CA Caen, 1re ch. civ. et com., 14 avril 2005, n° 04/00441
CAEN
Confirmation
Aux termes d'un acte intitulé “ engagement d'occupation précaire “ en date du 31 décembre 1990, Mme LEPETIT a mis à disposition de Mme CLEMENCET une parcelle de terre située à CABOURG, cadastrée E n° 1251, actuellement AR 192, d'une contenance de 1 ha 10 a 34 ca, aux fins d'activités de “ promenades à cheval, leçons d'équitation, pension de chevaux “ et ce pour une durée d'un an et moyennant une indemnité d'occupation de 5.500 F payable au 31 août 1991 “sauf en cas d'expropriation préalable “.
Dans cet acte, il était précisé que la convention n'était “ en aucune manière soumise au décret du 30 septembre 1953 “, et Mme CLEMENCET reconnaissait expressément avoir été avisée que le terrain objet de la convention pouvait faire l'objet d'une expropriation et dans ce cas, s'engageait à libérer le terrain sans préavis.
Il était également précisé que Mme CLEMENCET n'était tenue d'aucune obligation d'entretien.
Cette convention a été renouvelée pour la même durée et dans les mêmes termes, à l'exception de l'indemnité d'occupation, 1991 à 1995, puis pour 1996 par lettre du 20 décembre 1995.
Des nouvelles conventions ont été signées pour les années 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001, également dans les mêmes termes sauf l'indemnité d'occupation qui a régulièrement augmenté et a été portée à 12.864 F à compter de l'année 2000, étant précisé que dans les deux derniers contrats il n'était plus fait référence à une possibilité d'expropriation mais à l'éventualité d'un “ changement de destination “, hypothèse dans laquelle Mme CLEMENCET s'engageait, comme dans les conventions précédentes, à libérer le terrain sans préavis ni indemnité.
Par courrier du 12 janvier 2002, Mme LEPETIT a informé Mme CLEMENCET de ce qu'elle ne pourrait proposer un nouveau contrat d'occupation précaire pour 2002, en raison de l'avancement des négociations pour la vente du terrain.
Elle lui a précisé que “ néanmoins, compte tenu de l'incertitude qui existe sur la réalisation des projets de l'acquéreur [Mme CLEMENCET] pouvait rester dans les lieux le temps nécessaire pour rechercher un autre lieu pour [son] activité de l'été prochain “.
Par courrier du 4 février 2002, Mme LEPETIT a indiqué à Mme CLEMENCET que l'acquéreur potentiel souhaitait pouvoir disposer du terrain à la fin des vacances de Pâques prochaines.
Par courrier du 26 mars 2002 elle a précisé qu'au vu de l'évolution des pourparlers relatifs à cette vente, elle pouvait garantir à Mme CLEMENCET une jouissance du terrain jusqu'au 31 août 2002.
Mme CLEMENCET s'étant maintenue dans les lieux, par acte du 21 février 2003 Mme LEPETIT l'a fait citer devant le Tribunal afin que voir constater l'expiration de la convention d'occupation précaire les liant, ordonner son départ dans le délai d'un mois de la signification de la décision à intervenir, et à défaut son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef avec, au besoin, le concours de la force publique.
Elle a demandé paiement d'une indemnité d'occupation équivalente à l'indemnité contractuellement stipulée, et jusqu'à son départ effectif outre une somme de 1 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par le jugement déféré, le Tribunal a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mme CLEMENCET et a fait droit à l'intégralité des demandes de Mme LEPETIT, la somme allouée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile étant cependant réduite à 700 €.
