercialisation d'un produit incorporant le dessin ou modèle, le droit des dessins et modèles protégeant, selon elles, les caractéristiques d'un produit sur un marché afin de combattre d'éventuels comportements déloyaux dans le cadre de concurrence entre entreprises commerciales ;

S'il est exigé que l'apparence d'un produit, ou une partie de celui-ci, caractérisé spécialement par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux est susceptible d'être protégée au titre des dessins et modèles, les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ne contestent pas pour leur part que le modèle déposé sous le n° 02 48 31 par la SCPE répond aux exigences de l'article L. 511-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'il est par conséquent nouveau et présente un caractère propre ;

Elles s'accordent également pour reconnaître qu'ils ont reproduit l'intégralité des éléments protégés soit :

1° la page de couverture (enregistrement de la maquette de couverture au titre des dessins et modèle) :

- impression du titre FIENTREVUE en lettres capitales noires italiques sur fond plus clair,

- dernière lettre 'e' tronquée par l'apposition du prix de vente du magazine (3euros),

- sous-titre Toutes les conneries sont bonnes à dire entre guillemets dans la même typographie et la même disposition que dans ENTREVUE Toutes les vérités sont bonnes à dire,

- cartouche de la même dimension que le cartouche original,

- photographie d'une jeune femme aux formes avantageuses sur deux tiers de la page de couverture, et dont le haut du crâne empiète sur le cartouche du titre, surimpression de deux sous-titres, l'un à la hauteur de la tête de la jeune femme 'Halte à la télé racoleuse', l'autre en plus gros caractères, sur la partie droite du buste,

- sur le tiers restant, côté gauche, une enfilade de cinq accroches d'articles sous forme de carrés contenant chacun quelques lignes de texte et une photographie d'illustration,

- sur le troisième encart en partant du haut, une petite estampille en surimpression, de forme rectangulaire et de couleur rouge, bordée d'un trait blanc dans le sens de la longueur, avec, à l'intérieur une mention exclusif,

2° la présentation du sommaire :

- sur deux pages chacune d'entre elles étant divisée suivant le mode d'une colonne sur le quart gauche (Télézap et Argent), une colonne sur les deux quarts centre (People et société) et une colonne sur le quart droite (Médias et Internet),

- en haut de chacune des colonnes figurant une mention écrite en lettres bâton grasses et italiques (les mentions précitées),

À l'intérieur de chacune des colonnes les différentes annonces d'articles sont, comme dans le modèle déposé, ordonnancées sous forme d'encarts de différentes dimensions, avec insertion d'une photographie vignette d'illustration et dimensions écrites ;

Selon le jugement déféré, l'article L. 514-4 du code de la propriété intellectuelle réprime toute atteinte portée sciemment aux droits des titulaires de dessins et modèles, l'appréciation d'une confusion dans l'esprit du public n'étant pas une condition de la caractérisation de l'atteinte, de même que le caractère parodique du support sur lequel la reproduction est réalisée étant indifférent au regard du texte précité ;

L'article L. 513-5 du même code prévoit que la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ;

Il convient en conséquence de s'interroger non pas sur le risque de confusion susceptible d'exister entre le modèle protégé et le modèle argué de contrefaçon, notion étrangère aux dispositions du Livre V mais de déterminer si le produit litigieux reproduit pour l'observateur averti les caractéristiques essentielles du modèle déposé au point d'engendrer la même impression d'ensemble, l'étendue de la protection assurée par le dépôt du dessin ou modèle étant déterminée par la reproduction de celui-ci ;

L'observateur averti qui est la personne attentive et suffisamment informé des différents magazines humoristiques diffusés en France et qui par conséquent connaît le magazine ENTREVUE, focalisera en premier lieu son attention sur l'ensemble de la page de couverture, puis sur le titre du modèle argué de contrefaçon FIENTREVUE, sur l'inscription au-dessus du titre Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée JALONS et en dessous Toutes les conneries sont bonnes à dire, ainsi que sur 3euros comme le vrai pour comprendre qu'il s'agit d'une parodie destinée à se moquer de la revue ENTREVUE et que l'impression visuelle qu'il aura ensuite de l'ensemble de la couverture fera que les éléments caractéristiques protégées du modèle tels que ci-dessus décrits lesquels ont été volontairement repris par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR pour caractériser la parodie seront estompés dans son esprit au point de ne plus avoir la même impression visuelle d'ensemble ;

L'appréciation visuelle de l'ensemble du sommaire participera de la même démarche que ci-dessus dans la mesure où l'impression visuelle globale du magazine FIENTREVUE sur l'observateur averti doté d'une vigilance particulière aura pour résultat que les ressemblances seront estompées par le fait des différences issues du caractère plagiaire du modèle déposé et qu'elle produira sur lui une impression d'ensemble différente ;

