AFA, commission des sanctions, 7 février 2020, n° 19-02
AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Courtial
Rapporteur :
Mme Morellet-Steiner
SAISINE
Le 25 septembre 2019, le directeur de l'Agence française anticorruption a, sur le fondement des dispositions du IV de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence et à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et du 2° du I de l’article 5 du décret du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption, saisi la présente commission d’une procédure de sanction dirigée contre la société I., personne morale, et contre son représentant, M. C. K., exerçant les fonctions de directeur général.
PROCEDURE
Procédure préalable à la saisine de la commission de sanctions :
L'avis de contrôle de la société I. et de l'ensemble des filiales ou sociétés qu'elle contrôle, a été signé par le directeur de l'Agence le 5 février 2018. Le contrôle, d'abord sur pièces puis sur place, s'est déroulé du 5 février au 17 juillet 2018.
Communiqué à la société I. le 12 février 2019, le projet de rapport de contrôle a fait l'objet d'une réponse documentée de cette société le 15 avril 2019.
Le directeur de l'Agence a adressé le rapport de contrôle définitif et notifié ses griefs à la société I. et à son directeur général, M. C. K., le 25 septembre 2019.
Procédure devant la commission :
Dans sa saisine du 25 septembre 2019, le directeur de l'Agence estime constitués trois manquements aux obligations découlant de la loi du 9 décembre 2016.
1° En ne se dotant pas d'une cartographie des risques de corruption et de trafic d'influence conforme aux exigences résultant du 3° du II de cet article;
2° En ne disposant pas d'un code de conduite répondant aux prescriptions du 1° du II du même article ;
3° En n'intégrant pas, dans les procédures de contrôle comptable de la société, les points de contrôle spécifiques, exigés par le 5° du II du même article.
Dans son avis, joint à la saisine, sur les sanctions qui lui semblent appropriées, il propose à la présente commission d'enjoindre à la société I. et à son directeur général, M.K., de :
1° Mettre à jour, avant le 31 mars 2020, la cartographie de corruption en évaluant les risques auxquels I. est exposée au moyen d'une analyse fine des procédures internes de la société reposant sur la méthodologie préconisée par l'Agence ou sur toute autre méthode permettant d'atteindre un résultat équivalent ;
2° Actualiser, avant le 30 juin 2020, le code de conduite, en y intégrant notamment des définitions et des illustrations de comportements à proscrire en fonction des risques identifiés dans la cartographie des risques mise à jour ;
3° Définir à partir de la cartographie mise à jour, et d'intégrer dans les procédures de contrôle comptable, avant le 30 juin 2020, des points de contrôle spécifiquement destinés à s'assurer que sa comptabilité n'est pas utilisée pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence ;
4° Le directeur de l'Agence propose à la commission des sanctions, en cas d'inexécution de ces injonctions aux échéances fixées, de prononcer :
a) A l'encontre de la société I., personne morale, une sanction pécuniaire d'un million d'euros ;
b) A l'encontre de son directeur général, M. K., une sanction pécuniaire de 100 000 euros.
Dans le dernier état de ses écritures résultant du mémoire en réplique du 8 janvier 2020 visé ci-dessous, afin de tenir compte de la situation créée par la démission, postérieurement à la saisine, de M. K., le directeur de l'Agence, constatant que ces injonctions ne sont plus susceptibles d'être exécutées par ce dernier, s'en remet à la sagesse de la commission sur ce point ainsi que sur la sanction pécuniaire proposée à son encontre. Toutefois, il maintient ses propositions d'injonctions, leur durée d'exécution et le quantum de la sanction pécuniaire en cas d'inexécution et propose de les prononcer à l'encontre du représentant légal de la société en fonctions à la date où elle statue.
Plus précisément, dans sa saisine du 25 septembre 2019, le directeur de l'Agence indique :
- en ce qui concerne le grief relatif à la cartographie des risques:
- qu'à la date du contrôle, la méthodologie utilisée par la société, en reposant sur des référentiels de risques généraux appliqués à des zones géographiques larges, n'assurait pas la fiabilité de l'identification des risques ;
- qu'à la même date, la société ne disposait pas, pour procéder à la mise en conformité de sa cartographie, d'une méthodologie pertinente, fondée sur la recommandation publiée par l'Agence le 22 décembre 2017 et qui préconise aux organisations concernées d'identifier les risques inhérents à leurs activités, en dressant la typologie des risques qui leur sont propres sur la base d'une analyse fine des processus mis en œuvre ;
- qu'à la même date, la feuille de route 2019-2021 communiqué par la société aux services chargés du contrôle le 15 avril 2019 ne comportait pas 'indication sur son intention de mettre en conformité sa cartographie dans les deux prochaines années ;
- en ce qui concerne le grief relatif au code de conduite:
- que, si la société disposait, à la date du contrôle, d'un projet de code de conduite qui aurait été validé par ses instances dirigeantes et déployé postérieurement, elle n'avait pas inscrit, dans sa feuille de route 2019-2021, la mise à jour de ce code de conduite sur la base de sa cartographie des risques ;
- que la société aurait introduit directement dans ses règlements intérieurs, sans les regrouper dans un code de conduite, des éléments et illustrations relatifs à la prévention de la corruption figurant dans d'autres documents concernant ses politiques internes de lutte contre la fraude et la corruption ;
- en ce qui concerne le grief relatif aux contrôles comptables :
- qu'à la date du contrôle, la société n'avait pas planifié, dans sa feuille de route 2019-2021, l'intégration, au sein de ses contrôles comptables de premier et de deuxième niveaux, des points de vigilance spécifiques établis en corrélation avec les risques de corruption auxquels elle est exposée.
Par un mémoire en défense assorti de documents complémentaires, présenté le 29 novembre 2019, la société I. et son représentant légal demandent à la commission des sanctions de :
1° Déclarer nulle la présente saisine et irrégulière la procédure suivie ;
2° A tire subsidiaire, dire, au fond, que les griefs retenus ne sont pas caractérisés et qu'il n'y a, par conséquent, lieu de prononcer, à leur encontre, ni sanction, ni injonction ;
3° Dire qu'en tout état de cause, il n'y a plus lieu, à la date où la présente commission est appelée à statuer, de prononcer à l'encontre de M. K. une injonction qu'il ne pourrait exécuter et qu'il n'y a pas lieu de prononcer de sanction à son égard ;
4° Dans l'hypothèse où la présente commission déciderait de prononcer une injonction, de l'assortir d'un délai suffisant pour qu'elle puisse être effectivement exécutée.
La société I. et son représentant légal soutiennent:
- en premier lieu, que la saisine de la commission des sanctions du 25 septembre 2019 serait entachée d'irrégularité aux motifs que :
- en tendant, ainsi qu'elle le fait, au prononcé d'une sanction pour inexécution d'une injonction, non prévue par les dispositions applicables, elle méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les dispositions du IV de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 ;
- en tendant au prononcé d'une sanction pécuniaire dont le montant serait fixé par avance et le prononcé revêtirait un caractère automatique, elle méconnaîtrait les principe d'individualisation des peines et de proportionnalité ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la commission s'estimerait néanmoins valablement saisie seulement d'une demande d'injonction, le directeur de l'Agence aurait méconnu la procédure qui s'imposerait à lui lorsqu'il propose le prononcé d'une injonction, consistant en une simple saisine sans notification préalable des griefs ;
- en deuxième lieu, que la procédure suivie ne leur aurait pas permis d'assurer utilement leur défense, en méconnaissance du principe des droits de la défense, aux motifs que :
- la notification des griefs serait imprécise quant à leur imputabilité à chacune des deux personnes, morale et physique, poursuivies ;
- la même notification serait imprécise quant aux justifications en droit comme en fait de chacun des griefs retenus ;
- l'avis du directeur de l'Agence et le rapport de contrôle définitif, joints tous deux à la notification, ne permettraient pas de remédier aux imprécisions de cette dernière, en raison, pour le premier, de son imprécision propre, et, pour le second, de ce que le directeur de 'Agence n'aurait pas explicitement fit siennes les observations émanant de l'équipe de contrôle qu'il contient.
