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Décisions

Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.024

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

Me Foussard, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray

Bordeaux, du 9 déc. 2013

9 décembre 2013

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... et M. Y... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts formées contre M. Z... alors, selon le moyen :

1°) qu' aux termes de son arrêt du 9 mai 2010, la cour d'appel de Bordeaux ayant constaté l'existence d'actes de contrefaçon, a interdit la production de tout accordéon en carbone et que cette interdiction, dans le dispositif même de l'arrêt, a visé, non seulement la société Accordiola, mais également M. Z... ; que dans leurs conclusions d'appel, M. X... et M. Y... soutenaient que M. Z..., visé personnellement par l'injonction, avait commis une faute pour avoir contrevenu à l'ordre du juge ; qu'à partir du moment où ce dernier était visé par l'injonction, tout manquement lui était personnellement imputable sans qu'il y ait lieu de savoir s'il intervenait en tant que gérant de la société Accordiola, et si une faute détachable de ses fonctions de gérant pouvait être relevée à son encontre ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 19 mai 2010 et violé ainsi les articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil ;

2°) que, si même il fallait faire abstraction de la violation des règles de la chose jugée, le fait pour M. Z..., personnellement visé par l'injonction du juge, d'enfreindre l'ordre qui lui était adressé, était révélateur d'une faute au sens de l'article 1382 du code civil dont il devait répondre ; qu'en décidant le contraire, pour rejeter la demande de dommages-intérêts dirigée contre M. Z..., les juges du fond ont violé l'article 1382 du code civil ;

3°) que, si l'arrêt ne pouvait pas, par impossible, être censuré pour violation de la loi, il devrait l'être, à tout le moins, faute pour les juges du fond d'avoir recherché si l'infraction à l'ordre du juge, qui lui était personnellement adressée, n'était pas de nature à révéler une faute personnelle dont il devait personnellement répondre, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4°) qu'à partir du moment où, dans son arrêt du 19 mai 2010, la cour d'appel de Bordeaux, sans s'arrêter à une éventuelle contestation relative au point de savoir si le brevet était tombé dans le domaine public en 2006, a décidé qu'il convenait, pour la période postérieure à sa décision, d'interdire à M. Z... de fabriquer des accordéons en carbone, l'arrêt devait être appliqué tel qu'il a été écrit ; qu'en opposant que le brevet est tombé dans le domaine public à compter du 13 janvier 2006, les juges du fond ont méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 19 mai 2010 et violé partant les articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil ;

5°) que les juges du fond n'ont pas recherché en tout état si, conformément à l'article L. 611-2, alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, le brevet ne devait pas être regardé comme d'une durée de 20 ans à compter du jour du dépôt de la demande ; que de ce point de vue, l'arrêt doit être censuré pour défaut de base légale au regard de l'article L. 611-2, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'il résulte des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 19 mai 2010, éclairant la portée de son dispositif, que l'interdiction de fabriquer des accordéons contrefaisants ne visait que la société Accordiola, seul auteur des actes de contrefaçon, de sorte que c'est en sa qualité de gérant de cette société que l'interdiction avait été étendue à M. Z... ; qu'il suit de là qu'en énonçant que la responsabilité de ce dernier ne pouvait être engagée, conformément à l'article L. 223-22 du code de commerce, qu'à la condition qu'il fût démontré qu'il avait commis une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel n'a fait que tirer les conséquences légales de cet arrêt, dont elle n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée, et, par ces seuls motifs, abstraction faite de tous autres surabondants, a légalement justifié sa décision ; qu'inopérant en sa dernière branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que MM. X... et Y... font le même grief à l'arrêt alors selon le moyen, que, avant de se prononcer sur le point de savoir si le dirigeant commet une faute détachable, permettant d'engager sa responsabilité personnelle, il importe que les juges du fond identifient correctement le manquement invoqué ; qu'en l'espèce, il est constant, et formellement constaté par l'arrêt du 19 mai 2010, qu'indépendamment de sa zone d'emploi, l'invention de M. X... était manifestement créatrice, à raison de l'innovation technologique que constituait le recours au procédé carbone dans la fabrication d'instruments tels que les accordéons, sachant que cette innovation était le fruit de plusieurs années de recherches ; qu'en se bornant à évoquer les zones d'application de cette technique quand la seule question posée concernait le point de savoir si le dirigeant d'une entreprise spécialisée dans la fabrication d'instruments de musique ne commettait pas une faute, détachable de ses fonctions, en recourant délibérément à l'innovation que constituait l'emploi du carbone, les juges du fond, qui n'ont pas procédé à la seule recherche qui était pertinente, ont privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce ;