Vu les écritures signifiées:
* le 6 janvier 2005 par Mme CLEMENCET qui conclut à l'infirmation du jugement, au rejet des réclamations et demande paiement des sommes de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5.000 6 en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
* le 26 août 2004 par Mme LEPETIT qui conclut à la confirmation du jugement et demande en cause d'appel l'expulsion de Mme CLEMENCET des parcelles AR 190 et AR 191 et sa condamnation au paiement des sommes de 39 000 € à titre d'indemnité d'occupation sur ces parcelles pour les années 1991 à 2003, 250 € par mois du 1er janvier 2004 jusqu'à libération des lieux, 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, 2 500 6 en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
I – Sur l'incompétence du Tribunal d'instance de CAEN au profit du Tribunal de grande instance de CAEN
L'exception d'incompétence est irrecevable devant la Cour, faute d'intérêt, puisqu'il n'est pas contesté que le Tribunal de grande instance dont la compétence est revendiquée est situé dans le ressort de la Cour d'appel de CAEN et qu'en application de l'article 79 du nouveau code de procédure civile, la Cour doit statuer au fond même si le jugement est réformé du chef de la compétence.
II – Sur l'application du statut des baux commerciaux
1 – L'existence d'un établissement d'enseignement
Il résulte de l'article L. 145-2-1° du code de commerce que le statut des baux commerciaux est applicable aux baux des locaux ou immeubles abritant des établissements d'enseignement, même non immatriculés au registre du commerce ou au répertoire des métiers, dès lors que cet établissement appartient au locataire et que l'organisation de l'activité d'enseignement est perceptible de l'extérieur.
En l'espèce, outre la mention figurant sur les conventions successives -“leçons d'équitation“-, Mme CLEMENCET justifie par les différentes pièces produites aux débats de sa compétence en matière d'enseignement de l'équitation, de son identification par les autorités administratives comme “directeur d'école élémentaire d'équitation“, et de l'exercice effectif sur les lieux loués, avec du matériel approprié exposé à la vue du public et assorti de publicité, d'une activité d'enseignement et de celle d'examinateur habilité à délivrer les diplomes spécifiques -à savoir les galops-sanctionnant le niveau des élèves qui fréquentent son établissement.
Il est ainsi démontré que l'immeuble litigieux abrite un établissement d'enseignement et le fait que Mme CLEMENCET exploite à quelques kilomètres un autre établissement d'enseignement est à cet égard indifférent, de même que la consistance des constructions situées sur ce terrain, puisque l'enseignement n'est pas dispensé dans un manège, mais exclusivement en plein air.
Dès lors, et contrairement aux affirmations du jugement, en application de l'article L. 145-2-1° du code de commerce, les lieux exploités par Mme CLEMENCET sont susceptibles d'être assujettis au statut des baux commerciaux.
2 – Sur la qualification des conventions
En application de l'article L. 145-5 du code de commerce, les parties peuvent lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions relatives au statut des baux commerciaux, à condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans.
Si à l'expiration de cette durée est conclu entre les mêmes parties un nouveau bail pour le même local, ce nouveau bail est assujetti au statut des baux commerciaux.
Néanmoins, le bail dérogatoire de l'article L. 145-5 du code de commerce doit être distingué de la convention d'occupation précaire, soumise au droit commun du contrat de louage.
La qualification de cette convention est indépendante de la durée effective d'occupation, et le critère principal et déterminant de distinction avec le bail dérogatoire est la précarité, la pérennité de la convention dépendant de la survenance d'un événement incertain ou certain dont la date de réalisation est incertaine, le bailleur ne pouvant pour ce motif assurer au preneur la plénitude des effets du statut, étant précisé que peuvent être pris également en compte pour caractériser ce type de convention la modicité de la redevance et/ou l'absence d'obligation d'entretien des lieux.
Il appartient au juge d'apprécier la commune intention des parties, et une convention d'occupation précaire -dérogatoire du statut d'ordre public des baux commerciaux- n'est licite qu'en l'absence de fraude, laquelle résulte de l'existence de motifs particuliers justifiant le recours à une jouissance provisoire.
En l'espèce, outre la dénomination de la convention initiale et des conventions successives, et l'exclusion expresse de toutes les dispositions du décret du 30 septembre 1953, Le motif contractuel de précarité est la possibilité d'une procédure d'expropriation ou dans les deux dernières conventions d'un changement de destination du terrain et l'obligation subséquente pour la locataire de libérer le terrain sans préavis ni indemnité.
