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Décisions

Cass. crim., 13 février 1989, n° 88-81.218

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

Mme Brégeon

Avocat général :

M. Perfetti

Avocat :

Me Consolo

Rennes, du 4 févr. 1988

4 février 1988

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 8, 593 du Code de procédure pénale, 437. 4°, 437. 3°, 457 de la loi du 24 juillet 1966, défaut de motifs, manque de base légale :

en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique soulevée par l'exposant et l'a déclaré coupable des délits d'abus de pouvoirs et d'abus de biens sociaux prévus respectivement par l'article 437. 4° et 3° de la loi du 24 juillet 1966, le condamnant aux peines de 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende ;

aux motifs propres et adoptés, sur l'exception de prescription, que X... est prévenu d'avoir commis, d'une part, des délits d'abus de pouvoirs courant 1980, 1981, 1982 et 1983 et, d'autre part, des délits d'abus de biens sociaux courant 1979 et 1980 ; que sont établis à son encontre les abus de pouvoirs et abus de biens sociaux visés à la prévention ; que si les délits d'abus de pouvoirs et d'abus de biens sociaux sont par nature des infractions instantanées, faisant courir la prescription de l'action publique du jour de leur commission, ce point de départ peut être retardé jusqu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté, à condition que cette date ne soit pas hypothétique ; qu'en l'espèce, les infractions visées à la prévention n'ont pu être révélées dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique que lors de la dénonciation de ces faits au ministère public par le syndic, saisi du dossier le 11 mars 1983 à la suite du dépôt de bilan des sociétés CIM et SOTRACO ; que, s'il est exact qu'antérieurement à cette date, le commissaire aux comptes a pu procéder à la constatation des faits, il n'apparaît pas qu'il les ait dénoncés au ministère public ;

 alors qu'en matière d'abus de pouvoirs et d'abus de biens sociaux, le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que le commissaire aux comptes, qui constate des délits dans l'exercice de sa mission de contrôle et de surveillance, a le devoir de les révéler au procureur de la République ; que cette obligation est pénalement sanctionnée par l'article 457 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu'en conséquence les délits constatés par le commissaire aux comptes dans le cadre de sa mission de surveillance et de contrôle le sont dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, peu important par ailleurs que le commissaire aux comptes ait ou non effectivement dénoncé les délits au procureur de la République ; que la cour d'appel, qui a fixé le point de départ de la prescription au 11 mars 1983, alors qu'elle a par ailleurs relevé  qu'antérieurement à cette date le commissaire aux comptes a pu procéder à la constatation des faits délictueux , n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, la circonstance selon laquelle il n'apparaissait pas que le commissaire aux comptes ait révélé les faits délictueux au procureur de la République ne pouvant avoir pour conséquence d'empêcher les constatations de ce commissaire de faire courir le délai de prescription ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 8 du Code de procédure pénale, ce qui entraîne la cassation de l'arrêt attaqué sur l'action publique et, par voie de conséquence, sur l'action civile ;

Attendu que pour rejeter les conclusions de Victor X... sur la prescription des faits commis de 1979 à 1983, au regard du réquisitoire introductif daté du 10 octobre 1985, les premiers juges, dont l'arrêt adopte les motifs, énoncent que le point de départ de la prescription des abus de pouvoirs et abus de biens sociaux doit être fixé au jour où les délits sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que les juges retiennent qu'en l'espèce les infractions ont été révélées au ministère public par le syndic saisi le 11 mars 1983 à la suite du dépôt de bilan de la Société de bâtiment et de travaux publics (SOTRACO) ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations, exemptes d'insuffisance, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 8 du Code de procédure pénale ; que le moyen, dès lors, doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 437. 4° et 437. 3° de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'exposant coupable des délits d'abus de pouvoirs et d'abus de biens sociaux prévus respectivement par l'article 437. 4° et 3° de la loi du 24 juillet 1966, le condamnant aux peines de 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende ;

 aux motifs, propres et adoptés, que X... est poursuivi, d'une part, pour s'être abstenu en qualité de dirigeant de la CIM, de recouvrer les créances de la CIM sur la SOTRACO dont il était dirigeant de droit pour des montants de 2 834 797, 07 francs en 1980, 6 933 306, 38 francs en 1981 et 3 468 800 francs en 1982 et, d'autre part, pour avoir, en qualité de dirigeant de la CIM, effectué des avances de trésorerie non rémunérées à la SNPR pour un montant de 270 527, 91 francs et à la SMC pour un montant de 256 700 francs, alors qu'il était dirigeant de ces entreprises ; que X... fait valoir pour sa défense l'existence d'un groupe incluant les sociétés SOTRACO, CIM, SNPR et SMC ; qu'il fait état de rapports d'audits ayant établi une situation consolidée des sociétés en 1982, ainsi qu'un projet de fusion entre la CIM et la SOTRACO en 1983 ; mais que les rapports d'audits soulignent au contraire de nombreux éléments de nature à contredire la réalité du groupe en mettant en évidence les dysfonctionnements engendrés du fait du cloisonnement des diverses sociétés ; que, s'il est certes relevé qu'une fusion entre les trois plus importantes (CIM, SOTRACO et SNPR) était souhaitable pour rationaliser les frais de gestion et renforcer les fonds propres, et cela en raison de leur communauté d'activités et d'intérêts, ce constat est établi pour remédier aux difficultés résultant précisément de leur absence de liens juridiques et au fait qu'elles n'établissaient pas leurs bilans aux mêmes dates ; que les services, en partie communs seulement, généraient une surcharge des coûts de structures par l'absence de concrétisation des intérêts économiques communs qui aboutissait à des partages de marge des marchés selon des critères conventionnels voire arbitraires ; qu'à titre d'exemple, il est souligné qu'une société en participation entre la CIM et la SOTRACO aurait dû être créée qui aurait permis d'économiser l'impôt société de 1981, ce qui au surplus n'aurait pas donné lieu à une fausse présentation du résultat réel de l'activité de chaque société ; qu'il ressort aussi des pièces versées aux débats que les sociétés louaient toutes leurs locaux, bureaux et dépôts à des SCI appartenant à la famille X... ; qu'il n'existait, avant le projet de fusion de 1983, de véritable coordination des activités des sociétés en vue de rationaliser les coûts, d'utiliser au mieux leurs moyens permettant de justifier les opérations financières dénoncées par un intérêt du groupe ;

