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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 1 - ch. soc., 10 avril 2014

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Latécoère (Sa)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gruas

Conseillers :

M. Bergouniou, M. Croisille-Cabrol

Cons. prud'h. Toulouse, du 21 nov. 2013,…

21 novembre 2013

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par F. GRUAS, président, et par H. ANDUZE-ACHER, greffier de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

M. A.…, né le ..., a été embauché par la SA LATECOERE suivant CDI à compter du 1er mars 2001 en qualité de cadre ingénieur informatique ; il était responsable du pôle PLM (Product lifecycle management) au sein de la direction des systèmes informatiques.

Après un avertissement par mail du 3 mai 2010 et un avertissement par LRAR du 14 septembre 2010, M. A.… a été convoqué par lettre remise en main propre du 26 novembre 2010 à un entretien préalable à son licenciement en date du 7 décembre 2010, avec mise à pied conservatoire, puis licencié pour faute grave par LRAR du 10 décembre 2010.

Le 18 décembre 2012, M. A.… a saisi le conseil de prud'hommes de TOULOUSE.

Dans ses conclusions du 15 avril 2013, il a demandé au conseil de prud'hommes :

- d'enjoindre la SA LATECOERE à sous-traiter globalement l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA afin d'en assurer la sécurité de l'exécution et des données techniques au vu des exigences des articles 5-3 et 11 du règlement intérieur non respectés par ceux qui en ont la charge ;

- d'enjoindre la SA LATECOERE à participer au projet SAAVE au titre du respect de la charte du développement durable ;

- de reconnaître la pleine propriété des développements et des travaux effectués sur la gestion de configuration au vu des principes de l'article 26 de la convention collective et de paiement de la somme d'1 000 000 pour sa rétribution sur les effets bénéfiques de son apport technologique ;

- le paiement de dommages-intérêts de 300 000 pour atteinte à sa vie privée, en application de la charte du développement durable ;

- de déclarer le licenciement nul ;

- d'ordonner sa réintégration en tant que salarié pour mener la politique de stratégie industrielle et de l'affecter au pôle de compétitivité AEROSPACEVALLEY ;

- le paiement des salaires dus depuis la mise à pied conservatoire et depuis le licenciement jusqu'à ce jour soit 34 mois ;

- le paiement de dommages-intérêts de 150.000 ¿ pour préjudice moral lié au licenciement infondé, en application de l'article 1382 du code civil ;

- le paiement de la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA LATECOERE a conclu à l'incompétence matérielle du conseil de prud'hommes sur les 4 premières demandes et au débouté sur le surplus des demandes.

Dans ses conclusions du 30 juillet 2013 :

- M. A.… n'a pas maintenu ses demandes relatives à la sous-traitance globale de l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA et à la participation de la SA LATECOERE au projet SAAVe ;

- il a maintenu sa demande de reconnaissance de sa propriété intellectuelle et a porté sa demande de ce chef à la somme de 5 775 000 ;

- il a demandé des dommages-intérêts de 150 000 pour atteinte à la vie privée et harcèlement moral sur le fondement de l'article 9 du code civil ;

- il a chiffré sa demande de rappel de salaire à 143 466 déductions à faire des indemnités ASSEDIC de 24 782 perçues ;

- constatant que la SA LATECOERE faisait obstacle à sa réintégration, il a demandé le paiement des sommes de 14 685 au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 468 au titre des congés payés afférents, 15 664 au titre de l'indemnité de licenciement, 150 000 de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 447 50 de rappel de salaire pendant la mise à pied.

Par jugement du 21 novembre 2013, le conseil de prud'hommes de TOULOUSE :

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de TOULOUSE sur les demandes relatives à la sous-traitance globale de l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA et à la participation de la SA LATECOERE au projet SAAVe;

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de PARIS sur la demande relative à la pleine propriété des développements et des travaux effectués sur la gestion de configuration, et sur la rétribution au titre de l'article 26 de la convention collective ;

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de TOULOUSE sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée ;

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 19 février 2014 sur la procédure et les conséquences du licenciement, et la demande de réintégration.

