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Décisions

Cass. crim., 6 février 1997, n° 96-80.615

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Martin

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Coutard et Mayer, SCP Nicolay et de Lanouvelle, Me Bouthors, Capron, Foussard

Lyon, du 10 janv. 1996

10 janvier 1996

Vu les mémoires produits ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'à la suite de plaintes et d'informations reçues à son parquet courant mai et juin 1992, émanant notamment d'un commissaire aux comptes et des services fiscaux, le procureur de la République de Lyon, après avoir fait procéder à une enquête, a requis l'ouverture, le 13 novembre 1992, d'une information judiciaire, des chefs de faux et usage, banqueroute, abus de biens sociaux et complicité, s'étendant à 16 sociétés, toutes dirigées par Pierre D..., certaines ayant pour président ou gérant de droit Marc A... ;

Qu'à l'issue de la procédure, 12 personnes ayant été renvoyées devant la juridiction correctionnelle et 11 d'entre elles ayant été déclarées coupables, seuls se sont pourvus en cassation Michel Y..., maire de Lyon, Michel X..., maire de Cannes, Patrick Z..., journaliste, ainsi que Marc A... et Serge B..., dirigeants de sociétés, outre Pierre D... qui s'est désisté de son pourvoi ;

En cet état ;

Sur le deuxième moyen de cassation présenté par Me Bouthors pour Michel Y..., pris de la violation des articles 68-1 de la Constitution de 1958 modifiée, 459, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions d'incompétence de la juridiction répressive de droit commun et de nullité de l'ordonnance de renvoi et du jugement présentées par Michel Y... ;

" aux motifs qu'avant toute défense au fond, Michel Y..., inculpé d'avoir recélé, le 26 juillet 1986, 12 839, 40 francs, demande par conclusions de constater que cette prévention relève, en application de l'article 68-1 de la Constitution, de la compétence de la Cour de justice de la République ; qu'il expose que cette somme correspond à la valeur d'un repas qui réunissait, au restaurant de Paul E... à Collonges-au-Mont-d'Or, les membres de son cabinet du ministère du Commerce extérieur, ainsi que ses collaborateurs lyonnais et avait pour objet l'organisation et la programmation de ce ministère en région Rhône-Alpes ; qu'il soutient qu'une telle rencontre appartient à la catégorie des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ministérielles et relève de la compétence, non de la juridiction répressive de droit commun, mais de la Cour de justice de la République et qu'en conséquence la cour d'appel doit elle-même, après avoir constaté la nullité de l'ordonnance de renvoi et du jugement déféré, se déclarer incompétente ; qu'il juge nécessaire qu'en vertu de l'article 459, alinéa 4, du Code de procédure pénale, une décision immédiate soit rendue, l'exception d'inconstitutionnalité soulevée touchant à l'ordre public ; (...) mais attendu que l'immunité ministérielle, à la différence des immunités parlementaires et diplomatiques, ne résulte pas de la seule qualité de la personne concernée, mais commande qu'il soit constaté que les actes incriminés ont été commis dans l'exercice des fonctions ministérielles ; qu'elles nécessitent, pour la juridiction saisie à qui il appartient d'apprécier sa compétence, l'examen des circonstances dans lesquelles les faits reprochés à un ministre ont été commis, cette appréciation exigeant obligatoirement, pour la juridiction, un examen sur le fond des faits ; que, dans ces conditions, la Cour est dans l'impossibilité de se prononcer sur l'immunité ministérielle relative au recel du repas incriminé sans procéder à un examen au fond des faits de cette prévention ; qu'en conséquence, la demande tendant à voir la Cour, juridiction répressive du droit commun, se déclarer incompétente, sera jointe au fond ; que, par ailleurs, sur l'incompétence, les actes commis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant de ses attributions, à l'exclusion des comportements concernant sa vie privée ou ses mandats électifs locaux ; que les affirmations de Michel Y..., selon lesquelles la rencontre du 26 juillet 1986 avait pour objet l'organisation et la programmation de son ministère en région Rhône-Alpes et était liée à la conduite des affaires de l'Etat ne sont confortées par aucune pièce du dossier ; qu'en effet, François F..., son directeur de cabinet, a déclaré que ce repas n'avait eu pour but que de provoquer une rencontre entre les équipes parisiennes et lyonnaises de Michel Y... ; qu'aucun élément précis n'est allégué pour contredire ce témoignage direct ; qu'en définitive, rien au dossier n'établit que ce repas, qui, dans un restaurant de la région lyonnaise, réunissait, hors du temps de travail, des convives appartenant notamment au cabinet de Michel Y..., ait eu un lien direct avec la conduite des affaires de l'Etat dépendant de son ministère ;

