Cass. crim., 19 novembre 2014, n° 13-84.841
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Pichon
Avocats :
Me Foussard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les nouvelles exceptions de nullité soulevées par M. X... ;
" aux motifs que M. X... a été placé en garde à vue le 3 février 2009 à 9h10 dans les locaux de la direction interrégionale de la police judiciaire à Bordeaux ; que le même jour à partir de 9h15, il a été informé des droits mentionnés aux articles 63-1 à 63-4 du code de procédure pénale ; qu'en réponse, il n'a pas désiré faire prévenir un membre de sa famille ou son employeur, faire l'objet d'un examen médical et s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure de garde à vue, ni au début de la prolongation si celle-ci est accordée ; que le même jour, il a été procédé à son audition entre 9h40 et 13h15, puis entre 13h50 et 18h50 ; que la garde à vue a été levée le même jour à 19h25 ; que M. X... a été avisé de son droit, résultant des textes en vigueur au 3 mars 2009, à s'entretenir avec un avocat ; qu'il a librement renoncé à l'exercice de ce droit ; que le rejet de l'exception de nullité soulevée en première instance doit en conséquence être confirmé ; que si M. X... n'a pas été informé dès le début de son placement en garde à vue de son droit de garder le silence et n'a pu être assisté d'un avocat dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense, les exceptions de nullité qu'il soulève pour la première fois en cause d'appel ne sont pas recevables ;
" 1°) alors que la forclusion édictée par l'article 385 du code de procédure pénale s'applique à l'exception de la nullité de la procédure présentée pour la première fois devant la cour d'appel et fondée sur la violation d'une disposition légale différente de celle qui avait été invoquée devant les premiers juges avant toute défense au fond ; que selon les énonciations du jugement entrepris, M. X... s'était prévalu devant les premiers juges, in limine litis, de la nullité de sa garde à vue « pour violation du droit à l'assistance d'un avocat » durant cette mesure et non pour défaut d'entretien avec un avocat ; qu'en retenant que M. X... se plaignait pour la première fois devant elle de ne pas avoir été assisté d'un avocat lors de sa garde à vue, la cour d'appel a opposé à tort à cette exception de nullité la forclusion édictée par l'article 385 du code de procédure pénale et méconnu ainsi les textes ci-dessus mentionnés ;
" 2°) alors que lorsque l'exception de nullité invoquée devant la cour d'appel concerne le même acte que celui visé par l'exception de nullité soulevée devant les premiers juges, la forclusion édictée par l'article 385 du code de procédure pénale ne s'applique pas dès lors que le fondement légal de ces deux exceptions est identique, peu important que la cause de nullité alléguée en cause d'appel diffère de celle invoquée en première instance ; qu'en l'espèce où, selon les énonciations du jugement, M. X... avait soulevé devant les premiers juges la nullité de sa garde à vue sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits l'homme, faute d'avoir bénéficié de l'assistance d'un avocat et où, en cause d'appel, il se prévalait de nouveau de la nullité de cette mesure pour violation de la même stipulation conventionnelle faute, non seulement, là encore, d'avoir bénéficié de l'assistance d'un avocat tout au long de cette mesure, mais encore faute de s'être vu notifier son droit au silence, la cour d'appel, en déclarant irrecevable comme nouvelle l'exception tirée du défaut de notification du droit au silence, a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés " ;
Attendu que, d'une part, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel a, à tort, déclaré irrecevable l'exception de nullité de sa garde à vue prise du défaut d'assistance d'un avocat, qu'il avait régulièrement soulevée devant le tribunal correctionnel, dès lors que, régulièrement avisé de ce qu'il pouvait, comme le prévoyaient les textes alors en vigueur, s'entretenir avec un avocat, il avait indiqué renoncer à l'exercice de ce droit ;
Attendu que, d'autre part, la cour d'appel a, à bon droit, déclaré irrecevable l'exception de nullité prise de l'absence de notification du droit de se taire à la personne gardée à vue, cette exception n'ayant pas été soulevée avant toute défense au fond devant les premiers juges et étant distincte de celle prise du droit à l'assistance d'un avocat, peu important, pour l'application de l'article 385 du code de procédure pénale, que l'une et l'autre exceptions aient le même fondement juridique et concernent les mêmes actes de procédure ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-5 du code pénal, L. 527-1 et L. 527-7 du code de commerce, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de détournement de gage et l'a condamné à payer à la société Natixis, à la Société générale, à la Bordelaise CIC, au Crédit lyonnais, à BNP Paribas et à la Banque populaire du Sud-Ouest la somme de 118 655 euros en réparation de leur préjudice ;
