Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-85.905
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Harel-Dutirou
Avocat général :
M. Caby
Avocats :
SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-10, 312-13 et 111-4 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, et 1382 du code civil, défaut de motifs et manque de base légale, violation de la loi ;
" en ce que l'arrêt attaqué a, sur le fond de l'action publique, déclare M. X... coupable du délit de chantage et l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, et sur l'action civile, dit M. X... intégralement responsable du préjudice subi par M. D... ;
" aux motifs que sur le fond de l'action publique, il apparaît de la procédure que M. D... a entretenu une liaison avec le prévenu ; qu'il a déposé plainte contre inconnu, le 28 janvier 2011, en exposant que, depuis quelque temps, il recevait des courriers menaçant de révéler la nature de sa sexualité s'il ne se tenait pas prêt à satisfaire les exigences sexuelles de son correspondant anonyme, ce qui imposait que dans ce but, il persiste à avoir des relations sexuelles avec M. X... ; qu'il apparaît encore de la procédure que le demandeur a remis aux enquêteurs plusieurs courriers justifiant du harcèlement dont il se disait victime ; qu'il est constant que M. X... a été interpellé alors qu'il venait chercher la réponse de M. D... aux courriers qu'il recevait ; qu'il doit également être indiqué que tant devant le tribunal qu'à la barre de la cour, le prévenu a reconnu qu'il était l'auteur des courriers litigieux, et qu'il avait mis en place ce stratagème pour maintenir sa liaison avec la partie civile ayant senti que celle-ci se détachait de lui ; que pour prétendre que l'infraction ne serait pas constituée le prévenu avance que la menace de révéler des pratiques homosexuelles n'est pas contraire à l'honneur et à la considération de sorte que l'élément constitutif du délit reproché ne serait pas constitué ; qu'il est constant que l'article 312-10 du code pénal dispose que le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque ; que le prévenu ne conteste pas le caractère menaçant des courriers qu'il a adressés à la partie civile, ni que ceux-ci avaient pour but d'obtenir de M. D... qu'il consente au maintien de relations sexuelles ; que, s'il est exact que l'homosexualité ne saurait en aucun cas constituer une pratique contraire à l'honneur ou à la considération, la menace de révéler l'orientation sexuelle d'un individu doit s'apprécier au regard du contexte des faits et de la personnalité de la personne menacée ; qu' en l'espèce, il appartient de rappeler que M. D... était un très jeune majeur, il entretenait des relations homosexuelles, mais, également, des relations hétérosexuelles, ce qui démontre qu'il était, lors des faits, particulièrement fragile comme étant, notamment, à la recherche de son identité sexuelle ; que sa jeunesse et sa naïveté doivent être prises en compte, et il a pu légitimement penser que la révélation de sa vie intime allait porter préjudice à l'autre relation qu'il entretenait avec une jeune fille, ainsi qu'à son image au sein de son établissement de formation professionnelle ; qu'il doit être considéré que la partie civile a pu croire que la révélation de sa sexualité porterait atteinte à son honneur ou la considération dont il bénéficiait par ailleurs ; qu'en conséquence, le délit reproché est établi par les pièces régulières de la procédure et il est bien caractérisé et qualifié à l'encontre du prévenu ; que le jugement doit recevoir confirmation sur la culpabilité ; qu'il est constant que M. X... n'a jamais été condamné par le passé de sorte qu'il peut prétendre au bénéfice d'un sursis simple ; qu'en revanche, la cour estime qu'au regard de la durée des faits, du caractère particulièrement pernicieux de son comportement, de l'importance du préjudice causé et de l'absence de remise en cause il appartient de prononcer une peine plus dissuasive que celle choisie par le premier juge ; que le jugement sera réformé sur la peine et M. X... condamné à un an d'emprisonnement avec sursis ; que sur l'action civile, M. X... étant reconnu coupable, par cette cour, des faits reprochés, il appartient de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a reçu M. D... en sa constitution de partie civile et déclaré M. X... intégralement responsable du préjudice causé ; que les pièces versées aux débats par la partie civile permettent d'établir qu'au moment des faits, M. D... a tenté de mettre fin à ses jours, il est également justifié de périodes de soins et d'arrêts de travail, rien n'excluant avec certitude que ces éléments de préjudice ne soient pas imputables aux faits dont fut victime la partie civile ; que cependant, si celle-ci apporte un début de preuve de l'imputabilité de la dégradation de son état moral et physique à l'infraction commise, cette imputabilité n'est pas totalement certaine et il appartient à la cour de s'assurer plus avant du lien de causalité et de l'étendue du préjudice avant de statuer sur la liquidation du préjudice subi par la victime. ¿ dès lors, il appartient de surseoir à statuer sur les demandes indemnitaires ;
