Livv
Décisions

Cass. crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Roman

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

SCP Nicolay et de Lanouvelle

Paris, du 5 mars 1996

5 mars 1996

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 192, 196, 197-2, 201 et 211 de la loi du 25 janvier 1985, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que la juridiction répressive, saisie sur constitution de partie civile du président-directeur général de la société soumise à la procédure de redressement judiciaire, pris en cette qualité, a déclaré le prévenu coupable de banqueroute et prononcé à son encontre diverses condamnations pénales et civiles ;

" alors que l'article 211 de la loi du 25 janvier 1985 prévoit que la juridiction répressive est saisie soit sur la poursuite du ministère public, soit sur constitution de partie civile de l'administrateur, du représentant des créanciers, du représentant des salariés, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur ; qu'ainsi la cour d'appel a méconnu les exigences de ce texte et des dispositions susvisées " ;

Attendu que le tribunal correctionnel a été saisi par une ordonnance de renvoi rendue par le juge d'instruction le 22 février 1994 ;

Attendu qu'aux termes de l'article 179, dernier alinéa, du Code de procédure pénale l'ordonnance de renvoi couvre, s'il en existe, les vices de la procédure d'information ;

Que, dès lors, le moyen est irrecevable ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 53, 247, 425-4 et 437-3 de la loi du 24 juillet 1996, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux et a prononcé à son encontre diverses condamnations pénales et civiles ;

" aux motifs que les prélèvements opérés dans la trésorerie de la société IPME, de façon réitérée et sans aucune contrepartie, témoignent de l'intention frauduleuse de Gérard X..., qui a été le principal bénéficiaire des fonds détournés, à titre personnel ou par l'intermédiaire de la Holding Gérard X..., créée à son initiative, et dont il détenait à lui seul la moitié des parts ; que c'est donc par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a déclaré Gérard X... coupable des délits d'abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d'actif ; qu'en conséquence le jugement sera confirmé sur la déclaration de culpabilité ; que, sur l'action civile, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris ;

" et aux motifs adoptés des premiers juges que l'audit comptable auquel a fait procéder l'administrateur judiciaire a mis en évidence l'importance des prélèvements qui ont été opérés dans la trésorerie de la société IPME, d'une part, au profit des sociétés Holding X... et IPME-Basig, d'autre part, au profit de son dirigeant et de son épouse ; que la SARL Holding X... a bénéficié d'avances de trésorerie qui ont été consenties par la SA IPME, dès sa reprise et se sont poursuivies durant toute la vie sociale pour atteindre 2 799, 775 francs au 31 août 1991 ; qu'il est établi et reconnu que ces avances ont permis à la société Holding de faire face au remboursement ; que la SA IPME a, en outre, consenti à la Holding X... en avril 1988 un prêt de 870 000 francs, remboursable en 3 ans, au taux annuel de 9 % ; que ce prêt, autorisé par le conseil d'administration, selon un procès-verbal du 7 avril 1988, n'a jamais été remboursé ni en capital ni en intérêts ; que Gérard X... a précisé que ce prêt avait permis à la Holding X... d'acquérir les parts de la société Basig, devenue IPME-Basig ; qu'il apparaît ainsi que la trésorerie d'IPME a été utilisée à hauteur de 3 669 775 francs pour financer le rachat, par la SARL Holding X..., des établissements IPME et Basig ; que Gérard X... ne saurait, en l'espèce, pour justifier de ces prélèvements, faire état d'un intérêt de groupe ; qu'en effet la société Holding X..., constituée au capital de 50 000 francs, ne disposait à l'évidence pas des ressources suffisantes pour faire face au remboursement des avances et prêts dont elle a bénéficié et qui apparaissent en réalité avoir été consenti sans contrepartie réelle et au bénéfice exclusif de Gérard X..., détenteur du capital de la Holding ; que l'exploitation d'IPME-Basig, lourdement déficitaire, n'a pu être poursuivie que grâce aux avances qui ont été accordées par IPME ; que ces avances, qui n'ont pas été soumises à l'approbation du conseil d'administration, atteignaient 2 421 630 francs au 30 août 1991 ; qu'elles n'ont pas été, même partiellement, remboursées ; que Gérard X... a lui-même admis que ces prélèvements avaient gravement compromis l'équilibre financier d'IPME ; qu'il résulte de ces éléments que les transferts de trésorerie de près de 6 millions de francs opérés au profit de la SARL Holding X... et d'IPME-Basig caractérisent le délit d'abus de bien sociaux reprochés à Gérard X... ; que Gérard X... a perçu de la SA IPME des rémunérations mensuelles brutes qui ont été fixées successivement à 39 850 francs en 1984, primes exceptionnelles de 17 000 francs et 19 850 francs ; que l'examen de ses comptes bancaires a relevé qu'il avait perçu le 20 avril 1990 un virement de 90 671 francs pour lequel il n'a pu fournir de justifications précises ; qu'il est d'autre part établi qu'IPME a supporté intégralement les frais d'entretien, d'assurance et de carburant afférents à un véhicule de marque BMW acquis par la société en 1988, et dont Gérard X... a été le seul utilisateur ;

que, compte tenu des rémunérations et primes allouées à Gérard X..., cette charge supplémentaire, chiffrée à 80 792 francs pour 1990 et 104 925 francs pour 1991, caractérise, de même que le virement de 90 671 francs, le délit d'abus de bien sociaux qui lui est reproché ; que Gérard X... a fait verser à son épouse Brigitte Y... des salaires au moins pour partie excessifs, eu égard aux fonctions réellement exercées par cette dernière ; que ces faits caractérisent les délits d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens visés par la prévention ; qu'il est également établi qu'IPME a pris en charge des frais personnels aux époux X..., soit :

