Cass. crim., 27 mai 2014, n° 13-82.148
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association le Comité Mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Pers
Avocats :
Me Haas, SCP Célice, Blancpain et Soltner
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'association le Comité Mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (C.M.S.E.A.)
contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 5 mars 2013, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 10 000 euros d'amende, a rejeté sa demande de dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6, 221-7, 121-2 et 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'association CMSEA coupable d'homicide involontaire et l'a condamnée à une peine de 10 000 euros d'amende ;
aux motifs qu' il apparaît que le groupe de jeunes gens dont faisait partie Karl X avait le jour des faits une activité de baignade au bord du lac de Serre-Ponçon, activité prise en charge en toute connaissance par Mme Y, laquelle sur place a proposé une location de pédalos pour cinq des jeunes tandis qu'une jeune fille est restée avec elle sur la plage en raison de son port d'une minerve ; qu'il est également constat que peu avant la restitution du pédalo à l'entreprise de location, Mme Y a rejoint le groupe de jeunes gens à la nage pour leur demander de revenir, puis est elle-même rentrée à la nage jusqu'à la place d'où elle voyait trois des jeunes gens se mettre à l'eau pour rentrer également à la nage, qu'elle abandonnait sa surveillance pour régler le montant de la location et que c'était pendant ce temps que le jeune Karl X s'est noyé ; que bien qu'il ait été ainsi envisagé que les jeunes se baignent, Mme Y donnant elle-même l'exemple en les rejoignant à la nage et rentrant de la même manière, elle ne s'est pas assurée avant leur départ qu'ils avaient une tenue adéquate à cette fin et en l'absence de surveillant de baignade mis en place par l'autorité gestionnaire de la plage à partir du début juillet seulement, a abandonné pendant un temps cette surveillance qui dès lors lui incombait, alors même qu'elle venait de voir que plusieurs s'étaient mis à l'eau et plus précisément Karl X dont elle savait par ses collègues qu'il savait nager ce qu'elle n'avait pas été amenée à constater personnellement et qu'elle savait par les autres membres du groupe qu'il était vite essoufflé, le sachant également fumeur et alors même qu'il n'était pas équipé correctement pour la baignade, puisqu'il était en tenue de survêtement ; qu'il s'agit là d'une double négligence en relation causale avec l'accident mortel dans la mesure où le survêtement de Karl X a contribué à gêner ses mouvements, à majorer sa fatigue excessive et à entraîner vers le fond du lac, ce dont elle n'a pu s'apercevoir et réagir pour tenter de lui porter ou lui faire porter secours, puisqu'elle a abandonné cette surveillance ; que ces négligences de sa part, quoiqu'en ait dit le tribunal, n'auraient pu toutefois être considérées comme constitutives d'une faute caractérisée, de sorte que c'est avec raison que le tribunal a renvoyé Mme Y des fins de la poursuite, les faute simples commises ayant cependant pour effet d'engager la responsabilité pénale de l'association dont elle doit être considérée comme une représentante ; qu'en effet il ressort des déclarations du directeur de l'établissement qu'il laissait une large marge d'initiative aux éducateurs pour définir leur programme qu'il laissait une large marge d'initiative aux éducateurs pour définir leur programme d'activité et les modifications éventuelles de celui-ci, ce qui est corroboré par la déclaration faite à la barre de la cour par l'ancien directeur général de l'association, régulièrement cité à la demande de l'association elle-même. Ce témoin a en effet confirmé que si en principe c'était le directeur de l'établissement qui était le représentant local de l'association chargé d'organiser les activités et de veiller aux mesures de sécurité correspondances, l'éducatrice possédant une grande expérience professionnelle avait toute latitude pour adapter les activités extérieures en fonction des possibilités ou de la météo, y compris pour autoriser la baignade et choisir le lieu, à seule charge en contrepartie de veiller à la sécurité correspondante à la nouvelle activité choisie, étant précisé que pour la baignade, il n'y avait aucune obligation spécifique ; qu'il ressort par ailleurs que, sans doute à tort, le directeur de l'établissement à l'époque des faits n'assumait pas avec suffisamment de rigueur ses responsabilités propres et déléguait de fait très largement à chacun des éducateurs ses responsabilités quant à l'organisation des activités et aux mesures de sécurité qui devaient les accompagner, étant précisé que l'activité du centre était orientée vers des activités sportives aux fins de dépassement de soi ce qui impliquait une vigilance accrue au regard des risques encourus. Enfin la direction de l'association, éloignée géographiquement du centre Elan n'assurait guère de contrôle sur son fonctionnement et laissait au directeur une grande liberté d'action, y compris dans la délégation qu'il pouvait faire de ses propres responsabilités ; qu'il s'ensuit que Mme Y remplit les conditions requises pour être considérée comme une représentante de la personne morale, ayant pour ce faire : la compétence liée à sa grande expérience professionnelle, le pouvoir et l'autorité qui lui étaient confiés sur les mineurs ce qu'elle exerçait avec un savoir faire certain, les consignées données par elle au groupe ce jour là ayant été respectées, selon ce que les témoins en ont dit, et les moyens d'agir, eu égard à la délégation très large qui lui était donnée pour adapter les activités sans avoir à rendre compte préalablement ou solliciter une autorisation de modification ; que les fautes simples qu'elle a commises engagent ainsi la responsabilité pénale de la personne morale ; que le jugement qui a retenu la responsabilité pénale de l'association doit, par les motifs qui précèdent, être confirmé en son principe ;
