CA Paris, 4e ch., 9 avril 1999, n° D19990039
PARIS
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PRESTIGE (SA), ALM SERVICES (Ste) , MAXI'S (Sarl)
Défendeur :
YVES SAINT LAURENT INTERNATIONAL (Sté)
FAITS ET PROCEDURE
YVES SAINT LAURENT est titulaire d'un modèle de flacon déposé à l'INPI le 26 janvier 1993, enregistré sous le n 93.0403 et ainsi décrit :
- " vaporisateur de parfum en toute matière et notamment en verre ou cristal de forme générale ovoïde allongée se terminant à une extrémité par un fond plat et à l'autre extrémité par une collerette circulaire sensiblement plane d'où s'élèvent le col du flacon et le piston du vaporisateur coiffés par le bouchon en matière de même aspect que le corps du flacon. La paroi latérale présente des rainures dans lesquelles s'incrustent des cordelettes d'aspect métallique torsadées qui se nouent sur le dessus de la collerette dans une gorge périphérique circulaire et sur le fond en se terminant dans un logement en creux de la paroi de fond. La collerette et un bandeau sous-jacent sur la partie haute de la paroi latéral du flacon ainsi que son col et le piston présentent un aspect de surface métallique martelée. Les parties d'aspect métallique sont dorées. Le bouchon présente comme le flacon des rainures sur ses faces latérales qui se terminent sur le dessus en débouchant dans une gorge circulaire ".
YVES SAINT LAURENT s'estimant victime de contrefaçon de son modèle de flacon pour le parfum anciennement dénommé CHAMPAGNE (et aujourd'hui appelé YVRESSE) par le flacon CHAMAILLE de PRESTIGE a fait procéder aux saisie- contrefaçon suivantes :
- le 7 septembre 1994 dans les locaux de MAXI'S à Clichy,
- le 21 octobre 1994 dans les locaux de la société PRESTIGE à Paris,
- le 21 octobre 1994 dans les locaux des sociétés PRESTIGE et ALM SERVICES à Saint Florentin,
- le 27 juillet 1995 dans les locaux des sociétés MAXI'S, ALM SERVICES et PRESTIGE à Paris, Clichy et Saint Florentin.
Au vu des procès-verbaux de contrefaçon YVES SAINT LAURENT a fait assigner :
- le 21 septembre 1994 la société MAXI'S devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, puis le 26 septembre 1994 devant le Tribunal de commerce de Nanterre, l'affaire ayant été renvoyée à sa demande devant le Tribunal de commerce de Paris, en contrefaçon et concurrence déloyale,
- le 4 novembre 1994 les sociétés PRESTIGE et ALM SERVICES devant le Tribunal de commerce de Paris en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale,
- le 8 août 1995 les société PRESTIGE, ALM SERVICE et MAXI'S devant le Tribunal de commerce de Paris en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme.
Les trois procédures ont été jointes devant le Tribunal de commerce de Paris.
YVES SAINT LAURENT priait le Tribunal de condamner les défenderesses à lui payer au titre de la contrefaçon la somme de 21 millions de francs pour atteinte au modèle et la même somme pour préjudice commercial et au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme la somme de 22 millions de francs ainsi que l'ordonner des mesures d'interdiction et de confiscation sous astreinte et de publication.
Les défenderesses invoquaient en réplique la nullité de l'ensemble des saisies- contrefaçon, l'absence de protégeable du modèle de flacon d'YVES SAINT LAURENT, l'absence de contrefaçon du modèle YVES LAURENT par le modèle CHAMAILLE et au contraire la contrefaçon de leur modèle PENELOPE par le modèle YVES SAINT LAURENT et enfin l'absence de faits constitutifs de concurrence déloyale.
