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Décisions

Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-10.189

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

Me Bertrand, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin

Paris, du 11 déc. 2012

11 décembre 2012

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Novartis font grief à l'arrêt d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête qui avait accueilli leurs demandes, alors, selon le moyen, que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et bserver lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut dès lors soulever d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'au cas présent, les sociétés Sanofi se bornaient à prétendre, pour justifier l'infirmation de l'ordonnance entreprise, que leur propre médicament générique ne constituerait pas une contrefaçon du certificat complémentaire de protection de Novartis, dès lors que ledit médicament générique était constitué d'une combinaison du Valsartan et d'un autre principe actif, le HCTZ ; qu'en revanche, les sociétés Sanofi ne contestaient pas l'existence de circonstances justifiant qu'il ait été dérogé au contradictoire, par l'ordonnance sur requête du 27 octobre 2011 ; qu'en soulevant expressément « d'office » la question de savoir si les circonstances de l'espèce justifiaient que les mesures requises aient été prises par une ordonnance sur requête rendue non contradictoirement, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu que, saisie d'une demande de rétractation d'une ordonnance rendue sur requête, la cour d'appel, qui n'a pas relevé d'office un moyen de droit en procédant à la vérification de la régularité de la saisine du premier juge, n'était pas tenue d'inviter les parties à présenter leurs observations ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les sociétés Novartis font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°) qu'aux termes de l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi 2007-1544 du 29 octobre 2007 de transposition de la Directive 2004/48/CE, la juridiction civile compétente peut ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur ; qu'en considérant que l'hypothèse d'un retard de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur pourrait ne pas suffire, en soi, à justifier le recours à la procédure d'ordonnance sur requête, la cour d'appel a violé l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) que le certificat complémentaire de protection délivré pour le produit compris dans les médicaments ayant donné lieu à une autorisation de mise sur le marché, est conféré au titulaire d'un brevet européen pour compenser, au moins partiellement, la perte d'exploitation subie pendant la période séparant le dépôt de la demande de brevet de l'autorisation de mise sur le marché, cette perte d'exploitation étant jugée de nature à empêcher l'amortissement des investissements effectués dans la recherche ; qu'au cas présent, pour retenir que le défaut d'interdiction provisoire immédiate de la diffusion des médicaments génériques de Sanofi n'aurait pas causé un préjudice irréparable à Novartis, la cour d'appel a retenu que « les investissements effectués pour découvrir le produit princeps ont été compensés par la protection accordée par le brevet et le CCP pendant plusieurs années » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ouvertement méconnu la raison d'être du certificat complémentaire de protection, a violé les articles 2, 3, 4 et 5 du Règlement n° 469/2009 du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments ;

