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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 20 novembre 2012, n° 11/01894

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Horizon Galerie Marchande (SAS)

Défendeur :

Sephora (SA), Cecoville (Sté), Sip Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Legras

Conseillers :

M. Pellarin, M. Delmotte

CA Toulouse n° 11/01894

19 novembre 2012

FAITS ET PROCÉDURE

La S.A SEPHORA, qui exploite une activité de commerce de parfumerie et de produits de beauté, est titulaire depuis le 23 juin 1998 d'un bail commercial situé [...], qui, en 2009, la liait à la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE.

Le contrat contient la clause suivante, intitulée 'CLAUSE LIMITATIVE D'ACTIVITÉ', selon laquelle le bailleur 's'interdit, pendant la durée du bail, de louer ou de mettre à disposition plus de deux locaux dépendant de la même galerie marchande pour une activité principale de parfumerie.

La clause sera caduque à l'expiration du Bail, de plein droit, sans qu'il soit besoin d'une quelconque formalité de la part de qui que ce soit. Il est expressément convenu que cette clause est non cessible et accordée par le Bailleur au Preneur à titre exceptionnel et purement personnel.'

Après d'importants travaux réalisés en 2007 au Centre commercial LECLERC que la S.A SEPHORA considère comme des travaux d'agrandissement de la Galerie marchande, que le bailleur estime être l'adjonction d'une nouvelle galerie marchande, un commerce a ouvert dans la partie créée, sous l'enseigne 'UNE HEURE POUR SOI'.

La S.A SEPHORA a fait assigner la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE par  acte du 7 avril 2009 devant le tribunal de commerce de TOULOUSE pour violation de la clause contractuelle précitée.

Par jugement du 18 avril 2011, le tribunal a :

- dit que la société UNE HEURE POUR SOI a une activité de parfumerie,

- dit que l'extension du centre commercial ne constitue pas une galerie juridiquement indépendante,

- débouté la S.A SEPHORA de sa demande en cessation du trouble sous astreinte, ainsi que de sa demande en communication de pièces et de sa demande liée à des manoeuvres déloyales,

- condamné la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE à payer à la S.A SEPHORA la somme de 442 527,20 € à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE a interjeté appel de cette  décision le 21 avril 2011.

La S.A SEPHORA a fait appeler en intervention forcée :

- par  acte du 6 avril 2012  la S.A.S CECOVILLE, qui selon  acte du 29 novembre 2011, a acquis les droits sur la Galerie Marchande de ROQUES SUR GARONNE, et qui est l'actuel bailleur,

- par  acte du 30 août 2012, la S.A.S SIP HOLDING, qui vient aux droits de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, par suite d'une transmission universelle de patrimoine.

A la suite d'un congé avec offre de renouvellement, le renouvellement du bail a pris effet au 1er octobre 2011.

Les parties ont respectivement déposé leurs dernières écritures aux dates suivantes :

- La S.A.S SIP HOLDING, venant aux droits de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, le 27 septembre 2012,

- la S.A SEPHORA le 8 octobre 2012,

- la S.A.S CECOVILLE le 28 septembre 2012.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 octobre 2012.

La S.A SEPHORA a déposé de nouvelles écritures le 9 octobre 2012 pour tenir compte de données comptables communiquées le 3 octobre 2012, a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture et son prononcé au 9 octobre, demande à laquelle aucune des parties ne s'est opposée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions précitées.

La S.A.S SIP HOLDING conclut à l'infirmation de la décision de première instance ainsi qu'à la condamnation de la S.A SEPHORA à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et demande qu'il soit retenu que la S.A SEPHORA ne démontre pas à son encontre une faute contractuelle, subsidiairement qu'elle ne démontre pas la réalité d'un préjudice pas plus que d'un lien de causalité avec la faute reprochée.

L'appelante fait essentiellement valoir :

- que la clause est d'interprétation stricte et dans le doute doit s'interpréter en faveur du bailleur,

- que les locaux loués à la société SODIGAR, qui exploite le local à l'enseigne UNE HEURE POUR SOI', ne le sont pas pour une activité principale de parfumerie,

- que ces locaux ne dépendent pas de la même galerie marchande,

- qu'un préjudice en lien avec la faute reprochée n'est pas établi, au regard au surplus de documents ne permettant pas une discussion contradictoire, et d'une clause prenant fin à l'expiration du bail initial.