Il s'ensuit que le grief de contrefaçon de dessin et modèle imputé aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR par la SCPE n'est pas établi et que le jugement déféré sera par conséquent infirmé sur ce point ;

Sur la concurrence déloyale :

Tout en considérant fondé le rejet de la demande en concurrence déloyale engagée par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à son encontre, la SCPE reproche à la décision déférée d'avoir rejeté sa demande faite au même titre ;

Mais il résulte de l'aveu même de la SCPE que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR sont venues les premières la voir au mois de septembre 2001 pour lui proposer moyennent un partage des recettes une opération commerciale consistant dans la publication d'un magazine imitant le magazine ENTREVUE, la dérision, la satire et la moquerie devant par ailleurs s'appliquer aux hommes politiques et la revue s'intituler ENTRENULS ; que la SCPE a refusé de donner suite à cette collaboration lorsqu'elle s'est aperçue que l'équipe JALONS était dans l'incapacité de venir à bout de la rédaction des articles et que l'objectif recherché n'était plus de se moquer des hommes politiques mais de 'faire du ENTREVUE ;

Ce n'est donc qu'à la suite de l'échec de la proposition de collaboration faite par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR que celles-ci ont pris seules l'initiative de publier la revue FIENTREVUE, la diffusion de la revue ENTRECUL n'étant que la réponse à l'initiative prise par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR destinée à contrecarrer ses projets ;

Aussi la SCPE ne peut-elle soutenir que pour réaliser la parodie du magazine ENTREVUE, les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR avaient besoin de son accord pour utiliser les caractéristiques essentielles de ses marques, pour adopter les méthodes de diffusion et d'emplacement de vente identiques et pour bénéficier de son expérience et de ses investissements ;

La SCPE ne peut également pas valablement prétendre avoir été surprise par la sortie du magazine FIENTREVUE lequel aurait été publié à son insu ; que la parution des deux revues humoristiques le même jour, le 23 mai 2003 n'est que la conséquence de la précipitation des uns et des autres pour publier les revues dans le cadre d'une saine concurrence par trop exacerbée ;

La SCPE, spécialiste de l'humour et de la satire, ne démontre pas la faute engageant leur responsabilité civile qu'auraient commise les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à son encontre en diffusant la revue FIENTREVUE qui exploite la même veine humoristique qu'elle à partir des mêmes informations dont elles forcent le trait ;

Que la liberté d'expression revendiquée tant par la SCPE que par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR lorsqu'il s'agit de désigner, de moquer ou de ridiculiser les personnes physiques ou morales, objet de leur publication doit pouvoir également s'appliquer à leurs propres activités commerciales lesquelles n'ont manifestement pas pour unique finalité l'information du lecteur en exploitant la veine humoristique mais a également pour objet de dégager un profit financier ;

Reprenant l'entière motivation du tribunal, la cour confirmera donc le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur la concurrence déloyale formées tant par la SCPE que par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ;

Sur les actes de parasitisme imputés aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR par la SCPE :

La SCPE fait encore grief aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR d'avoir profité sans bourse délier de ses efforts et d'avoir ainsi eu un comportement parasitaire en se plaçant dans son sillage ;

Elle leur reproche de s'être livré à une campagne d'affichage entièrement calquée sur celle du magazine ENTREVUE, d'avoir placé le magazine FIENTREVUE dans les kiosques aux mêmes emplacements que ses revues ENTREVUE et ENTRECUL et d'avoir commercialisé leur revue au même prix que le leur ;

La SCPE soutient encore que toute la conception, l'édition, la promotion, la diffusion du magazine FIENTRECUL (sic page 53) a été orchestrée de manière à opérer un véritable marquage du hors-série ENTRECUL en décidant une diffusion à la même date et au même prix, dans des emplacements identiques dans les kiosques et en présentant une couverture, des codes graphiques, des titres, des rubriques, des illustrations, des paginations, des sujets polémiques tous identiques au magazine ENTREVUE et à son hors-série ENTRECUL ;

Mais la SCPE ne démontre pas en quoi les manifestations publicitaires, la campagne par voie d'affichage, les articles de presse, les présentations dans les kiosques ou le prix de vente du magazine FIENTREVUE doivent être considérés comme fautifs et seraient susceptibles d'engager la responsabilité civile des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ;

Qu'il est naturel que dans le cadre d'une parodie consistant à imiter un sujet dans le but de le détourner de ses intentions initiales afin de produire un effet comique d'adopter les éléments caractéristiques du sujet en grossissant ses traits ;

Il convient également de replacer les publications dans leur exact contexte dans la mesure où l'excès langagier, l'outrance verbale et picturale et la mauvaise foi assumée constituent les ressorts de telles publications ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ont dans le cadre de leur parodie par conséquent adopté les mêmes méthodes de publicité et d'informations que la SCPE allant jusqu'à proposer un prix de vente identique comme le vrai à celui de l'objet parodié ;

