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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 10 avril 2009, n° 07/11500

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Valigeria Roncato (Sté)

Défendeur :

Roncato (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Regniez

Conseillers :

Mme Beaussier, Mme Chokron

Avoués :

Me Flauraud, SCP Oudinot, Me Teytaud

Avocats :

Me Becker, Me Lesage Catel

Paris, 4e ch. B., du 10 mars 2004

10 mars 2004

La cour est saisie par la société VALIGERIA RONCATO sur renvoi après décision de cassation partielle de la Cour de cassation du 19 décembre 2006 d'un appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en date du 31 mai 2002.

Il sera rappelé qu'Antonio R. a créé, en 1956, une entreprise en nom personnel dont l'activité consistait en la fabrication et commercialisation de valises et de malles. Cette entreprise a cessé toute activité le 1er février 1983, après avoir consenti une location gérance à la société BAULIFICIO RONCATO, qui a pris le nom de R. en 1996. Avait également été créée le 10 mars 1973, la société VALIGERIA RONCATO dont l'activité était relative également à la fabrication de valises et articles similaires, sacs et malles. Dans ces deux sociétés, les fils d'Antonio R. étaient associés à parts égales.

Après le décès d'Antonio R., le 25 novembre 1983, les sociétés de droit italien BAULIFICIO RONCATO et VALIGERIA RONCATO ont coexisté, cette dernière déposant plusieurs marques en classe 18 pour désigner des valises, des malles et des coffres de voyage dont les marques RONCATO CIAK et la marque R. en Italie, qui étaient utilisées pour les produits fabriqués par les deux sociétés. Une marque internationale R. a été également déposée au nom de la société VALIGERIA RONCATO le 10 janvier 1995 sous le n° 629 681. Cette collaboration commencée en 1985 a pris fin en 1996, les parties convenant alors d'un accord de non-concurrence venant à échéance le 31 décembre 2000.

Étant titulaire, pour désigner des valises, malles et coffres de voyages, de la marque internationale R., n° 629 681, déposée le 10 janvier 1995, en Chine et étendue à la France le 3 décembre

1997, et constatant que la société RONCATO participait à un salon à Paris pour présenter des produits sous le signe R. en janvier 2002, la société VALIGERIA RONCATO a, après y avoir été autorisée par ordonnances du président du tribunal de grande instance de Paris et du président du tribunal de grande instance de Nanterre, fait pratiquer deux saisies-contrefaçon, puis a assigné en contrefaçon de marque, et concurrence déloyale la société RONCATO.

Par jugement du 31 mai 2002, le tribunal de grande instance de Paris a annulé les deux saisies-contrefaçon, la partie française de la marque internationale R. n° 629 681 et débouté la société VALIGERIA RONCATO de l'ensemble de ses demandes.

La société VALIGERIA RONCATO a interjeté appel. L'arrêt de la quatrième chambre, section A, de la cour d'appel de Paris du 10 mars 2004 a confirmé le jugement en ce qu'il a annulé les saisies-contrefaçon et débouté l'appelante, mais l'a infirmé en ce qui concerne la marque R..

Les sociétés VALIGERIA RONCATO et R. se sont pourvues en cassation. Par l'arrêt susvisé, la chambre commerciale de la cour de cassation a cassé l'arrêt du 10 mars 2004, mais seulement en ce qu'il a débouté la société VALIGERIA RONCATO de son action en contrefaçon de marque et débouté la société RONCATO de sa demande en nullité de la partie française de la marque R. pour dépôt frauduleux.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 octobre 2008, la société VALIGERIA RONCATO, demanderesse à la saisine, invite la cour, pour l'essentiel, à :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la partie française de la marque internationale R. n° 629 681 et l'a déboutée de ses demandes,

- constater l'antériorité de ses droits sur la dénomination R. à quelque titre que ce soit,

- condamner la société RONCATO pour contrefaçon de marque, atteinte à son nom commercial et sa raison sociale et concurrence déloyale,

- prononcer des mesures d'interdiction, de confiscation et de publication,

- condamner la société RONCATO à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société RONCATO aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société RONCATO, défenderesse à la saisine, demande essentiellement à la cour, dans ses dernières conclusions signifiées le 20 novembre 2008, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé les saisies-contrefaçon, la partie française de la marque internationale R. n° 629 681 et débouté la société VALIGERIA RONCATO de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société VALIGERIA RONCATO à lui verser les sommes de 100 000 euros pour procédure abusive, 50 000 euros en réparation de l'atteinte portée à son image, 1 000 000 euros en réparation du préjudice commercial subi et 110 000 euros au titre de ses investissements perdus,

