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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 28 janvier 2009, n° 07/08040

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mb Perraud Outillages (Sarl)

Défendeur :

Ega Bost Outillage (Sté), Stanley Works Ag (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mme Dominique Rosenthal, Mme Chokron

Avoués :

SCP Bernabe - Chardin - Cheviller, SCP Bolling - Durand - Lallement

Avocats :

Me Christiaen, Me Deneuville

TGI de Créteil, du 24 avr. 2007, n° 04/1…

24 avril 2007

ARRET : CONTRADICTOIRE

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

- signé par Nous, Dominique ROSENTHAL, Conseiller le plus ancien ayant délibéré, en l'empêchement de Monsieur ALAIN CARRE PIERRAT, président et par Nous Jacqueline VIGNAL, greffier à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'appel interjeté le 7 mai 2007 par la société MB PERRAUD OUTILLAGE, d'un jugement rendu le 24 avril 2007 par le tribunal de grande instance de Créteil qui :

- a dit qu'en important et en commercialisant des sets de tournevis incorporant les deux modèles de tournevis déposés sous les n° 85 3647 et 86 6692 et reprenant sur le manche la même surface alvéolaire, évocatrice de celle d'une balle de golf, déposée comme marque sous les n° 97 66 05 98 et 97 66 05 99, la société MB PERRAUD OUTILLAGE a commis des actes de contrefaçon de ces marques et modèles dont la société BOST GARNACHE INDUSTRIES est titulaire,

- lui a interdit en conséquence la poursuite des actes précités sous astreinte de 100 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- l'a condamnée à verser à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES la somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts outre la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles,

- a autorisé à ses frais, dans la limite de 3500 euros par insertion, la publication du dispositif du jugement dans deux quotidiens ou magazines au choix de la société BOST GARNACHE INDUSTRIES,

- l'a condamnée aux dépens,

- a ordonné l'exécution provisoire de la mesure d'interdiction et de la condamnation aux dommages-intérêts mais dans la limite de 60 000 euros ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 3 novembre 2008, par lesquelles la société MB PERRAUD OUTILLAGE, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la Cour de :

- constater que les premiers juges ont été trompés sur la validité juridique des droits français de modèles n° 85 36 47 et 86 66 92 et de marques tridimensionnelles n°97 66 05 98 et 97 66 05 99 invoqués, l'existence de la seconde marque n'ayant même pas été matériellement établie,

- dire et juger nuls et de nul effet les modèles français n° 85 36 47 et 86 66 92 et les annuler,

- dire que l'arrêt à intervenir devenu définitif sera transcrit par le greffe préalablement requis par la partie la plus diligente à l'INPI pour inscription sur le Registre national des modèles,

- constater que les marques françaises n° 85 36 47 et 86 66 92, (si cette dernière est bien dans la cause), ne sont pas valables et sont de nul effet pour l'intégralité des produits des classes 6, 8 et 20 visés à leur enregistrement, en application des dispositions de l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle,

- condamner la société BOST GARNACHE INDUSTRIES :

* à lui rembourser la somme de 60 909 euros versée en exécution du jugement entrepris, assortie des intérêts légaux à compter de la signification du jugement,

* à lui verser, par application des dispositions de l'article 1382 du Code civil,

la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du trouble commercial subi des suites de la procédure, sauf à parfaire,

* outre la somme de 36 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile,

- à titre très subsidiaire, réduire le montant des dommages-intérêts alloués à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES à 12.240 euros et la condamner à lui rembourser le surplus assorti des intérêts légaux à compter de la signification du jugement entrepris ;

Vu les ultimes écritures, signifiées le 24 novembre 2008, aux termes desquelles, la société BOST GARNACHE INDUSTRIES et la société STANLEY WORKS AG, prient la Cour de :

- donner acte à cette dernière de son intervention volontaire, en qualité de titulaire des droits des marques contrefaites, aux côtés de la société BOST GARNACHE INDUSTRIES, titulaire d'une licence exclusive,

- confirmer le jugement entrepris, notamment en ce qu'il a :