- en troisième lieu, qu'aucun grief n'est caractérisé
- en ce qui concerne la cartographie des risques, dès lors que :
- la société dispose d'une cartographie validée par le comité d'éthique le 13 janvier 2020 et que celle-ci est aux bornes du groupe ;
- la méthodologie qu'elle a retenue pour l'élaborer suit, contrairement à ce qu'estime le directeur de l'Agence, la recommandation publiée par l'AFA ;
- cette méthodologie a consisté, en ce qui concerne l'identification des risques, à retenir des référentiels de risques répondant à des standards internationaux qui ont été ensuite validés et affinés au moyen d'entretiens et de groupes de travail associant l'ensemble de ses zones géographiques et des responsables de ses différents métiers et activités, ce qui démontre le recours à l'« analyse fine » préconisée par l'Agence ;
elle a mis en œuvre une cotation de ses risques propres conforme à la recommandation de l'Agence ;
elle dispose d'une procédure rigoureuse d'actualisation de sa cartographie des risques pour laquelle elle est accompagnée par un prestataire extérieur dont le contrat a été renouvelé et tendu à cette fin ;
- en ce gui concerne le code de conduite, dès lors que
- la critique tirée de l'absence de diffusion d'un code de conduite mis à jour à la date du contrôle est erronée puisque, dès la réponse du 15 avril 2019, les services de contrôle ont été informés qu’un code de conduite mis à jour en juin 2018 avait été validé puis diffusé au sein du groupe par un courriel du 16 octobre suivant du directeur général alors en fonctions ;
- la critique tirée de ce que le code de conduite n’a pas été introduit dans les règlements intérieurs des entités française du groupe est erronée puisque, si les formalités préalables à l’introduction dans les règlements intérieurs de ce code étaient en cours d’achèvement à la date du contrôle, à ce jour, l’ensemble des avis des instances représentatives du personnel requis ont été obtenus ;
- la critique tirée de ce que le code de conduite ne contient pas les définitions, illustrations et procédures internes qu’impose la loi du 9 décembre 2016 n’est pas fondée, dans la mesure où la société a fait le choix, pour des raisons de lisibilité, d’insérer ces éléments au sein d’un document spécifique, son programme anti-corruption, qui a été validé et diffusé dans l’intranet du groupe ;
- la critique tirée des faiblesses, au moment du contrôle, de la politique interne dans le domaine des cadeaux et invitations, a été prise en compte, la société disposant à ce jour, d’une procédure claire et illustrée, en matière de cadeaux, mécénat, lobbying, financement de partis politiques et conflit d’intérêts, qui figure dans son programme anti-corruption ;
- en ce qui concerne la mise en conformité de ses procédures comptables, dès lors que :
- les critiques formulées, lors du contrôle, sur l’absence de points de contrôle comptables spécifiques du 1er et de 2e niveaux et sur la faiblesse de la maitrise des risques liés aux entrées comptables manuelles en raison de la multiplicité des systèmes d’information comptables ont été d’ores et déjà, en partie, prises en compte dans le cadre de réorganisation des fonctions financières et comptable actuellement conduite à l’échelle du groupe et dont l’objectif est de parvenir à une centralisation de la fonction financière ainsi qu’à une unification des outils de gestion comptable (par déploiement de logiciels de gestion intégrés) ;
- cette réorganisation commencée au mois de novembre 2018 est, dans son volet financier, effective depuis le 4 novembre 2019 et sera totalement déployée d’ici le mois de juin 2021 et, dans son volet comptable, en cours de réalisation ;
- en parallèle, une démarche de mise en conformité des contrôles comptables spécifiques a été entreprise et comprend, outre des audits déjà effectués dans divers pays et entités du groupe, une revue et mise à jour des contrôles comptables du 1er, 2e et 3e niveaux en matière de lutte contre la corruption, confiées au cabinet par ailleurs désigné comme commissaire aux comptes certificateur du groupe ;
- sur la base de la revue déjà réalisée par ce cabinet, une feuille de route comportant un plan d’action en vue d’améliorer les points de contrôle existants et de les compléter est en cours d’élaboration ;
- les mesures déjà prises et l’ampleur du plan engagé ne justifient, en tout état de cause, pas le prononcé d’une injonction, qui revêtirait un caractère disproportionné ;
- en quatrième lieu et à titre subsidiaire, que les délais très brefs d’exécution des injonctions proposés par le directeur de l’Agence sont dépourvus de toute justification et radicalement incompatibles avec les contraintes normales de la gestion d’une entreprise présentant la taille de la diversité d’implantations d’I.
Par un mémoire en défense distinct, présenté le 29 novembre 2019, M. K. informe la commission des sanctions que sa démission a été acceptée par le conseil d’administration de la société I. le 21 octobre 2019 et qu’en conséquence de cette démission intervenue postérieurement à la saisine, il y a lieu, pour la présente commission, de constater que, n’étant plus depuis cette date le représentant légal de la société, aucune injonction ne peut plus lui être adressée, ni aucune sanction pécuniaire prononcée à son encontre. A titre subsidiaire, il indique qu’il fait siennes les observations produites en défense par la société I. ;
Par un mémoire en réplique présenté le 8 janvier 2020, le directeur de l’Agence indique :
- qu’il y a lieu d’écarter, dans toutes leurs branches, les critiques dirigées par la société I. et son représentant légal contre la régularité de la saisine et de la procédure suivie ;
- que l’objet et l’étendue des manquements sont explicités, pour chacun des griefs qu’il a retenus, par les observations et critiques correspondantes formulées par l’équipe de contrôle et consignées dans le rapport définitif joint à la notification, auxquelles, par suite, il y a lieu, pour la société, de répondre.
Il indique en outre :
- en ce qui concerne la cartographie des risques :
- que, même en prenant en compte le fait que la mission confiée au prestataire extérieur qui accompagne la société dans ses travaux de cartographie a été, postérieurement au contrôle, étendue à la suite de la signature d’un nouveau contrat le 7 novembre 2019 et que la feuille de route a été renforcée, la procédure d’élaboration de la cartographie n’est entrée en vigueur au mieux que le 2 décembre 2019 ;
- qu’on ne peut être assuré que la méthodologie déployée ait permis de réaliser une analyse fine des processus du groupe, ni que l’ensemble des risques auxquels la société est exposée aient été appréhendés, en tenant compte des spécificités propres aux différentes zones géographiques, régions et pays, d’une part, et aux différentes activités et sites, d’autre part et en particulier :
- que la contribution de parties prenantes internes à l’identification ne démontre pas sa pertinence dès lors qu’elle n’a associé qu’un panel réduit de fonctions, ce qui conduit à des lacunes dans l’identification des risques relatifs aux fonctions ressources humaines et sécurité informatique ou aux processus de sous-traitance et de fusions et acquisitions ;
- qu’aucun élément n’a été fourni pour démontrer qu’une analyse des risques a été effectuée pour l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Amérique du Nord et la Chine ou l’Ukraine ;
- que l’application successive de méthodologies hétérogènes d’évaluation des risques « nets » ne permet pas d’avoir l’assurance que les risques ont été correctement évalués et, en particulier que :
- que les éléments nécessaires à la compréhension de la méthodologie de hiérarchisation des moyens de corruption ne lui ont pas été communiqués ;
- que la pondération des risques semble révéler des incohérences ;
- que la plan d’action destiné à remédier aux risques identifiés dans la cartographie est insuffisant dans la mesure où il ne définit pas d’actions spécifiques à déployer au sein des différentes zones géographiques, sites et activités de la société, d’une part et où les seules 11 actions qu’il comporte dans l’ensemble du groupe n’apportent aucune réponse à certains risques qui ont pourtant été identifiés dans la cartographie, notamment en matière de cadeaux et invitations et de conflits d’intérêts, ou qu’elles sont définies en des termes trop généraux pour en évaluer la pertinence, d’autre part ;
- que le plan d’action destiné à remédier aux risques identifiés dans la cartographie est insuffisant en ce qui concerne la mise à niveau du plan d’action correspondant à la cartographie des risques ;
- en ce qui concerne le code de conduite, que celui-ci ne comporte pas de définitions et d’illustrations de la corruption et du trafic d’influence et qu’on ne peut être assuré qu’il ait été intégré à l’ensemble des règlements intérieurs ;
- en ce qui concerne les contrôles comptables spécifiques, qu’il n’est pas permis, dès lors que la société ne conteste pas être en cours de réalisation de sa mise en conformité sur ce point, d’avoir l’assurance raisonnable qu’elle se conformera à ses obligations dans des délais maîtrisés.
