CA Paris, 14e ch., 26 décembre 1999, n° D19990121
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
FRANCE GLACE FINDUS et NESTLE FRANCE (SA)
Défendeur :
ECODEX- EMBALLAGE CONDITIONNEMENT DECORATION EXPEDITION (Ste), ECODEV- EMBALLAGE CONCEPT DEVELOPPEMENT (Ste), TULIPIA (SA)
FAITS ET PROCEDURE
Par ordonnance de référé prononcée le 17 novembre 1999, le président du tribunal de commerce d'EVRY a notamment :
- Validé trois saisies-contrefaçons diligentées le 13 septembre 1999 par Maîtres ROCHER, SAUNIER et DROGUE.
- Débouté la société ECODEX de l'intégralité de ses demandes,
- Interdit aux sociétés NESTLE FRANCE, FRANCE GLACE FINDUS et TULIPIA, ainsi qu'à l'ensemble de leurs magasins, détaillants, fabricants, établissements secondaires de fabriquer, faire fabriquer, commercialiser, faire commercialiser, importer ou exporter, tant en FRANCE qu'à l'étranger les produits de bacs à bûches contrefaisant l'emballage plastique isotherme revendiqué par la société ECODEV et Monsieur de R, et plus généralement, les articles contrefaisant le modèle revendiqué, dont la société ECODEV et Monsieur de R sont propriétaires et ce sous astreinte de 500 francs par article contrefait fabriqué ou commercialisé et par jour, à compter du prononcé de l'ordonnance ;
- Interdit aux sociétés FRANCE GLACE FINDUS, NESTLE FRANCE et TULIPIA de faire éditer, distribuer, commercialiser sur affiches, brochures, encarts, sites INTERNET ou quelque support que ce soit des reproductions sous quelque forme que ce soit des modèles contrefaits et ce en leurs différentes tailles, différentes contenances et différents coloris, et ce sous astreinte de 500 francs par article contrefait fabriqué ou commercialisé ou distribué ou diffusé et par jour à compter du prononcé de l'ordonnance ;
- Ordonné la restitution de l'ensemble des stocks de bacs à bûches contrefaits à la société ECODEV.
- Ordonné la destruction des brochures, encarts, affiches et la suppression des sites INTERNET constatée par voie d'Huissier de Justice, aux frais avancés de la société ECODEV et de Monsieur de R, remboursés par les contrefacteurs sur simple présentation des factures justificatives ;
- Condamné les sociétés NESTLE FRANCE, FRANCE GLACE FINDUS et TULIPIA à verser in solidum aux société ECODEV et à Monsieur de R la somme de 60 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les sociétés FRANCE GLACE FINDUS (FINDUS) et NESTLE FRANCE (NESTLE) ont interjeté appel de cette ordonnance le 19 novembre 1999, selon les modalités de la procédure à jour fixe.
Aux termes de leurs écritures joints à la requête prévue par l'article 918 du nouveau code de procédure civile, les sociétés FINDUS et NESTLE demandent notamment à cour :
- de déclarer nulle l'ordonnance attaquée pour violation de l'article 455 du nouveau code de procédure civile,
- subsidiairement de l'infirmer en toutes ses dispositions et de débouter J.A. de RUYTER, les sociétés ECODEX et ECODEV de leurs prétentions, les appelants faisant valoir à cet égard que les saisies-contrefaçons effectuées ne peuvent être validées en référé, que le modèle déposé en 1994 est nul et qu'en toute hypothèse la contrefaçon alléguée dudit modèle ne peut être retenue, que le dépôt en 1999 par J.A. de R d'un autre modèle constitue une manoeuvre frauduleuse et doit être également jugé nul non seulement en raison de son caractère fonctionnel mais aussi en ce qu'il est dénué de toute nouveauté.
- de condamner J.A. de RUYTER, les sociétés ECODEX et ECODEV au paiement de la somme de 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société TULIPIA a fait signifier des conclusions d'appel incident le 1er décembre 1999.
Elle demande à la cour de prononcer la nullité de l'ordonnance attaquée, de constater la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 13 septembre 1999 compte tenu de l'absence de droits de ceux qui ont fait pratiquer cette mesure.
Elle demande en toute hypothèse à la cour de déclarer irrecevable ou mal fondées les demandes présentées en référé par les sociétés ECODEX et ECODEV et par J.A. de R, en soutenant que les droits revendiqués par ceux-ci et la contrefaçon alléguée sont sérieusement contestables.
Elle sollicite l'allocation d'une somme de 60 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Les sociétés ECODEX et ECODEV, Me F, représentant des créanciers de la société ECODEV en redressement judiciaire et J.A. de R ont fait signifier le 30 novembre 1999 des conclusions par lesquelles ils demandent à la cour :
- de conformer l'ordonnance,
- d'ordonner la confiscation et/ou la destruction des produits contrefaisants,
- de dire que l'arrêt à intervenir sera commun aux sociétés clientes des appelants auxquelles ces conclusions ont été dénoncées,
- de condamner les sociétés NESTLE et FINDUS à payer la somme de 150.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les intimés soutiennent que la décision attaquée est régulière, que la société ECODEV a un intérêt à agir, que les opérations de saisie-contrefaçon sont valables, que la protégeabilité des modèles revendiqués n'est pas sérieusement contestable, que les actes de contrefaçon sont matériellement et intentionnellement établis, que les mesures prononcées sont justifiées par l'évidence de la contrefaçon, le péril économique subi par les intimés et le non respect par les appelants de mesures ordonnées par le juge de première instance.