Le jugement a :
- validé les saisies-contrefaçon et débouté les sociétés MAXI'S, PRESTIGE et ALM SERVICES de leurs demandes de nullité et de dommages-intérêts au titre des saisies- contrefaçon abusives,
- dit que le flacon CHAMAILLE n'était pas la copie du flacon YVES SAINT LAURENT et débouté YVES SAINT LAURENT de ses demandes au titre de la contrefaçon,
- dit que les défenderesses avaient commis des actes de concurrence déloyale en imitant le flacon d'YVES SAINT LAURENT et en diffusant le parfum CHAMAILLE,
- prononcé des mesures d'interdiction et de confiscation sous astreinte ainsi que de publication,
- dit que le flacon YVES SAINT LAURENT n'était pas la copie du flacon PENELOPE et en conséquence débouté les défenderesses de leurs demandes reconventionnelles,
- condamné in solidum les défenderesses à payer à YVES SAINT LAURENT la somme de 300.000 F au titre de la concurrence déloyale et celle de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les sociétés MAXI'S, PRESTIGE et ALM SERVICES poursuivent la réformation de cette décision sauf en ce qu'elle a déclaré protégeable le flacon PENELOPE. Elles prient la Cour de :
- " dire que la saisie-contrefaçon pratiquée le 7 septembre 1994 à l'encontre de MAXI'S est nulle, la société requérante ne s'étant pas pourvue dans le délai de quinzaine défini à l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle,
- dire que les saisies pratiquées le 27 juillet 1995 à Paris, dans les locaux de PRESTIGE, à Nanterre dans les locaux de MAXI'S et à Saint Florentin, dans les locaux d'ALM SERVICES et de MAXI'S sont nulles, les termes précis des ordonnances autorisant lesdites saisies n'ayant pas été respectés, lesdites ordonnances étant elles-mêmes milles en ce qu’elles contiennent l'autorisation par un salarié du requérant d'assister aux opérations de saisie,
- dire que le flaconnage dénommé CHAMAILLE qui découle directement de l'oeuvre créée au mois de juillet 1990 sous la dénomination PENELOPE et dont PRESTIGE détient tous les droits de création, ne peut constituer, du fait de cette antériorité, une quelconque contrefaçon du modèle déposé le 26 janvier 1993 par YVES SAINT LAURENT,
- dire qu'aucun fait distinct de ceux fondant la contrefaçon ne vient établir une quelconque faute constitutive de concurrence déloyale,
- en conséquence débouter YVES SAINT LAURENT de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale ".
Reconventionnellement les appelantes font valoir que le modèle d'YVES SAINT LAURENT constitue la contrefaçon de l'oeuvre intitulé PENELOPE. Elles prient la Cour de :
- " prononcer de ce chef des mesures d'interdiction sous astreinte au réservant s'il y a lieu la compétence de la Cour pour statuer sur une demande en liquidation de ladite astreinte,
- condamner YVES SAINT LAURENT à leur payer la somme provisionnelle de cinq millions de francs à valoir sur le montant du préjudice subi du fait de la contrefaçon dans l'attente des résultats d'une expertise également sollicitée,
- ordonner la restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution du jugement déféré ".
YVES SAINT LAURENT conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a jugé que le modèle PENELOPE était protégeable, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en contrefaçon de son modèle par le flacon CHAMAILLE et sur le quantum des dommages- intérêts. Elle prie la Cour de :
- dire que CHAMAILLE constitue la contrefaçon de son modèle de flacon déposé le 26 janvier 1993,
- prononcer à ce titre des mesures d'interdiction et de confiscation sous astreinte ainsi que de la publication,
- condamner in solidum les appelantes à lui payer la somme de 2 millions de francs à titre de dommages-intérêts pour l'atteinte au modèle et la même somme pour le préjudice commercial ainsi qu'une somme de 4 millions de titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,
- condamner in solidum les appelantes à lui payer la somme de 180.900 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
DECISION
I - SUR LES SAISIES
Considérant que les appelantes soutiennent que certaines saisies pratiquées par YVES SAINT LAURENT sont nulles, à savoir trois saisies (sur les quatre) effectuées le 27 juillet 1995 à Paris et à Saint Florentin et la saisie en date du 7 septembre 1994 effectuée dans les locaux de MAXI'S à Clichy ;
Considérant qu'en réplique YVES SAINT LAURENT fait valoir que les appelantes n'ont exercé aucun recours contre les ordonnances autorisant les saisies et n'ont pas mis en cause la responsabilité personnelle des huissiers saisissants ;
1 - la saisie pratiquée le 7 septembre 1994 chez MAXI'S à Clichy
