Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-23.239
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Le Bret-Desaché, SCP Ortscheidt
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 3 juin 2015, RG n° 12/02633), que la société Aventis pharma distriservices (la société Aventis) a conclu un contrat portant sur le stockage de ses produits avec la société Centre spécialités pharmaceutiques (la société CSP) ; que le contrat stipulait que la société Aventis ferait son affaire personnelle de l'assurance des stocks entreposés dans les locaux de la société CSP, en souscrivant une ou plusieurs polices pour couvrir tous les dommages matériels, et que les parties renonçaient et s'engageaient à faire renoncer leurs assureurs respectifs à l'exercice de tout recours l'une contre l'autre en cas de sinistre indemnisé ; que la société Sanofi, après la fusion par absorption de la société Aventis, a signé avec la société CSP un avenant au contrat stipulant que celle-ci souscrirait une assurance couvrant tout dommage et/ou détérioration jusqu'à 100 000 euros pendant le stockage des marchandises dans ses entrepôts ; qu'un incendie survenu dans un entrepôt de la société CSP ayant détruit les produits de la société Sanofi qui s'y trouvaient stockés, la société Sanofi Winthrop industrie (la société Sanofi), qui est venue aux droits de celle-ci, et ses assureurs, les sociétés Axa Corporate Solutions Assurances, Ace European Group Ltd et Carraig Insurance Ltd, ont assigné les assureurs de la société CSP, les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality et Allianz IARD, ainsi que le GIE Axa France, en remboursement de la somme versée à leur assurée après déduction de la franchise ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Sanofi et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter toutes leurs demandes alors, selon le moyen :
1°) qu'en considérant, pour refuser d'écarter l'application de la clause de non responsabilité et de renonciation à recours, que cette clause dont la société CSP bénéficiait qui n'était pas ambigüe, restait valable et devait être appliquée dans toute sa rigueur, tout en constatant que les parties avaient décidé de limiter par avenant le champ de cette clause en décidant que le dépositaire devrait contracter une assurance dans la limite de 100 000 euros, ce dont il résultait que la société CSP n'était plus exonérée de toute responsabilité, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1131 et 1134 du code civil ;
2°) que doit être réputée non écrite la clause exonératoire ou limitative de responsabilité qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que la faute lourde fait toujours obstacle à l'application de telles clauses mais n'entraîne pas leur nullité ; qu'en considérant que les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité n'étaient pas entachées de nullité dans la mesure où elles n'avaient pas effet de priver le déposant de tout recours en cas de faute lourde imputable au dépositaire, la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à établir la validité desdites clauses, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ;
3°) que doit être réputée non écrite la clause exonératoire ou limitative de responsabilité qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l'obligation de conservation constitue l'obligation essentielle du contrat de dépôt ; qu'en affirmant, pour admettre la validité de cette clause qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une économie générale du contrat qui prend en considération la répartition des risques entre les parties et n'induit pas un déséquilibre entre les parties, après avoir reconnu que le contrat en cause était un contrat de stockage conférant à la société Sanofi la qualité de déposant et à la société CSP celle de dépositaire ce dont il résultait que la clause exonérant la société CSP de toute responsabilité en cas de dommages affectant les marchandises confiées contredisait l'obligation essentielle de conservation à laquelle celle-ci était contractuellement tenue en tant que dépositaire, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1131 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a exactement retenu que la renonciation à recours résultant des clauses litigieuses était dépourvue d'équivoque dès lors que c'était afin de limiter le champ d'application de l'obligation d'assurer le stock à raison de tous les dommages encourus, mise à la charge du déposant, que les parties étaient convenues que le dépositaire devrait contracter une assurance dans la limite de 100 000 euros ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir énoncé que doit être déclarée non écrite la clause ayant pour effet de neutraliser le caractère contraignant de l'obligation essentielle résultant