que ce repas relève donc des actes de la vie privée d'un ministre qui a organisé une rencontre informelle pour permettre à ses collaborateurs de faire connaissance ; que la juridiction répressive de droit commun est ainsi compétente pour juger de l'incrimination de recel afférente à cette prestation ; que l'exception d'incompétence sera rejetée, de même que la demande d'annulation de l'ordonnance de renvoi et du jugement déféré (arrêt p. 31 et 32) ;

" alors que, suivant l'article 68-1 de la Constitution telle que modifiée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la compétence de la Cour de justice de la République est relative aux actes constituant des crimes ou délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions et qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant de leurs attributions, à la seule exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux ; que le fait à lui seul pour le repas incriminé d'avoir réuni, fût-ce pour partie, des membres du cabinet du ministre du Commerce extérieur pour une raison relative à la conduite des affaires de son ministère, interdisait à la juridiction correctionnelle de droit commun de se reconnaître compétente après avoir joint au fond l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par le requérant " ;

Attendu que, pour rejeter l'exception d'incompétence invoquée par Michel Y..., qui soutenait que le recel, le 26 juillet 1986, d'un déjeuner servi chez un restaurateur réputé, entraînait la compétence de la Cour de justice de la République, dès lors qu'il s'agissait d'un acte commis dans l'exercice de ses fonctions de ministre délégué au Commerce extérieur, les juges du second degré énoncent que ce repas, réunissant les membres des équipes parisienne et lyonnaise de Michel Y..., n'avait aucun lien direct avec la conduite des affaires de l'Etat dépendant de son ministère, et relevait au contraire des actes de la vie privée d'un ministre ayant organisé une rencontre informelle pour permettre à ses collaborateurs de faire connaissance ;

Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure ;

Qu'en effet, la compétence de la Cour de justice de la République, telle que prévue par l'article 68-1 de la Constitution, ne saurait s'étendre aux actes qui ne sont commis, par des ministres, qu'à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ;

Que, tel étant le cas en l'espèce, le moyen doit être écarté ;

Sur le premier moyen de cassation présenté par la société civile professionnelle Nicolay et de Lanouvelle pour Michel X... : (sans intérêt) ;

Sur le premier moyen de cassation présenté pour Michel Y... : (sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen de cassation présenté pour Michel X... : (sans intérêt) ;

Sur le troisième moyen de cassation présenté pour Michel Y... : (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Michel Y..., pris de la violation des articles 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 437 de la loi du 24 juillet 1966, 460 du Code pénal ancien, 112-2 et 321-1 du Code pénal, 6, 7, 8, 203, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique invoquée par Michel Y... ;

" aux motifs que Michel Y... conclut que soient déclarés prescrits l'ensemble des faits dont il est prévenu ; qu'il fait valoir que le premier acte de poursuite le concernant est le réquisitoire supplétif du procureur de la République du 29 mars 1993, que les faits qui lui sont reprochés sont tous antérieurs au 29 mars 1990, et qu'en conséquence la prescription lui était acquise lors de l'engagement des poursuites ; qu'il demande donc que l'action publique soit éteinte à cet égard ; (...) que si la loi du 22 mai 1915 a érigé le recel en infraction distincte, celui-ci demeure rattaché au délit d'origine par un lien très étroit, s'agissant d'une infraction de conséquence, qui suppose, à titre préalable, un délit fondamental ; que la jurisprudence s'est montrée particulièrement stricte sur cette exigence qui conduit à établir de manière précise l'existence d'un délit et d'en relever les éléments constitutifs ; qu'un arrêt de la Cour de Cassation du 7 décembre 1967 a fixé le point de départ de la prescription triennale en matière d'abus de biens sociaux au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, ceci en raison de la nature particulière de cette infraction qui est le plus souvent dissimulée ; qu'ainsi, le délit de recel, infraction de conséquence, ne peut être découvert et poursuivi qu'à partir du moment où le délit d'abus de biens sociaux, infraction d'origine, est apparu ou a été constaté ; qu'antérieurement, le recel ne pourra pas être connu en raison de la clandestinité de l'infraction d'origine ; qu'ainsi, le délai de prescription triennale en matière de recel de biens sociaux ne peut, si les biens ne sont plus en possession des prévenus, commencer à courir qu'à compter de la date où ces abus de biens sociaux sont apparus et ont pu être constatés ; qu'en l'espèce, l'administration fiscale n'a révélé au procureur de la République que le 18 juin 1992, en vertu des dispositions de l'article 40 du Code de procédure pénale, les faits susceptibles de constituer des abus de biens sociaux résultant du contrôle fiscal de la société Vivien ; que le ministère public n'était donc en possession des documents permettant d'exercer des poursuites et de déclencher l'action publique contre les auteurs d'abus de biens sociaux qu'à compter du 18 juin 1992 ; que c'est également de ce jour que les éventuels bénéficiaires des détournements ont pu être identifiés ; que le point de départ de la prescription des délits de biens sociaux a commencé à courir à compter du 18 juin 1992 ; que Michel Y... ayant été mis en examen le 29 mars 1993, les faits de recel ne sont pas couverts par la prescription triennale (arrêt p. 35 et 36) ;