Par déclaration déposée au greffe du conseil de prud'hommes de TOULOUSE le 5 décembre 2013, M. A.… a formé un contredit.

Reprenant oralement ses conclusions écrites reçues au greffe de la cour d'appel le 5 décembre 2013, M. A.… rappelait que, devant le conseil de prud'hommes, il avait abandonné ses demandes relatives à la sous-traitance globale de l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA et à la participation de la SA LATECOERE au projet SAAVe. Il maintenait que :

- le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur la procédure d'attribution d'une invention salarié sur le fondement de l'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle, au motif que l'invention avait été faite en dehors du contrat de travail mais dans le contexte de l’entreprise ;

- le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur la demande en dommages-intérêts pour rétribution (droits d'auteur), au motif que l'exception d'incompétence n'avait pas été soulevée par l'employeur in limine litis avant toute défense au fond ;

- le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur la demande en dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée et harcèlement moral.

Il sollicitait en outre la condamnation de la SA LATECOERE à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire de 5 000 et la somme de 2 500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la condamnation de l'employeur aux dépens.

Reprenant oralement ses conclusions écrites reçues au greffe de la cour d'appel le 13 février 2014, la SA LATECOERE répliquait que :

- le contentieux relatif aux inventions, brevets et droits d'auteur, même s'agissant de salariés, relevait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de PARIS ;

- le contentieux relatif à la vie privée sur le fondement de l'article 9 du code civil, sans lien avec le contrat de travail de M. A.…, relevait de la compétence du tribunal de grande instance de TOULOUSE ;

- la SA LATECOERE n'avait engagé aucune procédure à l'encontre de

M. A.… ; elle s'était contentée de répondre à ses demandes, confuses et contradictoires, et n'avait eu aucune attitude dilatoire.

Elle demandait :

- la confirmation du jugement et le débouté de M. A.… en ses demandes ;

- la condamnation de M. A.… à lui payer la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamnation de M. A.… ou de tout succombant aux dépens, dont distraction au profit de l'avocat (sic).

A l'audience de la cour d'appel du 19 février 2014, l'affaire a été mise en délibéré au 10 avril 2014 ; les parties ont été invitées à transmettre à la cour d'appel les écritures de M. A.… prises devant le conseil de prud'hommes. M. A.… a alors adressé à la cour d'appel de nouvelles conclusions reçues le 20 février 2014, portant sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive à 53 746. Par courrier reçu le 10 mars 2014, la SA LATECOERE a soulevé l'irrecevabilité de ces conclusions. Par courrier reçu le 12 mars 2014, M. A.… a affirmé avoir soutenu oralement à l'audience du 19 février 2014 la demande de 53 746.

SUR CE

A titre préliminaire, il convient de constater qu'à l'audience du 19 février 2014, M. A.… n'a soutenu oralement que ses demandes exposées dans ses conclusions déposées le 5 décembre 2013. Les conclusions envoyées à la cour d'appel en cours de délibéré, le 20 février 2014, non soutenues oralement à l'audience, seront écartées.

1 - Sur la compétence :

En application des articles L. 1411-1 à L. 1411-4 du code du travail, le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis au code du travail ; il n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi.

A - Sur la compétence du tribunal de commerce de TOULOUSE :

Dans ses dernières conclusions devant le conseil de prud'hommes,

M. A.… avait effectivement abandonné ses demandes relatives à la sous-traitance globale de l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA et à la participation de la SA LATECOERE au projet SAAVe, présentées initialement, de sorte que le conseil de prud'hommes n'avait plus à statuer sur l'exception d'incompétence soulevée par la SA LATECOERE relativement à ces demandes. Il convient donc d'infirmer le jugement de ce chef.

B - Sur la compétence du tribunal de grande instance de PARIS :

M. A.… fonde sa demande de reconnaissance de sa propriété des développements et des travaux effectués sur la gestion de configuration et sa demande de rétribution (5 775 000) sur l'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle relatif au droit de propriété industrielle.