La S.A SEPHORA qui réclame de voir déclarer bien fondée l'assignation en intervention forcée de la S.A.S CECOVILLE, demande, par réformation partielle du jugement :

- qu'il soit ordonné à la S.A.S SIP HOLDING, au besoin sous astreinte, de communiquer les déclarations de chiffres d'affaires réalisés par la société NOCIBE (deuxième parfumerie installée dans la Galerie) de 2008 à 2011,

- que la S.A.S SIP HOLDING soit condamnée à lui payer la somme de 610 055,24 € en réparation de son préjudice résultant de la perte de sa marge brute commerciale sur le chiffre d'affaires non réalisé pour l'année 2009 du fait de l'ouverture du magasin à l'enseigne 'UNE HEURE POUR SOI',

- que cette société soit condamnée solidairement avec la S.A.S CECOVILLE, actuelle bailleresse, à lui payer, du fait de l'ouverture du magasin à l'enseigne UNE HEURE POUR SOI :

* la somme de 224 271,37 € en réparation de son préjudice résultant de la perte de sa marge brute commerciale sur le chiffre d'affaires non réalisé pour l'année 2010,

* celle de 283 271,58 € en réparation de son préjudice résultant de la perte de sa marge brute commerciale sur le chiffre d'affaires non réalisé pour l'année 2011,

* celle de 173 468,54 € en réparation de son préjudice résultant de la perte de sa marge brute commerciale sur le chiffre d'affaires non réalisé au titre des 3 premiers trimestres de 2012,

* celle de 2 903 533,79 € en réparation de son préjudice résultant de la perte de sa marge brute commerciale sur le chiffre d'affaires non réalisé depuis le 4° trimestre de l'exercice 2012 jusqu'à l'expiration du bail renouvelé,

- que la S.A.S SIP HOLDING soit condamnée également au paiement d'une somme de 5 000 € au titre des manoeuvres déloyales de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, afin d'obtenir l'ouverture de la parfumerie UNE HEURE POUR SOI, et au paiement d'une indemnité de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La S.A SEPHORA développe principalement les observations suivantes :

- les demandes dirigées contre la S.A.S CECOVILLE ne sont pas nouvelles puisque déjà formulées contre la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, et la cour d'appel est saisie de l'entier litige,

- la clause ayant perduré au-delà du terme initial, l'appel en cause de la S.A.S CECOVILLE est fondé,

- le magasin 'UNE HEURE POUR SOI', qui a ouvert avant même la signature de son bail commercial, appartient à une société dont le dirigeant est celui de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, et a un espace dédié principalement à la parfumerie, distinctement de la parapharmacie, les chiffres d'affaire produits confirmant l'exploitation principale d'une parfumerie sous l'enseigne UNE HEURE POUR SOI.

- les travaux constituent un agrandissement de la galerie existante,

- la proposition qui lui avait été faite d'un nouveau bail avec déplacement de la boutique et suppression de la clause litigieuse démontre que l'actuelle situation en constitue une violation,

- les éléments produits établissent la réalité de la chute du chiffre d'affaires, les éléments dont la communication est demandée étant utiles à la détermination du préjudice.

La S.A.S CECOVILLE demande sa mise hors de cause, aux motifs qu'aucune demande à l'origine n'a été formulée contre elle et que toute demande nouvelle serait irrecevable. Elle demande qu'en tout état de cause, la S.A SEPHORA doit déclarée irrecevable et mal fondée en ses prétentions, en considération :

- de l'absence de transgression de la clause contractuelle,

- de l'absence de lien de causalité prouvé avec le préjudice invoqué,

- de l'absence de préjudice justifié,

- de la caducité de plein droit de la clause, à l'expiration du bail le 30 septembre 2011,

- du caractère éventuel du préjudice de 2010 à 2022.

