Cass. 1re civ., 18 novembre 1997, n° 95-20.471
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lemontey
Rapporteur :
M. Guérin
Avocat général :
M. Le Foyer de Costil
Avocats :
Me Thomas-Raquin, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Attendu que Mme de D, propriétaire d'une importante écurie de chevaux de course, a donné mandat à M. F, courtier en chevaux, de procéder à la vente sous forme de parts d'une valeur de 450 000 francs l'une, d'un trotteur à vocation d'étalon estimé 18 000 000 francs, cette vente étant faite sous la condition résolutoire que la fertilité du cheval soit certifiée par un vétérinaire agréé au plus tard le 30 juin 1988;
que si le test pratiqué à cet effet a donné des résultats positifs, l'expert commis en référé a conclu à une hypofertilité d'origine constitutionnelle diminuant considérablement et de façon irréversible l'aptitude à la reproduction de l'étalon vendu;
qu'au vu de ces conclusions, les acquéreurs de parts ont exercé l'action rédhibitoire pour vice caché et que la cour d'appel de Caen a, par arrêt du 3 octobre 1995, fait droit à leur demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à cet arrêt d'avoir prononcé la résolution de la vente des parts de cet étalon, alors que, dès lors que le test de fertilité prévu au contrat avait été effectué dans des conditions non contestées et avait donné des résultats positifs, de sorte que la condition résolutoire imposée par les acquéreurs pour leur protection ne s'était pas réalisée, les résultats ultérieurs de la carrière de l'étalon, tant en ce qui concerne la quantité que la qualité des produits obtenus, faisaient partie de l'aléa inhérent à l'objet même de la vente, et ne pouvaient, en conséquence, donner lieu à garantie;
qu'en déclarant néanmoins le vendeur tenu à garantie, la cour d'appel a violé les articles 1641 et suivants du Code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond ont retenu que l'aléa accepté par les parties résidait uniquement dans la qualité des produits de l'étalon et non dans sa capacité de reproduction;
d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, telle que formulée au mémoire en demande et reproduite en annexe :
Attendu que le débat n'a pas porté sur la connaissance qu'a pu avoir Mme de D des vices de l'étalon vendu, ni sur sa qualité de vendeur professionnel, la cour d'appel s'étant bornée à faire application de l'article 1646 du Code civil;
d'où il suit que le moyen est sans pertinence ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est également reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme de D à rembourser à M. F, son mandataire, non seulement le prix des deux parts qu'il avait personnellement achetées (900 000 francs), mais encore une somme de 675 000 francs représentant la valeur d'une part et demie reçue à titre de commission, alors qu'aucun texte n'oblige le mandant à garantir le mandataire des vices cachés de la chose remise à ce dernier à titre de rémunération;
qu'en condamnant la mandante à "restituer" au mandataire une somme qu'il n'avait pas versée et qui représentait simplement l'évaluation du bien constituant la rémunération convenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184, 1641 et 1999 du Code civil ;
Mais attendu que la dation en paiement étant un acte translatif à titre onéreux, son bénéficiaire peut exercer l'action en garantie pour vice rédhibitoire, d'où il suit que le troisième moyen n'est pas davantage fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l'article 1646 du Code civil ;
Attendu que l'arrêt retient qu'il peut être demandé à Mme de D les frais occasionnés par la vente, à savoir les intérêts des sommes empruntées par les acheteurs et ceux des sommes immobilisées en vue des achats litigieux ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les frais exposés par l'acheteur en vue de disposer des sommes nécessaires au paiement du prix ne sont pas liées directement à la conclusion de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à la condamnation de la venderesse au paiement des intérêts des sommes empruntées par les acquéreurs et des intérêts afférents au capital immobilisé, l'arrêt rendu le 3 octobre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Caen;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen, autrement composée.