* validé la saisie pratiquée le 28 octobre 2004,

* fait interdiction sous astreinte à la société MB PERRAUD OUTILLAGE de vendre, exposer, commercialiser les tournevis contrefaisants,

* condamné cette dernière à réparer le préjudice causé à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES par ses agissements contrefaisants,

- le réformer sur l'évaluation du préjudice et statuant à nouveau :

* condamner la société MB PERRAUD OUTILLAGE à verser à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES la somme de 127 136 euros s'entendant de 77 136,48 euros en réparation du préjudice matériel direct que lui ont causé les ventes contrefaisantes outre de la somme de 50 000 euros en réparation de l'atteinte portée à l'image de sa marque commerciale,

- y ajoutant,

* ordonner la destruction des stocks de tournevis contrefaisants sous contrôle d'huissier, aux frais de la société MB PERRAUD OUTILLAGE,

* condamner cette dernière à verser à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES la somme de 100 euros par set manquant par rapport aux 3260 sets auxquels elle chiffre le stock contrefaisant non vendu,

* ordonner à titre de dommages-intérêts complémentaires la publication à ses frais dans 5 journaux dans la limite de 5000 euros par insertion,

* la condamner à verser à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES la somme de 12 000 euros au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens en ce compris les frais de saisie recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 1er décembre 2008 ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- la société BOST GARNACHE INDUSTRIES, ci-après BGI, est spécialisée dans la fabrication d'outillages, notamment des outillages à mains destinés aux industries de précision telles l'horlogerie et à la lunetterie,

- elle a conçu une gamme de 5 modèles de tournevis, dénommée EXPERT, protégés par deux dépôts à l'INPI effectués les 26 juillet 1985 et 17 décembre 1986, sous les numéros respectivement 85 36 47 et 86 66 92,

- ces modèles de tournevis, dotés d'un manchon revêtu d'un ornement qui donne à voir une succession d'alvéoles en creux évocatrices de celles qui apparaissent sur une balle de golf, ont en outre donné lieu au dépôt le 28 décembre 1994, pour désigner les produits des classes 6, 8 et 20, de deux marques figuratives tridimensionnelles renouvelées le 24 janvier 1997 respectivement sous les n° 97 660 598 et 97 660 599 concomitamment à un nouveau dépôt visant les produits de la classe 9,

- la société MB PERRAUD OUTILLAGE importe depuis la Chine et vend en gros aux enseignes spécialisées dans le bricolage des articles de petit outillage qui reproduisent fidèlement des modèles, tombés de longue date selon elle dans le domaine public,

- ayant découvert la diffusion par la société MB PERRAUD OUTILLAGE, sous la marque SCORPIO TOOLS, d'un set de 5 tournevis référencé 3116, constituant selon elle la reproduction servile des modèles de la gamme 'EXPERT', la société BGI a fait procéder le 28 octobre 2004, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, à une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société sise à [...], puis a introduit, aux griefs de contrefaçon de ses droits de modèles et de marques, la présente instance devant le tribunal de grande instance de Créteil qui a rendu le jugement déféré ;

- en cause d'appel, la société de droit suisse STANLEY WORKS AG est intervenue volontairement au côté de la société BGI pour faire connaître qu'elle était désormais propriétaire des marques opposées et la société BGI cessionnaire d'une licence d'exploitation;

- il convient de lui donner les actes requis qui ne soulèvent aucune contestation ;

Sur la validité des droits de modèles,

Considérant que le dépôt en date du 26 juillet 1985, enregistré sous le n° 85 3647 et publié le 15 mai 1986, porte sur un modèle de manche de tournevis caractérisé, en partant de la base de la lame, par la présence d'une portion tubulaire prolongée par évasement progressif, sans rupture, d'une portion ventrue de forme ovoïde revêtue d'alvéoles en creux évocatrices de celles rencontrées sur une balle de golf, enfin, d'une tête sphérique en forme de calotte ;

Considérant que le dépôt en date du 17 décembre 1986, enregistré sous le n° 86 6692 et publié le 7 décembre 1987, porte sur 5 représentations d'un modèle de tournevis équipé d'un manchon aux caractéristiques ci-dessus énoncées ;

