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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 avril 2018, n° 15/11355

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

T. com. Frejus, du 15 déc. 2014, n° 2014…

15 décembre 2014

Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,

Vu le jugement réputé contradictoire du 15 décembre 2014 rendu par le tribunal de commerce de Fréjus,

Vu l'appel interjeté le 23 juin 2015 par Laïla B.,

Vu les dernières conclusions de madame Laïla B., appelante en date du 28 décembre 2015,

Vu les dernières conclusions de monsieur Grégoire B., intimé en date du 30 octobre 2015,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 février 2018,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

Monsieur Grégoire B. est artisan-joaillier et créateur de bijoux.

Il soutient qu'il a créé un motif spécifique en forme de sexe d'homme en métal précieux et/ou empierré qu'il a appelé « le zizi ».

Il indique que pour enregistrer son modèle il l'a adressé à l'Institut National de Protection Industrielle à Marseille (INPI) dans une enveloppe SOLEAU n°388001, le 24 juin 2010.

Les bracelets dont s'agit sont vendus au prix de 95 euros hors taxes le petit modèle et 135 euros hors taxes le grand modèle en or.

Il a déposé ses modèles auprès de la boutique Laly située à [...] gérée par madame Laïla B. en 2010 et a récupéré, à la fin de la saison les bijoux invendus.

Estimant que madame Laïla B. contrefaisait son modèle par des bijoux équivalents, identiques à son modèle original en argent et vermeil, qu'elle vendait dans la boutique

« Laly » au prix de 70 euros pièce, monsieur Grégoire B. a, par acte d'huissier du 19 juin 2014, fait assigner madame Laïla B. devant le Tribunal de commerce de Fréjus aux fins de voir constater la violation des dispositions du Code de la propriété intellectuelle et condamner madame B. à indemniser le préjudice subi par ce dernier.

Par jugement réputé contradictoire du 15 décembre 2014, le Tribunal a :

- condamné madame Laïla B. au paiement de 50 000 euros par saison estivale d'exploitation du bijou « zizi » pour 2011, 2012, 2013 et 2014 soit un total de 200 000 euros,

- ordonné que l'ensemble des produits reconnus comme produits contrefaisants, matériaux et instruments, et en passe pouvant servir à la création et à la fabrication, soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits afin d'être détruits ou confisqués au profit de monsieur Grégoire B.,

- condamné madame Laïla B. à supporter l'ensemble des frais inhérents à ces retraits et destructions et ce au besoin sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'encontre de madame Laïla B.,

- ordonné une publication du jugement dans le Var Matin aux frais de madame Laïla B.,

- condamné Madame Laïla B. aux dépens.

En cause d'appel madame Laïla B., appelante demande au visa des articles L 521-4 et L 521-6 L 521-7, L 521-9 notamment du Code de la procédure intellectuelle,1315 et suivants du Code civil, 1382 du code civil, dans ses dernières écritures en date du 28 décembre 2015 de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et,

- débouter monsieur B. de toutes ses demandes fins et conclusions comme étant irrecevables et mal fondées.

Sur la demande reconventionnelle,

- condamner monsieur B. à payer à madame B. la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral en application de l'article 1382 du Code civil,

- s'entendre condamner monsieur B. au paiement de la somme de 4.000 euros au titre des dommages et intérêts et en particulier en application de l'artic1e 700 du CPC (sic),

- s'entendre condamner aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP M. T. M. Avocats.

Monsieur Grégoire B., intimé, s'oppose aux prétentions de l'appelant, et demande au visa des articles L. 521-4 et L. 521-1 et suivants du Code de propriété intellectuelle, dans ses dernières écritures en date du 30 octobre 2015 de :

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de madame B.,

À titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné madame Laïla B. au paiement de 50 000 euros par saison estivale d'exploitation du bijou « zizi » pour 2011, 2012, 2013 et 2014 soit un total de 200 000 euros, ordonné que l'ensemble des produits reconnus comme produits contrefaisants, matériaux et instruments, et en passe pouvant servir à la création et à la fabrication, soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits afin d'être détruits ou confisqués au profit de Monsieur Grégoire B., condamné madame Laïla B. à supporter l'ensemble des frais inhérents à ces retraits et destructions et ce au besoin sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'encontre de madame Laïla B., ordonné une publication du jugement dans le Var Matin aux frais de madame Laïla B.,

À titre subsidiaire,

- condamner madame B. à la somme de 200 000 euros au titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

En tout état de cause,

- condamner madame B. à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de Maître Radost V.

Sur l'exception d'irrecevabilité,

Madame Laïla B. fait valoir que l'assignation a été délivrée à une adresse où elle n'habitait pas car l'adresse de Ramatuelle immeuble Roche des Fées est une adresse qu'elle a quittée depuis plusieurs années comme elle en justifie alors qu'elle habitait, lors de la délivrance de l'assignation, à Saint-Tropez Clos Saint-Anne.

Que monsieur B., qui connaissait son adresse commerciale à Ramatuelle Plage NIKKI BEACH puisque c'est à cette adresse qu'il lui a confié un certain nombre de bijoux, ne lui a pas délivré l'assignation à cette adresse.