Considérant que MAXI'S soutient que la saisie-contrefaçon effectuée par YVES SAINT LAURENT le 7 septembre 1994 serait nulle au motif qu'elle n'aurait pas été suivie d'une assignation au fond devant la juridiction compétente dans le délai prévu par l'article L.521-1 du Code de la propriété intellectuelle et que par voie de conséquence il y aurait lieu d'écarter des débats tous les éléments consignés dans le procès-verbal de M R ainsi que tous les documents annexés ;
Considérant que l'intimée fait valoir que la procédure qu'elle a initiée est régulière puisque MAXI'S a bien été assignée devant la juridiction compétente pour connaître des faits qui lui étaient reprochés dans le délai de quinzaine ; qu'elle ajoute pour le cas où la Cour ne ferait pas droit à son argumentation que " seule serait affectée de nullité la saisie effectuée le cas échéant par l'huissier et qu'en revanche le saisissant resterait fondé à utiliser le procès-verbal de l'huissier ainsi que tous documents annexés par ce dernier " ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites que le 21 septembre 1994 YVES SAINT LAURENT a fait assigner MAXI'S devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, incompétent ratione materise pour connaître du litige, cette assignation n'ayant pas été placée ; qu'une autre assignation a ensuite été délivrée devant le Tribunal de commerce de Nanterre, le 26 septembre 1994, soit dix-neuf jours après la saisie-contrefaçon du 7 septembre 1994 ; qu'en fin YVES SAINT LAURENT a sollicité du Tribunal de commerce de Nanterre de se déclarer incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris et qu'un jugement en date du 14 février 1995 a renvoyé la cause devant le Tribunal de commerce de Paris ;
Considérant qu'une assignation devant un Tribunal incompétent ne pouvant avoir aucun effet, YVES SAINT LAURENT n'a pas satisfait à l'obligation d'assigner dans le délai de quinzaine prévu par les dispositions de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle ; que la saisie du 7 septembre 1994 est donc nulle, ledit article ne faisait au surplus aucune distinction quant aux conséquences de la nullité entre saisie descriptive et saisie réelle ;
Considérant que MAXI'S est donc fondée à voir écarter des débats les éléments consignés dans le procès-verbal de M R ; que le jugement sera réformé de ce chef ;
2 - la saisie pratiquée le 27 juillet 1995 chez PRESTIGE à Paris
Considérant par PRESTIGE soutient que cette saisie serait nulle au motif que l'huissier aurait emporté pendant 72 heures à son étude tous les documents entreposés dans les lieux pour les années 1990, 1991, 1992, 1993 et 1995 alors que la saisie ne pouvait selon elle porter que sur des faits remontant au plus au 27 juin 1992, les autres faits étant prescrits et la saisie se trouvant de ce fait "inopérante en droit" ;
Qu'elle soutient également qu'en emportant tous les documents relatifs aux années précédemment mentionnés, l'huissier n'aurait pas respecté les limites fixées par l'ordonnance le missionnant et par la loi applicable et que le comportement de ce dernier aurait été "aggravé par la présence, lors des opérations de saisie, de Mme Sophie B, salariée de SANOFI BEAUTE, maison mère d'YVES SAINT LAURENT, qui a ainsi pu prendre connaissance dans l'étude de l'huissier de tous les documents comptables" ; que selon elle l'huissier aurait effectué "une véritable perquisition en règle, outrepassant de manière scandaleuse les limites fixées à ses pouvoirs d'intervention tant par la loi qu'il ne pouvait ignorer, que par les termes précis de l'ordonnance.... La présence d'un cadre salarié de la maison mère d'YVES SAINT LAURENT, expliquant sûrement ce comportement fautif qui révèle un abus et un acharnement inadmissible qui doivent être lourdement sanctionnés" ;
Qu'elle fasse enfin valoir qu'en autorisant la présence d'un représentant des requérants, l'ordonnance autorisant la saisie aurait contrevenu aux dispositions des articles L. 521-1 et L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais considérant qu'aux termes de l'ordonnance missionnant l'huissier en date de 24 juillet 1995 YVES SAINT LAURENT a été autorisée à procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de PRESTIGE par M D, huissier de justice, "assisté de tout conseil et/ou de toute personne, au choix des huissier de justice, " assisté de tout conseil et/ou de toute personne, au choix des requérantes, nécessaire à l'accomplissement de la mission de l'huissier et notamment d'un représentant des sociétés requérantes " ; qu'aux termes de cette ordonnance il était au surplus prévu que l'huissier saisissant serait autorisé "avec ses assistants à se faire présenter, à rechercher, à copier, à faire copier.... Tous documents qui pourraient révéler l'origine, la preuve, l'étendue et l'importance des agissements reprochés..." ;
Considérant que compte tenu des termes précis de l'ordonnance, qui ne contrevient pas aux dispositions de l'article L.521-1 du Code de la propriété intellectuelle (l'article L. 716- 7 relatif aux droits des marques étant quant à lui inopérant en la matière), il ne serait être fait grief à YVES SAINT LAURENT de l'assistance de Mme B, chargée de la représenter lors des opérations de saisie ;