Elle réclame une indemnité de 10.000 € en remboursement de ses frais de défense.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

La révocation de l'ordonnance de clôture, sur demande de la S.A SEPHORA à laquelle aucune des autres parties ne s'est opposée, est rendue nécessaire pour le respect du contradictoire, en l'état des données comptables communiquées peu avant le prononcé de l'ordonnance, qui ont une incidence sur les demandes de la S.A SEPHORA. La nouvelle clôture de l'instruction est fixée au 9 octobre 2012, et les conclusions déposées ce même jour sont recevables.

Sur la portée de la clause contractuelle

Seule nécessite une interprétation, une clause qui n'est pas claire.

Selon les règles énoncées par le code civil dans ses articles 1156 et suivants pour l'interprétation des conventions :

- on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes,

- lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, ont doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun,

- dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation.

De plus, une clause qui restreint la liberté doit s'interpréter restrictivement.

En l'espèce, il est manifeste, à la lecture du dernier alinéa de la clause, et d'ailleurs non contesté, que lors de la signature du bail, la bailleresse a pris un engagement exprès sur demande de la S.A SEPHORA ('à titre exceptionnel et purement personnel') ayant pour effet de restreindre sa liberté d'user de ses biens, au seul profit du preneur initial nommément désigné.

Les trois points en litige portent :

- sur la durée de validité de la clause, liée au sens qu'il convient de donner à l'expression 'l'expiration du bail'

- sur le point de savoir si l'installation en 2009 d'un commerce à l'enseigne Une heure pour soi correspond à la location d'un 'local pour une activité principale de parfumerie,

- sur la notion de même galerie marchande.

* Sur la date d'expiration du bail

Selon les  articles L. 145-9 et L. 145-12 alinéa 3 du code de commerce, le bail commercial cesse par l'effet du congé, et, dans le cas d'une offre de renouvellement suivie d'effet, il s'opère la conclusion d'un nouveau bail.

Il s'ensuit qu'en faisant expressément référence à la caducité de la clause à l'expiration du bail, les parties l'ont sans ambiguïté limitée à la durée du bail conclu le 23 juin 1998, et ont entendu exclure son maintien en cas de renouvellement sous forme d'un nouveau bail.

Cette interprétation est d'ailleurs la seule qui donne un sens à l'alinéa relatif à la caducité de la clause ; en effet, il serait inutile de rappeler que la clause prend fin avec l'expiration des relations contractuelles.

La clause est ainsi devenue caduque de plein droit au 30 septembre 2011, date d'expiration du bail conclu le 23 juin 1998, un nouveau bail ayant pris effet le 1er octobre 2011.

* Sur la location d'un local pour l'activité principale de parfumerie

Il est établi par les pièces du dossier :

- que le local loué à la S.A.S SODIGAR selon bail du 13 octobre 2009, mais à effet au 26 janvier 2009, date du début de l'exploitation, abrite une activité de parapharmacie, de parfumerie, de soins, massages, balnéothérapie,

- qu'il s'agit d'un local unique, sur deux niveaux, doté de l'enseigne UNE HEURE POUR SOI, la surface du rez-de-chaussée étant principalement affectée à la parapharmacie (320m², contre 220m² pour la parfumerie), avec une zone d'encaissement commune, la surface du second niveau étant affectée aux soins, (cf. Constat d'huissier de justice du 20 septembre 2011), ces constatations venant contredire celles de la S.A SEPHORA selon lesquelles sont exclusivement vendus des produits de parfumerie au rez-de-chaussée,

- que le chiffre d'affaires réalisé provient principalement de la parapharmacie, le chiffre d'affaires réalisé par la parfumerie n'atteignant dans le meilleur des cas (année 2011) que 34,6% de celui atteint par la parapharmacie.

Dès lors, et compte tenu des termes exempts d'ambiguïté choisis par les parties pour la rédaction de la clause, il ne peut être retenu que la location consentie en 2009 par la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE à la S.A.S SODIGAR d'un local n'ayant pas pour activité principale la parfumerie caractérise une violation par la bailleresse de ses obligations contractuelles, et ce, même s'il existe une surface de vente dédiée exclusivement à la parfumerie dans ce local.

Il est certes soulevé que la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE et la S.A.S SODIGAR avaient un même dirigeant, M. PAYRAUDEAU, également dirigeant de la société qui exploite l'hypermarché LECLERC. La S.A SEPHORA ne fonde cependant ses prétentions que sur un manquement de la bailleresse à ses obligations contractuelles, lequel n'est pas établi.