" aux motifs propres et adoptés que les banques parties civiles avaient chacune consenti une série de crédits à la société AML lorsqu'elle était in bonis ; qu'en garantie du remboursement de ces financements, la société AML avait consenti aux banques, aux termes de différents engagements, un gage de marchandises portant sur une partie de son stock de vin ; qu'aux termes de différents contrats de gage conclus en faveur des banques, il a été systématiquement prévu :
- que le vin serait sous la garde de la société Eurogage, désignée en qualité de tiers détenteur, et entreposé dans les locaux d'AML ;
- que la société AML bénéficierait de la faculté, avec l'accord de ses créanciers gagistes et du tiers détenteur, d'effectuer des prélèvements sur une partie du stock gagé moyennant la substitution aux marchandises prélevées d'autres marchandises de nature, de qualité et de valeur équivalente ; qu'il ressort des pièces du dossier que :
- le protocole d'accord conclu le 12/ 01/ 2005 avec les banques créancières prévoyait en son paragraphe 4 qu'une mise à disposition partielle de bouteilles et/ ou d'hectolitres gagés pourrait intervenir à titre exceptionnel dans le cas où le stock non gagé ne permettrait pas de répondre aux commandes en cours, la société AML étant alors tenue d'adresser sa demande par fax confirmé par courrier ; que des modalités distinctes étaient prévues selon que la demande portait sur plus ou moins de 200. 000 bouteilles (équivalents cols) ;
- la quantité de vin gagé était au 12/ 01/ 2005 de 3. 344. 793 bouteilles et 2 135, 50 hl en vrac (récépissé de gage n° 500105001 du 10/ 02/ 2005) ; qu'elle était de 3 170 793 bouteilles et 2 135, 50 hl suivant constat de Me Y...des 2 et 3 août 2006, confirmé par courrier adressé le 4/ 08/ 2006 par la société Eurogage à Me C... ;
- par ordonnance de référé du 10/ 08/ 2006, le président du tribunal de commerce de Cognac, prenant acte d'un accord intervenu entre les parties, a désigné Me Z..., huissier de justice, pour assister la société Eurogage lors de l'inventaire du stock de vin gagé ;
- les 10 et 11 août 2006, Me A..., huissier de justice, a constaté la présence de 2. 856. 268 bouteilles et de 2. 143, 55 hl de vin en vrac, dont 307, 60 hl dans la cuve n° 60, dans les chais de la société AML, au lieu-dit Mède à Saint-Emilion ;
- le 25/ 08/ 2006, M. X... a adressé à la société Eurogage une demande de mise à disposition de 307 hl de vin de Bordeaux 2004 ;
- le 28/ 08/ 2006, les banques, représentées par Natexis Banques populaires, ont indiqué accepter la sortie des marchandises contre paiement préalable du prix facturé et sous contrôle de la société Eurogage ;
- le 30/ 08/ 2006, Me A...a constaté que le plomb posé par elle le 12/ 08/ 2006 sur la cuve n° 60 avait été enlevé et que celle-ci était vide ;
- le 08/ 09/ 2006, Me Y...a constaté la présence de 3 244 216 bouteilles et 2 252, 96 hl de vin en vrac dans les chais de la société AML ; que les constats d'huissiers de justice précités suffisent à établir que les stocks des vins donnés en gage a varié entre le 12/ 01/ 2005 et le 3/ 10/ 2006, date à laquelle la liquidation judiciaire des sociétés reprises a été confirmée par la cour d'appel de Bordeaux, et qu'un déficit de 100 577 bouteilles est en conséquence imputable à M. X... au terme de sa gestion ; que devant Me A...le 30/ 08/ 2006, puis devant les enquêteurs le 8/ 09/ 2006, M. X... a reconnu avoir enlevé les plombs de la cuve n° 60 et avoir sorti 307, 60 hl de vin en vrac pour les vendre ; qu'il a justifié cette sortie de vin en vrac, non autorisée, par la nécessité d'assurer le bon fonctionnement de son entreprise et a fait valoir que les sommes ultérieurement versées par les clients reviendraient aux banques créancières ; que le détournement de vin donné en gage est caractérisé dès lors qu'il a été opéré sciemment par M. X..., ce dernier n'ayant pas sollicité ou obtenu d'autorisations préalables conformément aux dispositions du protocole d'accord conclu le 12/ 01/ 2005 et qu'il a ainsi fait disparaître une partie de la garantie dont bénéficiaient les banques créancières ; que s'agissant d'une infraction instantanée, il importe peu, pour la matérialité du délit, comme l'ont relevé les premiers juges, que le stock gagé ait été ensuite reconstitué en tout ou partie ; que le préjudice pouvant être invoqué au titre du délit détournement de gage résulte de la perte d'une garantie de paiement qu'a voulu se réserver le prêteur ; que si, comme le soutient le prévenu, le produit de la vente des biens gagés a certainement été perçu par le liquidateur après l'arrêt définitif de la cour d'appel du 04/ 10/ 2010, il n'a pas nécessairement été affecté au remboursement de la créance des banques gagistes ; que la perte de leur garantie est constituée par la différence entre la valeur des vins gagés et celle du stock reconstitué par le prévenu ; qu'au 12/ 01/ 2005, date du dernier protocole d'accord, l'assiette du gage était de 3 344 793 bouteilles d'AOC Bordeaux et de 2 135, 50 hl de vin de la région de Bordeaux ; qu'il ressort du dernier état contradictoire des stocks dressé par huissier, en l'occurrence Maître Y..., en présence de l'huissier d'Eurogage, Maître Z..., qu'à la date du 22/ 10/ 2009, se trouvait en stock 3 244 216 bouteilles et 2 353, 70 hl de vin en vrac, soit un déficit de 90 577 bouteilles par rapport à l'assiette initial du gage ; que la valeur de la bouteille étant fixée à 1, 31 euros HT selon le récépissé de gage du 10/ 02/ 2005, la perte de garantie subie par les banques est de 118 655 euros ; que M. X... sera en conséquence tenu au paiement de cette somme aux banques en réparation de leur préjudice ;