DECISION
I - SUR LA DETERMINATION DES PARTIES A LA PROCEDURE D'APPEL
Considérant que le seul fait, par les intimés, d'avoir dénoncé leurs conclusions aux sociétés SUPER U, GALEC, CORA, CARREFOUR et AUCHAN, ne suffit pas à justifier que l'arrêt à intervenir leur soit déclaré commun ; qu'en effet ces sociétés non parties à la procédure de première instance, n'ont pas acquis cette qualité devant la cour et n'ont pas été régulièrement mises en cause dès lors qu'aucune assignation à comparaître ne leur a été délivrée ;
II - SUR L'EXCEPTION DE NULLITE DE L'ORDONNANCE
Considérant que si tout jugement doit à peine de nullité exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, aucun texte ne détermine sous quelle forme doit être faite cette mention ;
Considérant que satisfait suffisamment aux exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile l'ordonnance critiquée qui, par son rappel des circonstances de fait de l'affaire et l'exposé des déductions de droit qui en découlent, a manifestement évoqué pour y répondre la thèse développée en première instance par les sociétés FINDUS et NESTLE ; que même si les appelants sont en droit de critiquer un mode de présentation annexant à l'ordonnance la seule assignation introductive d'instance, l'exception de nullité ne peut pour autant être accueille ;
III - SUR LE BIEN FONDE DES APPELS PRINCIPAL ET INCIDENT
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que les sociétés NESTLE et FINDUS, d'une part, ECODEV d'autre part, ont établi en 1992 des relations pour l'utilisation par les premières bacs à bûches glacées isothermes conçus par J.A. de R ; que ce produit a fait l'objet le 26 mai 1994 d'un dépôt à l'I.N.P.I. effectué par la société ECODEV, le modèle étant désigné comme un "emballage plastique isotherme avec bandeau" ;
Considérant que par contrat du 13 janvier 1998 enregistré à l'I.N.P.I. le 5 octobre 1999, la société ECODEV a cédé à J.A. de R, reconnu comme "seul inventeur" des emballages en question, la propriété des modèles déposés en 1994, l'acte précisant que le cessionnaire "pourra déposer à son nom personnel toutes les variantes, les évolutions, les améliorations et les dérivés relatifs à ce type d'emballage conçu par lui" ;
Considérant que par lettre du 7 janvier 1999, la société NESTLE a informé J.A. de R de ce que la société FINDUS travaillait "sur une relance complète de sa gamme bûches pour la fin d'année 1999 et ne souhaite donc plus utiliser l'emballage actuel" ;
Considérant que le 9 mars 1999 J.A. de R a effectué à l'I.N.P.I. le dépôt d'un modèle d'emballage, décrit comme un "emballage plastique isotherme constitué d'un socle plateau, creux avec crochets de fermeture et d'un couvercle cloche creux avec décoration" ;
Considérant que faisant grief à la société NESTLE d'avoir pour la saison d'hiver 1999/2000, choisi d'utiliser un nouvel emballage de glace constituant une reproduction contrefaisante des modèles déposés en 1994 et 1999, les sociétés ECODEV et ECODEX et J.A. de R ont fait procéder le 13 septembre 1999 à des saisies-contrefaçon portant à chaque fois sur deux exemplaires des produits litigieux, aux sièges des sociétés NESTLE et FINDUS, à celui de la société TULIPIA en sa qualité de fabricant des conditionnements argués de contrefaçon, dans les locaux d'une usine de la société FINDUS ;
Considérant que, compte tenu de la nature nécessairement provisoire de ses décisions, il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la régularité des opérations de saisie-contrefaçon pour valider ou annuler celles-ci ; qu'il doit en revanche rechercher si les faits de contrefaçon incriminés, dont la saisie-contrefaçon n'est qu'un moyen de preuve parmi d'autres, constituent un trouble manifestement illicite ou exposent le demandeur à un dommage imminent, au sens de l'article 873 du nouveau code de procédure civile, avant d'apprécier si, par son intention, il peut y mettre fin ou en prévenir la réalisation ;
Considérant que pour justifier leurs prétentions, les intimés font valoir essentiellement que leur modèle d'emballage présente une physionomie esthétique propre et nouvelle, qu'il se distingue des autres types d'emballage disponibles sur le marché de la bûche glacée, que les sociétés appelantes, qui ont été mises en possession des études faites par J.A. de R, se sont appropriées ses créations pour commercialiser, en fraude de ses droits, des emballages comportant des ressemblances évidentes avec le modèle déposé en 1994 ou constituant une copie servile du modèle déposé en 1999 ;
Considérant que même si les intimés produisent aux débats des modèles d'emballage de bûches glacées commercialisés par des tiers sous des formes radicalement différentes, un catalogue de produits distribués en 1994 soulignant le caractère "révolutionnaire tant dans son encombrement que dans son design" des emballages de bûches glacées utilisés à cette époque, l'étude "esthétique et fonctionnelle commandée en 1997 par la société TULIPIA auprès d'une société BARRAULT DESIGN, ces circonstances ne suffisent pas à établir, avec l'évidence requise en référé, les droits revendiqués ;