Considérant qu'en vertu des termes de l'ordonnance précitée, il était prévu que l'huissier était autorisé à emporter tous documents mentionnés à l'ordonnance " qui pourraient révéler l'origine, la preuve, l'étendue et l'importance des agissements reprochés tels que plans, ... bons de commande, factures, livres, contrats, bordereaux, prospectus et d'une façon générale, tous documents de commerce, de comptabilité, ... pour copier après en avoir dressé un inventaire contradictoire et à charge pour lui de les restituer dans les 72 heures " ;
Considérant que PRESTIGE n'établit pas que l'huissier ait outrepassé les termes de la mission qu'avait cru devoir fixer le juge ; que dans ces conditions les appelantes -dont on relèvera qu'elles n'ont pas réclamé de dommages intérêts pour saisie abusive- ne démontrent pas l'existence de faits de nature à justifier, au regard des textes applicables en cette matière, la nullité de la saisie ;
3 - Sur la saisie pratiquée le 27 juillet 1995 dans les locaux de MAXI'S
Considérant que PRESTIGE conteste également les conditions dans lesquelles aurait été effectuée cette saisie dont elle réclame la nullité en faisant valoir que l'huissier aurait emporté des documents pour les photocopier ; que cependant pour les mêmes motifs que ceux retenus ci-dessus, cette demande sera rejetée ;
4 - Sur la saisie pratiquée le 27 juillet 1995 dans les locaux des sociétés PRESTIGE et ALM SERVICES à Saint Florentin
Considérant que PRESTIGE réclame enfin la nullité de cette saisie au motif que l'huissier aurait saisi des documents sans rapport avec les droits invoqués dans la requête déposée et que le salarié d'YVES SAINT LAURENT, présent sur les lieux, aurait de surcroît interrogé le représentant d'ALM SERVICES ;
Mais considérant, d'une part, que PRESTIGE n'établit nullement que les documents saisis, au demeurant photocopiés avec l'accord d'ALM SERVICES, auraient été sans rapport avec les droits invoqués, que, d'autre part, la présence de M. F, représentant d'YVES SAINT LAURENT avait été autorisée par l'ordonnance missionnant l'huissier ;
Considérant qu'en définitive toutes les demandes de nullité des saisies du 27 juillet 1995 seront donc rejetées, étant précisé qu'YVES SAINT LAURENT se fonde non seulement sur ces saisies mais aussi sur celles, non critiquées, effectuées le 21 octobre 1994, au cours desquelles a été notamment saisi le flacon CHAMAILLE et où ont été prises un certain nombre de photographies du flacon PENELOPE, pour asseoir son action en contrefaçon de modèle et en concurrence déloyale ;
II - SUR LA CONTREFAÇON ET LA CONCURRENCE DELOYALE
Considérant qu'YVES SAINT LAURENT invoque ses droits sur le modèle de flacon déposé le 26 janvier 1993, servant à la commercialisation du parfum initialement dénommé " champagne " ;
Que les appelantes soutiennent d'une part, que ce modèle est nul pour défaut de nouveauté et d'autre part, qu'il constitue la contrefaçon de leur propre flacon PENELOPE créé selon elles en 1990 ;
Que l'intimée réplique que ce flacon PENELOPE n'est pas protégeable et que son propre modèle n'en est pas la contrefaçon ; qu'elle ajoute que le flaconnage dénommé CHAMAILLE (qui est à l'origine de la présente procédure), postérieur à son dépôt et au lancement de son parfum est distinct du flacon PENELOPE prétendument créé en 1990 et constitue la contrefaçon de son modèle ;
Considérant qu'il résulte des documents versés aux débats, des plans de la société PACKPLAST, des bons de commande de PRESTIGE et des attestations des sociétés PACKPLAST et V B ROCCO que PRESTIGE a conçu le flacon PENELOPE le 23 juillet 1990 ; qu'il est constitué d'un flacon de forme légèrement bombée, recouvert en sa partie supérieure d'une frette et coiffé d'un capuchon formant bouchon, la base de la frette étant formée d'arcs de cercle juxtaposés qui se terminent par des rainures verticales se prolongeant elles-mêmes jusqu'à la base du flacon ;
Considérant que ce flacon a été commercialisé par PRESTIGE dès 1991 et 1992 sous les déclinaisons et noms suivants :
- " Confidence " : capot PENELOPE en PP vert clair - frette PENELOPE en PP vert foncé avec décor or brillant,
- " Dalyama " : capot PENELOPE en PP rouge - frette PENELOPE en PP métallisés en or décor noir,
- " Confiance " : capots PENELOPE en PP vert clair - frette PENELOPE en PP vert foncé avec décor or,
- " South coast " : capots PENELOPE en PP bleu - frette PENELOPE avec marquage en bleu ; frette PENELOPE en PP jaune avec décor bleu nuit ;
Considérant qu'YVES SAINT LAURENT, pour dénier toute originalité au flacon PENELOPE verse aux débats un modèle déposé le 25 mai 1985 par la SA BRUMEAUX ;