" le tiers du loyer de leur appartement sis..., à Neuilly-sur-Seine ;

" plus de deux tiers du salaire d'une femme de ménage ayant exclusivement travaillé à leur domicile ; que ces frais ont représenté pour IPME une charge de 132 369 francs en 1990 et 140 675 francs en 1991 ;

" que les époux X... ont allégué qu'une pièce de leur appartement était réservée au stockage des archives de la société et qu'un bureau était utilisé par Brigitte Y... pour travailler à leur domicile ; qu'il a été constaté par l'administrateur que la société IPME disposait de locaux suffisants assurer le stockage de ses documents ; que le fait, par ailleurs, pour une salariée, percevant d'importantes rémunérations, de travailler à sa convenance, à son domicile, ne saurait justifier de la prise en charge d'une autre part de son loyer et de la rémunération de la femme de ménage affectée au nettoyage d'un bureau personnel ; que Gérard X..., en qualité de dirigeant, sera déclaré coupable du délit d'abus de biens sociaux ; qu'il est établi que la SARL Radia a acquis fin 1990, pour la somme de 58 990 francs, un véhicule pouvant être conduit sans permis ; que l'activité de la société, pratiquement inexistante, ne justifiait en rien l'état d'un tel véhicule dont le fils mineur de Gérard X... a été, selon les témoignages recueillis, le principal utilisateur ; que le délit d'abus de biens sociaux sera déclaré établi à l'encontre de Gérard X... ; que la constitution de partie civile est recevable et partiellement fondée ;

" 1° alors que, d'une part, selon l'article 53 de la loi du 24 juillet 1966 pour les sociétés à responsabilité limitée et 247 en ce qui concerne les sociétés anonymes, l'action en responsabilité contre les gérants et les administrateurs, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable, ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; qu'en s'abstenant d'indiquer à quel moment les délits d'abus de biens sociaux ont été consommés et de rechercher si trois ans n'étaient pas passés depuis l'examen des comptes ou la présentation des bilans notamment pour ce qui est des faits qui seraient intervenus en 1984, 1986 et 1988 lorsque le président-directeur général de la SA IPME s'est constitué partie civile, le 8 août 1992, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 2° alors que, d'autre part, l'article 425-4° et l'article 437-3° de la loi du 24 juillet 1966 répriment les agissements des gérants de sociétés à responsabilité limitée et des présidents et administrateurs de sociétés anonymes qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ; que l'intention frauduleuse ainsi exigée à deux reprises par chacun de ces textes est un élément constitutif de l'infraction, à défaut duquel celle-ci ne serait pas caractérisée ; que, dès lors, cette condition doit être établie, notamment par le caractère occulte et clandestin des faits reprochés, mais ne saurait résulter de la seule affirmation que les actes commis témoignent de l'intention frauduleuse ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 3° alors qu'en outre le jugement confirmé par la cour d'appel avait constaté que le redressement judiciaire, ouvert à l'égard de la SA IPME, le 2 septembre 1991, avait été étendu le 18 décembre 1991 aux sociétés IPME Basig, Radian et Holding X..., le tribunal n'ayant décidé que la procédure ne serait pas poursuivie sous patrimoine commun à l'égard de la SA IPME que pour préserver l'outil économique que représentait cette dernière, ce dont il résultait nécéssairement l'existence d'une union économique et financière entre les quatre sociétés constituant ainsi un groupe ; qu'en affirmant que le prévenu ne saurait justifier les prélèvements effectués par un intérêt de groupe, dès lors que le capital de la société Holding n'était que de 50 000 francs, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences juridiques de leurs propres constatations et ont violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et du jugement qu'il confirme que la société anonyme Institut de pédagogie moderne et d'enseignement (IPME), dont Gérard X... était le président du conseil d'administration, a été déclarée en redressement judiciaire le 2 septembre 1991 ; qu'un plan de continuation a été arrêté le 8 avril 1992 ;

Que l'information a révélé que Gérard X... avait prélevé dans la trésorerie d'IPME, au profit de la société Holding X..., dont il était le gérant, des sommes destinées à rembourser l'emprunt contracté pour le rachat des actions d'IPME et à acquérir les parts d'une société Basig, à qui il a également fait consentir des avances ; qu'en outre Gérard X... a fait prendre en charge par la société des dépenses personnelles et a fait payer à son épouse un salaire pour la plus grande partie dépourvu de contrepartie ; qu'enfin le prévenu a fait acheter par une société sans activité, dont il était encore le gérant, un véhicule pouvant être conduit sans permis, dont son fils mineur a été le principal utilisateur ;

Attendu que, pour déclarer Gérard X... coupable d'abus de biens sociaux, les juges retiennent qu'il " ne saurait, pour justifier ses prélèvements, faire état d'un intérêt de groupe ; qu'en effet, la société Holding X... ne disposait à l'évidence pas des ressources suffisantes pour faire face au remboursement des avances et prêts dont elle a bénéficié et qui apparaissent en réalité avoir été consentis sans contrepartie réelle et au bénéfice exclusif de Gérard X..., détenteur réel du capital de la Holding " ;

Que l'arrêt ajoute " que les prélèvements opérés dans la trésorerie de la société IPME, de façon réitérée et sans aucune contrepartie, témoignent de l'intention frauduleuse de Gérard X..., qui en a été le principal bénéficiaire " ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant d'une appréciation souveraine, et dès lors que, les faits les plus anciens dont le demandeur a été déclaré coupable ayant été commis en 1989, la prescription de l'action publique n'aurait pu commencer à courir à leur égard, sauf dissimulation, qu'à compter de la présentation des comptes annuels de l'exercice, au cours de l'année 1990, et n'était donc pas acquise le 8 avril 1992, date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.