d'un contrat en dispensant le débiteur d'exécuter son obligation, l'arrêt relève que la clause litigieuse, inscrite dans le cadre de relations contractuelles habituelles et équilibrées, a prévu une répartition entre les deux parties des risques encourus par les marchandises ; qu'ayant, ainsi, fait ressortir que la clause litigieuse ne vidait pas de toute substance l'obligation essentielle du contrat de stockage, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la deuxième branche, qui est surabondant, a retenu, à juste titre, que cette clause devait recevoir application ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Sanofi et ses assureurs font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°) que l'arrêté du 19 mars 2008 a expressément précisé que l'inspection des installations classées qui s'est rendue sur les lieux le jour même de l'incendie a constaté que des ouvertures avaient été aménagées au travers des murs séparant les zones n° 1 et 2 de l'entrepôt destinées à permettre le passage de convoyeurs entre lesdites zones, et que les dispositions de l'article 4-1-4-2 de l'arrêté préfectoral n° 04 DAI 2IC 087 du 1er avril 2004 prévoient notamment que le compartimentage doit permettre de prévenir la propagation d'un incendie d'une cellule de stockage à l'autre ; qu'ainsi, l'arrêté préfectoral précité a expressément considéré que les ouvertures aménagées au travers des murs séparant les zones incendiées étaient contraires à la réglementation en vigueur ; qu'en affirmant au contraire que la preuve de l'absence de conformité des lieux ne peut être trouvée dans l'arrêté préfectoral du 19 mars 2008 (pièce n° 22), qui a pour objet la mise en oeuvre de mesures de sauvegarde à la suite du sinistre et qui, s'il mentionne la présence d'ouvertures entre les MGH1 et 2 pour permettre le passage de convoyeurs, ne contient pas de précisions suffisantes pour établir si elles présentaient ou non un caractère réglementaire lorsqu'elles ont été réalisées, la cour d'appel, qui a dénaturé l'arrêté préfectoral susvisé, a violé l'article 1134 du code civil ;
2°) que l'existence d'une faute lourde commise par un opérateur économique dans l'exercice de sa mission contractuelle doit être caractérisée non seulement au regard des dispositions réglementaires en vigueur mais aussi en tenant compte de l'obligation essentielle pesant sur le cocontractant et des dommages pour son client ; qu'en considérant que la société CSP n'avait pas commis de faute lourde en ne prenant pas de précautions particulières contre l'incendie au regard des dispositions réglementaires en vigueur et de la répartition des produits envisageables dans les autres bâtiments, après avoir constaté que des produits à fort potentiel calorifique se trouvaient stockés au niveau du magasin MGH2 où a été situé le départ de l'incendie, ce dont il résultait que la société CSP était contractuellement tenue de prendre toutes les dispositions nécessaires contre l'incendie compte tenu de la nature de sa mission et des marchandises stockées en adaptant si nécessaire ses installations, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil ;
3°/ que constitue une faute lourde le fait de maintenir en service une installation en pleine connaissance de cause des risques encourus ; qu'en retenant que la preuve d'une faute lourde de la société CSP n'était, en l'espèce pas établie, après avoir admis que des auditeurs avaient mis en évidence l'opportunité de travaux de modernisation des installations, ce dont il résultait que la société CSP avait été pleinement informée des risques encourus dès le 23 octobre 2007 par les inspecteurs de ses propres assureurs, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une appréciation exempte de dénaturation que l'arrêt retient que l'arrêté préfectoral du 19 mars 2008 destiné à la mise en oeuvre de mesures de sauvegarde à la suite de l'incendie, faute de précision suffisante, ne permettait pas d'établir si la présence d'ouvertures entre les zones d'entreposage avait, ou non, un caractère réglementaire lors de leur réalisation ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que le nombre de produits à fort potentiel calorifique stockés dans le local dans lequel avait été situé le départ de l'incendie était inférieur au seuil de déclaration, et retenu que si les recommandations des auditeurs mettaient en évidence l'opportunité de travaux de modernisation, la société Sanofi et ses assureurs ne démontraient pas pour autant que la société CSP s'était rendue coupable de négligences d'une extrême gravité confinant au dol, dénotant son inaptitude à la mission qui lui avait été confiée, la cour d'appel a exactement retenu que celles-ci n'étaient pas constitutives d'une faute lourde ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.