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Décisions

Cass. com., 12 janvier 1999, n° 96-14.604

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Société financière de gestion et de services (SA), Cholet gestion service (SARL), Els industrie (SA), Hall des sports (SA), Hyper Auto (SCI), Les Clairs de Lune de Saint-Etienne de Montluc (SCI), Prairie du Duc (SCI), Rue des jardins (SCI), Société de Location et de Distribution de Véhicules de Loisirs (SA)

Défendeur :

Compagnie de Suez (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Métivet

Avocat général :

M. Raynaud

Avocat :

SCP Célice, Blancpain et Soltner

Paris, 1re ch. C, du 18 janv. 1996

18 janvier 1996

Donne acte à M. C de sa reprise d'instance au lieu et place de Mme Marie-Claude Duval, ès qualités ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 1996), qu'au printemps 1989, des négociations se sont engagées entre les sociétés SNC Sofiroute, filiale à 100 % de la Compagnie La Hénin, et les diverses entités détenues ou contrôlées par les consorts Z en vue de leur association éventuelle et de l'entrée de la SNC Sofiroute dans le capital de ces dernières ; que le 11 septembre 1990, alors que plusieurs réunions s'étaient déjà déroulées et que des documents avaient été échangés, la SNC Sofiroute a signifié à ses partenaires la rupture des pourparlers ; que le 22 mars 1994, un arbitre a rendu une sentence rejetant les prétentions de la Société financière de gestion et de services (SOFIGES) et des autres entités contrôlées par les consorts Z, tendant à voir la Compagnie de Suez, venant aux droits de la Compagnie La Hénin, elle-même venant aux droits de la SNC Sofiroute, condamnée à des dommages-intérêts en réparation des préjudices qu'elles estimaient avoir subis ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Sofiges et les autres demandeurs font grief à l'arrêt du rejet de leurs prétentions, alors, selon le pourvoi, que la faute d'une partie aux pourparlers peut également se trouver caractérisée lorsque cette partie a décidé de rompre ces pourparlers, tout en sachant pendant leur durée et eu égard à l'objet du contrat envisagé, que l'autre partie serait nécessairement amenée à perdre sa totale liberté de manoeuvre dans le cadre de la gestion de ses entreprises, afin de réaliser les conditions préparatoires auxquelles serait en définitive subordonnée la réussite de l'opération prévue ; que la société Sofiroute et la Compagnie La Hénin avaient connaissance des opérations préparatoires réalisées par le Groupe Z, tant au niveau de sa structure juridique qu'au niveau de sa politique commerciale ; que cette connaissance étant bien de nature à conférer un caractère fautif à la décision ultérieure de rupture de pourparlers, pour un motif dont la légitimité éventuelle n'était liée qu'à des considérations purement internes au Groupe La Hénin et qui traduisait un changement brutal de stratégie totalement imprévisible pour le Groupe Z ; que la société Sofiroute et la Compagnie La Hénin qui ont rompu abusivement les pourparlers qu'ils avaient entrepris avec ce dernier, ont ainsi engagé leur responsabilité délictuelle en vertu des dispositions de l'article 1382 du Code civil ; qu'en énonçant au contraire, que la société Sofiroute et la Compagnie La Hénin n'avaient commis aucune faute et n'avaient fait qu'user de la liberté dont ils disposaient de ne pas contracter, l'arrêt attaqué a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève notamment qu'au moment où la rupture a été signifiée, le 11 septembre 1990, les négociations qui n'étaient engagées que depuis le mois de mars précédent étaient très loin d'aboutir, puisque si les parties étaient bien d'accord sur l'opportunité d'un partenariat, elles n'avaient encore défini ni le prix, ni les objectifs, que le plan de développement n'était pas ébauché, que ni la conclusion du pacte d'actionnaire, ni la possibilité pour la Compagnie La Hénin de contrôler les sociétés détenues par les consorts Z n'avaient été discutées et que rien n'avait été décidé non plus en ce qui concerne les SCI et la vente éventuelle de leurs biens ; que les consorts Z, qui sont des professionnels avertis et qui ne pouvaient ignorer qu'à ce stade de nombreux obstacles restaient à franchir avant de parvenir à un accord définitif ni surtout que l'aboutissement du projet était étroitement lié à la conjoncture économique du moment, ne sauraient donc prétendre que les négociations étaient sur le point d'aboutir et que leur rupture brutale a été fautive alors qu'elle est intervenue à un moment où les parties en étaient encore à évaluer les risques et les chances du contrat envisagé sans d'ailleurs disposer de tous les éléments nécessaires à la décision et qu'elles étaient donc libres de tout remettre en cause sans avoir à fournir de justification légitime ; que les consorts Z n'établissent pas que la société Sofiroute serait intervenue, pendant les négociations, dans la gestion de leur groupe, et que si pendant cette période leurs choix stratégiques ont pu être influencés par la perspective du partenariat alors envisagé, l'arbitre a retenu à bon droit qu'ils avaient, ce faisant, délibérément pris un risque qu'ils devaient assumer en "pariant" sur la réussite des négociations engagées ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Sofiges et les autres demandeurs font grief à l'arrêt du rejet de leur prétentions, alors, selon le pourvoi, que les accords de principe qui sont des engagements contractuels de poursuivre une négociation en cours afin d'aboutir à la conclusion du contrat dont l'objet n'est encore pas déterminé, font naître des obligations de négocier à la charges des parties qui en sont signataires ; que l'arrêt attaqué qui a constaté l'existence de l'accord d'entrée en négociation, a énoncé que cet accord avait prévu des objectifs et un calendrier ; que même si ce programme n'a pas été strictement suivi en raison de certaines difficultés qui en ont retardé l'exécution, il existait bien au jour de la signature de ce procès-verbal du 20 mars 1990, un accord de négociation dont la rupture ne pouvait plus être prononcée unilatéralement pour des motifs étrangers à l'existence d'un désaccord entre les parties sur le contenu des négociations engagées ; qu'en énonçant au contraire que le procès-verbal du 20 mars 1990 dont il avait relevé l'existence, n'emportait aucune obligation de mener ces pourparlers à leur terme et qu'aucune faute n'était ainsi caractérisée à la charge de la société Sofiroute et de la Compagnie La Hénin, l'arrêt attaqué a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que rien, dans l'accord du 20 mars 1990 marquant l'entrée en négociation, n'emportait obligation pour l'une ou l'autre des parties de mener ces pourparlers à leur terme et que la rupture a été immédiatement et loyalement signifiée ; qu'en ce état, la cour d'appel a pu décider qu'aucune faute n'était donc caractérisée à la charge de la société Sofiroute et de la Compagnie la Hénin qui n'ont jamais fait qu'user de la liberté qu'elles avaient de ne pas contracter et n'ont pas manqué à la bonne foi qui doit présider aux relations commerciales ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.