CA Bordeaux, 1re ch. A, 13 janvier 2014, n° 12/03995
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
COLINE DIFFUSION (SA)
Défendeur :
BABOU (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme ROUSSEL
Conseillers :
M. LIPPMANN, M. FRANCO
Avocats :
Me FRIBOURG, Me TASTE, Me MARCUS MANDEL
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
La SA COLINE DIFFUSION a pour activité la vente d'articles textiles auprès de grossistes et de détaillants. Dans le cadre de son activité, elle procède à des dépôts de dessins et de modèle auprès de L'INPI.
Reprochant à la SAS BABOU des actes de contrefaçon, concernant 9 modèles de vêtements par elle déposés à l'INPI en décembre 2007, décembre 2008 et avril 2009 et commercialisés dans ses catalogues hiver 2008 et hiver 2009, elle a fait dresser 3 constats d'achat en août 2010 et a fait pratiquer des saisies contrefaçon, le 31 août 2010, dans un magasin BABOU à Sainte Eulalie, et le 30 août 2010 au siège social de la société BABOU.
Par ordonnance de référé du 11 juillet 2011, l'ordonnance sur requête ayant autorisé la saisie du 30 août 2010 a été rétractée.
Par acte du 24 septembre 2010, la société COLINE DIFFUSION a fait assigner la société BABOU devant le tribunal de grande instance de Bordeaux afin de voir dire que celle-ci avait commis des actes de contrefaçon concernant neuf modèles par elle déposés à l'INPI et de la voir condamner à lui payer, sur le fondement de l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle une somme de 400 000 € à titre de dommages et intérêts.
Elle demandait également de voir interdire, sous astreinte, à la société BABOU de commercialiser les modèles contrefaisants et de voir ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux spécialisés.
Par jugement rendu le 5 juin 2012, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- rejeté l'exception de nullité de la saisie contrefaçon du 31 août 2010,
- rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité pour agir de la société COLINE DIFFUSION,
- au fond, dit qu'en offrant à la vente les vêtements par elle référencés 12 843, 12 844, 12 841, 12 834, 12 570, 12 901, 12 838, 12 900 ou W09-402, 12 570 et 12 837 la société BABOU avait commis des actes de contrefaçon des modèles déposés par la société COLINE DIFFUSION à L'INPI sous le numéros 075'523-003 le 5 décembre 2007, 0 85'781-021, 0 85'781-048, 0 85'781-009, 0 85'781066, 085'781- 062 , 0 85'781-019, 0 85'781-006 le 29 décembre 2008 et 0 91'712-001 le 10 avril 2009,
- fait interdiction à la société BABOU de présenter ou commercialiser sous quelque forme que ce soient les modèles contrefaisants sous peine d'une astreinte de 500 € par infraction constatée,
- condamné la société BABOU à payer à la société COLINE DIFFUSION la somme de 25'000 € à titre de dommages et intérêts,
- ordonné la publication dans trois journaux spécialisés choisis par la société COLINE DIFFUSION, aux frais exclusifs de la société BABOU, de la mention précisée au dispositif du jugement, sous forme d'un encart intitulé 'publications judiciaire à la demande de la société COLINE DIFFUSION', écrit en caractères de 0,5 cm de hauteur,
- condamné la société BABOU à payer à la société COLINE DIFFUSION la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné la société BABOU aux dépens.
La société COLINE DIFFUSION a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 20 décembre 2012, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions d'appel de la société COLINE DIFFUSION, celle-ci demande à la cour de :
- débouter la société BABOU de son appel incident,
- confirmer le jugement déféré sur le principe de la contrefaçon ainsi que dans toutes ses autres dispositions à l'exception du quantum des sommes allouées au titre des dommages et intérêts,
- réformer le jugement déféré en ce qui concerne la condamnation de la société BABOU au titre des dommages et la porter à la somme de 400 000 €,
- condamner la société BABOU à lui payer la somme complémentaire de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens, ainsi qu'aux frais des procès-verbaux de constats et des procès-verbaux de saisie contrefaçon.