Par un courrier du 10 janvier 2020, la présente commission a été informée de la constitution de Me Arnaud ALBOU, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Cohen-Amir-Aslani), afin de défendre les intérêts personnels de M. K., qui a été, en cette qualité, dûment convoqué à l’audience.
Par des observations en réponse présentées les 16 et 17 janvier 2020, assorties de documents complémentaires, la société I. et son représentant légal maintiennent leurs demandes et leurs arguments tant en ce qui concerne la nullité de la saisine et l’irrégularité de la procédure qu’au fond.
Ils soutiennent, en outre :
- que les observations présentées par le directeur de l’Agence, dans son mémoire en réplique plus d’un mois après leur mémoire en défense, dès lors qu’elles articulent de nouvelles critiques, ne leur ont pas permis, compte tenu de la date d’audience, d’assurer leur défense dans des conditions respectueuses du principe des droits de la défense ;
- à titre subsidiaire, que ces nouvelles critiques de fond doivent être écartées, dès lors que :
- la cartographie des risques est aux bornes du groupe ;
- l’identification des scenarios de risques de corruption a reposé sur une liste de scenarios-types propres aux activités extractives élaborés par l’OCDE qui ont ensuite été examinés pour en extraire des scenarios propres à la société, puis évalués par application des deux indicateurs pour chaque scenario et par pays fondés sur l’impact de la réalisation de chaque scenario et la probabilité de sa survenance, eux-mêmes pondérés par deux facteurs aggravants tenant à la sensibilité aux pratiques corruptives et au poids économique du pays concerné ;
- l’évaluation de l’efficacité des dispositifs de maîtrise des risques repose sur l’évaluation des 11 moyens de corruption sur chacune des six zones géographiques où la société exerce ses activités ;
- le plan d’action interne découle directement des résultats tirés de la cartographie ;
- la société dispose d’une procédure documentée de mise à jour régulière de sa cartographie qui est effectivement mise en œuvre ;
- le directeur de l’Agence ne peut se prévaloir de la recommandation qui ajoute à la loi, notamment en ce qui concerne l’obligation de disposer d’un plan d’action.
- que les nouvelles critiques du directeur de l’Agence sur le code de conduite sont soit non fondées, soit erronées et que rien ne permet au directeur de l’Agence d’affirmer, ainsi qu’il le fait, que la mise à jour des contrôles comptables du 1er, 2e et 3e niveaux en matière d’anti-corruption actuellement en cours, qui obéit à un échéancier validé par les instances dirigeantes de l’entreprise et pour laquelle des moyens importants ont été engagés, ne sera pas menée à son terme dans les délais prévus.
La commission des sanctions, comprenant M. Jean Courtial, Président, Mmes Anne Froment-Meurices, Isabelle Orsini et Paquita Morellet-Steiner ainsi que MM. Jacques Buisson et Yves Medina, membres, M. Laurent Barnaud étant secrétaire de séance lors des débats de la séance publique du 22 janvier 2020, après avoir entendu, au cours de ces derniers :
Mme Morellet-Steiner en son rapport ;
Pour l'Agence France anticorruption :
- M. Charles Duchaine, directeur ;
- M. Salvator Erba, sous-directeur du contrôle ;
- M. Julien Laumain, expert en conformité à la sous-direction du contrôle ;
- Monsieur Clément Grospiron, expert en conformité à la sous-direction du contrôle ;
Pour les personnes mises en cause :
Pour la société I. et son représentant légal :
- Mme B., directrice juridique, membre du comité exécutif;
- Mme B., directrice de la conformité ;
- Mme K., experte de la conformité ;
- M. L., chargé de la méthode, responsable des processus à la direction juridique ;
Les conseils de la société I. de son représentant légal en exercice et de M. C. K, en tant que représentant légal de celle-ci jusqu'à sa démission intervenue le 21 octobre 2019:
- Maître Guillaume Pellegrin et Yann Aguila, avocats au Barreau de Paris (Cabinet Bredin Prat SAS) ;
La parole ayant été donnée, en dernier lieu, à Maître Guillaume Pellegrin pour les personnes mises en cause ;
prend la décision suivante :
MOTIFS DE LA DECISION
En ce qui concerne la procédure :
Sur la nullité de la saisine :
1. Aux termes des dispositions de l'article 2 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, l'Agence française anticorruption « est dirigée par un magistrat (...) nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans non renouvelable. (...)/ Le magistrat qui dirige l'agence ne peut être membre de la commission des sanctions, ni assister à ses séances. ». L'agence « comprend une commission des sanctions chargée de prononcer les sanctions mentionnées au IV de l'article 17 ».
2. Aux termes, d'une part, des dispositions du IV de l'article 17 de cette loi : « IV. - En cas de manquement constaté, et après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses observations, le magistrat qui dirige l’agence peut adresser un avertissement aux représentants de la société./ Il peut saisir la commission des sanctions afin que soit enjoint à la société et à ses représentants d'adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d'influence./ Il peut également saisir la commission des sanctions afin que soit infligée une sanction pécuniaire. Dans ce cas, il notifie les griefs à la personne physique mise en cause et, s'agissant d'une personne morale, à son représentant légal. »
3. Aux termes, d'autre part, des dispositions du V du même article : « V. - La commission des sanctions peut enjoindre à la société et à ses représentants d'adapter les procédures de conformité internes à la société destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d'influence, selon les recommandations qu'elle leur adresse à cette fin, dans un délai qu'elle fixe et qui ne peut excéder trois ans./ La commission des sanctions peut prononcer une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour les personnes physiques et un million d'euros pour les personnes morales/Le montant de la sanction pécuniaire prononcée est proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée./La commission des sanctions peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision d'injonction ou de sanction pécuniaire ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne physique ou morale sanctionnée. ».
Par ailleurs, les dispositions du 2° du I de l'article 5 du décret du 17 mars 2017 relatif à l'Agence française anticorruption, pris pour l'application de la loi du 9 décembre 2016, prévoient que, lorsque le directeur de l'Agence décide de saisir la commission des sanctions, il lui transmet « le rapport de contrôle, les observations, le cas échéant, de la personne concernée et formule un avis concernant la nature, et, le cas échéant, le quantum et les modalités, de la sanction qui lui semble appropriée ».
4. En prévoyant, ainsi qu'il le fait à l'article 2 de la loi du 9 décembre 2016, la séparation des deux organes composant l'Agence française anti-corruption, le législateur a, sans qu'il soit besoin qu'il le rappelle, nécessairement entendu que la commission à laquelle il a confié le pouvoir exclusif de prononcer les sanctions énumérées au V de l'article 17 de la même loi, exerce cette fonction dans le respect des principes d'impartialité et d'indépendance qui en sont indissociables.
5. Il découle ainsi de ces dispositions que la saisine de la commission des sanctions par le directeur de l'Agence n'a pour objet et ne saurait avoir d'autre effet que d'engager les poursuites et d'en déterminer le périmètre. Dans la mesure où elle ne peut se saisir d'office, l'acte par lequel le directeur de l'Agence saisit la commission constitue, en effet, le préalable légalement nécessaire à l'ouverture formelle d'une procédure de sanction à l'encontre des personnes qu'il y désigne nommément et à raison des faits qu'il y mentionne expressément et dont il estime qu'ils sont constitutifs de manquements aux obligations de mise en conformité qui leur sont faites par la loi du 9 décembre 2016.
