CA Rennes, 7e ch., 12 novembre 1997, n° 9608092
RENNES
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. LE CAIGNEC
Conseillers :
M. TAILLEFER, M. GARREC
Avoués :
Ms BOURGES, Me LEROYER-B, GAUVAIN & DEMIDOFF
Avocats :
Me DUBAIL, SCP CADORET-TOUSSAINT DENIS
Par jugement du 16 septembre 1996 le Tribunal de Grande Instance de Saint Nazaire a :
- débouté Monsieur PETZOLD de toutes ses demandes,
- ordonné son expulsion et de tous biens et occupants de son chef des
locaux situés à la Baule 120, Rue du Général De Gaulle, propriété de Madame SABLON,
- l'a condamné à une indemnité d'occupation mensuelle de 70 000
Francs jusqu'à libération des locaux et la somme de 8 000 Francs par
Application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- a rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
- l'a condamné aux dépens.
* Monsieur PETZOLD a fait appel de ce jugement le 30 octobre 1996.
Il conclut à la réformation du jugement entrepris et demande à la Cour de dire et juger qu'il est titulaire d'un bail commercial sur les locaux situés 120, Avenue du Général De Gaulle à la Boule, propriété de Madame SABLON, à compter du 15 mars 1989.
Il sollicite la somme de 20.000 Francs de Madame SABLON à titre de dommages-intérêts outre 20.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Au soutien de son appel Monsieur PETZOLD prétend bénéficier sur ces locaux d'un bail commercial par le statut du décret du 30 Septembre 1953. Il rappelle qu'il occupe les lieux où il exerce le commerce de confiseur-glacier depuis 7989 avec interruption du 15 Janvier au 15 mars, ce qui correspond à la basse saison de la Baule et à la saison pendant laquelle les commerçants prennent leurs congés et ferment leurs commerces.
Il verse aux débats diverses factures de téléphone, gaz et électricité qui démontreraient qu'il occupe les lieux de façon quasi-continue.
Il entend enfin se prévaloir de diverses décisions de la Cour de cassation.
* Madame SABLON demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes dispositions et de condamner Monsieur PETZOLD à lui payer la somme de 20 000 Francs pour procédure abusive outre 15.000 Francs pour frais irrépétibles.
Madame SABLON prétend que le cas de Monsieur PETZOLD ne saurait être assimilé aux cas qui ont été jugés par la Cour de Cassation dès lors qu'en l'espèce il existerait des conventions parfaitement claires et explicites aux termes desquelles Monsieur PETZOLD bénéficie des locaux pour des durées déterminées, et qu'à l'issue de chaque saison il remet les clés chez la bailleresse.
Elle insiste par ailleurs sur le caractère essentiellement saisonnier de l'activité exploitée par Monsieur PETZOLD.
Elle ne conteste pas le fait que Monsieur PETZOLD s'est maintenu dans les lieux courant 1993 et jusqu'en février 1994 mais fait valoir que c'est contre son gré qu'il est resté dans ces locaux ce qui a justifié les diligences de Me CHAMPENOIS Huissier de Justice le 29 février 1994.
Les factures d'eau, gaz et électricité ne seraient pas probantes dès lors qu'elles seraient fondées sur des estimations comme il est d'usage pour les résidents absents. En ce qui concerne le téléphone les facturations s'expliqueraient par le système de transferts d'appels.
A titre très subsidiaire, pour le cas où la Cour reconnaîtrait à Monsieur PETZOLD le bénéfice du statut des baux commerciaux, Madame SABLON demande la fixation à 5000 Francs du loyer mensuel à compter de l'arrêt.
