Cass. crim., 2 décembre 1997, n° 96-85.484
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Milleville
Rapporteur :
M. Desportes
Avocat général :
M. Amiel
Avocat :
SCP Vier et Barthélemy
CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X,
- la société Y,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 18 octobre 1996, qui a condamné, le premier, à 4 000 francs d'amende pour établissement d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts, et, la seconde, à 20 000 francs d'amende pour usage et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) :
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 441-7 du Code pénal, 161, alinéa 4, de l'ancien Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable d'avoir établi sciemment deux attestations faisant état de faits matériellement inexacts ;
aux motifs que l'information a démontré que l'avoir Z avait été établi manuellement par B qui a reconnu sa propre écriture et que X en avait effectué la saisie informatique ; que X, tout en ayant, dans sa seconde attestation, admis une participation valant non-respect des procédures internes, a maintenu qu'A avait pris "la très mauvaise décision de faire un avoir" ; qu'il ne peut valablement soutenir qu'il entendait par là qu'A était, sinon le rédacteur de l'avoir, du moins son auteur intellectuel pour lui avoir demandé de l'établir alors qu'ils étaient tous deux au même niveau hiérarchique et surtout que M. D, alors chef de l'agence de C, a affirmé, dans une attestation non utilement contredite, avoir donné à X comme instruction de faire un avoir de 648,90 francs ;
alors, d'une part, que pour que le délit de l'article 441-7 du Code pénal soit constitué, il faut que l'attestation incriminée fasse état de faits, d'éléments objectifs dont la fausseté est établie ; qu'en énonçant que X avait rédigé volontairement des attestations au contenu inexact cependant que n'était pas établie l'inexactitude des faits qu'il avait rapportés, la chambre correctionnelle de la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
alors, d'autre part, que l'existence de faits matériellement inexacts au sens de la loi suppose que les faits attestés constituent des éléments objectifs susceptibles de constatations, de vérifications et de preuve contraire et non point une appréciation personnelle de l'auteur de l'attestation ; que l'énonciation de l'écrit incriminé selon laquelle A avait pris "la très mauvaise décision de faire un avoir" constitue une simple appréciation personnelle qui, en tant que telle, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 551-7 du Code pénal qui incrimine uniquement le fait de faire état des faits objectifs matériellement inexacts ;
alors, enfin, que le délit d'établissement d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts est un délit intentionnel ;
qu'en retenant la culpabilité de X sans avoir constaté les faits propres à caractériser la conscience de son auteur du caractère inexact des mentions contenues dans les attestations, intention en l'absence de laquelle, il ne pouvait avoir agi sciemment, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que X, salarié de la société Y, a établi une attestation relatant qu'un autre salarié de cette société, A, avait pris "la très mauvaise décision de faire un avoir" au profit d'un client, dans des conditions irrégulières ; que cette attestation a été produite par la société Y au cours de l'instance prud'homale introduite par A à la suite de son licenciement ; que, sur la plainte de celui-ci, X et la société Y ont été poursuivis, le premier, pour établissement de fausse attestation et, la seconde, pour usage ;
Attendu que, pour déclarer X coupable du délit qui lui est reproché, la cour d'appel énonce que l'avoir mentionné dans l'attestation avait été établi en réalité, non par A ou à son initiative, mais par un autre salarié de la société, à la suite d'instructions données au prévenu, lequel avait lui-même procédé à "la saisie informatique" de l'opération ; que les juges en déduisent que X a volontairement rédigé une attestation au contenu inexact ;
Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit prévu par l'article 441-7 du Code pénal, dès lors qu'il est reproché au prévenu, non d'avoir porté une appréciation erronée sur la décision prise par A, mais d'avoir attesté faussement le fait matériel de cette décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 441-7 du Code pénal, 161, alinéa 4-1°, de l'ancien Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Y coupable d'avoir volontairement fait usage de fausses attestations établies par X et B ;