6. L'acte de saisine ne pouvant préjuger ni des manquements susceptibles d'être sanctionnes, ni des sanctions susceptibles d'être prononcées, il découle également de ces mêmes dispositions que la commission des sanctions ne saurait être liée ni par l'appréciation quant aux faits, ni par les propositions quant aux sanctions qui lui sont transmises par le directeur de l'Agence, qui ne formule, à cet égard, qu'un avis, ainsi que le rappelle d'ailleurs opportunément l'article 5 du décret du 17 mars 2017. Dès sa saisine, la commission des sanctions se trouve ainsi pleinement investie de l'ensemble des pouvoirs de sanction qui lui sont conférés par les dispositions du V de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 citées au paragraphe 3 ci-dessus. Elles lui permettent, sans que le législateur ait entendu interdire leur combinaison, d'enjoindre la mise en œuvre par les personnes qu'elle désigne de mesures dont elle définit la nature et les délais d'exécution, de prononcer, sous la réserve énoncée au paragraphe 8 ci-dessous, une sanction pécuniaire dont elle définit le montant et, enfin, d'assortir sa décision d'une sanction complémentaire de publication selon les modalités et le délai qu'elle fixe.
7. Par suite, l'argumentation de la société I. et de son représentant selon laquelle la saisine de la commission serait entachée de nullité en ce que l'avis du directeur de l'Agence tendrait, en méconnaissance du IV de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, à ce que soit prononcées simultanément une injonction et une sanction pécuniaire n'est pas opérante et doit être écartée. Il en va de même de l'argumentation tirée de la méconnaissance des principes d'individualisation des peines et de proportionnalité qui résulterait de ce que le même avis fixerait, par avance et de manière automatique, le montant des sanctions qui devraient être prononcées.
8. Dans l'exercice de ses pouvoirs de sanction, la commission est tenue de respecter l'ensemble des principes applicables aux sanctions administratives de nature à garantir, en cette matière, la mise en œuvre effective des droits protégés par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par la Constitution. Il en va ainsi du principe de légalité des peines. En l'absence de toute disposition législative prévoyant la possibilité de prononcer une sanction pour inexécution d'une injonction et en fixant le montant, ce principe fait obstacle à ce que la commission des sanctions prononce une sanction de cette nature.
En revanche, pour les motifs analysés au paragraphe 6 ci-dessus, la méconnaissance, si regrettable soit-elle, de ce principe par l'avis transmis par le directeur de l'Agence n'est pas de nature à vicier la procédure dont la commission demeure valablement saisie jusqu'à ce qu'elle prenne une décision y mettant fin, en se prononçant sur I‘existence ou, le moment venu, sur la persistance des manquements dont elle a été saisie, d'une part, et en en tirant toutes les conséquences de droit, d'autre part. Par suite, est inopérante et doit être écartée l'argumentation tirée de ce que la méconnaissance du principe de légalité des peines et des délits, d'une part, et des dispositions des IV et V de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, d'autre part, entacherait d'irrégularité la saisine.
9. Enfin, ne peut qu'être écartée l'argumentation subsidiaire tirée de ce que le directeur de l'Agence aurait entaché d'irrégularité sa saisine en procédant à une notification préalable alors qu'il aurait dû procéder par simple saisine, dès lors qu'aucune méconnaissance des dispositions du dernier alinéa du IV de l'article 17 citées au paragraphe 2 ci-dessus, qui se bornent à rappeler le principe du respect des droits de la défense, ne peut, en tout état de cause, être reprochée à la saisine du directeur de l'Agence.
Sur la violation du principe des droits de la défense :
10. En vertu du principe des droits de la défense, toute personne mise en cause doit être mise à même de connaitre les griefs qui lui sont reprochés afin qu'elle puisse présenter utilement sa défense.
Le respect de ce principe s'impose à l'ensemble de la procédure suivie, depuis le contrôle préalable conduisant à la notification de griefs jusqu'aux échanges devant l‘organisme chargé de prononcer les sanctions.
En l'espèce, la société I. ne reproche ni à la procédure de contrôle d'avoir porté une atteinte irrémédiable à ce principe, ni à la procédure suivie devant la commission d'avoir méconnu le principe du contradictoire. Sa critique ne porte que sur l'imprécision de la notification du 25 septembre 2019 qui se bornait à faire référence à des dispositions de la loi du 9 décembre 2016, elles-mêmes rédigées sous forme d'objectifs généraux laissant d'importantes marges sur les moyens permettant de les atteindre, et qui ne contenait pas d'analyse précise quant aux faits qui lui étaient reprochés, sans que le rapport définitif de contrôle lui permit d'y remédier, dans la mesure où le directeur de l'Agence ne se l'était pas expressément approprié.
11. La commission estime, sur ce point, qu'il relève de son office de rappeler l'étendue de l'obligation de précision dans l'énoncé des griefs incombant au directeur de l'Agence tant à l’égard de la personne poursuivie qu'à l‘égard de la commission, dès lors que la saisine de la commission résulte uniquement de la transmission des griefs notifiés à la société assortie de sa proposition quant aux sanctions qui lui paraissent appropriées. Eu égard à l'effet, analysé au paragraphe 5, de délimitation de la compétence de la commission in rem et in personam de cette saisine, les griefs dont la commission des sanctions est saisie doivent être énoncés de façon suffisamment claire pour ne laisser aucun doute sur leur contenu et leur portée. A défaut, il lui reviendrait de soulever, le cas échéant, d'office, la nullité de la procédure.
Cette obligation d'énoncer avec précision les griefs retenus à l'encontre de la personne poursuivie incombe au directeur de l'Agence, alors même qu'il doit être regardé pour les seuls griefs qu'il retient et sauf dans le cas où il y renoncerait expressément, comme s'étant, nécessairement même si implicitement, approprié les constats matériels, les critiques et les justifications du rapport définitif rédigé par des services placés sous son autorité hiérarchique.
12. En l'espèce, si l'on ne peut que regretter, dans la notification, une formulation de l‘exposé des griefs laissant place à quelques imprécisions, il ressort, toutefois, de l‘examen de l‘ensemble des pièces de la procédure que la société I. a pu appréhender concrètement le contenu et la portée des griefs qui lui ont été notifiés et, par voie de conséquence, développer utilement une défense efficace, ainsi que le révèlent le mémoire et les observations, précis et bien documentés, qu'elle a produits.
Par suite, s'il eut été préférable et conforme à la bonne exécution de sa mission que le directeur de l'Agence, qui a, à de nombreuses reprises et jusque lors de l'audience, mis en avant le rôle pédagogique de conseil de celle-ci auprès des entreprises, développât précisément, justement dans cet esprit, les éléments de droit et de fait sur lesquels il estimait pouvoir se fonder pour caractériser les trois manquements retenus dans sa saisine et pour justifier la proposition de sanctions dont elle était assortie, n'est pas fondée et doit être écartée la critique tirée de ce que la notification du 25 septembre 2019 serait insuffisamment précise quant aux justifications en droit comme en fait de chacun des griefs retenus.
13. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la notification du 25 septembre 2019 n'avait pas à préciser, pour chaque grief, son imputabilité à la personne morale ou à la personne physique qui en est le dirigeant, dès lors que les obligations de mise en place de mesures de détection et de prévention des faits de corruption ou de trafic d'influence issues de la loi du 9 décembre 2016 pèsent, à la fois, sur les sociétés et leurs dirigeants. En effet, en disposant qu'« indépendamment de la responsabilité » des personnes physiques qu'il mentionne à son I, « la société est également responsable en tant que personne morale en cas de manquement aux obligations » qu'il énumère à son II, le dernier alinéa du II de l'article 17, cite au paragraphe 14 ci-dessous, de cette loi a expressément prévu que les manquements aux obligations qu'il énonce sont de nature à engager concurremment la responsabilité du dirigeant et celle de la société.
AU FOND :
14. En vertu de l'article 3 de la loi du 9 décembre 2016, les contrôles doivent permettre à l'Agence d’apprécier : « la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein des entités contrôlées » par les personnes énumérées au I de l'article 17 de la même loi.
Aux termes des I et II de ce même article 17: « I. - Les présidents, les directeurs généraux (...) d'une société employant au moins cinq cents salariés, (...) et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros sont tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence selon les modalités prévues au II. (...)