Elle en conclut que la procédure est irrégulière et nulle car elle n'a pas pu bénéficier du double degré de juridiction.

Elle ajoute que monsieur B. n'a pas comme les articles L. 521-4 et L. 521-6 le lui permettaient fait procéder à des mesures de constats par huissier assistés le cas échéant d'un expert et d'engager toutes mesures urgentes aux fins de faire cesser la contrefaçon et donc que la procédure telle qu'engagée devant le tribunal de commerce est irrecevable alors que l'assignation est écrite en termes très vagues et n'est pas accompagnée des pièces justificatives relatives à la contrefaçon et au préjudice financier.

Elle soutient que monsieur B. est dépourvu du droit à agir.

Monsieur Grégoire B. indique que madame Laila B. a été enregistrée sous le numéro du registre du commerce à l'adresse de l'assignation sise [...] et qu'il ressort de l'extrait de cet enregistrement que l'établissement créé le 1er juillet 2010 a été fermé le 20 mars 2015 ; que de plus l'huissier instrumentaire a effectué de multiples diligences afin de retrouver madame B. et s'est même rendu à l’adresse commerciale de l'appelante qui apparaît sur le tampon de la boutique LALY sis [...] mais en vain.'

Que l'assignation a été délivrée à la seule adresse pouvant être connue par lui.

Il ajoute que la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens et que l'établissement d'un constat d'huissier n'est pas obligatoire.

Ceci rappelé, l'assignation ayant été délivrée à l'adresse publiée de l'entreprise exploitée par madame B. alors que l'huissier instrumentaire a fait diligence pour tenter de lui remettre à personne celle-ci en se rendant à son adresse commerciale, de sorte que la délivrance de cette assignation est régulière.

La contrefaçon se prouve par tout moyen, l'établissement d'une saisie-contrefaçon n'est qu'une faculté offerte par la loi et l'appréciation des éléments de preuve relèvent de la compétence du juge du fond.

Il s'ensuit que les demandes de nullité de la procédure et 'd'irrecevabilité' de celle-ci pour ces motifs, non fondées, doivent être rejetées.

Sur le fond,

Aux termes de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, un dessin ou modèle est nouveau si à la date du dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants.

Selon l'article L. 511-4 du même code un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

Pour l'appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle.

L'article L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

L'article L.513- 4 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle.

L'article L. 513-5 du code de la propriété intellectuelle précise que la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur L'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente.

Madame Laïla B. fait valoir que monsieur B. ne verse aucune pièce démontrant la contrefaçon et ne procède que par voie d'affirmation résultant de sa plainte pénale du 30 juin 2011, indiquant que s'étant rendu sur place avec son épouse, il aurait constaté la présence de bijoux ressemblant aux siens et notamment la présence du modèle zizi en argent et vermeil à 70 euros pièce.

Qu'il a réitéré sa plainte le 5 août 2011 en précisant que des amis auraient été envoyés pour acheter l'un des articles contrefaits et auraient acheté le bijou monté sur cordon avec l'estampille LALY, mais qu'aucune preuve n'est apportée par une quelconque pièce versée aux débats.

Elle précise qu'elle justifie qu'elle a fait fabriquer par la société CHEERFUL cinquante petits bijoux ayant la forme d'un petit zizi, selon facture du 9 novembre 2010 pour un montant de 250 euros et que depuis aucune autre facture n'a été émise et aucune autre commande effectuée.

Qu'il s'agit de bijoux en argent et vermeil et non pas en or et pierre précieuse selon le modèle créé par monsieur B. et qu'il lui reste en stock depuis 2010, 33 de ces bijoux litigieux qu'elle n'a pas proposé à la vente ; qu'elle n'en a vendu que 17 au prix de 70 euros pièce, soit un chiffre d'affaires de 1 190 euros.

Elle ajoute que ses bijoux sont différents par la taille et sensiblement par le dessin.

Que le bijou revendiqué ne soit pas original, qu'il n'existe pas d'identité absolue entre les bijoux ; qu'il n'y a pas de risque de confusion.

A titre subsidiaire, elle conteste l'existence de tout préjudice économique en indiquant qu'à la fin de la saison 2010 elle a restitué les bijoux à monsieur B. à l'exception de 6 bijoux vendus pour son compte pour la somme de 660 euros qu'il a perçue et que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir l'intimé serait son bénéfice de 600 euros.

Monsieur Grégoire B. expose qu'il a déposé le modèle 'zizi' auprès de l'INPI le 29 juin 2010 et qu'il a été enregistré le 25 novembre 2011.

Il indique que madame B. ne démontre nullement l'existence d'un modèle antérieur ressemblant à celui-ci ; que de plus depuis son dépôt en 2010 aucune revendication n'a été élevée à son encontre et que son caractère propre ne peut être remis en cause.

Il ajoute qu'il s'agit également d'une création de sa part, originale, par sa forme et ses bordures épaisses qui révèlent à elles seules le choix de l'auteur de détourner par le graphisme particulier le sexe masculin à des fins humoristiques.