" alors que la prescription de l'infraction principale et celle du recel sont indépendantes ; que le report du point de départ de la prescription d'une infraction d'abus de biens sociaux n'affecte pas le cours de la prescription du recel qui part du jour où il a pris fin ; qu'en cas de recel d'usage, la prescription acquise dans les 3 ans de sa consommation ne peut renaître ultérieurement même s'il apparaît que l'infraction d'origine n'est pas encore prescrite ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les règles impératives gouvernant la prescription applicable à la prévention de recel " ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la prescription de l'action publique, les juges relèvent que les recels reprochés à Michel Y..., commis de 1983 à janvier 1989, sont la conséquence de délits d'abus de biens sociaux révélés seulement le 18 juin 1992, que la prescription, tant des infractions d'origine que des recels, n'a commencé à courir qu'à compter de cette date et que la mise en examen de l'intéressé, intervenue le 29 mars 1993, a interrompu le délai de prescription ;

Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ;

Qu'en effet, les dispositions des articles 203 du Code de procédure pénale et 321-3 à 321-5 du Code pénal impliquent que le recel du produit d'un abus de biens sociaux ne saurait commencer à se prescrire avant que l'infraction dont il procède soit apparue et ait pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le cinquième moyen de cassation présenté pour Michel Y... : (sans intérêt) ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Michel X... : (sans intérêt) ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Coutard et Mayer pour Patrick Z... : (sans intérêt) ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Me Capron pour Marc A... : (sans intérêt) ;

Mais sur le troisième moyen de cassation proposé par Me Foussard pour Serge B..., pris de la violation des articles 437. 3° de la loi du 24 juillet 1966, des articles 111-4 et 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Serge B... à 1 an d'emprisonnement avec sursis et à 200 000 francs d'amende ;

" aux motifs que Pierre D... a remis au juge d'instruction 2 factures adressées à la société Kis, la première d'un montant de 100 000 francs hors taxes du 20 juillet 1987, réglée le 17 juillet précédent, et la deuxième d'un montant de 660 000 francs hors taxes, non datée mais émise vraisemblablement en septembre 1987 et réglée le 5 octobre suivant ; qu'il a également communiqué à ce magistrat un document intitulé Annexe 2, rédigé de la main de Michel Y... et récapitulant les recettes encaissées par Pierre D... au lieu et place de Michel Y... en 1988, totalisant 5 730 000 francs ; que ce document porte la mention suivante " M. C... de K..., 900 000 francs " ; que Pierre D... a expliqué qu'en 1987 il avait rencontré Serge B..., lequel lui avait expliqué que la société Kis, qu'il dirigeait, avait perçu une subvention de l'Etat dans le cadre d'aide à la réalisation d'un programme d'implantation à l'étranger et que, faute d'avoir rempli la totalité de ses engagements, la société Kis se voyait réclamer par leTrésor public le remboursement d'une somme de 15 millions de francs ; que Serge B... lui avait demandé d'intervenir en sa faveur auprès de Michel Y..., alors ministre du Commerce extérieur ; que Pierre D... a accédé à ce voeu et qu'après cette intervention l'Etat a limité la demande de remboursement à 5 millions de francs sur les 15 millions versés ; qu'en contrepartie de cette intervention Serge B... a réglé le montant des 2 factures, objet des poursuites, qui avaient été établies par Pierre D... mais qui ne correspondaient en définitive à aucune prestation réelle ; qu'il résulte des investigations diligentées que, les 16 novembre 1984 et 8 janvier 1985, avait été signée, entre la société Kis et l'Etat, après avis du Codex, une convention accordant à cette société une subvention d'exploitation de 25 millions de francs à titre d'aide à l'exportation ; qu'était versée, lors de la signature, une première tranche de l'aide, soit 15 millions de francs ; qu'en conséquence de difficultés rencontrées par cette société pour exécuter son programme à l'exploitation, il était décidé, lors de la séance du Codex du 11 septembre 1987, présidée par un sous-directeur, représentant le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, de réduire de 60 % l'aide attribuée à la société Kis et de la ramener ainsi à 10 millions de francs, de faire rembourser par cette société 5 millions de francs sur les 15 versés, et de réaménager le programme d'origine afin de s'assurer que les 10 millions maintenus seraient utilisés conformément à l'esprit de la convention du Codex ; que Michel Y... a adressé à Serge B..., le 29 septembre 1987, un courrier ainsi libellé : " Après avoir personnellement étudié votre dossier avec mes services, il est apparu que vos engagements de dépenses étaient très en deçà de ceux que vous vous étiez engagés à accomplir. Dans ces conditions, mes services étaient fondés à vous réclamer le remboursement du Codex qui vous avait été versé, soit 15 MF... Cela étant, prenant en considération les efforts effectués par votre société, il a été décidé de limiter à 5 MF les sommes que vous devez reverser au Trésor public français " ;