- condamner la société VALIGERIA RONCATO en tous les dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'au cours du délibéré a été transmis par la société VALIGERIA RONCATO un document qui ne pourra qu'être écarté des débats, ayant été transmis postérieurement à la clôture des débats ;

Sur la saisine de la présente cour

Considérant que la cour de renvoi ne peut statuer que dans la limite de sa saisine ; qu'en raison de la cassation partielle, la saisine de la cour est limitée aux seules dispositions critiquées, en l'absence d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec les autres demandes ;

Considérant que, d'une part, la nullité des saisies-contrefaçon a été confirmée par l'arrêt du 10 mars 2004 qui n'a pas été cassé de ce chef ; que, d'autre part, les demandes en concurrence déloyale et parasitaire et en atteinte portée à la dénomination sociale et du nom commercial qui avaient été soumises à l'appréciation de la cour d'appel, dont la société VALIGERIA RONCATO a été déboutée, n'ont pas été l'objet d'un pourvoi ; que la présente cour n'est, en conséquence, pas saisie de ces demandes qui reposent sur des faits distincts n'ayant pas de caractère indivisible ou de dépendance nécessaire avec les moyens retenus par la Cour de Cassation ; que l'arrêt en date du 10 mars 2004 présente sur ces chefs de demandes autorité de la chose jugée ; qu'il n'y a donc pas lieu d'en examiner le bien fondé ;

Sur la demande en nullité de la marque n° 629 681 dans sa partie française, pour fraude

Considérant que la Cour de Cassation a, par son arrêt de renvoi devant la présente cour, d'une part, retenu qu'en s'abstenant d'examiner les autres éléments produits par le demandeur afin d'établir les faits de contrefaçon qui se prouvent par tout moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du (nouveau) Code de procédure civile et, d'autre part, dit que l'annulation d'un dépôt de marque pour fraude ne suppose par la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant et que la cour qui n'avait pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la société VALIGERIA RONCATO n'avait pas déposé la marque dans l'intention de priver la société RONCATO du bénéfice lié à l'expiration des conventions liant ces deux sociétés, n'avait pas donné de base légale à sa décision ;

Considérant que pour s'opposer à cette demande, la société VALIGERIA RONCATO fait essentiellement valoir qu'en première instance, la société RONCATO invoquait des droits antérieurs sur le territoire français, alors qu'elle n'en rapportait pas la preuve ; qu'elle-même a des droits sur le nom R. comme marque, nom commercial et raison sociale depuis 1977, sinon depuis février 1982 en France, et que la société RONCATO a profité des investissements importants qu'elle a engagés pour imposer la marque R. sur le marché de la maroquinerie et de la bagagerie ; que la protection de la marque en France s'inscrit dans le cadre d'une volonté légitime de développement et de consolidation de droits très anciens sur ce signe et non pas dans une volonté de priver la société RONCATO d’un quelconque bénéfice qui aurait notamment pu être lié à l'expiration des anciennes conventions conclues précédemment entre les deux sociétés' ;

Considérant cela exposé qu'il est constant que les sociétés R. et VALIGERIA RONCATO sont chacune animée par deux frères ; que jusqu'en 1996, ils avaient des participations égales dans les deux sociétés qui toutes deux fabriquaient des malles et valises sous différents noms dont celui de R., qui, comme cela est rappelé dans la convention signée le 22 février 1996, étaient vendus par l'intermédiaire de la société VALIGERIA RONCATO ;

Considérant qu'en 1996, ils ont décidé de séparer leurs activités au moyen d'une cession croisée d'actions, Carlo R. devenant directement ou indirectement le seul actionnaire de la société RONCATO et Giovanni R. devenant directement ou indirectement le seul actionnaire de la société VALIGERIA RONCATO et ont signé un engagement de non concurrence par acte du 17 janvier 1996 réitéré dans l'acte de cession du 22 février 1996, jusqu’au solde intégral des prix de cession des parts' ; qu'il n'est pas contesté que cette clause a pris fin le 31 décembre 2000 ;

