Cass. crim., 16 novembre 2005, n° 05-81.185
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Avocat général :
M. Launay
Avocats :
SCP Bret-Desache, Me Odent
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Cofreth, dont Raymond X était le directeur général adjoint, a confié un marché d'études préalables à la construction d'une usine d'incinérations d'ordures ménagères à la société Cabinet Martin, dirigée par Jean-Claude Y, en lui imposant de sous-traiter partie de la mission à la société de droit anglais Water energy engineers (WEE), dépourvue de structures et de moyens, constituée et dirigée par la fiduciaire suisse Gestoval, dont la société Cofreth était l'ayant droit économique déclaré ; qu'entre les 13 mai 1988 et 27 septembre 1990, la société Martin, ensuite déclarée en liquidation judiciaire, a versé à la société WEE, en paiement de factures pour des prestations et des honoraires fictifs, une somme globale de 9 806 532 francs ; qu'après plusieurs opérations en crédit et débit sur des comptes bancaires ouverts en Grande Bretagne et en Suisse, les fonds ont été prélevés en espèces ; que Raymond X est poursuivi pour avoir sciemment recélé les sommes qui lui ont été remises en 1989 et 1990, pour un montant de 961 450,36 euros, qu'il savait provenir d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société Martin ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23 de la loi d'amnistie du 3 août 1995, 133-11 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité du jugement entrepris et a retenu la culpabilité pénale du prévenu du chef de recel d'abus de bien social et l'a condamné pénalement et civilement ;
« aux motifs que " Raymond X sollicite la nullité du jugement entrepris en ce qu'il fait référence à une condamnation amnistiée ; qu'il justifie par la production d'une lettre du service du casier judiciaire nationale du 12 novembre 2004 que la condamnation prononcée le 10 octobre 2001 est amnistiée et a été effacée de son casier judiciaire ; que si en page 4 du jugement, reprenant l'identité des prévenus, le tribunal indique que Raymond X est déjà condamné, les motifs retenus par cette juridiction pour justifier les peines prononcées ne mentionnent nullement le rappel à une condamnation antérieure ; qu'il ne résulte pas de ces motifs que l'appréciation de la peine a été influencée par la prise en considération de la condamnation amnistiée ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de prononcer la nullité du jugement » ;
« alors que si l'article 23 de la loi d'amnistie du 3 août 1995 et l'article 133-11 du Code pénal ne prévoient pas la nullité des actes rappelant une condamnation amnistiée, la nullité doit être prononcée lorsqu'il résulte des motifs d'une décision que la prise en considération de la condamnation amnistiée a influé sur l'appréciation du bien-fondé de la culpabilité du prévenu ; qu'en refusant de prononcer l'annulation du jugement au motif qu'en page 4 rappelant l'identité des parties, il se borne à mentionner la condamnation amnistiée mais qu'il ne résulte pas des motifs que cette mention ait influencé l'appréciation de la peine bien qu'il résulte de l'arrêt et des notes d'audience du tribunal que le tribunal avait refusé, à tort, d'admettre au profit du prévenu l'application de la loi d'amnistie, et que l'arrêt n'a pas répondu aux conclusions du prévenu soutenant que le jugement faisait état en page 22 de ses motifs d'une condamnation "pour une autre affaire de financement politique", et que le président avait sollicité de la défense une note en délibéré à ce sujet, de sorte que le jugement avait bien pris en compte des faits amnistiés pour apprécier la culpabilité du prévenu, l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale » ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'arrêt attaqué n'ait pas annulé le jugement, dès lors qu'en cas d'annulation, la cour d'appel aurait été tenue d'évoquer et de statuer au fond en application de l'article 520 du Code de procédure pénale ;
Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 223-23, L. 225-54 du nouveau Code de commerce, 8 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique, a retenu la culpabilité pénale du prévenu du chef de recel d'abus de bien social et l'a condamné pénalement et civilement ;
aux motifs que : " les faits retenus à l'encontre des prévenus se sont inscrits dans le cadre de dissimulations des détournements, au travers de conventions fictives accompagnées de factures dont la fausseté ne pouvait être mise en évidence dans le cadre de vérifications habituelles, notamment de la part du commissaire aux comptes dans la mesure où les créanciers étaient étrangers et où les versements correspondant aux factures ont été opérés successivement auprès de plusieurs établissements bancaires situés à l'étranger ; que le tribunal a retenu à bon droit que le point de départ de la prescription se situe à la date de la lettre du Directeur des services fiscaux adressée au procureur de la République le 8 septembre 1993 ; que les investigations effectuées à compter de cette date, notamment à la suite du soit-transmis du procureur de la République du 6 octobre 1993, ont interrompu régulièrement le cours de la prescription des délits d'abus de biens sociaux et des faits de complicité et de recel de ces délits ;
