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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 15 juin 1981

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bodevin

Conseillers :

M. Thenard, M. Robiquet

Avocat :

Me Mathely

Directeur de l'INPI, du 21 oct. 1980

21 octobre 1980

Les faits

La société SCHLUMBERGER a déposé le 21 septembre 1977 une demande de brevet d’invention n° 77.28.389 ayant pour titre : « Procédé de traitement de données de diagraphie ».

Par décision en date du 21 octobre 1980, le Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle a rejeté cette demande de brevet, en se fondant sur les articles 7 § 3 et 16 § 5 de la loi du 2 janvier 1968 au motif que « l’objet de la demande constitue manifestement une série d’instructions pour le déroulement des opérations d’une machine calculatrice non brevetable aux termes de la loi. »

La société SCHLUMBERGER a formé un recours en annulation de cette décision le 10 novembre 1980.

Discussion

A. – Considérant que l’analyse de la décision attaquée montre qu’elle se fonde, en définitive, sur un double motif :

– l’invention brevetée constitue non pas un procédé industriel mais une méthode abstraite,

– toutes les étapes de l’invention sont mises en œuvre par un programme d’ordinateur,

B. – Considérant qu’il est incontestable que seule doit être prise en considération l’invention dans le dernier état de ses revendications, tel qu’il résulte du dépôt du 27 septembre 1979 et que ces revendications doivent être examinées en fonction de la loi du 2 janvier 1968 avant les modifications de la loi de 1978, application de l’article 45 de ladite loi, s’agissant à l’évidence de questions de fond.

C. – Considérant que l’analyse de la revendication n° 1 de la demande de brevet, qui est la seule à prendre en considération compte tenu du fait que les revendications suivantes ne constituent que des développements de la revendication initiale, montre que l’invention porte sur un procédé d’obtention indirecte pour reconstituer des caractéristiques physiques de formation d’un terrain, présentées sous la forme de l’enregistrement graphique de signaux de mesures, afin de déterminer l’existence de l’importance de gisements pétroliers dans le terrain,

Que le procédé revendiqué comporte six étapes successives, dont certaines impliquent incontestablement la mise en œuvre de programmes d’ordinateurs mais que toute la description du brevet ne se ramène pas à un traitement d’informations par ordinateurs ; que la revendication comporte également des mesures concrètes relevées dans les forages de référence et d’exploitation et l’obtention d’un résultat qui est la mesure matérielle de caractéristiques physiques se traduisant par l’obtention de courbes donnant les mesures aux différentes profondeurs des forages d’exploitation,

D. – Considérant qu’il résulte de cette analyse que la demande a donc pour objet une manière d’opérer, c’est-à-dire un procédé au sens du droit ; que ce procédé à un caractère industriel

– dans son objet, puisqu’il se situe dans l’industrie et la prospection pétrolière,

– dans son application, puisqu’il ne consiste pas dans une formule abstraite, mais dans une succession d’étapes concrètes, matériellement exécutées,

– dans ses résultats, puisqu’il permet d’obtenir la représentation des caractéristiques physique d’une formation de terrains, ce qui est un effet technique et industriellement utilisable,

F. – Considérant que, certes, comme l’a retenu le Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle, la demande met en jeu des programmes d’ordinateurs, mais qu’elle ne se borne nullement à ce seul objet.

Que la disposition légale qui proscrit la brevetabilité des programmes d’ordinateurs est une disposition exceptionnelle qui doit faire l’objet d’une interprétation restrictive ; que, certes, les modifications intervenues à ce sujet en 1978, précisant que seuls les programmes d’ordinateurs pris en tant que tels sont exclus, ne sont pas applicables en l’espèce, ainsi qu’il l’a été dit ci-dessus et comme le souligne à juste titre le Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle dans ses dernières observations, mais que les précisions données dans ladite loi explicitent seulement la volonté du législateur sur ce point,

Considérant qu’un procédé ne peut être privé de la brevetabilité pour le seul motif qu’une ou plusieurs de ses étapes sont réalisées par un ordinateur devant être commandé par un programme ; qu’une telle solution aboutirait, en effet, à exclure du domaine de la brevetabilité la plupart des inventions importantes récentes qui nécessitent l’intervention d’un programme d’ordinateur et qu’une telle solution aboutirait à des résultats aberrants sur le plan pratique,

G. – Considérant dès lors que ne peut être retenue l’argumentation selon laquelle ne peut constituer une invention industrielle brevetable un programme d’ordinateur, sans qu’il y ait lieu de distinguer si celui-ci peut ou non permettre d’obtenir un résultat industriel ; qu’en effet, tel n’est nullement le cas en l’espèce, les programmes d’ordinateurs n’intervenant que dans la mise en œuvre de certaines étapes du procédé revendiqué dans l’invention,

H. – Considérant dès lors que ce n’est qu’à titre surabondant qu’il convient de retenir également que l’article 16 § 5 de la loi du 2 janvier 1968 ne donne au Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle le pouvoir de rejeter une demande de brevet que dans le seul cas où l’objet de celui-ci est manifestement dépourvu de caractère industriel ; que l’insertion dans la loi de cet article a pour objet d’exclure les inventions totalement fantaisistes, dont apparaît à l’évidence le défaut de caractère industriel, sans qu’il y ait contestation sérieuse ; qu’en l’espèce, compte tenu du très haut degré de technicité de l’invention, il serait pour le moins hardi de soutenir que le défaut de caractère industriel est « manifeste »,

I. – Considérant, en définitive, que l’invention brevetée consiste dans un procédé industriel et non dans une méthode abstraite et qu’elle ne porte pas sur un programme d’ordinateur exclu par le législateur de la brevetabilité ; que, dès lors, il y a lieu d’infirmer la décision du Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle en date du 21 octobre 1980,

DECISION

En la forme :

Reçoit la société SCHLUMBERGER en son recours en annulation,

Au fond : l’y déclare bien fondée et annule en conséquence la décision du Directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle du 21 octobre 1980 rejetant la demande de brevet n° 77.28389 déposée le 21 septembre 1977,

Dit que le Secrétaire-Greffier de cette Cour devra dans les huit jours notifier par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le présent arrêt tant à la société SCHLUMBERGER qu’à l’Institut National de la Propriété Industrielle.