II. - Les personnes mentionnées au I mettent en œuvre les mesures et procédures suivantes :/1° Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence. Ce code de conduite est intégré au règlement intérieur de l'entreprise et fait l'objet, à ce titre, de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l'article L. 1321-4 du code du travail;/( ) 3° Une cartographie des risques prenant la forme d'une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d'activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;/( ...) 5° Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l'occasion de l'accomplissement des audits de certification de comptes prévus à l'article L. 823-9 du code de commerce ;/( ...) Indépendamment de la responsabilité des personnes mentionnées au I du présent article, la société est également responsable en tant que personne morale en cas de manquement aux obligations prévues au présent II. »
15. Il incombe au directeur de l'Agence qui propose l'application de mesures revêtant un caractère répressif de constater les éléments qui lui paraissent caractériser le manquement qu'il invoque. Lorsque l'exercice de ses pouvoirs de contrôle lui a permis de réunir des éléments rendant vraisemblable un manquement aux obligations, énumérées au paragraphe 14, par une personne à laquelle elles s'imposent, il appartient à celle-ci, spontanément ou en réponse aux observations de l'Agence, d'apporter les éléments dont elle est seule à disposer permettant de déterminer si elle s'acquitte des obligations qui sont les siennes.
Si la personne mise en cause, dont l'obligation implique, d'une part, qu'elle s'assure elle-même de la pertinence, de la qualité et de l'effectivité des procédures et mesures qu'elle doit mettre en place et, d'autre part, qu'elle en justifie à l'Agence dont les contrôles doivent permettre d'apprécier, ainsi que le prévoient les dispositions citées au même paragraphe 14, « la qualité » du dispositif mis en place, n'apporte pas d'éléments suffisants à cet égard, le directeur de l'Agence est réputé apporter la preuve du manquement.
16. Dans l'hypothèse où la personne mise en cause a, à cet égard, suivi la méthode préconisée par l'Agence elle-même dans les recommandations générales publiées au Journal officiel le 22 décembre 2017, cette personne doit être regardée comme apportant des éléments suffisants, sauf au directeur de l'Agence à démontrer qu'elle n'a pas, en réalité, suivi ces recommandations, en les appliquant de manière incorrecte ou incomplète.
17. Enfin, dans l'hypothèse où la personne mise en cause a fait le choix de ne pas suivre cette méthode ou de ne la suivre qu'en partie, comme elle en a le droit dès lors que ces recommandations ne constituent qu'un référentiel dont l'usage n'est en rien obligatoire, il lui incombe de démontrer la pertinence, la qualité et l'effectivité de son dispositif de détection et de prévention de la corruption en justifiant de la validité de la méthode qu'elle a librement choisie et qu'elle a suivie.
Sur le grief relatif à la cartographie des risques de corruption :
18. Le directeur de l'Agence reproche à la société I. d'avoir méconnu les exigences posées par le 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. La société, de son côté, fait valoir qu’elle s'est appliquée à suivre la recommandation relative à la cartographie des risques publiée par l'Agence.
19. Conformément à la dialectique de preuve rappelée au paragraphe 16, il appartient, par conséquent, au directeur de l'Agence de démontrer en quoi cette recommandation n'a pas été effectivement suivie par la société. S'il peut invoquer, pour ce faire, la mise en œuvre incorrecte ou incomplète de cette recommandation, il ne peut, en revanche, utilement s'appuyer ni sur la méconnaissance de prescriptions, notamment formelles ou méthodologiques, qui, faute d'être énoncées par cette recommandation, ne résulteraient que d'une doctrine de contrôle non publiée par l'Agence, ni sur la méconnaissance d'exigences ajoutées par cette recommandation à celles prévues par la loi, qui est seule compétente pour imposer à des entreprises des obligations dont la méconnaissance serait passible de sanctions de la nature de celles encourues au titre de la loi du 9 décembre 2016.
20. Il ressort de l'instruction que la société I. s'est conformée à la première étape de la recommandation de l'Agence en se dotant dès le 1er juin 2017 d'un comité de projet placé sous la supervision d'un « comité de pilotage », devenu depuis lors un « comité d’éthique » mandaté à cette fin par son comité exécutif, où sont représentées diverses fonctions et divisions du groupe. La société s'est, en outre, adjoint, dès le mois d'octobre 2017, les services d'un prestataire extérieur, dont la mission, initialement restreinte, a été prolongée le 7 novembre 2019, et est uniquement centrée sur des travaux relatifs à la cartographie des risques.
21. A la date où statue la présente commission, la société démontre qu'elle dispose d'une cartographie validée, dans sa dernière version, par son comité d'éthique le 13 janvier 2020 et que celle-ci est aux bornes du groupe. La société établit également qu'elle dispose d'une méthodologie validée par ce même comité, qui révèle des évolutions positives depuis la fin du contrôle, notamment pour répondre aux observations formulées à cette occasion. II est également établi qu'elle dispose d'une feuille de route couvrant la période 2019-2021. Aucune des critiques formulées par le directeur de l'Agence sur l'existence même d'une cartographie et d'une méthodologie pour son élaboration ou son évolution ne peut, par suite, être retenue.
22. La deuxième étape préconisée par la recommandation de l'Agence, relative à l'identification des risques inhérents aux activités de l'organisation concernée, a pour objectif de « dresser la typologie des risques » auxquels l'organisation est exposée « dans le cadre de ses activités » en procédant « à un état des lieux précis » permettant d'identifier des risques inhérents à ses activités, ce qui nécessite « une analyse fine des processus mis en œuvre » au sein de cette organisation.
23. II ressort de l'instruction que la société a, dès avant le début des opérations de contrôle, identifié 21 scenarios de risques génériques propres au domaine extractif, en recourant notamment aux référentiels élaborés en la matière par l'OCDE (« Foreign Bribery Report » en 2014 et «Corruption in the Extractive Value Chain» en 2016). Afin que ne soient retenus que des scenarios de risques pertinents compte tenu des activités propres de la société, ces référentiels de risques ont été, ensuite, testés puis validés au moyen d'entretiens individuels et de groupes de travail qui ont, à la date d'aujourd'hui, associé une centaine de responsables de ses différents métiers et activités. Cette phase, d'abord limitée, en 2017, aux zones Europe et Inde, a ensuite été élargie, en 2018, à l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Amérique du Nord, le Moyen Orient et, enfin, à la Chine. Ces ateliers reposent sur l'envoi d'un questionnaire et un dispositif de votes anonymes. Ces travaux ont d'ailleurs conduit à l'évolution de certains scenarios. De nouveaux ateliers consacrés, respectivement, aux zones Amérique du Nord et Asie Pacifique destinés à réviser ceux tenus en 2018 ont eu lieu aux mois de novembre et de décembre 2019. A l'issue de cette étape, 25 scenarios de risques propres à la société ont été retenus dans la cartographie des risques validée le 13 janvier 2020.
24. Le directeur de l'AFA critique cette deuxième phase en relevant qu'elle n'aurait associé qu'un panel réduit de fonctions, ce qui aurait conduit à des lacunes dans l'identification de certains risques, en particulier ceux relatifs aux fonctions ressources humaines et à la sécurité informatique ou aux processus de sous-traitance et de fusions et acquisitions.
25. Toutefois, la recommandation de l'Agence n'impose pas aux organisations qui choisissent de la suivre de recourir, pour identifier leurs risques propres, à une représentation exhaustive de l'ensemble des fonctions et des métiers, ni, à supposer que cela soit raisonnablement envisageable, de tous les sites où elles exercent leurs activités. Elles sont donc libres, pour le motif indiqué au paragraphe 19, de retenir les fonctions ou les métiers ou les sites qui leur paraissent représentatifs de leurs activités, ou encore, les responsables qui leur paraissent aptes à exprimer, compte tenu, notamment, des postes occupes au cours de leur carrière, des avis utiles sur les scenarios de risques des lors qu'il en résulte une identification pertinente des risques propres à la société.