Considérant en effet que le bénéfice de la protection instaurée par le code de la propriété intellectuelle est subordonné, non seulement au caractère novateur du modèle déposé, mais aussi à son originalité, laquelle implique qu'il traduise, notamment par sa présentation, le goût et l'imagination de son créateur ;
Considérant qu'en l'état d'un objet d'emballage destiné exclusivement à recevoir un produit dont il épouse la forme, à réduire le volume d'encombrement des boîtes et à permettre leur empilage, il n'est pas à priori exclu qu'une discussion sérieuse puisse s'instaurer devant les juges du fond sur le caractère purement fonctionnel, et donc non protégeable sur les fondements revendiqués par les intimés, d'un tel objet ;
Considérant en outre que si la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences, l'infraction ne peut être retenue lorsque ces ressemblances sont la conséquence d'une destination ou fonction commune des modèles ; que l'analyse des similitudes invoquées en l'espèce et la recherche de leur inspiration ornementale ou simplement utilitaire supposent un débat de fond insusceptible d'être tranché en référé ;
Considérant enfin que la complexité du litige opposant les parties quant aux antériorités supposées du modèle déposé au mois de mars 1999, à la priorité de conception de ses caractéristiques et à l'éventuelle fraude commise par l'une ou l'autre partie empêche la juridiction des référés de dire, faute d'éléments d'appréciation suffisamment déterminants pour démontrer la fausseté manifeste de la thèse des appelants, que le modèle d'emballage actuellement utilisé par NESTLE et FINDUS constitue une copie servile de celui revendiqué par J.A. de R ;
Considérant en toute hypothèse que lorsqu'il lui est demandé d'interdire la poursuite des faits argués de contrefaçon, le juge des référés doit apprécier et adapter la mesure susceptible d'être prononcée au regard de ce qui est nécessaire à la cessation du trouble constaté ou à la prévention du dommage en voie de réalisation ;
Considérant que pour justifier leurs demandes et conclure à la confirmation de la décision qui les a accueillies, les intimés font valoir que les sociétés appelantes ont commis une contrefaçon évidente et ne respectant pas l'injonction prononcée contre elles en première instance, que la société ECODEV a été spoliée d'un marché important, avec les conséquences financières graves qui en résultent, que "le principe de l'indemnisation est pour le moins d'actualité dans le cadre de cette demande d'interdiction" dès lors qu'il serait inadmissible que les appelants puissent réaliser un chiffre d'affaires de plus de 60 millions de francs au préjudice du "propriétaire contrefait" ;
Considérant néanmoins que la contrefaçon alléguée qui suppose pour les motifs déjà exposés une appréciation par les juges du fond compétents, ne constitue pas une justification pertinente de l'interdiction de commercialisation sollicitée ;
Considérant que l'intervention du juge des référés ne peut être destinée à sanctionner un comportement ou à réparer un dommage, ces prérogatives appartenant exclusivement au tribunal saisi du fond de l'affaire ou éventuellement, en ce qui concerne l'inexécution prétendue d'une décision applicable immédiatement, au juge de la liquidation de l'astreinte ;
Considérant qu'en se plaignant du préjudice résultant pour eux de la résiliation d'une convention et de la poursuite d'une diffusion qui porterait atteinte à leurs intérêts, les intimés invoquent des faits dont la compensation naturelle est l'allocation de dommages- intérêts ; que l'interdiction demandée n'est en elle-même de nature, ni à suspendre la mise en oeuvre d'une résiliation qui a déjà produit ses effets, ni à rétablir au profit des intimés, pour les opérations de commercialisation en cours, un droit à l'exécution du marché qui a été perdu ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments d'appréciation que les droits revendiqués par les intimés sont contestés dans des conditions telles que les conditions d'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article 873 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile ne sont pas réunies ; que l'interdiction de commercialisation en cause ne constitue pas une mesure conservatoire ou de remise en état appropriée au regard des circonstances de l'affaire ; qu'il n'y a pas lieu dès lors à référé sur les demandes présentées par les sociétés ECODEX et ECODEV et par J.A. de R ;
Considérant que l'application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ne s'impose pas ;
Considérant que les intimés, qui succombent en leurs prétentions, doivent être condamnés aux dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE l'exception de nullité de l'ordonnance du 17 novembre 1999,
INFIRME cette ordonnance,
Statuant à nouveau :
DIT n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par les sociétés ECODEX, ECODEV et par J.A. de R,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
CONDAMNE les sociétés ECODEX, ECODEV et J.A. de R aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.