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Décisions

Cass. crim., 6 mai 2014, n° 12-88.354

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Monfort

Avocat général :

M. Mathon

Avocats :

Me Balat, SCP Gatineau et Fattaccini

Douai, du 19 oct. 2012

19 octobre 2012

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 4741-1, L. 4741-2, R. 4512-6, R. 4512-5 et R. 4512-8 du code du travail, 121-2, 121-3, alinéa 3, et 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société STE coupable d'homicide involontaire pour avoir omis de donner à la société LPS des informations sur les risques liés à l'entretien des pneus, notamment contenues dans la notice d'instruction du stacker et autres préconisations du constructeur, et de s'être abstenue de vérifier et de contrôler les jantes depuis la prise en charge du stacker ;

aux motifs propres que les moyens soulevés par la société Terminal de l'Escaut pour obtenir sa relaxe devant la cour, avaient déjà été soulevés devant la juridiction de première instance qui y a exactement répondu, les a écartés et a retenu la culpabilité de la société Terminal de l'Escaut par des motifs pertinents que la cour adopte ; qu'il suffit de préciser que le seul fait qu'une expertise métallurgique de la jante n'ait pas été diligentée par l'expert, après que le procureur de la République de Dunkerque ait refusé ces investigations complémentaires en raison de leur coût, laquelle ne devait permettre que de connaître la qualité de l'acier, ne permet pas de remettre en cause les conclusions de l'expertise aux termes desquelles la jante du pneu en cause était en cours de fissuration et que la rupture de l'éjection de la roue sont liées au non dégonflage effectif du pneu et à la rupture de la jante ; qu'en sa qualité de preneur de matériel le confiant à une entreprise tierce pour des opérations de maintenance, il lui appartenait de communiquer à cette entreprise les documents qui lui avaient été remis par le constructeur, au lieu de supposer que les éléments d'information contenus dans ces documents étaient connus de la société Littoral pneus service, alors que la procédure a permis d'établir à tout le moins que l'information relative à la vérification des jantes toutes les 2000 heures d'utilisation n'était pas connue d'elle ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits reprochés à la prévenue sont établis ; que le jugement sera confirmé sur la culpabilité ;

et aux motifs adoptés qu'il résulte des pièces de la procédure, en particulier du compte rendu d'inspection commune et du plan de coordination des travaux entre les deux entreprises (peu renseignés, risques et consignes de sécurité d'ordre général, relatifs au site et non au matériel dont STE confiant la maintenance, rubrique « documents remis plan de circulation, consignes de sécurité » : vide), que la société utilisatrice STE qui avait pourtant à sa disposition un manuel de conduite et d'entretien sur le stacker complet et explicite sur les risques identifiés, les modes opératoires à observer et consignes de sécurité à respecter pour les pneumatiques et qui s'était désintéressée de la question de la vérification de l'état des jantes, n'avait pas rempli ses obligations légales et réglementaires en matière de communication des informations relatives à la prévention des risques notamment s'agissant des travaux à accomplir, des matériels utilisés et de leurs conditions d'entretien ; que ces manquements aux prescriptions légales et réglementaires dont est résulté l'accident mortel, fondent la responsabilité de la société STE qui sera en conséquence déclarée coupable d'homicide involontaire ;

1°) alors qu'aux termes de l'article R. 4512-5 du code du travail, les employeurs se communiquent toutes informations nécessaires à la prévention des risques, notamment la description des travaux à accomplir, des matériels utilisés et des modes opératoires dès lors qu'ils ont une incidence sur la santé et la sécurité ; que le défaut de communication du manuel de conduite et d'entretien du stacker de la société STE à la société LPS ne pouvait constituer une « information nécessaire à la prévention des risques » au sens de cet article dès lors que la société LPS, spécialisée dans la maintenance et l'entretien des pneumatiques des engins de manutention et spécialement des stackers, faisait intervenir un personnel formé et habitué à ces opérations, qui connaissait parfaitement les règles de l'art que le manuel ne fait que reproduire, lesquelles exigent expressément la vérification que le pneumatique ne présente aucun risque d'éclatement ainsi que la vérification de l'absence d'anomalie de la jante (fêlure, cassure), et le dégonflement du pneumatique avant de procéder à la dépose de la roue ; qu'en justifiant la condamnation pénale de la prévenue sur le fondement de l'absence de communication du manuel de conduite et d'entretien du stacker quand il était établi que la condition de nécessité de cette communication, faisait défaut en l'espèce, la cour d'appel a méconnu le texte visé au moyen et privé sa décision de condamnation de toute base légale ;

