CA Paris, 4e ch., 17 septembre 1999, n° M19990650
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CAVIAR PETROSSIAN (SA)
Défendeur :
UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D'ISIGNY SUR MER ET SAINTE MERE L'EGLISE (Sté)
FAITS ET PROCEDURE :
Dans des circonstances exactement relatées par les premiers juges, la société CAVIAR PETROSSIAN titulaire de la marque figurative CAVIAR PETROSSIAN ci-après représentée : enregistrée en renouvellement en 1990 sous le n° 1 620 358 pour désigner les poissons, viandes, conserves alimentaires, produits relevant de la classe 29, avait attrait devant le tribunal de grande instance de Paris, par acte du 11 janvier 1994, L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY SUR MER et SAINTE MERE L’EGLISE et Mme Florence ETAVE, exerçant la profession d’agent de relations publiques, auxquelles elle reprochait d’avoir à l’occasion du lancement d’un produit dit « Beurre au caviar » dans un emballage à couvercle bleu qui aurait imité ses propres conditionnements, diffusé auprès du vingt journalistes conviés le 14 septembre 1993 à un « déjeuner de presse » un ektachrome figurant une composition au sein de laquelle apparaissait une boîte de caviar PETROSSIAN, puis d’avoir, le 22 septembre, distribué, après ses protestations, un second ektachrome comportant la même boîte dont le couvercle avait été relevé mais aurait permis néanmoins d’identifier son produit, et d’avoir ainsi commis à son préjudice des actes de contrefaçon de marque, d’atteinte à sa dénomination sociale, de publicité mensongère et de concurrence déloyale. Outre les mesures habituelles d’interdiction, de confiscation et de publication, elle réclamait que ses adversaires soient condamnées in solidum à lui payer la somme 1 000 000 F à titre de dommages intérêts et une indemnité de 50.000 F pour ses frais irrépétibles. Les défenderesses qui avaient reconventionnellement réclamé l’annulation de la marque n 1 620 358 au motif qu’ayant été déposée pour désigner des produits autres que le caviar elle était de nature à tromper le public, avaient conclu au rejet des demandes de CAVIAR PETROSSIAN et avaient sollicité l’allocation d’indemnités au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY avait demandé subsidiairement que Mme E soit condamnée à la garantir de toutes condamnations. Dans son jugement du 10 janvier 1996, le tribunal avait rejeté la demande de nullité de la marque invoquée, dit que la publicité incriminée comportant la reproduction de cette marque en constituait la contrefaçon et avait porté atteinte à la dénomination social de la société demanderesse, estimé que les éléments constitutifs de la publicité mensongère et de la concurrence déloyale n’étaient pas réunis, fixé à un franc symbolique le montant des dommages intérêts alloués à la demanderesse, au motif que la diffusion du cliché litigieux avait cessé dès la mise en demeure et n’avait pas dépassé le cercle des 20 journalistes invités au déjeuner de presse organisé par Mme E, rejeté les demandes d’interdiction, de confiscation et de publication, condamné Mme E à garantir L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY, alloué à CAVIAR PETROSSIAN pour ses frais irrépétibles une indemnité de 10.000 F à la charge in solidum de ses adversaires. Par acte du 22 avril 1996 CAVIAR PETROSSIAN a interjeté appel. Elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de sa marque, dit que ses adversaires avaient contrefait celle-ci et qu’elles avaient porté atteinte à sa dénomination sociale, et en ce qu’il les a condamnées au paiement de la somme de 10.000 F par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Poursuivant la réformation pour le surplus, elle prie la cour :
- de dire que la seconde photographie diffusée par Mme E constitue également la reproduction de sa marque et une atteinte à sa dénomination sociale,
- de dire qu’en présentant la boîte CAVIAR PETROSSIAN dans laquelle n’est vendu que du caviar russe pour présenter un produit contenant du caviar iranien, les intimées ont commis des actes de publicité mensongère, et qu’elles se sont également rendues coupables de concurrence déloyale par la ressemblance entre le conditionnement de leur produit et la boîte de CAVIAR PETROSSIAN,
- de les condamner au paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages intérêts.
