Cass. com., 17 juin 2020, n° 19-10.341
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 novembre 2018), le 10 février 2014, un juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de librairie d'une société mise en liquidation judiciaire au profit de M. N... "ou de toute personne physique ou morale qui s'y substituerait, dont il resterait solidaire des engagements". L'entrée en jouissance dans les locaux, appartenant à une société tierce, a été fixée au 11 février 2014. Le même jour, a été créée la société Nouvelle les 3 Epis Brive (la société Nouvelle), dirigée par M. N..., ayant pour objet social l'exploitation d'un fonds de commerce de distribution de tous produits culturels et de loisirs, le capital social étant de 4 000 euros. La société Nouvelle a été immatriculée le 10 avril 2014.
2. Le 1er avril 2014, le bailleur a délivré à M. N... un commandement de payer visant la clause résolutoire, au titre des loyers impayés de mars et avril 2014. Une ordonnance de référé du 10 juillet 2014, confirmée par un arrêt du 5 mars 2015, a constaté la résiliation du bail au 1er mai 2014, ordonné l'expulsion de M. N... et condamné celui-là, à titre provisionnel, au montant des loyers impayés du 11 février au 1er mai 2014 et à une indemnité d'occupation.
3. Par une ordonnance du 26 septembre 2014, sur la demande de M. N..., le président du tribunal de commerce a désigné un administrateur ad hoc pour le compte de la société Nouvelle, sur le fondement de l'article L. 611-3 du code de commerce. Par une déclaration déposée au greffe le 30 octobre 2014, la société Nouvelle, représentée par M. N..., a déclaré son état de cessation des paiements. Un jugement du 12 novembre 2014 a mis cette société en liquidation judiciaire, la société [...] étant désignée en qualité de liquidateur. Un jugement du 17 mai 2016 a reporté la date de cessation des paiements au 1er avril 2014.
4. Le liquidateur a assigné M. N... afin de le voir condamner à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société Nouvelle et à une mesure d'interdiction de gérer.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et sur le second moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. M. N... fait grief à l'arrêt de prononcer à son égard une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de dix ans, alors que « seul peut être sanctionné par une interdiction de gérer le dirigeant qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ; qu'en se bornant, pour prononcer à l'encontre de M. N... une mesure d'interdiction de gérer pendant dix ans, à relever qu'il n'avait déclaré l'état de cessation des paiements, caractérisé dès le 1er avril 2014 selon le tribunal de la procédure collective, que le 30 octobre 2014, sans établir la mauvaise foi de M. N... dans ce retard, et alors que ce dernier avait sollicité et obtenu du tribunal de commerce la désignation d'un administrateur ad hoc de la société afin de trouver une issue amiable avec les créanciers sociaux, la cour d'appel a violé l'article L. 653-8 du code de commerce dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
7. L'article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, applicable aux procédures collectives en cours, exige, pour l'application de la sanction de l'interdiction de gérer, que l'omission de la demande d'ouverture d'une procédure collective dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements ait eu lieu sciemment. L'arrêt constate, d'abord, que le bailleur a délivré à M. N... un commandement de payer visant la clause résolutoire dès le 1er avril 2014, qu'entre les mois de février et octobre 2014, la dette de loyers de la société ouvelle a augmenté jusqu'à atteindre la somme de 26 428,57 euros, que cette dette a abouti au constat de la résiliation du bail et à l'expulsion par une ordonnance de référé du 10 juillet 2014. Il relève, ensuite, que bien que la date de cessation des paiements ait été reportée au 1er avril 2014, M. N... n'a déclaré cette cessation que le 30 octobre 2014 et que l'intéressé a rencontré le "même type de difficultés" pour l'exploitation de fonds de commerce à Bergerac et Bordeaux. L'arrêt retient, enfin, que M. N... ne peut invoquer la désignation d'un administrateur ad hoc par une ordonnance du 26 septembre 2014, dès lors que cette désignation avait pour but de rechercher une conciliation entre les différentes parties au vu des difficultés sociales, juridiques et financières que rencontrait la société Nouvelle, et non de faire face à la cessation des paiements, la déclaration de celle-ci étant une obligation légale. Par ces constatations et appréciations, desquelles il ressort que M. N... ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société Nouvelle, la cour d'appel, qui a caractérisé que ce dirigeant avait omis sciemment de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal, a pu prononcer contre lui une interdiction de gérer.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. M. N... fait grief à l'arrêt de le condamner à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société, alors que « l'insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion ; qu'en retenant néanmoins, en l'espèce, que M. N... s'était rendu coupable d'une faute de gestion en créant une société sans apports de fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
10. Pour condamner M. N... à supporter l'insuffisance d'actif de la société Nouvelle, l'arrêt retient que la rapidité de la cessation des paiements intervenue dès le 1er avril 2014, seulement un mois et demi après l'entrée en jouissance du 11 février 2014, démontre que cette société ne disposait pas, dès l'origine, de la capacité financière suffisante pour faire face aux échéances de charges inéluctables, telles que les loyers et salaires, et que les apports extérieurs reçus par la société à compter du mois de mai 2014 et jusqu'en décembre 2014, manifestent l'absence de fonds propres et l'insuffisance de la trésorerie de cette société pour faire face aux charges courantes, et ce dès le début de l'exploitation.
11. En statuant ainsi, alors que l'insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas en soi une faute de gestion dont les dirigeants auraient à répondre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il condamne M. N... à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société Nouvelle les 3 épis Brive, l'arrêt rendu le 13 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.