2°) alors qu'il est établi et non contesté que la société STE avait sous-traité la maintenance et le changement des pneumatiques des stackers à la société LPS ; qu'il est constant, par ailleurs, que l'unique moyen de contrôler les jantes consiste d'abord à démonter les pneus, de sorte que l'examen des cerclages et jantes ne pouvait être effectué que par le spécialiste des pneumatiques ; qu'il avait enfin été démontré par la société LPS, spécialiste des pneumatiques, qu'avant la mise en place d'une immatriculation des jantes lors du montage initial afin de pouvoir assurer un suivi de chacune, décidée à la suite de l'accident, il lui était en réalité impossible d'assurer un contrôle régulier des jantes faute d'identification ; qu'en imputant, néanmoins, à la société STE un défaut de communication d'informations relatives à la prévention des risques relatifs à l'entretien des jantes, quand il était établi que l'évaluation de ces risques par le contrôle des jantes relevait nécessairement et exclusivement des travaux exécutés par la société LPS et de son devoir de conseil, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

3°) alors encore que l'article 221-6 du code pénal exige, pour recevoir application, que soit constatée l'existence certaine d'un lien de causalité entre la faute de l'organe ou du représentant de la personne morale et le décès de la victime ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, la société STE dénonçait expressément le défaut de causalité certaine entre les manquements qui lui étaient reprochés et le décès de la victime, en faisant valoir, d'une part, que la transmission du manuel d'utilisation du stacker à la société LPS n'aurait en rien permis d'éviter l'accident dès lors que les modes opératoires qui y étaient rappelés étaient parfaitement connus des intervenants, et, d'autre part, que rien ne permettait d'établir que la rupture de la jante à l'origine de l'accident, était due à un défaut de contrôle dès lors qu'aucune analyse métallurgique, seule susceptible de permettre de savoir si la rupture métallique de la jante était due à une absence de contrôle des jantes, ou à une défaillance provenant d'un vice propre à la jante, n'avait été diligentée lors de l'enquête préliminaire en raison du refus opposé par le procureur de la République ; qu'en se bornant à relever qu'il résultait des conclusions de l'expertise que la rupture et l'éjection de la roue étaient liées au non-dégonflage effectif du pneu, et à la rupture de la jante, sans jamais rechercher à vérifier, nonobstant les conclusions de la STE en ce sens, que les manquements reprochés à cette dernière étaient bien unis par un lien de causalité certain avec le décès de la victime, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et privé sa décision de toute base légale ;

4°) alors qu'il résulte de l'article 121-3, alinéa 3, du code pénal qu'il y a délit lorsque la loi le prévoit en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en condamnant pénalement la prévenue pour ne pas avoir communiqué à la société LPS chargée des opérations de maintenance du stacker, le manuel d'utilisation et d'entretien de ce dernier, et s'être désintéressée de la question de la vérification de l'état des jantes, quand il résultait des pièces de la procédure qu'aucune société ayant confié les opérations de maintenance à la société LPS ne lui avait jamais transmis les manuels techniques des engins sur lesquels elle intervenait et que la société LPS, spécialiste du pneumatique en charge du suivi des engins, avait démontré l'impossibilité d'assurer un contrôle régulier des jantes, faute d'identification, la cour d'appel s'est bornée à relever l'existence de manquements purement théoriques, sans pour autant rechercher en quoi les diligences de la prévenue n'étaient pas normales au sens de l'article 121-3, alinéa 3, du code pénal, privant de ce fait sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;

5°) alors qu'en tout état de cause, il résulte de l'article 121-2 du code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en se bornant à imputer à la société STE le délit d'homicide involontaire pour avoir omis de donner à la société LPS des informations sur les risques liés à l'entretien des pneumatiques, et s'être abstenue de vérifier et de contrôler l'état des jantes, sans même rechercher si ces manquements avaient bien été commis pour son compte par un organe ou un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Vu les articles 121-2 du code pénal, et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;

Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à l'occasion d'une intervention sur les roues d'un appareil de manutention portuaire appelé Stacker, sur le site de la société du Terminal de l'Escaut, au port de Dunkerque, l'une des roues de l'engin, d'un poids supérieur à 500 kilos, a été propulsée sur Brice Monte, salarié de la société Littoral pneus services, qui a été projeté sur un chariot voisin, et est décédé sur place ; qu'il a été établi que l'engin de manutention avait été mis à disposition de la société du Terminal de l'Escaut dans le cadre d'un contrat de location de longue durée par son propriétaire, et que celle-ci avait confié à la société Littoral pneus services la tâche de procéder au retournement des quatre pneus de l'engin ; que la direction du travail ayant relevé plusieurs fautes à l'encontre de ces deux sociétés, les personnes morales ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel, du chef d'homicide involontaire ; que le tribunal les ayant retenues dans les liens de la prévention, celles-ci ainsi que le ministère public ont relevé appel du jugement ;

Attendu que, pour confirmer la culpabilité de la société Terminal de l'Escaut, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 19 octobre 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale pris en chambre du conseil.