26. La critique tirée de l'absence de scenarios de risques inhérents à la fonction ressources humaines doit être écartée, dès lors qu'il ressort de l'instruction et des éclaircissements apportés à l'audience que c'est à l'issue d'un choix fondé sur sa propre évaluation, sans lien avec la composition de ses ateliers auxquels ont, au demeurant, été associés dix représentants des ressources humaines, que la société n'a pas retenu de scenario de risque propre relatif à cette fonction et qu'elle a estimé plus pertinent de prendre en compte les procédures de ressources humaines sous la forme de « moyens de corruption » dont deux (« emploi injustifié ou népotisme » et « conflit d'intérêts ») concernent la fonction ressources humaines.
Il en va de même de la critique relative à l'absence de prise en compte des processus de sous-traitance et de fusions et acquisitions, dès lors que la société démontre que ces processus sont pris en compte dans le scenario « achats » et le moyen de corruption « intermédiaires », d'une part, et dans un scenario « fusions et acquisitions » qui a été encore développé dans la nouvelle version de sa cartographie, d'autre part.
Enfin, faute pour le directeur de l'Agence de démontrer en quoi la fonction informatique serait susceptible d'engendrer, pour la société, des risques propres en matière de corruption et de trafic d'influence tels que leur omission constituerait une application incorrecte de la recommandation de l'Agence, sa critique, sur ce point, doit être écartée.
27. Le directeur de l'Agence reproche également l'absence de prise en compte des spécificités des pays et des sites. De manière générale, une entreprise qui justifie son choix de ne pas traiter de façon particulière un pays, ou un niveau inférieur au pays comme un site, ne s'éloigne de la recommandation de l'Agence, qui n'impose aucun niveau de granularité prédéfini, que si elle ne peut pas démontrer que cette situation résulte d'un choix fondé sur une analyse précise de sa chaine de valeurs et de ses activités propres.
Le directeur de l'Agence relevé, à cet égard, des lacunes en ce qui concerne, en particulier, les relations avec les tiers. Il ressort, toutefois, des écritures de la société, qui ont été réitérées lors de l'audience, que ce choix résulte, précisément, de la spécificité de ses activités au sein desquelles elle estime que doivent être distinguées, d'un côté, les activités extractives soumises à autorisation administrative (licences ou permis divers) qui justifient la pertinence de certains scenarios de risques de corruption en lien avec les tiers et, de l'autre, ses activités industrielles pour lesquelles le type de relations avec les tiers ou les types d'activités ne diffèrent pas substantiellement d'une zone géographique ou d'un site à l'autre. Cette critique doit, par suite, être écartée. Le directeur reproche, enfin, l'absence d'identification de tout risque propre à l'Ukraine. Il ressort des écritures de la société, réitérées lors de l'audience, qu'elle a estimé que la situation actuelle dans ce pays ne justifiait pas la création d'un scenario spécifique mais relevait de scenarios existants (« sécurité sur site » et « opérations de logistique et de transport ») auxquels devait être appliqué un coefficient de probabilité plus élevé pour tenir compte de cette situation.
28. II résulte de ce qui est dit aux paragraphes 23 à 27 que le directeur de l'Agence ne démontre pas que l'analyse conduite par la société I. n'a pas constitué « une analyse fine » des procédures internes de l'entreprise déclinée en fonction des spécificités propres aux zones géographiques où cette société exerce ses activités.
29. La troisième étape préconisée par la recommandation de l'Agence est relative à l’évaluation de l'exposition aux risques de corruption. Afin d’évaluer « le niveau de vulnérabilité de l'organisation concernée pour chaque risque identifié à l'étape précédente », doivent être « identifiés des risques », dits, selon la terminologie de l'Agence, « bruts », c'est-à-dire des risques avant prise en compte des moyens de prévention ou de remédiation correspondants.
30. La société fait valoir, dans son mémoire en défense du 29 novembre 2019 et ses observations du 16 janvier 2020, que, conformément à la recommandation de l'Agence, ses scenarios de risques propres ont été évalués par application de deux indicateurs, pour chaque scenario et par pays, fondés sur l'impact de la réalisation de chaque scenario et la probabilité de sa survenance, eux-mêmes pondérés par deux facteurs aggravants tenant à la sensibilité géographique aux pratiques corruptives, mesurée au moyen des critères publiés par l'organisation Transparency international, et au poids économique du pays, rapporté à son chiffre d'affaires.
31. Le directeur de l'Agence lui reproche, à cet égard, une incohérence méthodologique tirée de ce que les facteurs de pondération relatifs au chiffre d'affaires réalisé et à la sensibilité géographique ont été appliqués au niveau du groupe sans tenir compte des résultats de la phase d'identification qui portait, quant à elle, sur des zones géographiques. II en conclut que les données ayant été in fine agrégées, elles ne permettraient plus de cerner l'impact réel des risques. Il ressort de ses écritures en date du 16 janvier 2020 et des explications données en séance que la société, qui reconnait le bien-fondé de cette critique, en a tiré les conséquences dans sa procédure interne d'élaboration de sa cartographie, validée par son comité d'éthique le 13 janvier 2020. La société affirme également, sans être contredite, qu'elle a pris en compte l'observation de l'Agence en ce qui concerne l'évaluation de la probabilité des scenarios de corruption de la zone Europe qui sera revue en 2020. La commission des sanctions en prend acte.
32. La quatrième étape recommandée par l'Agence, qui est relative à l’évaluation de l‘adéquation et de l’efficacité des dispositifs de maitrise de ces risques, vise à « déterminer les risques », dits, selon la terminologie de l'Agence, «nets» ou encore « résiduels » auxquels une organisation est exposée du fait de ses activités, ce qui implique nécessairement, selon la recommandation de l‘Agence, d'évaluer son niveau de maitrise pour chaque risque.
Le directeur de l'Agence relève des solutions de continuité dans la méthodologie utilisée, pour ce faire, par la société. Toutefois, cette simple constatation n'est pas suffisante pour démontrer que la société n'a pas suivi la recommandation de l'Agence, qui n'interdit pas les évolutions méthodologiques en cours d'élaboration de la cartographie si elles sont justifiées. Il ressort en effet de l'instruction et a été expliqué lors de l'audience, que la société I., pour éviter des redondances inutiles induites par l'analyse répétée de dispositifs de maitrise des risques identiques d'un scenario de risque à l'autre, a fait, au cours de l'année 2018, le choix de les évaluer comme des « moyens de corruption » transversaux. C'est sur ces 11 « moyens de corruption » que s'appuie son évaluation des risques.
Le directeur de l'Agence reproche, ensuite, à l'évaluation des dispositifs de maitrise des risques de n'avoir concerné que la zone Europe. Toutefois, la société affirme, sans être contredite sur ce point, que cette évaluation a bien été réalisée aux bornes du groupe.
33. La cinquième étape recommandée par l'Agence est relative à la hiérarchisation des risques. Les risques de corruption « résiduels » sont hiérarchisés en distinguant « les risques pour lesquels le niveau de contrôle interne est considéré comme suffisant » pour avoir une assurance raisonnable qu'il soit maitrisé de ceux « pour lesquels l'instance dirigeante souhaite améliorer la maitrise du risque et renforcer le contrôle interne ».
Il ressort de l'instruction, et doit d'ailleurs être noté, que la société I. a fait le choix de ne pas hiérarchiser les risques auxquels elle est exposée en fonction de seuils d'admissibilité. Ce choix ne méconnait pas la recommandation de l'Agence, des lors qu'il est établi qu'elle a néanmoins classé par ordre de priorité ses risques. Par les critiques ponctuelles qu'il articule à l'encontre de tel ou tel classement, sans alléguer qu'il révèlerait de la part de la société une appréciation de nature à fausser la hiérarchisation de ses risques, le directeur de l'Agence ne démontre pas l‘absence de pertinence des échelles retenues à l'issue de cette étape. En outre, il ressort de l'instruction que la société s'efforce d'intégrer à sa hiérarchisation les observations issues des audits de contrôle interne.
34. Enfin, le directeur de l'Agence articule plusieurs critiques contre le plan d'action élaboré par la société. Elles doivent être écartées, sans qu'il soit besoin de les examiner.