Mais considérant que la flacon BRUMEAUX présente d'importantes différences avec le flacon PENELOPE, quant à la forme (arrondie et non carrée), quant au capuchon rond et plat, quant à la frette plus profonde vers le bas, qui n'a que quatre arrondis au lieu de six et qui est anguleuse et non arrondie dans sa partie inférieure ; que cette réalisation antérieure ne peut détruire l'originalité de PENELOPE qui résulte de la combinaison de la frette et du capuchon laquelle donne à l'ensemble une impression de continuité ; que le flacon PENELOPE porte ainsi l'empreinte de la personnalité de son auteur et est protégeable sur le fondement des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant cependant que les appelantes ne peuvent sérieusement soutenir que le modèle d'YVES SAINT LAURENT serait la contrefaçon de PENELOPE, les deux flacons ne se ressemblant pas, notamment dans la forme du flacon et dans celle de la frette, de sorte que le modèle ne reproduit pas les éléments ci-dessus mentionnés qui font l'originalité du flacon PENELOPE ; que la demande formée à ce titre par elle sera rejetée ;
Considérant que les premiers juges ont débouté YVES SAINT LAURENT de sa demande en contrefaçon de modèle et accueilli sa demande en concurrence déloyale en retenant, d'une part, que le flacon CHAMAILLE n'était pas la copie du flacon YVES SAINT LAURENT et en différait suffisamment pour ne pas être confondu par un consommateur d'attention moyenne, mais, d'autre part, qu'il en était visiblement une imitation ;
Considérant que le flacon CHAMAILLE, qui a été commercialisé postérieurement au flacon Yvresse, n'est pas-quoique prétendent les appelantes- une simple déclinaison du flacon PENELOPE puisqu'il s'en distingue par les éléments essentiels suivants : un bouchon en verre transparent et une frette épaulée d'apparence métallique martelée ;
Considérant que le modèle de flacon déposé le 26 janvier 1993 par YVES SAINT LAURENT est nouveau par la combinaison d'éléments caractéristiques tels qu'un bouchon en verre transparents, une frette épaulée d'apparence métallique martelée, une tresse métallique, et des cannelures destinées à retenir la tresse, qui évoquent le muselet d'un bouchon de champagne ; qu'il est, en l'absence d'antériorités de toutes pièces, protégeable sur le fondement du livre V du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que CHAMAILLE reprend deux des caractéristiques qui fondaient la protégeable du modèle YVRESSE, à savoir le bouchon en verre transparent et la frette épaulée d'apparence métallique martelée ; qu'il en constitue donc la contrefaçon, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;
Considérant que l'examen des pièces produites ne confirme pas les allégations d'YVES SAINT LAURENT concernant l'imitation de sa fragrance, de la couleur du jus et du cartonnage de son parfum ; qu'en l'absence de démonstration de faits concurrence déloyale distincts de ceux retenus par ailleurs au titre de la contrefaçon, elle sera déboutée par réformation du jugement de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ;
III - SUR LE PREJUDICE
Considérant qu'au vu des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 21 octobre 1994 et 27 juillet 1995 et de la dépréciation du modèle dû à la commercialisation à vil prix de CHAMAILLE (13 F) la Cour la cour estime que la somme de 300 000 F initialement allouée à l'intimée pour la concurrence déloyale réparera son préjudice résultant de la contrefaçon ;
Considérant que les mesures d'interdiction et de confiscation sous astreinte ainsi que de publication seront confirmées ;
Considérant que l'équité eu égard aux circonstances particulières de la cause commande d'allouer une somme de 20 000 F pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel de l'intimée, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a validé la saisie-contrefaçon du 7 septembre 1994, en ce qu'il a débouté la société YVES SAINT LAURENT de sa demande en contrefaçon et fait droit à sa demande en concurrence déloyale et en ce qui concerne les frais irrépétibles alloués à celles-ci ;
Réformant de ces chefs et ajoutant :
Prononce la nullité de la saisie-contrefaçon pratiquée le 7 septembre 1994 à l'encontre de la société MAXI'S ;
Dit que la somme de 300 000 F allouée à la société YVES SAINT LAURENT à titre de dommages intérets le préjudice résultant des actes de contrefaçon dont elle a été victime ;
Dit que les publications ordonnées par les premiers juges tiendront compte du présent arrêt ;
Condamne in solidum les sociétés MAXI'S, PRESTIGE et ALM SERVICES à payer à la société YVES SAINT LAURENT la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, première instance et appel confondus ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne in solidum les appelantes aux dépens ;
Admet la SCP BOMMART FORSTER au bénéficie des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.