Aux termes de l'article L. 615-17 du même code, l'ensemble du contentieux né du présent titre (dans lequel est inséré l'article L. 611-7), est attribué aux tribunaux de grande instance auxquels ils sont rattachés. L'article D. 211-6 du code de l'organisation judiciaire précise que le tribunal de grande instance de PARIS a compétence exclusive pour connaître des actions en matière de brevets d'invention dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle. L'article L. 211-10 du code de l'organisation judiciaire confirme que des tribunaux de grande instance spécialement désignés connaissent des actions en matière de brevets d'invention dans les conditions prévues au code de la propriété intellectuelle.

Il en résulte que les litiges portant à la fois sur la qualité d'auteur des inventions et sur le montant des rémunérations du droit d'auteur relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de PARIS, et ce, même si l'invention est celle d'un salarié qui dirige ses revendications contre son employeur.

Contrairement à ce qu'affirme M. A.…, l'exception d'incompétence, y compris portant sur la rétribution des droits d'auteur, a été soulevée par la SA LATECOERE en première instance in limine litis, et elle était recevable.

Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur ces demandes, au profit du tribunal de grande instance de PARIS.

C - Sur la compétence du tribunal de grande instance de TOULOUSE :

Dans ses conclusions du 30 juillet 2013, M. A... réclamait des dommages-intérêts de 150 000 pour atteinte à la vie privée et harcèlement moral ; même s'il ne visait expressément que l'article 9 du code civil et non les articles de L. 1152-1 et suivants du code du travail, il soutenait que les faits avaient eu lieu dans le cadre du contrat de travail et que les conditions de répétitivité des agissements, de dégradation de ses conditions de travail et d'atteinte aux droits, à la dignité, à l'avenir professionnel du salarié étaient remplies ; il précisait que le comportement de l'employeur avait aussi constitué une atteinte à sa vie privée.

Cette demande relevait donc bien de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes de TOULOUSE et non de celle du tribunal de grande instance de TOULOUSE, et le jugement sera infirmé de ce chef.

2 - Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire :

M. A... sollicite des dommages-intérêts de 5 000 pour 'procédure abusive et dilatoire ; la SA LATECOERE n'ayant engagé à l'encontre de M. A... aucune action, il s'agirait plutôt d'une demande de dommages-intérêts pour résistance abusive liée aux exceptions d'incompétence soulevées par la SA LATECOERE ; ceci dit, l'exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de PARIS était bien fondée ; l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de TOULOUSE a été soulevée à une époque où M. A... avait effectivement formé des demandes, qu'il a ensuite retirées ; quant à l'exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de TOULOUSE, si elle n'est pas accueillie par la cour, le fait que la SA LATECOERE l'ait soulevée ne traduit pas une mauvaise foi de sa part vu le caractère particulièrement confus et évolutif des conclusions de M. A.... M. A... sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts.

3 - Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Chacune des parties supportera les dépens et frais qu'elle a exposés dans le cadre du contredit.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Déclare irrecevables les conclusions déposées par M. A.… le 20 février 2014 ;

Confirme le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de PARIS sur la demande relative à la pleine propriété des développements et des travaux effectués sur la gestion de configuration, et sur la demande relative à la rétribution de 5 775 000 ;

Infirme le jugement pour le surplus ; statuant à nouveau sur les dispositions infirmées :

Constate qu'en dernier lieu, devant le conseil de prud'hommes de TOULOUSE, M. A.… n'avait pas maintenu ses demandes relatives à la sous-traitance globale de l'activité complète de gestion de configuration de PLM à la société CLAUSTRIA et à la participation de la SA LATECOERE au projet SAAVe ; dit n'y avoir lieu à incompétence au profit du tribunal de commerce de TOULOUSE ;

Dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de 150 000 pour atteinte à la vie privée et harcèlement moral ;

Y ajoutant :

Déboute M. A.… de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire ;

Dit que chacune des parties conservera la charge des frais et dépens qu'elle a exposés dans le cadre de la procédure de contredit.

Le présent arrêt a été signé par F. GRUAS, Président et H. ANDUZE-ACHER, Greffier.