alors que toute décision de condamnation doit comporter les motifs justifiant le dispositif ; que la prescription de l'action publique du chef d'abus de bien sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter l'exception tirée de la prescription de l'action publique, que les créanciers étaient étrangers et que les factures avaient été opérées auprès d'établissements bancaires étrangers, et que la fausseté des factures ne pouvait être mise en évidence dans le cadre de vérifications habituelles, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le commissaire aux comptes avait effectivement sollicité les études de marché correspondant aux factures, et vérifié leur existence, la nationalité étrangère, et d'ailleurs européenne, de la société créancière et des banques chargées du paiement, ne caractérisant pas une dissimulation empêchant le commissaire aux comptes d'accomplir sa mission légale, la cour d'appel a privé sa décision de motifs propres à justifier le dispositif ;
Attendu que, pour écarter la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux, l'arrêt retient que les faits se sont inscrits dans le cadre de la dissimulation de détournements au travers de conventions fictives accompagnées de factures dont la fausseté ne pouvait être mise en évidence à l'occasion des vérifications habituelles, notamment de la part des commissaires aux comptes, les créanciers étant étrangers et les versements correspondant aux factures ayant été opérés successivement auprès de plusieurs établissements bancaires situés en Angleterre et en Suisse ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, procédant de son appréciation souveraine, et dés lors que l'établissement de factures non causées destinées à justifier dans les comptes sociaux d'opérations fictives constitue une dissimulation de nature à retarder le point de départ de la prescription, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 460, 461 de l'ancien Code pénal, 425-4 et 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, L. 242-6.3 du Code de Commerce, 122-3, 321-1 du nouveau Code pénal, 1132 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Raymond X coupable de recel d'abus de biens sociaux et l'a condamné pénalement et civilement ;
« aux motifs que " Jean-Claude Y a sciemment fait de l'actif de la société dont il était le président directeur général un usage contraire à l'intérêt de celle-ci en acceptant de régler des factures de cette nature, et cela à des fins personnelles dans le but d'entretenir de bonnes relations avec l'un des dirigeants de la SA Cofreth susceptible de lui procurer des marchés importants que Raymond X a, en toute connaissance de leur origine, recelé les fonds provenant des abus de biens sociaux pour un montant s'élevant à 961 450,36 euros » ; que Raymond X est poursuivi uniquement pour avoir perçu le paiement de factures non causées
" ;
alors que, d'une part, l'usage des biens d'une société n'est abusif que s'il est établi qu'il est contraire à l'intérêt social et fait dans l'intérêt direct ou indirect de son dirigeant ; que l'arrêt attaqué ne pouvait sans se contredire, et priver sa décision de base légale, retenir l'existence du délit d'abus de biens sociaux, tout en constatant que les fonds versés à Raymond X par Jean-Claude Y étaient destinés à procurer à ce dernier des marchés importants ;
« alors que, d'autre part, à supposer que les versements aient été destinés à rémunérer l'obtention de marchés importants, les dirigeants pouvaient légitimement considérer qu'ils étaient licites, notamment en vertu de la règle dégagée par la chambre criminelle dans son arrêt du 6 février 1997 ( B n° 7 ), même si la chambre criminelle a quelques mois plus tard considéré qu'un tel comportement pouvait être répréhensible ( Crim 27 octobre 1997 B n° 352 ) ; cette incertitude et l'insécurité juridique en découlant équivalant à une absence totale de règle de droit et porte atteinte au principe de la légalité des peines et des délits » ;
Attendu que, pour déclarer Raymond X coupable de recel d'abus de biens sociaux, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes de contradiction et caractérisant la poursuite d'un intérêt personnel, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche en° raison de la date à laquelle les faits ont été commis, ne saurait être admis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 203, 480-1 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a condamné Raymond X in solidum avec MM. Z, A, Y et B à verser à Me C, es qualité de mandataire liquidateur de la SA Cabinet Martin, la somme de 187 512 euros à titre de dommages-intérêts ;
« aux motifs que le jugement doit être confirmé sur ce point, que la demande "limitée au montant de l'insuffisance d'actif constatée dans le cadre de la procédure collective, est justifiée puisqu'elle est inférieure au préjudice réel subi par la société, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue d'une instance fiscale actuellement en cours » ;
« alors que la solidarité édictée par l'article 480-1 du Code de procédure pénale ne concerne que les personnes condamnées pour un même délit ; que la personne condamnée pour recel d'un abus de bien social ne saurait être tenue solidairement avec d'autres personnes condamnées pour d'autres faits d'abus de biens sociaux distincts, dès lors qu'il résulte de la décision des juges que le prévenu n'avait recélé aucune somme provenant de ces autres abus de biens sociaux, et qu'il n'est pas constaté que l'ensemble des faits poursuivis résultait d'une seule et même action concertée » ;
Attendu que, déclaré coupable pour avoir sciemment recélé une somme de 961 450,36 euros, provenant d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société Martin, Raymond X ne saurait se faire un grief d'avoir été condamné à payer au liquidateur judiciaire de cette société la somme de 187 512 euros, à titre de dommages et intérêts, solidairement avec d'autres prévenus ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.