alors que le groupe de sociétés, exclusif des délits d'abus de biens sociaux et de pouvoirs, se caractérise, d'une part, par une finalité commune entre ses différentes composantes et, d'autre part, par une forte structuration rendant les sociétés interdépendantes, peu important par ailleurs l'existence ou l'absence de liens juridiques entre elles ;

 que, d'une part, en écartant l'existence d'un groupe de sociétés aux seuls motifs qu'il n'existait pas de liens juridiques entre elles, que les dates d'établissement des bilans étaient différentes et que les services en commun engendraient une surcharge des coûts de structure, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants au regard de la notion de groupe des sociétés en droit pénal ;

 que, d'autre part, après avoir relevé, d'un côté, la communauté d'activités et d'intérêts entre les sociétés CIM, SOTRACO et SNPR, de l'autre, l'existence de services communs et d'un bilan consolidé des sociétés concernées, et enfin le fait que la création d'une société en participation entre la CIM et la SOTRACO  n'aurait pas donné lieu à une fausse présentation du résultat réel de l'activité de chaque société , circonstances caractérisant une finalité commune et une forte structuration rendant les sociétés concernées interdépendantes entre elles, la cour d'appel, qui a cependant écarté l'existence en l'espèce d'un groupe de sociétés, n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations de fait ;

 et alors, enfin, qu'en relevant, d'un côté, qu'il n'existait pas, avant le projet de fusion, de véritable coordination des activités des sociétés concernées au service d'un intérêt de groupe et, de l'autre, que la fusion précitée avait pour objectif de rationaliser les frais de gestion et de renforcer les fonds propres en raison de la communauté d'activités et d'intérêts existant entre les sociétés, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs équivalant à un défaut de motifs ;

 et aux motifs, propres et adoptés, que la CIM, en fait seule bénéficiaire, finançait depuis plusieurs années le déficit de la SOTRACO dans des conditions disproportionnées et qui lui étaient préjudiciables, et qu'aucune justification économique ne s'applique aux avances de fonds consenties sans contrepartie aux sociétés SNPR et SMC ; que les transferts de fonds effectués de la CIM vers la SOTRACO sont sans incidence économique réelle, sinon d'avoir obéré la situation de la CIM de façon irrémédiable ;

 alors qu'un concours financier entre sociétés groupées est exclusif de tout caractère délictueux dès lors qu'il n'est pas accordé sans contrepartie et qu'il n'est pas contraire à l'intérêt de ces sociétés ; que la solidarité entre sociétés groupées peut constituer une contrepartie des sacrifices momentanés acceptés par l'une d'elles ; que X... soutenait, dans des conclusions péremptoires, que la SOTRACO n'avait pu régler sa dette envers la CIM en raison de l'insuffisance des soutiens bancaires qui lui avaient été accordés pour faire face à la crise du bâtiment en Bretagne, et que la CIM n'avait pas recouvré sa créance en raison de la solidarité entre les sociétés liées entre elles pour la réalisation d'un objectif commun qui était leur survie réciproque ; que la cour d'appel, qui a relevé l'existence d'une communauté d'activités et d'intérêts entre les sociétés concernées et n'a pourtant pas répondu à ces conclusions, a entaché sa décision d'un défaut de motifs  ;

Attendu que pour rejeter les conclusions de Victor X... sur l'existence d'un groupe de sociétés exlusif des délits d'abus de biens sociaux et d'abus de pouvoirs et déclarer établies ces infractions, l'arrêt attaqué relève divers éléments de fait de nature à contredire la réalité du groupe, notamment les dysfonctionnements engendrés par le cloisonnement des diverses sociétés, l'absence de concrétisation des intérêts économiques communs ainsi que l'absence de coordination des activités ; que les juges énoncent que la société  CIM  finançait depuis plusieurs années le déficit de la société  SOTRACO  dans des conditions disproportionnées qui lui étaient préjudiciables, que les avances de fonds consenties sans contrepartie par la même  CIM  à la  Société nouvelle de peinture et de revêtement  (SNPR) ne recevaient aucune justification économique et que ces opérations ont obéré de façon irréversible la situation de la société  CIM  ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, les juges, qui ont répondu ainsi qu'ils le devaient aux conclusions dont ils étaient saisis, ont donné, sans insuffisance ni contradiction, une base légale à leur décision ;

Qu'en effet, pour échapper aux prévisions de l'article 437. 3° et 4° de la loi du 24 juillet 1966, le concours financier apporté, par les dirigeants de fait ou de droit d'une société, à une autre entreprise d'un même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et ne doit ni être dépourvu de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge ; que tel n'étant pas le cas en l'espèce le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.