Il précise qu'en matière de contrefaçon le matériau dans lequel l'objet contrefait a été fabriqué importe peu.

Il soutient qu'il ressort des pièces versées aux débats que le modèle des bracelets vendus par madame B. est identique à son modèle original créé par lui, peu important que la matière ou la couleur soient différentes.

Il poursuit en faisant valoir que le risque de confusion créé dans l'esprit des clients de la boutique est d'autant plus caractérisé que les originaux avaient été commercialisés l'année précédant la contrefaçon, créant un effet de mode que les clients sont revenus chercher l'année suivante.

Que la commande de modèles identique par madame B. dès le mois de novembre 2010 démontre son intention frauduleuse.

Il souligne que madame B. prétend avoir commandé 50 bijoux contrefaits et être en possession au 3 septembre 2015 de 33 bijoux invendus alors que lors de l'échange de mails en juin 2011 elle prétendait qu'il ne lui restait que 20 bijoux invendus sans préciser le nombre de bijoux commandés.

Il fait valoir que l'endroit où les bijoux ont été vendus est très réputé et que la clientèle de différentes nationalités y est très aisée.

Qu'il est probable que l'appelante qui a commandé dès le mois de novembre 2010 les bijoux contrefaits a passé de nouvelles commandes auprès de nouveaux fournisseurs.

A titre subsidiaire il fait valoir que l'appelante a profité des bijoux qu'il lui avait confiés pour les reproduire et revendre l'année suivante en surfant sur le succès qu'ont eu ses créations l'été 2010 et que ces agissements de concurrence déloyale lui ont causé un important préjudice dont il est fondé à solliciter réparation.

Ceci rappelé, monsieur B. se fonde à la fois sur la propriété intellectuelle et la propriété industrielle de son modèle.

Madame B. ne communique aucune antériorité de toute pièce du modèle opposé qui revêt un caractère nouveau.

Elle ne conteste pas par ailleurs son caractère propre, aucune pièce n'étant d'ailleurs communiqué à ce titre.

Monsieur B. caractérise l'originalité de son modèle en indiquant que par ses formes et ses bordures épaisses il a détourné par le graphisme particulier le sexe masculin, à des fins humoristiques.

Il ne définit toutefois pas les formes particulières de son dessin, à part les bordures épaisses, qui marqueraient l'empreinte de sa personnalité de sorte qu'il est infondé à prétendre que celui-ci serait éligible à la protection au titre du droit d'auteur.

Il ressort de l'examen comparatif entre le modèle déposé par monsieur B. et le bijou acheté par monsieur Jean-Pierre M. comme cela résulte de son attestation accompagnée de la photographie du bracelet acquis et du ticket d'achat dans la boutique gérée par madame L., qui ne le contredit pas, et qui avait été précédé d'un dépôt de plainte de monsieur B., que les deux bijoux sont identiques dans leur forme, seules la matière et la taille en diffèrent.

Qu'ils constituent la reproduction par imitation du modèle déposé par monsieur B. de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a condamné madame B. pour contrefaçon.

En revanche, il n'est pas établi que madame B. a fait fabriquer plus de 50 exemplaires contrefaisants, celles-ci se contredisant sur le nombre d'exemplaires mis en vente, et la seule photographie communiquée aux débats n'est pas de nature à établir qu'elle les a gardés en stock.

Il convient en conséquence au regard du prix de vente des modèles originaux 95 et 135 euros HT et du prix de vente inférieur des modèles contrefaisants qui avilissent le modèle original de fixer à la somme de 5 000 euros le préjudice financier et moral subi par monsieur B.

Il convient en conséquence, réformant le jugement à ce titre de condamner l'appelante à payer à l'intimé ladite somme et de confirmer les mesures réparatrices supplémentaires ordonnées par le tribunal, sauf à préciser que le coût de la publication judiciaire sera limité à la somme de 800 euros HT.

Sur les autres demandes,

Madame Laïla B. sollicite à titre reconventionnel la condamnation de l'intimé à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral subi par l'engagement de cette procédure et de son préjudice économique résultant de la cessation de toute mise en vente des 33 petits bijoux qu'elle a payés et qu'elle s'est interdite de continuer de vendre.

Cependant, au regard des dispositions de la présente décision, sa demande n'est pas fondée et doit être rejetée.

L'équité commande d'allouer à l'intimé la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par l'appelante.

Les dépens resteront à la charge de l'appelante qui succombe et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'aide juridictionnelle concernant monsieur B...

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Rejette l'ensemble des demandes de l'appelante,

Rejette la demande de l'intimé fondée sur le droit d'auteur,

Réforme le jugement déféré en ce qu'il a condamné madame B. à payer à monsieur B. la somme de 200 000 euros,

Condamne l'appelante à payer à l'intimé la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi pour la contrefaçon de son modèle,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit que la mesure de publication judiciaire sera limitée à la somme de 800 euros H.T,

Condamne l'appelante à payer à l'intimé la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'appelante aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'aide juridictionnelle concernant monsieur B.