" 1°) alors que le chantage défini par l'article 312-10 du code pénal suppose la menace de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération d'autrui ; qu'ayant elle-même énoncé que l'homosexualité ne saurait en aucun cas constituer une pratique contraire à l'honneur ou à la considération, la cour d'appel ne pouvait déclarer qu'en l'espèce la menace de sa révélation caractérisait le délit de chantage à l'encontre de M. X... en ce que la partie civile a pu croire qu'elle porterait atteinte à son honneur ou à sa considération, car en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que le chantage suppose la menace de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération ; que l'examen de cet élément constitutif doit s'apprécier in abstracto, et les juges doivent caractériser en quoi les faits menacés d'être révélés constituent objectivement une atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne; qu'après avoir elle-même énoncé que « l'homosexualité ne peut en aucun cas être une pratique contraire à l'honneur ou à la considération», la cour d'appel ne pouvait dire le délit constitué en retenant qu'en raison de sa jeunesse et de sa naïveté, M. D... a pu légitimement penser que la révélation de sa vie intime allait lui porter préjudice et a pu croire que la révélation de sa sexualité porterait atteinte à son honneur ou à la considération dont il bénéficiait par ailleurs, car en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a substitué une appréciation in personam à l'appréciation objective imposée par la loi, violant ainsi, par fausse application, l'article 312-10 du code pénal ;
" 3°) alors que le chantage tel qu'il est défini par l'article 312-10 du code pénal suppose de menacer de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération en vue d'obtenir soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque ; qu'il en résulte qu'un lien de causalité entre la menace et l'obtention de l'avantage doit être constaté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui n'a pas recherché comme elle y était invitée si M. D... avait lui-même continué à solliciter M. X... même après avoir découvert que ce dernier était l'auteur des lettres anonymes, ce dont il se déduisait que M. D... n'avait pas entretenu ni maintenu ses relations avec M. X... sous la contrainte ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Daniel X... a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir obtenu ou tenté d'obtenir la promesse de poursuivre une relation sentimentale et sexuelle avec M. Nicolas D... en le menaçant de révéler qu'il entretenait une "relation adultère de nature homosexuelle" ; que le tribunal l'a déclaré coupable des faits reprochés ; qu'appel a été interjeté ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce notamment que la menace de révéler l'orientation sexuelle d'un individu doit s'apprécier au regard du contexte des faits et de la personnalité de la personne menacée ; que les juges relèvent que M. D..., très jeune majeur, entretenait des relations homosexuelles et hétérosexuelles ; qu'ils en déduisent qu'il a pu légitimement penser que la révélation de sa vie intime allait porter préjudice à la relation qu'il entretenait avec une jeune fille ainsi qu'à son image au sein de son établissement de formation professionnelle ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, desquelles il résulte que les révélations et imputations objet des menaces formulées par le prévenu étaient de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la victime appréciés au regard de sa situation concrète, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-10 et 312-13 du code pénal, 1382 du code civil, et, 2 et 3 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action civile, confirmé le jugement de première instance qui a déclaré recevable la constitution de M. D... et dit M. X... intégralement responsable des conséquences dommageables de l'infraction ;
" aux motifs que sur l'action civile, M. X... étant reconnu coupable, par cette cour, des faits reprochés, il appartient de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a reçu M. D... en sa constitution de partie civile et déclaré M. X... intégralement responsable du préjudice causé ; que les pièces versées aux débats par la partie civile permettent d'établir qu'au moment des faits M. D... a tenté de mettre fin à ses jours, il est également justifié de périodes de soins et d'arrêts de travail, rien n'excluant avec certitude que ces éléments de préjudice ne soient pas imputables aux faits dont fut victime la partie civile ; que cependant, si celle-ci apporte un début de preuve de l'imputabilité de la dégradation de son état moral et physique à l'infraction commise, cette imputabilité n'est pas totalement certaine et il appartient à la cour de s'assurer plus avant du lien de causalité et de l'étendue du préjudice avant de statuer sur la liquidation du préjudice subi par la victime ; ¿ dès lors il appartient de surseoir à statuer sur les demandes indemnitaires ;
" 1°) alors que la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée au visa du premier moyen entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt relatif à l'action civile pour perte de fondement juridique ;
" 2°) alors que, en tout état de cause, ayant elle-même retenu que l'imputabilité du dommage de M. D... aux faits reprochés à M. X... n'était pas totalement certaine et qu'il convenait de désigner un expert dans le but notamment de s'assurer plus avant du lien de causalité, la cour d'appel ne pouvait ensuite le dire intégralement responsable du dommage, car ce seul constat suffisait à exclure la responsabilité dès lors qu'une condition d'établissement de la responsabilité faisait défaut ;
" 3°) alors qu'au surplus, le juge ne peut déléguer son pouvoir juridictionnel à un expert technique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait désigner un expert dans le but notamment de s'assurer plus avant du lien de causalité car en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel qui a délégué son pouvoir d'appréciation à un expert, a commis un excès de pouvoir négatif, et a violé les textes susvisés" ;
Attendu que l'arrêt, statuant sur les intérêts civils, après avoir déclaré M. X... responsable de l'entier préjudice subi par la victime, retient qu'il y a lieu d'ordonner une expertise médicale de celle-ci avant de statuer sur la liquidation de son préjudice ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel qui a souverainement apprécié l'opportunité de cette expertise, n'a nullement encouru les griefs allégués au moyen, lequel ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille seize.