Elle fait essentiellement valoir à ces fins que :
- les modèles par elle déposés sont originaux de par leurs formes, leurs teintes, la position des coutures, sur coutures ou liserés, la disposition des poches, des fermetures éclair',
- les vêtements saisis sont des imitations de ses modèles et elle n'a jamais donné son accord pour que la société BABOU procède à une telle commercialisation,
- les procès-verbaux de saisie contrefaçon dressée le 31 août 2010 et le 13 octobre 2011 sont réguliers et l'exception de nullité doit être rejetée,
- chaque modèle exposé dans son catalogue est vendu à ses clients et correspond strictement au modèle déposé et par elle créé, comme le montre les fiches de salaire de ses employés, les honoraires versés aux stylistes extérieurs et le dossier technique des modèles,
- elle a subi un important préjudice moral et l'action contrefaisante prive d'effets sa stratégie commerciale et ses efforts pour s'assurer la fidélité et l'intérêt de sa clientèle,
- les quantités commercialisées par la société BABOU sont extrêmement importantes et diffusées sur tout le territoire français,
- la société BABOU a précisé en cours de procédure que sur les 24'000 articles commandés au fabricant chinois, 18'000 pièces correspondaient aux marchandises litigieuses,
- le montant des dommages et intérêts alloués doit être proportionnel à ce chiffre.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 25 octobre 2012, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions d'appel de la société BABOU, celle-ci demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré,
- écarter des débats la pièce numéro 31 de la société COLINE DIFFUSION, et ce en vertu de l'ordonnance de référé du 11 juillet 2011,
- prononcer la nullité de la saisie contrefaçon du 31 août 2010 et en conséquence faire interdiction à la société COLINE DIFFUSION de faire état des éléments obtenus par les huissiers de justice lors des deux opérations de saisie en date des 30 et 31 août 2010,
- à titre principal, déclarer irrecevable la société COLINE DIFFUSION à agir sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle, ne justifiant pas de la correspondance entre les références indiquées dans les dépôts auprès de l'INPI et les références des modèles revendiqués,
- à titre subsidiaire, déclarer irrecevable la société COLINE DIFFUSION à agir sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle ne justifiant pas de la titularité de ses droits sur les modèles revendiqués,
- en conséquence, débouter la société COLINE DIFFUSION de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société COLINE DIFFUSION à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Elle fait essentiellement valoir à ces fins que :
- par ordonnance de référé du 11 juillet 2011, le président du tribunal de grande instance de Bordeaux a prononcé la rétractation de l'ordonnance rendue le 23 août 2010, autorisant une saisie contrefaçon au siège de la société BABOU et cette décision est définitive,
- le procès-verbal de saisie contrefaçon en date du 30 août 2010 et les pièces y afférant doivent, en conséquence, être écartés des débats,
- la deuxième saisie contrefaçon effectuée le 31 août 2010 dans un magasin à l'enseigne BABOU doit être annulée à défaut pour l'huissier d'avoir laissé au saisi un délai raisonnable entre la signification de l'ordonnance et les opérations de saisie,
- les références des modèles revendiqués ne correspondent pas aux références des modèles déposés à l'INPI et la société COLINE DIFFUSION ne justifie pas de ses droits sur les modèles revendiqués, ce qui la rend irrecevable à agir,
- la société COLINE DIFFUSION ne justifie pas avoir créé où être à l'initiative de la création des modèles revendiqués et elle ne peut bénéficier de la présomption de titularité,
- la société COLINE DIFFUSION est défaillante dans la justification de son préjudice, tant en ce qui concerne le préjudice moral que le préjudice économique et elle ne fournit aucun élément sur ses propres prix de vente,
- le fait qu'elle ait rappelé dans ses écritures récapitulatives numéro 3 le déroulement des opérations de saisie ne constitue pas de sa part un aveu judiciaire et la masse contrefaisante doit être estimée sur la base du procès-verbal du 13 octobre 2011,
- en tout état de cause, les dommages et intérêts alloués par le tribunal sont excessifs.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 novembre 2013.
Sur ce
1 - Sur la nullité des opérations de saisie.
- La pièce numéro 31 de la société COLINE DIFFUSION, correspondant au procès-verbal de saisie contrefaçon effectuée au siège de la société BABOU le 30 août 2010 en vertu d'une ordonnance rendue le 23 août 2010, laquelle a été rétractée par ordonnance de référé du 11 juillet 2011, doit être écartée des débats.
- En ce qui concerne la saisie contrefaçon effectuée le 31 août 2010 dans un magasin exploité à l'enseigne BABOU, situé à Sainte Eulalie, il apparaît que les premiers juges ont valablement rejeté la demande de nullité de cette saisie, le délai entre la signification de l'ordonnance et le début des opérations de saisie ne s'avérant pas manifestement insuffisant en l'espèce, même s'il est limité à 5minutes, alors qu'il ‘apparaît que la cogérante, Mme HOUSSIN, a pu prendre connaissance des motifs de la saisie contrefaçon et qu'elle avait même eu le temps de se préparer à cette mesure, ayant déclaré à l'huissier avoir reçu instructions de son siège pour retirer des rayons les produits incriminés et en dresser le stock et les avoir entreposés dans la réserve.