et aux motifs adoptés que, sur la responsabilité du CMSEA : L'association CMSEA, créée en 1950, reconnue d'utilité publique depuis 1996, gère une vingtaine d'établissement dans toute la France et emploie plus de 1000 salariés ; qu'il est de principe qu'une faute ordinaire commise par un décideur , les erreurs d'organisation, les insuffisances d'investissement ou les défaillances de contrôle imputables aux personnes investies d'un pouvoir de direction sont de nature à engager la responsabilité de la personne morale si elles sont la cause indirecte du dommage ; qu'en l'espèce, l'association CMSEA n'a jamais donné de directives au centre ELAN représenté par son directeur aux fins de consignes précises et diffusées dans l'établissement pour l'organisation des activités de baignade et s'assurer du respect de règles élémentaires de sécurité. Les éducateurs étaient totalement livrés à eux-mêmes, organisant les activités dans la plus grande liberté ; que l'association CMSEA représentée par son président n'exerçait aucun contrôle sur le fonctionnement et les activités de l'établissement et ne s'est jamais investie dans la mise en oeuvre du projet éducatif du centre ELAN. L'instruction a souligné l'absence de communication entre le président de l'association, le directeur et le personnel de l'établissement ; que l'association a manqué à son pouvoir de contrôle et direction et a ainsi commis des négligences fautives qui ont contribué à la mort par noyade de Karl X ; qu'elle sera déclarée coupable des faits de la prévention ; que l'association C.M.S.E.A. demande la non inscription de cette décision au bulletin N°2 de son casier judiciaire ; qu'au vu des éléments de la procédure et des débats, le tribunal estime devoir ne pas faire droit à cette demande ; Sur la responsabilité de Mme Y : Mme Y, titulaire d'un diplôme d'éducatrice spécialisée et du brevet national de secourisme, est employée du CMSEA depuis 1983. Elle n'est titulaire d'aucune qualification de surveillante de baignade ou d'encadrante d'activités aquatiques, qui n'était d'ailleurs pas exigée d'elle dans le cadre de son emploi d'éducatrice. La direction du centre éducatif ELAN ne lui a jamais donné de consigne particulière pour l'organisation des activités de baignades et l'obligation d'emmener les jeunes dans des lieux de baignade surveillés, l'activité étant soumise à sa seule vigilance. Mme Y n'a pas failli dans sa surveillance, et la noyade est survenue de façon brutale et imprévisible, sans signe précurseur de souffrance. Aucune négligence fautive déterminante et caractérisée en relation avec la noyade de Karl X ne peut lui être reprochée ; qu'elle sera donc relaxée ;
1°) alors que le délit d'homicide involontaire n'est caractérisé que s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence ou le manquement à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement a causé la mort de la victime ; qu'au cas d'espèce, l'association CMSEA faisait valoir que Mme Y, même si elle avait surveillé en permanence le jeune Karl X, n'aurait pu éviter sa noyade, laquelle était survenue soudainement ; que les juges du fond, qui constatent que la noyade est intervenue de manière brutales et imprévisible, sans signe précurseur de souffrance et que Karl X a coulé soudainement , se sont bornés à retenir, pour entrer en voie de condamnation, que Mme Y avait abandonné pendant un temps cette surveillance ; qu'en statuant ainsi, sans préciser par quels moyens utiles Mme Y, si elle avait exercé une surveillance continue des jeunes gens, aurait pu mettre en oeuvre pour éviter la noyade de Karl X, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
2°) alors que la faute de la victime, lorsqu'elle est la cause unique du dommage, exclut toute condamnation du chef d'homicide involontaire ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel ne pouvait affirmer, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de l'association CMSEA, que Mme Y n'aurait pas dû laisser Karl X monter à bord d'un pédalo vêtu d'un pantalon de jogging, sans rechercher si Karl X, âgé de 16 ans, n'avait pas commis une faute à l'origine de sa noyade en sautant du pédalo et en se jetant dans l'eau dans une tenue inadaptée à la natation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 775-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement qui avait rejeté la demande du CMSEA tendant à ce qu'une éventuelle condamnation ne soit pas inscrite au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ;
aux motifs que la sanction prononcée par les premiers juges est adaptée, de même que la dispense d'inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire ;
alors que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer que la dispense d'inscription de la condamnation au bulletin numéro 2 du casier judiciaire était adaptée et néanmoins confirmer le jugement qui avait rejeté la demande tendant au bénéfice d'une telle dispense ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que, le 23 juin 2007, Karl X, placé au centre psycho pédagogique Elan de Val des Prés ( Hautes-Alpes), dépendant du Comité Mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (CMSEA), est mort noyé à la suite d'une sortie organisée et encadrée par une représentante de cette association ; que l'association CMSEA, personne morale, a été poursuivie du chef d'homicide involontaire ; que le tribunal correctionnel l'a condamnée à 10 000 euros d'amende, a rejeté sa demande de non-inscription au bulletin N°2 du casier judiciaire et a prononcé sur les intérêts civils ; que la prévenue et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement qui a retenu la responsabilité pénale de la personne morale, l'arrêt prononce par motifs propres et adoptés repris aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, abstraction faite de la mention erronée relative à la dispense d'inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire, relevant d'une erreur matérielle, et dès lors qu'elle a caractérisé des fautes simples en relation causale avec le dommage à la charge de la représentante de la personne morale et que la prétendue faute de la victime ne constitue pas la cause exclusive de l'accident, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.