Cass. crim., 13 octobre 2009, n° 09-80.857
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Société urbaine de travaux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pelletier
Rapporteur :
M. Guérin
Avocat général :
M. Finielz
Avocat :
SCP Thouin-Palat et Boucard
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Jean-François,
- LA SOCIÉTÉ URBAINE DE TRAVAUX,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 19 janvier 2009, qui a condamné le premier à 3 000 euros d'amende et à trois amendes de 800 euros des chefs de blessures involontaires et infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs et la seconde à 20 000 euros d'amende du chef de blessures involontaires ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, lors des travaux de construction d'une ligne du tramway qui avaient rendu nécessaire l'adaptation des réseaux d'assainissement, les dirigeants des personnes morales attributaires du marché, les sociétés Urbaine de travaux, Jean Fayolle et Fils et Huguet, qui avaient constitué un groupement d'entreprises, ont délégué leurs pouvoirs en matière de sécurité à Jean-François X, salarié de la société Urbaine de travaux ; qu'un ouvrier de la société Fayolle et Fils a été blessé lors de la réalisation d'un puits d'accès au réseau d'assainissement ; que Jean-François X et la société Urbaine de travaux ont été poursuivis, le premier, pour blessures involontaires et infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, et la seconde, pour blessures involontaires ; qu'ils ont été relaxés par le tribunal ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 222-19, du code pénal, L. 4741-1 et L. 4741-9 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-François X coupable, d'une part, de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois dans le cadre du travail et l'a condamné de ce chef à une amende de 3 000 euros et, d'autre part, d'infractions à la réglementation générale sur l'hygiène et la sécurité au travail et l'a condamné de ce chef à trois amendes de 800 euros chacune ;
"aux motifs que celui-ci ne conteste pas être titulaire d'une délégation de pouvoir en matière d'hygiène et de sécurité établie par les trois entreprises composant le groupement mais soutient qu'il a subdélégué ses pouvoirs aux responsables de sites, de manière implicite ; que la cause de l'accident n'est pas clairement déterminée ; que la procédure de descente d'objet au fond du puits était sûre, définie et connue de tous et que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis en l'absence de démonstration de l'inadaptation de la sangle à l'opération en cause et de l'absence de pertinence du grief relatif à l'absence de formation du grutier ; qu'en l'absence d'écrit, une délégation, a fortiori une subdélégation de pouvoir, doit être claire et exempte d'ambiguïté ; que le prévenu produit des documents dont le plan particulier de sécurité et de protection de la santé qui contient notamment :
- dans un organigramme à l'en-tête Urbaine de travaux, au sommet la position de responsable d'affaires de Jean-François X, conducteur de travaux, délégué à la prévention, et à un niveau inférieur, de trois responsables de site responsables chacun d'un secteur,
- la définition du rôle du responsable d'affaires : «personnel d'encadrement chargé de l'opération : conducteur de travaux le plus souvent selon les particularités et l'importance de l'opération. Il est sous l'autorité du directeur d'exploitation. Il a la responsabilité de l'organisation de l'exécution et du choix des méthodes et des moyens d'exécution et de prévention»,
- la définition du rôle de responsable de site : «personnel de l'encadrement du chantier présent de manière permanente sur le chantier : chef de chantier le plus souvent selon les particularités et l'importance de l'opération. Il est désigné par le directeur d'exploitation et est placé sous l'autorité du responsable d'affaires. Il a la responsabilité opérationnelle du chantier et de la mise en oeuvre de moyens de prévention» ;
qu'en dépit de la référence à la prévention dans la définition du rôle de responsable du site, qui n'est pas significative compte tenu de la nécessité de rappeler les impératifs liés à la sécurité du travail à chaque niveau hiérarchique de l'entreprise, les documents produits, par leur caractère général et imprécis, ne permettent pas d'établir en l'espèce l'existence d'une subdélégation de pouvoir claire et exempte d'ambiguïté ni que ces subdélégataires – à supposer qu'ils le soient – aient été pourvus de la compétence, de l'autorité et des moyens propres à l'accomplissement de leur mission" ;