Considérant que la société appelante entend combattre le grief de contrefaçon en faisant valoir, en premier lieu, que le dépôt n° 86 6692 visant le modèle de tournevis serait nul comme dépourvu tant de nouveauté que de caractère propre à raison de la divulgation antérieure, par la publication le 15 mai 1986 du dépôt n° 85 3647, des caractéristiques du manchon qui en constitue la pièce essentielle ;

Mais considérant que la partie intimée est pertinente à lui répliquer que les dépôts revendiqués étant régis par les dispositions des articles L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 sous l'empire desquelles une divulgation au public, dès lors qu'elle émane du déposant, n'est pas de nature à ruiner la nouveauté du modèle objet du dépôt, la demande en nullité formée de ce chef se trouve dénuée de fondement ;

Considérant que la société appelante prétend, en deuxième lieu, que le dépôt n° 85 3647 visant le modèle de manche de tournevis ne présenterait pas davantage quelconque nouveauté mais serait antériorisé par les brevets français MAC GREGOR de 1908 et ASTOIN de 1925, par le brevet suisse ERISMANN de 1953, par les brevets américains THOMSON de 1916, OSGOOD de 1928, ROBERTSON de 1950 et NOVELO de 1961 et encore par les modèles de tournevis des catalogues PEUGEOT de 1941 et MANUFRANCE de 1974 qui en auraient divulgué les caractéristiques ;

Mais considérant qu'il résulte des observations de la Cour que les figures invoquées, dont la forme générale est plus ou moins oblongue et l'aspect dénué d'alvéoles, à l'exception d'une seule qui en comporte quelques unes sur une partie de la surface, ne présentent que des fragments de ressemblance avec le modèle revendiqué et ne sauraient, par voie de conséquence, pour aucune d'entre elles, constituer l'antériorité de toutes pièces susceptible d'entacher la validité de ce dernier pour défaut de nouveauté ;

Considérant que la société appelante soutient enfin que les caractéristiques du modèle de manche de tournevis opposé seraient commandées par la nature et par la fonction technique de l'outil ;

Qu'elle n'apporte cependant le moindre élément de démonstration de la prétendue fonction utilitaire des caractéristiques du manchon alvéolé de sorte que l'apparence des modèles en cause doit être regardée comme procédant d'un effort créatif et d'une recherche esthétique qui confèrent à ces modèles un caractère propre dès lors qu'ils suscitent chez l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente de celle produite par les modèles divulgués antérieurement ;

Qu'il s'ensuit que les modèles dont se prévaut la société BGI sont éligibles à la protection instituée au Livre V du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001, conférée pour une durée de 25 ans à compter de la date du dépôt ;

Sur la validité des droits de marque

Considérant , en premier lieu, qu'au vu des éléments de la procédure la Cour constate, à l'instar des premiers juges, que sont versés aux débats, visés en numéro 2 du bordereau annexé aux écritures signifiées par la société BGI en date du 24 novembre 2008, les éléments justificatifs des dépôts à l'INPI le 28 décembre 1994, dans les classes 6, 8 et 20, de la marque tridimensionnelle n° 94/551 344 répondant à la description de 'Aspect d'alvéoles de couleur bleue' ainsi que de la marque tridimensionnelle n°94/ 551 345 répondant à la description de 'Aspect d'alvéoles' , les deux renouvelées le 24 janvier 1997 en même temps qu'un dépôt étendu aux produits de la classe 9, pour couvrir désormais, respectivement sous les n° 97 660 598 et 97 660 599, les produits des classes 6, 8, 9 et 20 comprenant notamment les outils à mains actionnés manuellement ;

Qu'il s'ensuit que la société appelante est mal fondée à prétendre que l'existence de la marque n° 97 660 599 représentant un 'Aspect d'alvéoles' sans revendication particulière de couleurs et, en conséquence, les revendiquant toutes ainsi que l'a jugé le tribunal, ne ressortirait pas des pièces versées aux débats ;

Considérant, en second lieu, que la société MB PERRAUD OUTILLAGE soulève la nullité des marques opposées pour défaut de caractère distinctif motif pris qu'elles seraient constituées exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ;