Ainsi, elle était informée des motifs justifiant la saisie et de l'étendue des investigations autorisées lorsque les opérations de saisie ont débuté.
2 - Sur les fins de non-recevoir.
La société BABOU ne peut valablement invoquer une incohérence dans le référencement des modèles litigieux alors la société COLINE DIFFUSION justifie clairement des concordances existantes entre les numéros de dépôt à l'enregistrement, les numéros de publication et les références des modèles commercialisés par elle.
Il apparaît ainsi que les modèles litigieux, vendus par la société COLINE DIFFUSION et représentés dans ses catalogues, correspondent aux modèles déposés.
Par ailleurs, s'agissant de la titularité des droits de la société COLINE DIFFUSION, il convient de relever que celle-ci , qui a régulièrement fait enregistrer les modèles litigieux, bénéficie, en application des articles L. 511-9 et L. 513-2 du code de la propriété intellectuelle, de la propriété de ces dessins et modèles, sauf possibilité pour tout intéressé de solliciter la nullité de l'enregistrement dans les cas prévus à l'article L. 512-4, à charge pour lui de rapporter la preuve des faits allégués.
Il apparaît, qu'en l'espèce une telle nullité n'est pas sollicitée et qu'en tout état de cause, la société BABOU ne justifie d'aucun élément de nature à écarter la présomption de titularité bénéficiant à la société COLINE DIFFUSION.
De plus, la création des modèles litigieux par la société COLINE DIFFUSION antérieurement à l'enregistrement est corroborée par les fiches de salaire de ses salariés chargés de la création et par les dossiers techniques des modèles concernés.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la société COLINE DIFFUSION recevable à agir sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle.
3 - Sur le fond.
Il ressort de l'examen de l'ensemble des éléments du dossier que les actes de contrefaçon allégués à l'encontre de la société BABOU sont caractérisés et que le jugement déféré doit être confirmé par adoption de ses motifs pertinents de ce chef.
Les premiers juges ont, par ailleurs, également valablement apprécié le préjudice subi par la société COLINE DIFFUSION du fait de ces actes de contrefaçon.
Cette dernière, qui ne verse aux débats aucun élément relatif à sa comptabilité, de nature à caractériser les dépenses effectivement supportées pour mettre au point les modèles originaux et le manque à gagner qui résulte pour elle de la contrefaçon, ne justifie pas d'un préjudice supérieur.
Le procès-verbal de saisie contrefaçon effectuée au siège de la société BABOU le 30 août 2010 ayant été écarté des débats au motif que l'ordonnance de référé du 11 juillet 2011 avait rétracté l'ordonnance autorisant la saisie, cette pièce ne peut servir de base à l'évaluation du préjudice de la société COLINE DIFFUSION et les indications s'y référant, contenues dans des conclusions de première instance de la société BABOU, non reprises dans ses conclusions postérieures de première instance et d'appel, ne constituent pas une reconnaissance du nombre de pièces commercialisées mais une simple référence à un procès-verbal de saisie dépourvu de valeur probante.
Au vu de ces considérations, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a alloué à la société COLINE DIFFUSION la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts.
Le jugement déféré mérite également confirmation en ce qui concerne l'interdiction de commercialisation sous astreinte, la publication de la décision, sauf à substituer dans le texte de l'encart les mots « Par jugement du 5 juin 2012, le tribunal de grande instance de Bordeaux' » par les mots « Par arrêt confirmatif du 13 janvier 2014, la cour d'appel de Bordeaux' », l'application de l'article 700 du code de procédure civile et la charge des dépens.
L'équité ne commande pas de faire application de ce texte au profit de l'une ou l'autre des parties pour la procédure d'appel.
Chacune des parties, qui succombe partiellement dans ses prétentions d'appel, conservera la charge des dépens d'appel par elle engagés.
Par ces motifs,
La Cour,
- Ordonne le rejet des débats de la pièce 31 de la société COLINE DIFFUSION.
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf à substituer dans les termes de l'encart dont la publication est ordonnée des termes « Par jugement du 5 juin 2012, le tribunal de grande instance de Bordeaux' » par les termes « Par arrêt confirmatif du 13 janvier 2014, la cour d'appel de Bordeaux. »
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
- Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens d'appel par elle engagés.