"alors que la délégation de pouvoirs, de même que la subdélégation, peuvent être établies par tous moyens ; qu'en se bornant, pour écarter l'existence de la subdélégation consentie, en matière d'hygiène et de sécurité, par Jean-François X aux responsables de sites, à relever que "les documents produits" ne permettaient d'établir ni l'existence d'une subdélégation ni l'attribution aux subdélégataires de la compétence, de l'autorité et des moyens propres à l'accomplissement de leur mission, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la preuve d'une subdélégation accordée à un salarié remplissant les conditions pour veiller effectivement au respect de la réglementation ne résultait pas des modalités de fonctionnement du chantier concerné, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que le moyen se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit sans insuffisance ni contradiction et en répondant aux conclusions dont ils étaient saisis que le prévenu n'avait pas subdélégué ses pouvoirs ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 222-19, du code pénal, L. 4741-1 et L. 4741-9 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Urbaine de travaux coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois dans le cadre du travail, et l'a condamnée de ce chef à une amende de 20 000 euros ;
"aux motifs que, si l'accident du travail est effectivement intervenu sur un secteur du chantier sur lequel travaillaient exclusivement des salariés de la société Fayolle, il résulte des pièces versées au dossier, dont le rapport de l'inspection du travail, que la SAS Urbaine de travaux était mandataire du groupement et représentait celui-ci auprès du maître d'ouvrage ; que la lecture des comptes-rendus de réunion de chantier entre le 7 avril et le 5 mai 2004 montre que la SAS Urbaine de travaux était la seule société interlocutrice du maître d'ouvrage et qu'aucun représentant des sociétés Fayolle et Huguet ne participait à ces réunions ; que, bien plus, le compte-rendu du 7 avril 2004 indique "qu'un accident de travail a eu lieu le 5 avril 2004 engendrant l'hospitalisation d'un salarié du groupement" sans faire référence à la société Fayolle ; que les représentants des trois sociétés composant le groupement ont délégué leurs pouvoirs en matière de sécurité à Jean-François X, salarié de la SAS Urbaine de travaux ; que, dès lors, Jean-François X, délégataire de pouvoir des trois entreprises constituant le groupement, a agi comme le représentant et pour le compte de son employeur, la société Urbaine de travaux, mandataire du groupement auprès du maître d'ouvrage et jouant un rôle majeur au sein du groupement d'entreprises ; qu'il y a lieu, en conséquence de déclarer la SAS Urbaine de travaux coupable du délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de la condamner à la peine d'amende de 20 000 euros " ;
"alors que, lorsqu'une société délègue les pouvoirs qu'elle détient, à l'égard de ses salariés, en matière d'hygiène et de sécurité, au préposé d'une autre société, le manquement de ce délégataire à ses obligations au préjudice des salariés de la société délégante engage la responsabilité pénale de cette seule société, à l'exclusion de celle de l'employeur du délégataire ; qu'en effet, c'est en qualité de représentant de l'employeur de la victime que le délégataire a commis le manquement incriminé ; qu'en jugeant, après avoir elle-même constaté que "l'accident du travail était effectivement intervenu sur un secteur du chantier sur lequel travaillaient exclusivement des salariés de la société Fayolle", que le manquement de Jean-François X, délégataire du dirigeant de la société Fayolle en matière d'hygiène et de sécurité, engageait la responsabilité de la société Urbaine de travaux, employeur de Jean-François X, au motif inopérant que cette société était mandataire du groupement auprès du maître de l'ouvrage, quand une telle circonstance était insusceptible de transférer à la société Urbaine de travaux la responsabilité pénale incombant exclusivement à la société Fayolle au titre des fautes commises par Jean-François X en qualité de délégataire des pouvoirs que la société Fayolle détenait, seule, sur ses salariés, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Vu l'article 121-2 du code pénal ;
Attendu qu'en cas d'accident du travail, les infractions en matière d'hygiène et de sécurité des travailleurs commises par le délégataire de pouvoirs désigné par chacune des sociétés constituant un groupement d'entreprises à l'occasion de l'attribution d'un marché engagent la responsabilité pénale de la seule personne morale, membre du groupement, qui est I'employeur de la victime ;
Attendu que, pour déclarer la société Urbaine de travaux coupable de blessures involontaires sur la personne d'un ouvrier de la société Jean Fayolle et Fils, l'arrêt énonce que Jean-François X, salarié de la personne morale poursuivie, a agi comme son représentant et pour son compte, et que, mandataire du groupement auprès du maître d'ouvrage, cette société a joué un rôle majeur au sein du groupement d'entreprises ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 19 janvier 2009, en ses seules dispositions relatives à la condamnation de la société Urbaine de travaux, toutes autres dispositions étant expressément maintenues;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.