Considérant que les deux marques tridimensionnelles en cause représentent une matière comportant une succession d'alvéoles de même taille et de même forme, évocatrices de celles qui apparaissent sur une balle de golf ;

Or considérant que ces signes ne sauraient être regardés, au sens des dispositions de l'article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, comme constituant la désignation générique nécessaire ou usuelle, que ce soit dans le langage courant ou dans le langage professionnel, des articles d'outillage visés à l'enregistrement non plus que d'une qualité de ces produits ou encore comme représentant une forme résultant nécessairement de la nature ou de la fonction des produits ;

Qu'il s'ensuit que la prétention à l'annulation des marques revendiquées est dénuée de fondement ;

Sur la contrefaçon

Considérant qu'il apparaît au terme de l'examen comparatif des modèles de tournevis en cause, auquel la Cour s'est livrée, que les premiers juges ont pertinemment retenu, par des motifs qu'il convient d'adopter, que les 5 tournevis réunis en set offert à la vente sous la dénomination SCORPIO TOOLS et la référence 3116, reproduisent servilement en toutes leurs caractéristiques telles que précédemment décrites les modèles visés aux dépôts 85 3747 et 86 6692 au côté desquels ils suscitent une impression d'ensemble identique, qu'ils présentent par ailleurs un revêtement dont l'aspect formé d'une succession d'alvéoles de même taille, à effet balle de golf, constitue la contrefaçon par reproduction de la marque 97 660 599 et la contrefaçon par imitation de la marque 97 660 598, la différence observée dans les couleurs n'étant pas suffisante à prévenir le risque de confusion qu'une même impression d'ensemble est susceptible de générer dans l'esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie de produits concernée ;

Qu'il s'ensuit, par confirmation du jugement entrepris, que la contrefaçon des modèles et marques revendiqués par la société BGI est établie ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'au vu des éléments versés à la procédure et notamment des factures d'importation 2003/2004, les premiers juges ont exactement relevé que 15 500 sets de 5 tournevis ont été importés par la société MB PERRAUD OUTILLAGE, soit une masse contrefaisante de 75 000 tournevis; qu'au regard des stocks invendus le nombre des sets commercialisés s'élève à 12 240 ;

Considérant qu'il est constant que le set contrefaisant est vendu à ses distributeurs par la société MB PERRAUD OUTILLAGE au prix de 2,18 euros HT quand la société BGI vend un set similaire de 5 tournevis de la gamme 'EXPERT' au prix de 13,40 euros HT sur lequel elle dégage une marge de 46% ;

Considérant que les premiers juges ont pertinemment pris en compte dans l'évaluation du préjudice non seulement le gain manqué mais aussi la circonstance que les tournevis incriminés réalisent la contrefaçon cumulée de deux modèles et de deux marques ;

Considérant en effet que la mise sur le marché, dans les mêmes circuits de distribution, de copies serviles en grande quantité, de moindre qualité et à bas prix, a porté atteinte à la valeur patrimoniale des modèles originaux qu'elle a banalisés et dépréciés aux yeux de la clientèle qui s'en est nécessairement détournée, qu'elle a par surcroît galvaudé l'image des marques contrefaites ;

Considérant qu'en l'état de ces éléments d'appréciation les premiers juges ont raisonnablement fixé à la somme de 80.000 euros le montant des dommages-intérêts alloués à la société BGI en réparation du préjudice subi des suites des faits de contrefaçon commis par la société MB PERRAUD OUTILLAGE ;

Considérant que les mesures d'interdiction et de publication retenues par le tribunal suffisent à prévenir le renouvellement des agissements illicites, sans qu'il y ait lieu de mettre en oeuvre une mesure de destruction que n'imposent pas les circonstances de la cause ;

Sur les autres demandes

Considérant que le sens de l'arrêt et l'équité commandent de débouter la société appelante de sa demande formée au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner, faisant droit à la demande formée sur ce même fondement par la société BGI , à verser à cette dernière une indemnité complémentaire de 12 000 euros et à supporter les dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code précité ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne la société MB PERRAUD OUTILLAGE à verser à la société BOST GARNACHE INDUSTRIES une indemnité complémentaire de 12 000 euros au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.