S'agissant de l'emplacement dans les kiosques des revues ENTREVUE, FIENTREVUE et ENTRECUL, cette disposition côte à côte ne saurait être reprochée aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR étant observé que les publications de même nature sont généralement proposées à la vente aux mêmes emplacements chez le kiosquier ;

La SCPE critique également la décision déférée en ce qu'elle a jugé à tort selon elle qu'elle avait publié un hors-série intitulé ENTRECUL destiné à parodier son propre magazine et ainsi à contrer la parution du magazine FIENTREVUE ;

Mais la SCPE, titulaire de droits de propriété intellectuelle, est libre d'exercer ses activités commerciales comme elle l'entend, y compris en diffusant un magazine hors-série chargé de décliner sa propre marque dans un esprit décalé et dérisoire accentué davantage comme elle l'indique, en prévision des vacances ;

La demande fondée sur le parasitisme formée par la SCPE à l'encontre des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR sera par conséquent rejetée ;

Sur les fautes reprochées par les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à la SCPE :

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR soutiennent que le 16 mai 2003, jour de la sommation qu'elles ont adressée à la SCPE, le magazine n'existait pas encore et qu'il n'a été rédigé et édité qu'à la suite de la sommation dans le but exclusif de désorganiser les ventes du journal FIENTREVUE en créant une confusion dans l'esprit du public entre les deux pastiches ;

Mais s'il est certain que le magazine ENTRECUL a été rapidement - dans la précipitation, en toute hâte disent les intimées - improvisé en réponse à la parution imminente du magazine FIENTREVUE au point que les deux revues ont été présentées le même jour dans les kiosques, il n'en demeure pas moins que les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ne sauraient reprocher à la SCPE de pasticher sa propre revue ENTREVUE en utilisant les mêmes ressorts humoristiques qu'elles ;

Demeure la question de savoir si le comportement de la SCPE est fautif, comme les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR le prétendent, en ayant eu pour objectif de désorganiser la diffusion du magazine FIENTREVUE en créant une confusion dans l'esprit du public, et d'étouffer, grâce aux moyens techniques et financiers dont elle dispose et qui lui ont permis de réaliser un journal en quelques jours, le fruit de leur liberté d'expression, mûri grâce au travail et aux efforts intellectuels et créatifs d'un petit groupe, plusieurs mois auparavant ;

Mais la libre entreprise et la liberté de la presse permettent à un éditeur de pasticher sa propre revue, peu important les motifs qui ont provoqué cette décision et alors surtout que la SCPE n'a fait que reprendre aux sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR l'idée de pasticher le magazine ENTREVUE ;

Les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR ne démontrent d'autre part pas que la parution du magazine ENTRECUL concomitamment au magazine FIENTREVUE constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle de la SCPE, la perturbation engendrée par la parution du magazine ENTRECUL au détriment du magazine FIENTREVUE - 150.000 exemplaires imprimés et 120 000 exemplaires vendus - n'étant que la conséquence des effets de la concurrence dans le domaine des journaux humoristiques ;

Sur les autres demandes :

Les demandes en réparation et d'interdiction formées par la SCPE doivent être rejetées tout comme celles des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR fondées sur les dispositions de l'article 1382 du code civil ;

La nature de l'affaire et des relations entre les parties ainsi que l'équité commandent de laisser à chacun des intervenants la totalité des frais qu'ils ont engagés tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Chacune des parties conservera également à sa charge les dépens tant de première instance que d'appel qu'elle a engagé ;

P A R C E S M O T I F S,

Confirme le jugement rendu le 18 mars 2005 par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant à la contrefaçon du dessin et modèle n° 02 48 31 dont la SOCIÉTÉ DE CONCEPTION DE PRESSE ET D'EDITION est titulaire, à l'interdiction sous astreinte et de condamnation in solidum des sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR à des dommages intérêts, au paiement de frais irrépétibles et aux dépens,

Statuant à nouveau,

Dit qu'en réalisant et en diffusant un magazine de couverture, la maquette du sommaire et celle de deux pages intérieures qui reproduisent les dessins et modèles n° 02 4831 dont la Société de Conception de Presse et d'Edition est titulaire, les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR n'ont pas commis des actes de contrefaçon,

Déboute la SOCIÉTÉ DE CONCEPTION DE PRESSE ET D'EDITION et les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR de toutes leurs demandes,

Dit n'y avoir lieu à faire droit aux demandes respectives formées par la SOCIÉTÉ DE CONCEPTION DE PRESSE ET D'EDITION et les sociétés JALONS EDITIONS et COGENOR au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de chacune des parties.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.