C'est précisément pour ce motif que Mme LEPETTT a refusé le renouvellement de la convention en 2002, et elle justifie par des courriers produits, courriers de la mairie du 27 novembre 2002, du 31 juillet 2003, du 22 juillet 2004, de ce qu'une réserve foncière existe au pian d'occupation des sols sur les parcelles AR 190,191,192 aux fins de prolongement du CD 400 vers le Nord, travaux désormais décidés et nécessitant l'acquisition des parcelles litigieuses.
Contrairement aux allégations de l'intimée, la soumission de Mme LEPETIT aux délibérations municipales de la ville de CABOURG ne constitue pas une violation de la règle “nul ne plaide par Procureur“ et de l'article 31 du nouveau code de procédure civile.
Par ailleurs, il est affirmé par Mme LEPETIT, et non contesté par l'intimée que ce projet de reprise aux fins d'urbanisme existe depuis plus de vingt ans et donc qu'il était réel à la date de la convention initiale.
Ainsi, la circonstance particulière dûment établie justifiant le recours à une convention d'occupation précaire est exclusive de fraude.
Le caractère modique de l'indemnité d'occupation qui, si elle a doublé en dix ans, reste très en-deça des prix habituellement pratiqués dans cette zone géographique, ainsi que l'exclusion de toute obligation d'entretien, précisée dans les conventions successives, corroborent la qualification de convention précaire.
C'est donc à bon droit que le Tribunal, constatant l'expiration de la convention précaire sur la parcelle AR 190, a ordonné le départ et à défaut l'expulsion de Mme CLEMENCET, l'a condamnée au paiement d'une indemnité d'occupation égale à celle contractuellement fixée et le jugement sera confirmé par substitution de motifs.
III – Sur la demande reconventionnelle
1 – Les parcelles AR 191 et AR 192
En cause d'appel, Mme LEPETIT sollicite une indemnité d'occupation au titre des parcelles AR 190 et AR 191, au motif que Mme CLEMENCET les occupe depuis le 1er janvier 1991 sans droit ni titre.
Cependant, il résulte de l'attestation de Mme DUVAL, non utilement contestée par l'appelante, que les parcelles AR 190 et AR 191 ont été louées depuis 1967 par Mme LEPETIT à Mme DUVAL, laquelle les a mises gracieusement à disposition de Mme CLEMENCET.
Mme LEPETIT, qui perçoit donc un loyer pour ces parcelles, est infondée à réclamer une indemnité d'occupation.
En conséquence, sa demande de ce chef sera rejetée.
Cependant, il sera fait à sa demande d'expulsion tant en raison de l'occupation précaire de ces parcelles, également comprises dans les terres visées par les décisions municipales, qu'en raison de l'expiration de la convention principale portant sur la parcelle AR 192, leur occupation ne constituant que l'accessoire des dispositions contractuelles.
2 – Les dommages et intérêts
L'argumentation développée par le défendeur et l'exercice d'un recours ne dégénèrent en faute susceptible d'entraîner une condamnation à des dommages et intérêts que s'ils constituent un acte de malice ou de mauvaise foi ou tout au moins une erreur équipollente au dol.
En l'espèce Mme LEPETIT ne démontre pas en quoi l'argumentation et le recours de Mme CLEMENCET présenteraient de telles caractéristiques.
En conséquence, sa demande en dommages et intérêts, infondée, sera rejetée.
3 – L'article 700 du nouveau code de procédure civile
Succombant en son appel, Mme CLEMENCET a contraint Mme LEPETIT à exposer des frais irrépétibles qui seront en équité fixés à 1 500 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme le jugement;
Y additant
- Ordonne le départ de Mme Agnès CLEMENCET dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt des parcelles cadastrées AR 190 et AR 191 et passé ce délai, ordonne son expulsion et celle de tous occupants de son chef avec au besoin le concours de la force publique;
- Déboute Mme Marie-Louise LEGENTIL veuve LEPETIT de ses demandes en indemnité d'occupation sur les parcelles AR 190 et AR 191, et en dommages et intérêts;
- Condamne Mme CLEMENCET à payer à Mme LEPETIT la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.