" 1°) alors que lorsque le gage a pour objet des choses fongibles, le seul fait, pour le donneur de gage, de disposer desdites choses ne suffit pas à caractériser le délit de détournement de gage, qui ne peut, dans ce cas de figure, être constitué qu'en l'absence de remplacement par la même quantité de choses équivalentes ou de refus de représenter les choses remplacées sur la sommation faite par le créancier ; qu'en se bornant, pour déclarer M. X... coupable d'avoir détourné une partie du stock de vin donné en gage, à relever qu'avaient été constatés, le 30 août 2006, la disparition de 307, 60 hl de vin en vrac et le 22 septembre 2006, un déficit de 100 577 bouteilles de vin, peu important que le stock de vin gagé ait été ensuite reconstitué, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que M. X... aurait été dans l'impossibilité de restituer ou aurait refusé de restituer le stock de vin gagé à la première demande qui lui en aurait été faite, n'a pas justifié légalement sa décision ;
" 2°) alors que lorsque le gage a été consenti pour garantir un prêt octroyé par un établissement de crédit à une personne dans l'exercice de son activité professionnelle, qu'il est constitué sans dépossession et qu'il porte sur les stocks détenus par cette personne, seule une diminution, imputable à celle-ci, d'au moins 20 % de la valeur des stocks engagés est susceptible de caractériser le délit de détournement de gage ; qu'en l'espèce où il résulte des constatations de l'arrêt que le gage consenti au pool bancaire par la société AML, société emprunteuse dont M. X... était le dirigeant, portait sur de 3 344 793 bouteilles de vin et 2 135, 50 hl de vin en vrac, la cour d'appel, en se fondant, pour déclarer M. X... coupable de détournement de gage, sur la circonstance qu'une diminution du stock avait été constatée entre le 12/ 01/ 2005 et le 3/ 10/ 2006, peu important que ledit stock ait été ensuite reconstitué, tout en constatant que le déficit relevé concernait 100 577 bouteilles et 307, 60 hl de vin, soit moins de 20 % de la valeur du stock gagé, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;
" 3°) alors que le détournement de gage ne cause un préjudice au créancier qu'en cas d'impossibilité de réaliser en tout ou partie des objets donnés en gage ; qu'en retenant que le préjudice résultant, pour les banques, du délit le détournement de gage dont elle déclarait M. X... coupable correspondait à la différence entre le nombre de bouteilles de vin remises en gage et le nombre de bouteilles de vin comptabilisées lors de l'établissement du dernier état contradictoire du stock de vin gagé, quand il correspondait en réalité à la différence éventuelle entre le nombre de bouteilles données en gage et le nombre de bouteilles de vin gagées qui, selon ses constatations, avaient été ultérieurement vendues par le liquidateur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X..., dirigeant la société Antoine Moueix et Lebègue (AML), est poursuivi du chef de détournement de gage pour avoir détourné des bouteilles de vin et 307, 6 hl de vin en vrac affectés en gage, en garantie de crédits souscrits auprès de plusieurs établissements bancaires, en exécution d'un protocole d'accord conclu le 12 janvier 2005 ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce chef et le condamner à indemniser les établissements bancaires créanciers, l'arrêt relève qu'il est établi que le stock des bouteilles de vins données en gage a diminué de 100 577 unités entre le 12 janvier 2005 et le 3 octobre 2006, date à laquelle M. X...a été dessaisi de la gestion de la société AML et que ce dernier a reconnu avoir procédé à la vente de 307, 6 hl de vin en vrac sans autorisation des banques créancières ; que les juges ajoutent que le prévenu, qui n'a pas sollicité ou obtenu les autorisations préalables à la disposition des biens donnés en gage, a ainsi fait disparaître une partie de la garantie dont bénéficiaient les banques ; qu'ils énoncent enfin que le préjudice est égal à la valeur des bouteilles détournées ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il importe peu qu'un paiement ait été effectué au profit de l'un des établissements prêteurs, postérieurement au détournement du gage, ledit paiement ne faisant disparaître ni le délit ni le préjudice en résultant, qui ne se confond pas avec la créance préexistante, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur l'application des articles L. 527-1 et L. 527-7 du code de commerce, étrangers à la caractérisation de l'infraction reprochée, a, sans insuffisance, justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme totale que M. X...devra payer à la banque populaire du Sud-Ouest, à BNP Paribas, à la bordelaise CIC, au Crédit lyonnais, à la société Natixis, et à la Société générale, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. X...devra payer à Maître B..., en qualité d'administrateur provisoire de l'étude de Maître C..., pour la société AML Gilles, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf novembre deux mille quatorze.