- de leur faire interdiction sous astreinte de poursuivre les actes incriminés et d’ordonner trois mesures de publication,
- de les condamner in solidium au paiement de la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles. L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY, ayant formé appel incident, poursuit la réformation du jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de la marque 1 620 358, en ce qu’il a dit qu’elle avait commis des actes de contrefaçon de cette marque ainsi que d’atteinte à la dénomination sociale de l’appelante, et en ce qu’il l’a condamnée au paiement de dommages intérêts et d’une indemnité par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle prie la Cour de déclarer nulle la marque CAVIAR PETROSSIAN et de débouter CAVIAR PETROSSIAN de toutes ses demandes. Subsidiairement, elle sollicite la confirmation du jugement et réclame une indemnité de 20.000 F pour ses frais non taxables de procédure. Mme E poursuit la réformation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande en nullité de la marque invoquée, et en ce qu’il l’a condamnée pour contrefaçon et atteinte à la dénomination sociale de CAVIAR PETROSSIAN. Elle réclame que celle-ci soit déboutée de toutes ses prétentions et condamnée à lui payer 20.000 F pour ses frais irrépétibles.
DECISION
I – SUR LA DEMANDE DE NULLITE DE LA MARQUE CAVIAR PETROSSIAN
Considérant que la marque complexe CAVIAR PETROSSIAN n 1 620 358 a été enregistrée pour désigner des poissons, viande, et conserves alimentaires.
Considérant que L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY et Mme E reprennent devant la cour leur argumentation tendant à voir dire que cette marque doit être annulée comme déceptive ; que L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY soutient « qu’au moment du dépôt de sa marque CAVIAR PETROSSIAN aurait du limiter la liste des produits désignés au seul caviar. .., qu’à défaut la marque doit être annulée par application de l’article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle…, qu’il suffit que la tromperie soit possible pour que soit appliquée l’interdiction…, qu’il est certain qu’appliquée à d’autres produits que du caviar, et notamment à des produits similaires tels que par exemple des œufs de lump, cette marque est parfaitement susceptible de causer une tromperie » ; Considérant que le tribunal a rejeté cette demande, en relevant que « la marque n’est pas trompeuse pour désigner du caviar, et que le client d’attention moyenne qui achète d’autres produits revêtus de la marque ne peut être induit en erreur sur leur nature dès lors que ces produits vendus dans les épiceries de luxe sont accessoires ou complémentaires du caviar et que la marque correspond depuis 30 ans à la dénomination sociale de CAVIAR PETROSSIAN qui s’est fait un nom dans le commerce du caviar » ;
Mais considérant que ce raisonnement ne peut pas être approuvé ; que si la loi énoncé que le caractère distinctif d’une marque peut être acquis par l’usage, elle ne permet pas en revanche d’apprécier autrement qu’au regard du dépôt même, le vice éventuel de déceptivité ; qu’en ce qu’elle est susceptible de désigner des œufs de poisson autres que le caviar, et de tromper à cet égard les acheteurs, la marque invoquée apparait déceptive ; qu’elle sera annulée, par réformation du jugement en ce qu’elle désigne ces produits -étant observé que CAVIAR PETROSSIAN est fondée à soutenir, que compte tenu de la nature des autres produits désignés parmi les poissons, viandes et conserves alimentaires, sa marque n’est pas susceptible en erreur le consommateur ;
Considérant que cette annulation de la marque invoquée, limitée aux produits ci-dessus mentionnés, n’affecte pas pour le surplus l’issue du présent litige où est en cause la reproduction de la marque appliquée aux caviars vendus par la société appelante ;
II – SUR LA CONTREFAÇON DE MARQUE ET L’ATTEINTE A LA DENOMINATION SOCIALE
Considérant que CAVIAR PETROSSIAN incrimine deux photographies successivement diffusées dans le cadre du dossier de presse destiné à la promotion du « beurre au caviar » ; Que la première photographie représente une table de fêtes ornées de divers produits, beurre au caviar, huîtres, saumon fumé, toasts et au premier plan sur la gauche une boîte de caviar de couleur bleue entrouverte dont le couvercle est disposé de telle manière qu’on distingue l’emblème et la dénomination de la marque CAVIAR PETROSSIAN ; Que cette première photographie remise à vingt journalistes n’a pas été publiée dans la presse, Mme E ayant adressé à ses correspondants un nouvel ektachrome, où la boîte de caviar est placée en arrière-plan sur la droite de la photo, disposée de telle manière que l’inclinaison du couvercle empêche de distinguer la marque invoquée ; que toutefois sur la tranche de la boîte peuvent être déchiffrés lorsque la photographie est agrandie au format 21x27, les mots CAVIAR PETROSSIAN PARIS ; Considérant que le tribunal a estimé que :