aux motifs qu'en l'espèce il ressort des propres déclarations de C à l'audience que les attestations litigieuses ont été sollicitées à la suite d'une initiative conjointe du service du personnel et du directeur régional ;
que, devant le magistrat instructeur, il avait indiqué que c'était à la demande de la société que les imprimés relatifs aux attestations avaient été adressés à X et B et que lesdites attestations avaient été produites avec l'accord de la société qu'il a toujours représentée dans l'instance prud'homale après avoir été le signataire de la lettre de licenciement d'A ;
qu'il est ainsi suffisamment établi qu'un représentant légal de la SA Y est intervenu dans la réalisation de l'infraction commise pour le compte de la société qui avait un intérêt manifeste à justifier le licenciement intervenu pour éviter une éventuelle condamnation à des dommages-intérêts ;
que le moyen tenant à l'absence de l'élément matériel de l'infraction sera, en conséquence, écarté ;
que la SA Y est, par ailleurs, mal fondée à soutenir que l'élément moral de l'infraction ne serait pas caractérisé dès lors que seul le service du personnel aurait sollicité les attestations ; qu'outre l'argumentation sus-développée, il apparaît que la décision de licencier A a été prise au plus haut niveau au vu d'un rapport établi à la demande de M. E, responsable du service de contrôle des avoirs, par X qui n'avait pourtant pas la qualité de chef d'agence ;
que la SA Y, qui disposait aussi des explications nécessairement données par A lors de l'entretien préalable à son licenciement, ne pouvait donc ignorer, lorsqu'elle les a produites en justice, que les attestations de X et B comportaient certaines affirmations inexactes ;
alors, d'une part, que la responsabilité pénale d'une personne morale suppose que soit établie la responsabilité pénale d'une ou de plusieurs personnes physiques représentant ladite personne morale ; qu'en énonçant qu'un représentant légal de la société Y était intervenu dans la réalisation de l'infraction commise sans constater qu'était établie la responsabilité pénale d'une personne physique nommément désignée représentant la personne morale la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
alors, d'autre part, que la responsabilité pénale de la personne morale ne peut être engagée que si l'infraction a été commise par un représentant de celle-ci ; qu'en se bornant à énoncer qu'un représentant légal de la société Y était intervenu dans la réalisation de l'infraction commise sans caractériser la commission par un représentant de la société de l'infraction prétendue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
alors, enfin, que l'intention frauduleuse constitutive du délit d'usage de fausses attestations suppose la conscience de son auteur du caractère inexact des mentions qu'elles contiennent ; qu'en se bornant à retenir que la société Y ne pouvait ignorer, lorsqu'elle les a produites en justice, que les attestations de X et B comportaient certaines affirmations inexactes sans s'expliquer sur les conclusions de la société Y qui insistait sur le fait que, s'agissant de faux intellectuels, elle n'avait pu avoir connaissance du caractère inexact des attestations dès lors que la procédure de licenciement d'A avait été suivie au niveau régional sur la base d'un rapport établi par X, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit, privant ainsi sa décision de toute base légale ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte de l'article 121-2 du Code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;
Attendu que, pour déclarer la société anonyme Y coupable d'usage des fausses attestations établies contre A, la cour d'appel retient que celles-ci ont été produites en justice par C qui, en qualité de directeur général, représentait la société dans l'instance prud'homale introduite par le salarié ; que les juges ajoutent que, lorsqu'elle a produit les attestations, "la SA Y" ne pouvait ignorer qu'elles comportaient certaines affirmations inexactes ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si le directeur général de la société, organe de la personne morale, avait eu personnellement connaissance de l'inexactitude des faits relatés dans les attestations et si l'élément intentionnel du délit était ainsi caractérisé, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article précité ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de F en date du 18 octobre 1996, mais uniquement en ses dispositions prononçant sur les actions publique et civile dirigées contre la société Y, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de E.