A titre encore plus subsidiaire, elle demande à la Cour de dire que la résiliation du bail invoqué par Monsieur PETZOLD sera acquise à défaut de paiement des loyers dus à la date de l'arrêt et ce dans un délai d'un mois.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant qu'il est constant que Monsieur PETZOLD exerce en qualité de commerçant une activité de Confiseur-Glacier sous l'enseigne " Rose Nanane" dans un local sis 120, Rûi:Wü Gé, éral De Gaulle à la Baule, appartenant à Madame SABLON;
Qu'il occupe les lieux depuis le 15 mars 1989, suivant convention du 1er décembre 1988 ;
Que d'année en année les parties signent des" baux saisonniers" courant du 15 mars d'une année jusqu'au 15 janvier suivant ;
Que ces conventions prévoient fa mise à disposition des lieux au profit de Monsieur PETZOLD moyennant un loyer fixé comme suit :
- pour la période du 15/03/89 au 15/10/90 - Pour la période du 15/03/90 au 15/01/91 - Pour la période du 15/03/91 au 15/01/92 - pour la période du 15/03/92 au 15/01/93 - pour la période du 13/03/93 au 15/01/94 | 35 000 F 38 000 F 42 000 F 46 000 F 50 000 F |
Étant précisé que, en sus du loyer, le locataire remboursera au bailleur le droit au bail, les factures d'eau et l'assainissement, taxes locales et ordures ménagères ;
Considérant que Monsieur PETZOLD a assigné sa bailleresse le 7 février 1994 pour voir dire et juger qu'il était titulaire d'un bail commercial soumis aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 depuis le 15 mars 1989 jusqu'au 15 mars 1998 au motif que :
- au-delà de la fiction de locations saisonnières successives il était convenu entre les parties que le locataire occuperait les lieux de façon continue depuis le 15 mars 1989, laissant en place toutes ses installations et ses stocks dans les lieux loués.
- Si son chiffre d’affaires est plus important en période d'été, son activité de confiseur durant la saison d'hiver n'est pas négligeable.
- il a assuré effectivement l'exploitation permanente de son fonds de commerce.
- il s'est acquitté sans discontinuité de l'ensemble des factures de téléphone, gaz, électricité, eau, assainissement depuis le Ier trimestre 1989.
- malgré l'envoi de courriers en ce sens, la remise des clés n'a jamais été effective.
Considérant qu'en l'espèce il ressort des conventions écrites versées aux débats que les locations qualifiées de " saisonnières " ne sont séparées les unes des autres que par un intervalle de deux mois chaque année, soit du 15 janvier au 15 mars ; que cette période correspond au moins pour partie à la période de fermeture pour congés de nombreux commerçants ; notamment dans les villes tournées vers le tourisme, ce qui est le cas de la Saule;
Considérant que Monsieur PETZOLD verse aux débats un constat de Me CHAMPENOIS, Huissier de Justice à Kerbignac (441 en date du 22 janvier 1994 au terme duquel ce jour-là Monsieur PETZOLD est présent dans les lieux ;
Que l'huissier constate que :
- le commerce de chocolatier, glacier, confiseur de Monsieur PETZOLD, distributeur de produits LEONIDAS est ouvert.
- la vitrine est " achalandée ",
- la caisse enregistreuse du magasin est allumée,
- le dernier ticket enregistré date du 22 Janvier 1994 à 17 heures 18
Pour une somme de 390 Francs,
- le rouleau de caisse fait état de nombreuses ventes le 22 janvier
1994.,
- Monsieur PETZOLD lui produit ses déclarations mensuelles de TVA
Depuis 7989 de manière, ininterrompue, étant précisé que pour les
Années 1989 et 1990 Monsieur PETZOLD tenait également un
Commerce au Pouliguen,
- En la présence de l'Huissier plusieurs clients se fond servir.
Considérant que la lecture de l'extrait K.Sis au Greffe du Tribunal de Commerce de Saint Nazaire démontre que depuis le 15 janvier 1991 Monsieur PETZOLD a cessé son activité au Pouliguen; que depuis cette date il n'exerce plus que dans les locaux objet du présent litige;
Qu'il est dès lors incontestable que les déclarations mensuelles de TVA ne concernent que cet établissement.