Aux termes de la recommandation de l'Agence : « Sur la base de ces éléments, un plan d'action sera élaboré ». L'élaboration d'un plan d'action ne résulte ainsi d'aucune exigence légale, les dispositions du 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, citées au paragraphe 14, ne prévoyant qu'une obligation d'identification, d'analyse et de hiérarchisation des risques.
S'il est loisible à l'Agence, et d'ailleurs pleinement conforme à l’esprit de sa mission, de réunir, à l'usage des entreprises, ainsi qu'elle le fait, les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour se conformer aux obligations prévues par la loi du 9 décembre 2016, elle n'est, en revanche, pas compétente pour ajouter à la loi. Dès lors, ainsi qu'il est dit au paragraphe 19, aucune critique tirée de l'absence ou de l'insuffisance du plan d'action ne peut être, en tout état de cause, retenue pour caractériser un manquement à la loi du 9 décembre 2016, de nature à fonder en droit l'application d'une sanction.
35. Quant à l'exigence légale d'actualisation régulière de la cartographie, il ressort de l'instruction et des explications données en séance que le comité d'éthique chargé du suivi de la cartographie tient une réunion annuelle au cours de laquelle l’opportunité d'une révision est examinée. La procédure de mise à jour retenue par la société I. s'étend sur un cycle complet de quatre années, comportant la mise à jour, au cours de chacune de ces années, d'une ou de plusieurs zones géographiques. Ainsi les ateliers de mise à jour de la cartographie, pour la zone Amérique du Nord, ont eu lieu le 19 novembre 2019 et, pour la zone Asie, le 10 décembre suivant. Lors de l'audience, la société a informé la présente commission qu'elle avait, en outre, programmé pour l'année 2020 la mise à jour de sa cartographie pour la zone Europe. L'obligation de procéder à une mise à jour annuelle de l'ensemble de la cartographie des risques ne résulte d'aucune prescription contenue dans la recommandation, qui serait, en tout état de cause, incompétente pour prévoir une obligation de cette nature. Dès lors que le directeur de l'Agence ne démontre pas l'absence de pertinence de la périodicité retenue par la société I., la critique doit être écartée.
36. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments sur lesquels le directeur de l'Agence s'est fondé pour estimer qu'était caractérisé un manquement aux exigences relatives à l'établissement d'une cartographie des risques découlant des dispositions du 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 ne sont pas suffisants pour permettre à la présente commission de constater, à la date à laquelle elle statue, un tel manquement.
Sur le grief relatif au code de conduite :
37. Le directeur de l'Agence reproche à la société I. de ne pas disposer d'un code de conduite conforme aux dispositions du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.
38. Ces dispositions, citées au paragraphe 14, à l'inverse d'autres dispositions de ce même II rédigées sous forme d'objectifs à atteindre, définissent, quant à elles, avec précision, des moyens à mettre en œuvre et une procédure à suivre. Pour ce motif, elles ne peuvent être interprétées que strictement.
39. Sous la dénomination de « code de conduite », ces dispositions imposent aux sociétés qui y sont soumises de disposer d'un document regroupant, de manière lisible pour l'ensemble du personnel auquel il s'adresse au premier chef, des préconisations, obligations et interdictions de nature comportementale propres à prévenir la commission de faits susceptibles de caractériser des actes de corruption ou de trafic d'influence, assorties de définitions et d'exemples concrets, d'une part, comportant, le cas échéant, l'énoncé des conséquences disciplinaires attachées à leur non-respect, d'autre part et, enfin, de l'annexer aux règlements intérieurs des entités françaises.
Pour autant, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une société dispose, à cette fin, de plusieurs documents, dès lors qu'ils constituent un ensemble cohérent, clairement articulé et dont la lisibilité par le personnel soit assurée, que chacun des documents qui le compose soit rendu facilement accessible à l'ensemble des salariés, que ces documents mentionnent qu'ils constituent le « code de conduite » exigé par la loi du 9 décembre 2016 et, enfin, qu'ils soient annexés, sous une forme adaptée tenant compte, notamment, de leur volume, aux règlements intérieurs des entités françaises, seules concernées par cette formalité, et que, par voie de conséquence, ils aient été préalablement soumis à leurs comité sociaux et économiques.
40. Il ressort de l'instruction ainsi que des précisions apportées à l'audience publique que la société I. dispose, depuis 2006, à l'instar d'ailleurs de nombreuses autres sociétés multinationales, d'un « code de conduite professionnelle et éthique » qui consiste en un document traduit dans une vingtaine de langues présentant l'ensemble des valeurs et des engagements du groupe en matière de « responsabilité sociale et environnementale » (RSE) des entreprises. Ce document contient effectivement, dans un chapitre intitulé « Construire pour l'avenir : s'engager auprès des parties prenantes pour une durabilité à long terme », à côté de rubriques reprenant des engagements en matière de respect d'une concurrence loyale, une rubrique évoquant la lutte contre la corruption. Intitulée « Eviter les paiements irréguliers et les cadeaux commerciaux », cette rubrique rappelle l'engagement du groupe de n’excuser « aucune forme de corruption » et de respecter « toutes les lois anti-corruption ». Elle précise encore que ces lois « couvrent tous les paiements illégaux destinés à influencer le jugement de nos produits et services, à créer un avantage commercial irrégulier, à influencer le calendrier de transactions commerciales ». Elle rappelle, enfin, que « personne ne peut accepter un cadeau qui pourrait ne serait-ce que donner l'impression d'influencer ses décisions ou obligations envers la société. Ces cadeaux comprennent les divertissements et voyages démesures et les faveurs substantielles de la part de tiers, qu'il s'agisse de partenaires commerciaux ou non. » La rubrique suivante, bien que ne mentionnant pas expressément la lutte contre la corruption, a trait aux « paiements de facilitation » et contient des prescriptions comportementales en ce domaine. Ces paragraphes, eu égard au contenu qui vient d'être décrit, ne permettent pas de regarder le code d'éthique dans lequel ils ont été insérés comme valant code de conduite au sens de la loi du 9 décembre 2016, alors même que ces paragraphes ont été, selon les pièces fournies par la société, repris pour être intégrés dans les règlements intérieurs de ses entités françaises.
Il est vrai qu'I. s'est, par ailleurs, dotée, depuis 2014, de documents spécifiques dans lesquels sont consignés divers programmes de conformité, notamment en matière de concurrence, de sanctions internationales et de lutte contre la fraude et la corruption. A ce titre, elle dispose d'un programme de lutte contre la corruption, détaillé, où sont recensés, selon ses propres descriptions, les obligations et les droits des salariés et des parties prenantes en la matière, le contenu de sa politique interne et, enfin, des procédures concrètes basées sur des formulaires et des obligations de remontée d'informations («reporting »). Toutefois, la société ne démontre, ni d'ailleurs n'affirme, que ce programme, qui a été récemment complété pour y faire figurer les définitions et les exemples concrets exiges par le 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, ait été introduit dans les règlements intérieurs de ses entités françaises.
41. Dans ces conditions, la circonstance, évoquée lors de l'audience, qu'un lien « hypertexte » du code d'éthique vers ce programme de lutte contre la corruption sera, très prochainement, mis en place n'est pas à elle seule suffisante pour que puisse être regardé comme répondant aux exigences du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 le choix de la société I. de scinder son code de conduite en deux documents distincts, dont aucun ne répond, à la date ou statue la présente commission, aux exigences de cette loi.
42. Si la société entendait, pour des raisons de cohérence, ne pas introduire dans son code d'éthique, la totalité du code de conduite prévu par la loi du 9 décembre 2016, il lui appartenait, en ce cas, de modifier son code d'éthique afin qu'il mentionne l'obligation faite par cette loi de se doter d'un code de conduite en matière de prévention de la corruption et qu'il soit structuré en rubriques correspondant aux différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence et dotées de liens avec des éléments précis de son programme interne de lutte contre la corruption, d'un côté et, de l'autre, de rendre aisément accessible par tous moyens, en particulier électroniques, à l'ensemble de ses salariés, en en prévoyant préalablement la traduction, ces éléments de son programme interne de lutte contre la corruption, et, enfin, de s'assurer que son code d'éthique, une fois restructuré avait été annexé dans les règlements intérieurs de ses entités françaises. Faute pour la société d'avoir procédé ainsi, la commission des sanctions ne peut que constater, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres critiques articulées par le directeur de l'Agence, que la méthode suivie par cette société caractérise, à la date ou elle statue, un manquement aux dispositions du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.