que cette lettre laisse croire que Michel Y... était personnellement à l'origine de la décision de limiter le remboursement de la subvention, Serge B... ayant pu vouloir favoriser, à titre de contrepartie, un proche de Michel Y... sans que celui-ci en soit informé à cette époque ; qu'en raison de leur libellé imprécis l'objet exact des prestations facturées demeure douteux ; qu'ainsi, la première facture de 100 000 francs correspond à " l'étude et à l'aménagement de mobilier Delissimo adapté à la vente du fast food français " et à " l'approche relationnelle pour la diffusion dans certains pays " ; que la rédaction de la deuxième facture, qui s'élève à 660 000 francs, est encore plus imprécise puisque son objet est " l'étude et la réalisation d'un système de franchise ", qu'il n'est pas concevable que des factures de cette importance ne donnent pas lieu à des énonciations plus détaillées quant aux prestations qui ont été effectivement exécutées et au temps de travail qu'elles ont nécessité ; qu'il sera encore relevé qu'il est difficilement envisageable qu'à une période où Serge B... faisait face à d'importantes difficultés financières, celui-là a pris la responsabilité d'engager de lourds frais pour des études dont il ne retirera, par la suite, aucun profit ; que, de plus, il ne peut être admis qu'une société de l'importance de Kis et qu'un dirigeant ayant l'expérience de Serge B... confient à Pierre D..., qui n'a aucune formation, un travail aussi complexe que l'étude et la réalisation d'un système de franchise, une telle étude nécessitant des connaissances théoriques et pratiques que ce dernier ne possédait pas ; que si les prestations correspondantes avaient été réalisées, il n'est pas explicable, eu égard au montant important de ces factures, que la société Kis n'en ait pas tiré profit, au moins en partie, ou ne les ait pas conservées pour les utiliser postérieurement ; qu'il sera enfin relevé que les croquis présentés au juge d'instruction, qui constitueraient une partie des prestations énoncées dans ces factures, ne sont ni datés ni signés et ne portent pas d'indications d'origine ; que, de plus, ils concernent une " étude d'agencement de franchise Kis " et n'ont donc aucun rapport avec la facture de 100 000 francs et un lien très indirect avec la facture de 660 000 francs, dont l'objet est l'étude et la réalisation d'un système de franchise ; que l'annexe 2, portant la mention " C de K :

900 000 francs ", est de nature à conforter le caractère fictif de ces facturations ; que Michel Y... a pu, à la date de la perception de ces sommes par Pierre D..., plus de 1 an et demi avant la rédaction de ce document, ignorer les véritables raisons ayant amené Serge B... à effectuer de tels versements ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que les factures émises par Pierre D... et réglées par la société Kis n'ont correspondu à aucune prestation réelle ; qu'elles étaient donc fictives ; que ces paiements étaient contraires à l'intérêt social de cette société qui s'est, sans aucune contrepartie pour elle, appauvrie de ces sommes ; que ces paiements ont été effectués dans l'intérêt de Pierre D..., personnage ayant à l'époque un entregent certain et dont l'influence pouvait être bénéfique pour Serge B... ;

qu'il est ainsi démontré que ce dernier a commis les délits d'abus de biens sociaux qui lui sont reprochés et qu'il sera, par confirmation de la décision entreprise, maintenu dans les liens de la prévention ;

