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Décisions

Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 14-84.906

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Buisson

Avocat général :

M. Desportes

Avocats :

Me Le Prado, SCP Boré et Salve de Bruneton

Dijon, du 21 mai 2014

21 mai 2014

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 14 décembre 2007, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des articles 311-1, 311-3 et 311-14 du code pénal, des articles 1382 du code civil, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

en ce que l'arrêt a déclaré Mme Y coupable d'avoir soustrait des denrées alimentaires retirées de la vente au préjudice de la société Schiever, l'a condamnée à une peine de 1 000 euros d'amende avec sursis et, sur l'action civile, l'a condamnée à payer à la société Mazagran services la somme de 500 euros en réparation de son préjudice matériel ;

aux motifs qu'en l'espèce, la soustraction des denrées n'est pas contestée par la prévenue est au surplus avérée par les constatations régulières des enquêteurs et le témoignage de M. E ; que Mme Y soutient que l'infraction n'est pas caractérisée dans la mesure où les biens appréhendés constituaient des « res derelictae » ; qu'il est constant que les objets soustraits étaient retirés de la vente et devaient être détruits, ce seul élément est cependant insuffisant pour caractériser la notion d'appropriation d'un bien abandonné ; qu'en effet, le légitime propriétaire la société Mazagran services, a clairement exposé dans le règlement intérieur qu'il était interdit d'user pour son propre compte, sans autorisation, des machines, outils, matériaux, marchandises et fournitures appartenant à l'entreprise, qu'il est également précisé que toutes les marchandises sorties du magasin doivent faire l'objet d'un passage en caisse préalablement à leur sortie de l'établissement ; qu'il a encore été rappelé par une note du 16 septembre 2009 que conformément au règlement intérieur il est interdit d'user des marchandises appartenant à l'entreprise et que selon l'article R.112-25 du code de la consommation il est interdit de distribuer, même à titre gratuit, des denrées alimentaires comportant une date limite de consommation, dès lors que cette date est dépassée ; que cette note précise également qu'il est interdit de consommer au sein du magasin des produits périmés ou destinés à la casse appartenant à l'entreprise que ce soit de manière individuelle ou collective ; que par ces écrits, la société Mazagran services a clairement manifesté sa volonté de demeurer propriétaire des biens jusqu'à la destruction effective de ceux-ci ; qu'en conséquence, le simple fait que les objets soient retirés des rayons et mis à la poubelle, en attente de destruction, n'induit pas la volonté de propriétaire d'abandonner les biens puisqu'il a clairement manifesté la destination qui devait être celle de ceux-ci ; que la prévenue, directrice d'un point de vente, ne peut soutenir qu'elle ignorait les instructions claires du propriétaire des objets dérobés ; qu'en conséquence l'infraction poursuivie est caractérisée et bien qualifiée à l'encontre de Mme Y il appartient d'infirmer le jugement et d'entrer en voie de condamnation ; que Mme Y n'a jamais été condamnée par le passé, elle peut prétendre au bénéfice d'un sursis ; que compte tenu de la nature des faits et des circonstances de la cause, la cour estime qu'une peine d'avertissement solennel est nécessaire et suffisante pour prévenir la réitération des faits ; que Mme Y sera condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis ; qu'au regard de la déclaration de culpabilité intervenue, il appartient de recevoir la société Mazagran services en sa constitution de partie civile et de dire Mme Y intégralement responsable du préjudice subi lequel sera fixé à 500 euros pour tenir compte de la faible valeur des biens soustraits, lesquels étaient devenus impropres à la commercialisation ;

1°) alors que constituent des "res derelictae" les objets volontairement abandonnés par leur propriétaire ; que le fait de se débarrasser d'une chose que l'on considère comme un déchet en la jetant dans une poubelle manifeste la volonté du titulaire du droit de propriété de vouer son bien à la destruction et donc d'en abandonner la propriété ; qu'en entrant en voie de condamnation pour le vol de denrées alimentaires jetées à la poubelle alors que ces biens constituant des "res derelictae" dont l'appréhension est libre, ils ne pouvaient être l'objet d'un vol, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°) alors que celui qui jette dans une poubelle des denrées alimentaires en vue de leur destruction ne peut légalement reprocher à autrui de s'en être emparé pour se nourrir ; que la protection conférée au droit de propriété par la condamnation de Mme Y pour avoir récupéré des denrées alimentaires retirées de la vente et mises à la poubelle porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie des personnes et à la dignité humaine, en violation des principes et textes susvisés ;

3°) alors qu'en tout état de cause, la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel a relevé que « le légitime propriétaire, la société Mazagran services a clairement exposé dans le règlement intérieur qu'il était interdit d'user pour son propre compte, sans autorisation, des machines, outils, matériaux, marchandises et fournitures appartenant à l'entreprise, qu'il est également précisé que toutes les marchandises sorties du magasin doivent faire l'objet d'un passage en caisse préalablement à leur sortie de l'établissement ; qu'il a encore été rappelé par une note du 16 septembre 2009 que, conformément au règlement intérieur il est interdit d'user des marchandises appartenant à l'entreprise et que selon l'article R.112-25 du code de la consommation il est interdit de distribuer, même à titre gratuit, des denrées alimentaires comportant une date limite de consommation, dès lors que cette date est dépassée ; que cette note précise également qu'il est interdit de consommer au sein du magasin des produits périmés ou destinés à la casse appartenant à l'entreprise que ce soit de manière individuelle ou collective » ; qu'en affirmant que par ces écrits, la société Mazagran services a clairement manifesté sa volonté de demeurer propriétaire des biens jusqu'à la destruction effective de ceux-ci, alors que ces dispositions du règlement intérieur ou des notes internes ne portent que sur l'utilisation, la distribution ou la consommation au sein du magasin de denrées périmées ou de marchandises abîmées ainsi que sur l'interdiction d'utiliser le matériel de l'entreprise à des fins personnelles ou l'interdiction de sortir des marchandises du magasin sans passage préalable en caisse mais ne règlent nullement le sort des marchandises périmées ou destinées à la destruction lorsque celles-ci sont déposées en tant que déchets dans les containers destinés à cet effet, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation des textes susvisés ;

Vu les articles 311-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, selon le premier de ces textes, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ;

Que, d'autre part, en application du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme Y, directrice d'un magasin à l'enseigne Maximarché, a été poursuivie du chef de vol pour avoir soustrait des produits périmés qui avaient été mis à la poubelle du magasin dans l'attente de leur destruction ; qu'elle a été relaxée par un jugement dont le procureur de la République puis la partie civile ont interjeté appel ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que, d'une part, il était constant que les objets soustraits, devenus impropres à la commercialisation, avaient été retirés de la vente et mis à la poubelle dans l'attente de leur destruction, de sorte que l'entreprise avait clairement manifesté son intention de les abandonner, d'autre part, le règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répondait à un autre objectif que la préservation des droits du propriétaire légitime, s'agissant du respect par celui-ci des prescriptions d'ordre purement sanitaire de l'article R. 112-25, alors applicable, du code de la consommation, et était sans incidence sur la nature réelle de ces biens, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 21 mai 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.