Le jugement est en conséquence réformé et la S.A SEPHORA déboutée de ses prétentions.

* Sur la demande en dommages-intérêts distincts pour manoeuvres déloyales.

La S.A SEPHORA estime que la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE a usé de manoeuvres déloyales envers elle pour permettre l'ouverture du commerce et la placer devant le fait accompli.

A l'examen des pièces produites et des explications fournies, il apparaît :

- que par courrier de son conseil du 10 novembre 2008, la S.A SEPHORA, informée du projet d'ouverture d'un magasin à l'enseigne « UNE HEURE POUR SOI », enjoignait son bailleur d'avoir à respecter les clauses du bail,

- que des pourparlers intervenaient, la société ALAN COOK, pour le compte de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, proposant par courrier du 9 décembre 2008 un déplacement de la boutique SEPHORA dans les nouveaux locaux, mais avec suppression de la clause litigieuse,

- que le plan de la galerie marchande était adressé à la S.A SEPHORA le 11 décembre, celle-ci sollicitant un rendez-vous début janvier 2009 à PARIS dans ses propres locaux avec M. PAYRAUDEAU,

- que le local litigieux ouvrait ses portes le 26 janvier 2009.

Rien ne permet d'établir que la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE aurait subitement rompu les pourparlers, au surplus de façon fautive. Il n'apparaît pas non plus qu'elle a modifié sa position quant à son projet d'ouverture, et entretenu une ambiguïté quelconque, susceptible de caractériser des manoeuvres déloyales.

Cette demande est en conséquence rejetée, par confirmation du jugement sur ce point.

* Sur l'appel en intervention forcée de la S.A.S CECOVILLE

Selon l'article 555 du Code de procédure civile des personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.

La S.A.S CECOVILLE est devenue la bailleresse de la S.A SEPHORA le 29 novembre 2011, postérieurement à la clôture des débats devant le tribunal de commerce. Dès lors qu'elle prétendait que la violation de la clause contractuelle se poursuivait, la S.A SEPHORA était fondée à faire intervenir la S.A.S CECOVILLE afin de mettre en cause sa responsabilité contractuelle. Cette mise en cause s'exerçant sur le fondement de l'article 1147 du code civil, il est inopérant que la S.A SEPHORA n'ait pas critiqué le jugement en ce qu'il la déboutait de sa demande tendant à voir cesser sous astreinte le trouble causé par le commerce à l'enseigne 'UNE HEURE POUR SOI'.

En dernier lieu, la S.A.S CECOVILLE n'est pas fondée à soutenir que l'appel incident de la S.A SEPHORA, était limité et la privait du droit de formuler des demandes contre elle alors que :

- d'une part en application de l'article 561 du Code de procédure civile, la cour est saisie de l'entier litige,

- d'autre part, une partie n'a pas à relever appel à l'encontre de motifs contenus dans un jugement, lesquels n'ont pas de caractère décisoire.

L'appel en intervention forcée de la S.A.S CECOVILLE par la S.A SEPHORA est donc recevable. En revanche, la clause étant caduque depuis le 1er octobre 2011, soit antérieurement à l'acquisition par la S.A.S CECOVILLE de la galerie marchande, les demandes dirigées contre elles, de ce seul fait, ne sont pas fondées.

En équité, il n'y a pas lieu de faire bénéficier l'une quelconque des parties du bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Révoque l'ordonnance de clôture et fixe la nouvelle clôture à la date du 9 octobre 2012, antérieure à l'ouverture des débats,

Déclare recevable l'intervention forcée de la S.A.S CECOVILLE,

Constate l'intervention forcée de la S.A.S SIP HOLDING, venant aux droits de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la S.A SEPHORA de sa demande en dommages-intérêts pour manoeuvres déloyales de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE,

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,

Déboute la S.A SEPHORA de ses demandes à l'encontre de la S.A.S SIP HOLDING, venant aux droits de la S.A.S HORIZON GALERIE MARCHANDE, et de la S.A.S CECOVILLE,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes de ce chef.

Condamne la S.A SEPHORA au paiement des dépens dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.