Sur le grief relatif aux procédures de contrôle comptable :
43. Il ressort de l'instruction que la société I. a, d'ores et déjà, en partie, pris en compte les observations formulées, lors du contrôle, sur l'absence de points de contrôle comptables spécifiques de 1er et de 2 niveaux ainsi que sur la maitrise des risques liés aux entrées comptables manuelles en raison de la multiplicité des systèmes d'information comptables, dans le cadre de la réorganisation des fonctions financière et comptable actuellement conduite à l'échelle du groupe et dont le double objectif est de parvenir à une centralisation de la fonction financière et à l'unification des outils de gestion comptable, par un déploiement de nouveaux logiciels de gestion intégrés. Cette réorganisation commencée au mois de novembre 2018 est, dans son volet financier, effective depuis le 4 novembre 2019 et sera totalement déployée d'ici le mois de juin 2021. Elle est, dans son volet comptable, en cours de réalisation.
44. Parallèlement à cette réorganisation, qui constitue, par elle-même, un élément de contrôle comptable essentiel, une démarche de mise en conformité des contrôles comptables spécifiques à la prévention de la corruption, a été entreprise par la société I.. Elle comprend, outre des audits déjà effectués dans divers pays et entités du groupe, une revue et une mise à jour des contrôles comptables spécifiques de 1er, 2 et 3 niveaux. Ces travaux ont été confiés au cabinet par ailleurs désigné comme commissaire aux comptes certificateur du groupe. Sur la base de la revue déjà réalisée par ce cabinet, une feuille de route spécifique comportant un plan d'action, rythmé par des échéances précises, en vue d'améliorer les points de contrôle existants et de les compléter est en cours d'élaboration. Dans ses observations du 16 janvier 2020, réitérées lors de l'audience publique, la société précise que l'ensemble des contrôles comptables sera déployé de manière progressive, selon la hiérarchisation tirée de la cartographie des risques de corruption, le dernier contrôle devant être mis en œuvre en avril 2021.
45. Sans méconnaitre ni les améliorations déjà apportées, ni l'ampleur et la difficulté technique de la réorganisation en cours, ni surtout la pertinence opérationnelle du choix de la société d'adosser la mise à jour de ses contrôles comptables de 1er, 2 et 3 niveaux en matière de prévention de la corruption au chantier, plus global, d'unification de ses logiciels de gestion et de comptabilité, encore en cours actuellement, la commission des sanctions ne peut que constater, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres critiques articulées sur ce point par le directeur de l'Agence, que la société I. n'a pas achevé, à la date à laquelle elle statue, la révision de ses procédures de contrôle comptable spécifiques en matière de lutte contre la corruption.
46. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commission des sanctions ne constate pas, à la date à laquelle elle statue, de manquement de la société I. et de son représentant légal aux obligations relatives à l'établissement d'une cartographie des risques qui leur incombent en vertu du 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. II n'y a, par suite, lieu de prononcer sur ce point ni injonction, ni sanction pécuniaire.
47. La présente commission constate, à la même date, que la société I. et son représentant légal ont commis un manquement aux obligations relatives au code de conduite qui leur incombent en vertu du 1° de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. La nature de ce manquement ne justifie pas, à ce stade de la procédure, le prononcé d'une sanction pécuniaire, ni d'une sanction complémentaire de publication de la présente décision. Il justifie, en revanche, que soit enjoint à la société I. de disposer d'un ensemble de documents répondant à la recommandation formulée aux paragraphes 39 à 42 de la présente décision. La commission estime qu'il sera fait une juste appréciation du délai nécessaire à l'exécution de cette injonction en en fixant le terme au 1er septembre 2020. A la même date, la société démontrera à la commission que son code de conduite a été annexé aux règlements intérieurs de ses entités françaises.
48. La présente commission constate, à la même date, que la société I. et son représentant légal ont commis un manquement aux obligations relatives à la mise en place de points de contrôle comptables spécifiques qui leur incombent en vertu du 5° de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. Toutefois, eu égard à l'importance des améliorations déjà apportées aux contrôles comptables et au bien-fondé de la réorganisation des fonctions financière et comptable en cours, ce manquement ne justifie pas, à ce stade de la procédure, le prononcé d'une sanction pécuniaire, ni d'une sanction complémentaire de publication de la présente décision. Il justifie, en revanche, que soit enjoint à la société I. de transmettre à la commission des sanctions toute preuve de ce qu'elle a achevé la mise en conformité complète, qu'elle a entreprise, de ses procédures de contrôle comptable spécifiques de 1er, 2 et 3 niveaux. La commission estime, en outre, qu'il sera fait une juste appréciation du délai nécessaire à l'exécution de cette injonction en en fixant le terme au 31 mars 2021.
49. Enfin, la commission prend acte de ce que la démission de M. C. K. de ses fonctions de directeur général a été acceptée par le conseil d'administration de la société I. le 21 octobre 2019 postérieurement à la notification du directeur de l'Agence. Elle constate, par voie de conséquence, qu'aucune injonction ne peut plus être exécutée par M. K., ce qui prive d'objet le prononcé d'une injonction en ce qui le concerne.
Les circonstances de l'affaire ne justifient pas davantage le prononcé à son encontre d'une sanction pécuniaire, ou d'une sanction complémentaire de publication.
Enfin, seule une personne physique personnellement mise en cause dans la notification des griefs est susceptible d'encourir les sanctions prévues par les dispositions du V de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. Il en va ainsi de la sanction pécuniaire ou de publication qui revêt un caractère purement répressif. II en va de même, contrairement à ce que propose le directeur de l'Agence dans son mémoire en réplique du 8 janvier 2020, des injonctions prononcées par la commission des sanctions, qui relèvent, tout en poursuivant une finalité de police administrative, du régime procédural applicable aux mesures répressives, et qui ne peuvent, pour ce motif, être adressées à un représentant légal « non dénommé », pris en tant que personne physique. II ne peut, par suite, en tout état de cause, être adressé d'injonction au président directeur général d'I., pris en tant que personne physique, en exercice depuis la démission de M. K. et jusqu'a la prise de fonctions du nouveau directeur général de la société.
La commission des sanctions, après en avoir délibéré en la même composition, le secrétaire de la séance publique s'étant retiré, par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : II n'y a pas lieu de prononcer d'injonction, ni de sanction pécuniaire ou de publication à l'encontre de M. C. K., au titre de l'ensemble de la présente procédure.
Article 2 : II n'y a pas lieu d'adresser d'injonction, ni de sanction pécuniaire ou de publication à l’encontre du président directeur général de la société I., pris en tant que personne physique, en fonctions à la date de la présente décision.
Article 3 : II est enjoint à la société I. de mentionner, dans son code d'éthique, l'obligation d'élaborer un code de conduite résultant du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, d'y insérer un chapitre autonome structuré selon plusieurs rubriques correspondant aux différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence, dotées de liens avec des éléments précis de son programme interne de lutte contre la corruption, de rendre aisément accessibles ces éléments de son programme interne pour l'ensemble de ses salaries, d'ici le 1er septembre 2020, et de démontrer, à la même échéance, que ce code de conduite a été annexé, dans les règlements intérieurs de ses entités françaises.
Article 4 : II est enjoint à la société I. de transmettre à la présente commission toute preuve de ce qu'elle a complètement achevé la mise en conformité de ses procédures de contrôle comptable d'ici le 31 mars 2021.
Article 5 : A une date qu'elle fixera, postérieurement à l'expiration des délais fixés aux articles 3 et 4, la commission des sanctions se prononcera sur la persistance des manquements aux dispositions des 1° et 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, à la lumière des mesures prises, à ces dates, par la société I. pour s'y conformer.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société I. et à son président directeur général en exercice ainsi qu'a M. C. K..
Elle sera communiquée au directeur de l'Agence anticorruption.