3°) que la juridiction civile compétente peut ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur ; que constitue d'abord un préjudice irréparable celui qui n'est pas, ou très difficilement, évaluable en argent ; qu'au cas présent, les sociétés Novartis avaient fait valoir dans leur requête que, si Sanofi était laissé libre de distribuer ses médicaments contrefaisants ne serait-ce que pendant les dix-sept jours séparant la date de présentation de la requête de l'expiration du certificat complémentaire de protection, il s'en suivrait une perte anticipée, pour Novartis, de parts de marché en France, une baisse accélérée du prix de ses médicaments comprenant du Valsartan en France puis, rapidement, dans l'Union européenne, le lancement d'autres médicaments génériques et le développement d'importations parallèles, ainsi qu'un effet de désincitation à l'innovation chez Novartis, sans compter une perturbation du traitement des patients ; qu'en considérant que ce préjudice pourrait « se résoud(re) en dommages-intérêts » , cependant que sa teneur rendait très difficile voire impossible toute évaluation, la cour d'appel a violé les articles 9-4 de la Directive n° 2004/48/CE et L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) que constitue également un préjudice irréparable celui qui est d'une ampleur ou d'une gravité telle que l'octroi de dommages-intérêts à la victime n'est pas de nature à la remettre dans la situation qui était la sienne avant la survenance de la faute, l'adoption de mesures permettant, en amont, d'empêcher ou de cantonner la réalisation du dommage apparaissant alors comme la meilleure manière de traiter ce type de cas ; qu'au cas présent, les sociétés Novartis avaient fait valoir dans leur requête que, si Sanofi était laissé libre de distribuer ses médicaments contrefaisants ne serait-ce que pendant les dix-sept jours séparant la date de présentation de la requête de l'expiration du certificat complémentaire de protection, il s'en suivrait une perte anticipée, pour Novartis, de parts de marché en France, une baisse accélérée du prix de ses médicaments comprenant du Valsartan en France puis, rapidement, dans l'Union européenne, le lancement d'autres médicaments génériques et le développement d'importations parallèles, ainsi qu'un effet de désincitation à l'innovation chez Novartis, sans compter une perturbation du traitement des patients ; qu'en considérant que le dommage décrit pourrait se résoudre en dommages-intérêts, de sorte qu'il ne serait pas irréparable, la cour d'appel, qui a négligé la circonstance qu'une perte de part de marché, une guerre des prix, des importations parallèles et la désincitation à l'innovation ne sont pas réparables par l'octroi de dommages-intérêts, et sont donc « irréparables », a violé les articles 9-4 de la Directive n° 2004/48/CE et L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que le CCP venait à expiration dix-sept jours après la présentation de la requête, l'arrêt relève qu'il était encore possible le 27 octobre 2011 d'obtenir, avant le 13 novembre 2011, une décision du juge en respectant le principe de la contradiction, par la voie du référé d'heure à heure ou à une date très rapprochée en se prévalant de l'urgence ; qu'après avoir également relevé qu'il existait un doute sur la commercialisation imminente des produits en cause à la date de présentation de la requête, il retient que le préjudice, qui résulterait de la mise sur le marché des génériques dix-sept jours avant l'expiration du CCP, était susceptible d'être réparé par l'allocation de dommages-intérêts ; que de ces constatations et appréciations souveraines, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que les circonstances exigeant que les mesures urgentes prévues par l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle soient prises de manière non contradictoire n'étaient pas réunies ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches :

Attendu que les sociétés Novartis font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°) que le juge peut ordonner des mesures si les éléments de preuve raisonnablement accessibles au demandeur rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ; que ladite atteinte peut résulter de la détention, issue d'une importation ou d'une fabrication, de médicaments contrefaisants, indépendamment même de la perspective d'une commercialisation à venir ; qu'au cas présent, les sociétés Novartis produisaient le procès-verbal d'une visite dans les locaux de la société Sanofi Winthrop Industrie faisant apparaître la présence de palettes de médicaments génériques contenant du Valsartan en association avec de l'HCTZ, ce dont les exposantes déduisaient une atteinte à leurs droits ; qu'en relevant que, dès lors qu'elles étaient dépourvues de destinataires, ces palettes étaient de nature à laisser planer un « doute sur la commercialisation imminente de produits en question », sans rechercher si lesdites palettes ne constituaient pas la preuve d'une atteinte vraisemblable aux droits de Novartis, du fait de la détention de médicaments contrefaisants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) que le responsable de la société Sanofi Winthrop industrie avait, selon les constatations de l'huissier ayant procédé à la saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société, affirmé que « les quantités figurant sur les fiches de stock sont sujettes à variation, en fonction des commandes en cours, ce produit étant déjà commercialisé » ; qu'en affirmant que, aux termes dudit procès-verbal, « il peut exister un doute sur la commercialisation imminente des produits en question », cependant que le responsable de Sanofi Winthrop Industrie faisait lui-même état d'une commercialisation passée effective, la cour d'appel a dénaturé ledit procès-verbal, en violation de l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu que les conditions requises pour procéder de manière non contradictoire n'étaient pas réunies, le moyen est inopérant ;

Et attendu que le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième et septième branches, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Novartis AG et Novartis Pharma aux dépens.