Mais attendu qu'ayant relevé que l'accordéon fabriqué par la société Accordiola différait des revendications du brevet européen et que la ressemblance concernait essentiellement l'utilisation du carbone dans certains de ces éléments, l'arrêt retient que M. Z... a pu penser que les différences de structures entre l'accordéon produit par la société Accordiola et celui, objet du brevet, excluaient toute contrefaçon ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, dont elle a déduit que la responsabilité du gérant ne pouvait être retenue, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisième et quatrième moyens, réunis :

Sur la recevabilité du moyen, en ce qu'il est invoqué par M. Y..., contestée par la défense :

Attendu que M. Y... n'ayant formé en cause d'appel aucune demande à l'encontre de la société Accordiola, à la procédure de laquelle il n'a pas déclaré sa créance, ce moyen, en tant qu'il le concerne, n'est pas recevable ;

Et sur le moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de fixer la créance au passif de la société Accordiola à la somme de 5 000 euros alors, selon le moyen :

1°) que, pour fixer à 5 000 euros le montant de la réparation, les juges du fond n'ont fait état que de la perte de chance subie par M. X... d'obtenir notamment des gains d'exploitation et une rémunération de gérant quand M. X... se prévalait d'un préjudice moral découlant du fait même de l'atteinte portée à sa création ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont violé les articles 1382 du code civil et L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) que faute de s'expliquer sur le préjudice moral découlant de l'atteinte portée à sa création, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard des articles L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil ;

3°) que, pour contester les conclusions de l'expert, M. X... faisait valoir que diverses factures examinées par l'expert ne lui avaient pas été communiquées ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce moyen, qui était de nature à jeter le discrédit sur les conclusions de l'expert, les juges du fond ont entaché leur décision d'un défaut de réponse à conclusions violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) que, pour contester les conclusions de l'expert, M. X... faisait également valoir que des factures communiquées n'avaient pas été comptabilisées ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont de nouveau entaché leur décision d'un défaut de réponse à conclusions violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) que, M. X... faisait valoir qu'à défaut d'éléments probants produits par la société Accordiola, il convenait pour le juge d'user de la faculté d'accorder une somme forfaitaire à titre d'alternative ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur cette forme de réparation formellement prévue par l'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard de ce texte ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé que le préjudice subi par M. X..., qui n'exploite plus le brevet sur lequel il dispose d'une licence, pour des motifs en partie liés à l'exploitation de ce brevet durant la période considérée par une société tierce dans le cadre d'actes de contrefaçon, s'analyse en une perte de chance de l'exploiter lui-même et en un préjudice moral, la cour d'appel a évalué la perte de chance puis retenu que le préjudice global ainsi subi, du fait notamment de cette perte de chance, serait réparé par une certaine somme ; qu'ainsi, la cour d'appel a tenu compte du préjudice moral, qu'elle a souverainement apprécié ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que les comptes de la société Accordiola, présentés par un expert-comptable, et les factures relatives aux structures carbone ont permis à l'expert judiciaire d'évaluer à deux cent quarante-neuf le nombre d'accordéons contrefaisants vendus sur la période en cause, en retenant le chiffre le plus favorable aux demandeurs, l'arrêt en déduit qu'il y a lieu de retenir les conclusions, précises et concordantes, de l'expert judiciaire ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, répondant aux conclusions prétendument délaissées et rendant inopérante la recherche invoquée à la dernière branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal que provoqué ;

Condamne M. X... et M. Y... aux dépens.