Considérant que Monsieur PETZOLD verse par ailleurs aux débats les documents prouvant qu'il a réglé de façon continue pour les années 1989 à 1994 les factures relatives à l'exploitation des locaux sis 120, Avenue du Général DE GAULLE, soit téléphone, gaz, électricité, eau et assainissement que de son côté la bailleresse n'établit pas avoir repris les lieux loués pourtant les intervalles séparant ces cinq baux, n'avoir réglé quelque somme que ce soit ou fait remettre les abonnements à son nom au cours de ces périodes " intermédiaires";
Qu'elle se borne à verser aux débats une facture EDF du 23 février 1994, établie à son nom ; que toutefois celle-ci fait suite à son courrier du 10 février 1994 exigeant d'EDF qu'elle rétablisse le compteur à son nom " par suite du changement de locataire"; que cette demande constitue manifestement une réponse à l'assignation de Monsieur PETZOLD en date du 7 février 1994 qu’il entendait voir reconnus ses droits au statut du décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant que la bailleresse fait valoir que les factures de téléphone ne prouvent pas la location effective des lieux par MonsieurPETZOLD dès lors que figurent sur certaines de ces factures une rubrique : " transfert d'appel ";
Que toutefois cet élément n'a rien de déterminant dans la mesure où le locataire pouvait recourir à ce transfert d'appel, soit durant les mois d'occupation non contestés (de mars à janvier) aux heures où il ne se trouvait physiquement au magasin, ou pendant les 2 autres mois, en ce compris son temps de congé pour être joint sur son lieu de résidence ;
Qu'en ce qui concerne les déclarations de TVA, les documents établis par l'administration fiscale portent
pour l'année - pour l'année - pour l'année - pour l'année - pour l'année - pour l'année | 1989 l'adresse du Pouliguen |
Ce qui n'apparait pas en contradiction avec l'affirmation (conforme à l'extrait K Sis) de Monsieur PETZOLD selon laquelle il avait cessé toute activité au Pouliguen à compter du 15 Janvier 1991 pour se consacrer totalement à son commerce de la Baule;
Considérant que le seul élément qui militerait en faveur de la bailleresse et contre le locataire consiste dans les correspondances adressées chaque année courant janvier ou février par Monsieur PETZOLD à Madame SABLON aux termes desquelles il lui annonce la fermeture de son magasin au 15 janvier précédent et lui adresse les clés du local commercial ;
Que toutefois le caractère fictif de cette démarche, ainsi que le soutient Monsieur PETZOLD, s'impose à la Cour dès lors que la bailleresse ne justifie nullement avoir réclamé ces clés par lettre recommandée avec accusé de réception ou acte d'huissier à son locataire à l'issue de la période de location allant du 15 Mars 1993 au 15 Janvier 1994 alors qu'on a la preuve par le constat d'huissier qu'il s'était maintenu dans les lieux au-delà de cette date et que ce n'est qu'à réception de l'assignation du 7 février 1994 à la requête de Monsieur PETZOLD que la bailleresse s'est avisée que son locataire ne lui avait pas remis les clés du local; que celui-ci avait l'habitude, ainsi que le laissent croire les courriers précédents, de lui remettre régulièrement ces clés à l'issue du " bail saisonnier " qui expirait le 15 janvier, elle n'aurait pas attendu d'être assignée pour les réclamer;
Considérant qu'il convient dans ces conditions et conformément à la jurisprudence dominante en ce domaine t V. en particulier Cour Cass. 3è Ch. 15 janvier 1992 Bull. Civ. n° 14 page 9) d'infirmer le jugement entrepris et de dire que Monsieur PETZOLD est titulaire d'un bail commercial sur les locaux situés 120, Rue du Général De Gaulle à la BAULE, propriété de Madame SABLON à compter du 15 mars 1989 ;
Considérant que la bailleresse demande à titre subsidiaire à la Cour, pour le cas où celle-ci reconnaîtrait à Monsieur PETZOLD le bénéfice du statut des baux commerciaux de fixer le montant du loyer mensuel à 5.000 Francs rétroactivement à compter du 1 er mars 1989, et à défaut à compter de l'arrêt sous peine de résiliation du bail ;
Considérant que sur ce point il appartiendra à la bailleresse de prendre toute initiative qu'elle jugera utile devant la juridiction compétente ; qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, en l'état de la procédure, sur ce point ;
Considérant que Monsieur PETZOLD sollicite des dommages-Intérêts" en réparation du préjudice que lui occasionne l'attitude de l'intimée dans le cadre de la procédure"; Que toutefois Monsieur PETZOLD n'étant pas étranger à l'ambiguïté de la situation juridique qui a régi les rapports bailleur-preneur durant plusieurs années, il ne saurait prétendre à des dommages-intérêts à ce titre;
Que Madame SABLON succombant à l'instance devra, en revanche, verser à Monsieur PETZOLD la somme de 8.000 Francs pour couvrir tout ou partie des frais qu'il a pu exposer en justice à l'occasion de la présente instance notamment les frais de constat d'huissier du 22 Janvier 1994 ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
- Dit recevable en a forme l'appel de Monsieur PETZOLD à l'encontre du jugement du Tribunal de Grande Instance de Saint Nazaire du 16 septembre 1996.
- Au fond, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
- Dit que Monsieur PETZOLD est titulaire d'un bail commercial sur les locaux sis 120, Avenue du Général De Gaulle à la SAULE, propriété de Madame SABLON à compter du 15 mars 1989.