" aux motifs adoptés que, malgré plusieurs demandes réitérées, Serge B... n'a pas été en mesure de fournir la matérialisation des travaux censés avoir été réalisée par Pierre D... (jugement, p. 108, 3e alinéa) ;

" alors que, premièrement, il n'a pas été constaté par les juges du fond qu'en effectuant les paiements visés à la prévention, Serge B... ait recherché un intérêt qui lui était personnel ; d'où il suit que l'arrêt attaqué est dépourvu de base légale au regard de l'article 437. 3° de la loi du 24 juillet 1966 ;

" alors que, deuxièmement, il n'a pas davantage été constaté par les juges du fond que Serge B... avait voulu favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé ; que, de ce point de vue également, l'arrêt attaqué est dépourvu de base légale au regard de l'article 437. 3° de la loi du 24 juillet 1966 ;

" et alors que, troisièmement, la recherche d'un intérêt personnel ne saurait être déduite des seules constatations relatives à l'absence d'intérêt que l'opération pouvait présenter pour la société ; que le motif de l'arrêt déduisant l'existence d'un éventuel bénéfice pour Serge B... de ce que les paiements n'auraient pas présenté un intérêt social pour la société procède d'une violation de l'article 437. 3° de la loi du 24 juillet 1966 " ;

Et sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Serge B..., pris de la violation des articles 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Serge B... à 1 an d'emprisonnement avec sursis et à 200 000 francs d'amende ;

" alors qu'un acte ne peut être considéré comme contraire à l'intérêt social du seul fait qu'il est illicite ; que, fût-il illicite, il est exclusif de l'abus de biens sociaux, dès lors que le dirigeant, loin de rechercher son intérêt personnel, qu'il s'agisse de son intérêt propre ou d'un intérêt d'une entreprise dans laquelle il est intéressé, a agi dans l'intérêt de la société ; qu'en admettant même pour les seuls besoins de la discussion que les sommes acquittées par Serge B... aient été la contrepartie, non pas de la fourniture d'études, mais de l'entregent et de l'influence que pouvait avoir Pierre D..., de toute façon, les juges du fond ne pouvaient retenir le délit d'abus de biens sociaux sans rechercher, préalablement, si les paiements, qu'ils soient illicites ou non, n'avaient pas été effectués dans l'intérêt de la société ; que, faute d'avoir procédé à cette recherche, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société Kis France a réglé à Pierre D..., les 17 juillet et 5 octobre 1987, 2 factures, d'un montant total de 760 000 francs hors taxes, et que la véritable raison, ayant conduit Serge B..., président de cette société, à effectuer ces versements, était d'obtenir de leur bénéficiaire, gendre du ministre du Commerce extérieur, une intervention susceptible d'éviter le reversement, au Trésor public, d'une aide à l'exportation, d'un montant de 15 millions de francs, qu'il était envisagé d'imposer à la société Kis, faute d'avoir respecté la totalité de ses engagements ;

Qu'il est établi, par ailleurs, que le ministre du Commerce Extérieur a adressé le 29 septembre 1987, au président de la société Kis, une lettre l'informant qu'il avait été décidé de limiter à 5 millions de francs le remboursement de la subvention ;

Attendu qu'en cet état, la juridiction du second degré, pour déclarer Serge B... coupable d'abus de biens sociaux, se borne à énoncer que le versement de 760 000 francs à Pierre D..., qui ne correspond à aucune prestation réelle, est contraire à l'intérêt de la société Kis, laquelle s'est appauvrie sans contrepartie ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la démarche de Serge B... auprès de Pierre D... fût-elle constitutive d'une infraction non poursuivie en l'espèce a pu avoir pour résultat, en échange d'un versement de 760 000 francs, de minorer substantiellement la dette de la société Kis envers le Trésor public, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision au regard de l'article 437. 3°, de la loi du 24 juillet 1966 ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés par le demandeur ;

Par ces motifs :

I. Sur les pourvois de Michel X..., Michel Y..., Patrick Z... et Marc A... :

Les REJETTE ;

II. Sur le pourvoi de Serge B... :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions le concernant, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 10 janvier 1996,

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.