- même si la première photographie n’avait fait l’objet d’aucune parution dans la presse et si sa diffusion n’avait pas dépassé le cercle des 20 journalistes qui en avaient été destinataires, elle comportait la reproduction de la marque invoquée, et portait atteinte à la dénomination sociale de la société CAVIAR PETROSSIAN,
- la seconde photographie, ayant donné lieu à des reproductions dans quatre organes de presse en octobre, novembre et décembre 1993, ne reproduisait pas la marque, le couvercle étant soulevé de manière à la rendre invisible ;
Considérant que contrairement à ce que prétendent les intimées la circonstance que le premier ektachrome n’ait jamais été publié dans la presse n’empêche pas qu’il a été diffusé auprès de 20 journalistes et que dès lors qu’il comporte la reproduction de la marque complexe appartenant à CAVIAR PETROSSIAN, il en constitue la contrefaçon, de même qu’il porte atteinte à la dénomination sociale de l’appelante ;
Considérant que si le second ektachrome ne permet pas de voir le sommet du couvercle de la boîte de caviar où figure la marque invoquée, sa reproduction à grande échelle qui a été versée aux débats permet de distinguer sur la tranche de la boîte les mots « CAVIAR PETROSSIAN PARIS » ; qu’il constitue de la sorte, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, une reproduction de la partie dénominative de la marque complexe invoquée et une atteinte à la dénomination sociale de l’appelante ;
III – SUR LA PUBLICITE MENSONGERE ET LA CONCURRENCE DELOYALE
Considérant que le tribunal a justement écarté les griefs de publicité mensongère et de concurrence déloyale avancés par CAVIAR PETROSSIAN ; que si le premier ektachrome a été remis à 20 journalistes (qui, quelques jours après, ont été invités par Mme E à la détruire) il n’a pas été effectivement utilisé à des fins publicitaires ; que sur les quatre publications qui ont été faites dans la presse du second ektachrome, la mention CAVIAR PETROSSIAN n’est pas effectivement visible par le public compte tenu de la taille très réduite des illustrations (de format « vignettes ») ; que CAVIAR PETROSSIAN qui ne peut prétendre à des droits privatifs sur la forme de sa boîte de caviar et sur sa couleur en dehors de la représentation graphique particulière qui la caractérise ne démontre pas l’existence des agissements de concurrence déloyale qu’elle allègue alors en outre que, comme l’a souligné le tribunal, en dehors des quatre publications déjà mentionnées, il n’a €été utilisé pour la campagne publicitaire sur le « beurre au caviar » qu’une troisième photographie où ne figure aucune boîte de caviar ;
IV – SUR LES MESURES REPARATRICES
Considérant que les faits de contrefaçon et d’atteinte à la dénomination sociale que le tribunal n’a retenu qu’en ce qui concerne le premier ektachrome, doivent l’être également en ce qui concerne le second ektachrome ; qu’en l’état de cette réitération, malgré les mises en garde de CAVIAR PETROSSIAN, l’appréciation faite du préjudice, estimé purement symbolique par les premiers juges, ne peut pas être maintenue ; que si la demande en paiement d’une somme de 1 million de francs réitérée en appel par CAVIAR PETROSSIAN n’est assortie d’aucune espèce de justification et est manifestement très exagérée, la cour dispose d’éléments suffisant pour fixer à 30 000 F le montant des dommages intérêts qui répareront le préjudice de l’appelante ; Considérant que les mesures d’interdiction et de publication sollicitées n’apparaissent pas nécessaires dans les circonstances de la cause ;
Considérant que l’équité n’exige pas qu’il soit fait droit en appel aux demandes formées par l’une ou l’autre des parties au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement entrepris sauf sur le rejet de la demande d’annulation de la marque CAVIAR PETROSSIAN et sur le montant des dommages intérêts ; Réformant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant : Annule comme déceptive la marque CAVIAR PETROSSIAN n° 1 320 658 en ce qu’elle désigne les oeufs de poisson autres que le caviar ; Condamne in solidum L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY SUR MER et SAINTE MERE L’EGLISE et Mme E à payer à la société CAVIAR PETROSSIAN la somme de 30 000 F à titre de dommages intérêts ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum L’UNION DES COOPERATIVES LAITIERES D’ISIGNY SUR MER et SAINTE MERE L’EGLISE et Mme E aux dépens d’appel ; Admet la SCP FISSELIER au bénéfice des dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.