Considérant que selon les termes de cet accord, Messieurs Giovanni et Carlo R. s'engageaient à ne pas exercer d’activité industrielle et/ou commerciale en concurrence directe et indirecte pour les produits actuels avec celle de la société dont ils ont cédé les parts à l'autre (sauf convention spéciale préalable écrite) et s'engageaient à ne pas créer de confusion dans les produits et dans les marques commercialisés par suite du nom commun ;

Considérant que jusqu'à cette séparation, il apparaît des pièces du dossier que la société RONCATO était plus spécifiquement chargée de la fabrication de malles et valises à structure métallique sous la dénomination R. ou RONCATO CIAK tandis que la société VALIGERIA RONCATO fabriquait quant à elle des valises en matière plastique ou en fibres synthétiques ; que postérieurement à cet accord ont également diffusés par l'intermédiaire de la société VALIGERIA RONCATO des produits fabriqués par la société RONCATO ;

Considérant qu'il ressort des termes de l'accord que, passé le 31 décembre 2000, les sociétés en cause étaient en concurrence ; qu'il n'y a eu aucun accord sur une répartition territoriale ni davantage sur la répartition des marques qui avaient, comme il a été dit ci-dessus, été déposées au nom de la société VALIGERIA RONCATO lorsque les sociétés avaient des intérêts communs;

Qu'en l'absence d'une réglementation sur le sort des marques, la société RONCATO qui ne connaissait pas l'existence de l'extension de la protection de la marque R. sur le territoire français, intervenue postérieurement à l'accord, était en droit de penser qu'elle pourrait librement exploiter sur ce territoire, sous son nom, les produits relatifs aux valises, et accessoires, malles... ;

Considérant qu'il s'évince de ces circonstances qu'en étendant les effets de la marque internationale, postérieurement à la signature de l'accord de non concurrence et sans prévenir son cocontractant, la société VALIGERIA RONCATO a, non pas entendu protéger ses propres droits sur la marque à l'encontre de tiers, mais eu la volonté d'empêcher la société RONCATO de commercialiser sur le territoire français des produits après l'expiration du délai de non concurrence et ainsi maintenir à son profit les effets de l'accord ; qu'elle a ainsi détourné de son objet le droit des marques dans l'intention de nuire à la société RONCATO ; que le comportement frauduleux étant établi, la marque incriminée sera annulée ; que le jugement sera confirmé par substitution de motifs ;

Considérant que la marque étant annulée dans sa partie française, la demande relative à la contrefaçon de marque est devenue sans objet ;

Sur les demandes de dommages et intérêts formées par la société RONCATO en raison de l'action diligentée à tort à son encontre

Considérant qu'aucun élément ne justifie que le jugement soit modifié en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts pour procédure abusive à la société RONCATO sans qu'il soit nécessaire d'en augmenter le montant ;

Considérant qu'il ne saurait être fait droit aux demandes en réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à l'image de la société RONCATO et des investissements perdus ; qu'en effet, il n'est pas démontré que les saisies contrefaçon pratiquées auraient causé un trouble auprès de la clientèle ni que les investissements qu'elle justifie avoir effectués pour la période de 2000 à 2002 l'auraient été en pure perte ;

Considérant que si, comme le fait valoir la société RONCATO en raison de l'action introduite par la société VALIGERIA RONCATO, elle n'a pu développer pleinement son activité en France, le préjudice commercial subi, (qui avait déjà été demandé en première instance) ne saurait avoir l'importance avancée par la société RONCATO ; qu'en effet, la diminution de son chiffre d'affaires de 2002 à 2006, par rapport à celui de 2001, ne peut être imputée au seul comportement de la société VALIGERIA RONCATO, dès lors qu'était en litige la marque R. et qu'il était possible à la société RONCATO de continuer la commercialisation de ses produits sous un autre signe ; que compte tenu de ces circonstances, il convient de fixer à la somme de 60 000 euros le préjudice commercial subi par la société RONCATO ; que le jugement sera sur ce point infirmé ;

Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à la société RONCATO la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 19 décembre 2006,

Confirme le jugement en ce qu'il a annulé la partie française du dépôt de la marque R. n°629 681, et en sa condamnation pour procédure abusive ;

L'infirmant sur le rejet de la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial, statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne la société VALIGERIA RONCATO SPA à payer à la société RONCATO SRL la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société VALIGERIA RONCATO aux entiers dépens ;

Autorise Maître TEYTAUD, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.