Cass. crim., 7 mars 1989, n° 87-90.500
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Berthiau
Rapporteur :
M. Dumont
Avocat général :
Mme Pradain
Avocats :
Me Choucroy, SCP Piwnica et Molinié
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le pourvoi de X :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
en ce que la Cour a rejeté l'exception de nullité tirée d'une violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme ;
au seul motif que cette exception ne peut être invoquée devant une juridiction que lorsque ont été épuisées toutes les voies de recours légales du droit français ; que tel n'étant pas le cas en l'espèce, cette exception sera rejetée ;
alors que tout prévenu a droit notamment à ce que sa cause soit entendue et jugée dans un délai raisonnable et à interroger ou faire interroger les témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la plainte déposée le 10 décembre 1965, a entraîné l'inculpation du demandeur 16 ans plus tard ; que, dans ses conclusions, le demandeur soulignait que toutes les personnes dont le témoignage avait été recueilli au cours de l'information et de l'instruction avaient déjà été entendues en 1966 et les suppléments d'information ordonnés par la chambre d'accusation en 1974 et 1978 n'ont eu pour objet ni pour résultat aucune investigation complémentaire ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait légalement s'abstenir de vérifier si, à la suite d'une plainte déposée en 1965, le jugement rendu en 1987 n'était pas intervenu au-delà du délai raisonnable prévu par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui se borne à reprendre un principe interne du droit français, celui du respect des droits de la défense qui interdit qu'une procédure pénale ne présentant aucune difficulté majeure se voit tranchée au bout de 21 ans ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire grief des motifs, même erronés, par lesquels la cour d'appel a rejeté l'exception tirée de la violation de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui résulterait de la durée excessive de la procédure ayant précédé le jugement dès lors que les juridictions correctionnelles ne peuvent prononcer l'annulation des procédures d'instruction lorsque celles-ci ont été renvoyées devant elles par la chambre d'accusation et qu'au surplus la durée excessive d'une procédure, à la supposer établie, n'entraînerait pas sa nullité ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 378 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de violation du secret professionnel ;
aux motifs que le 10 juin 1963, dernier jour légal de la surenchère, un déjeuner amical avait réuni à Paris : Mme de Z, M. de A, le prévenu qui était déjà l'associé de ces derniers dans une autre société civile, ainsi que Me Weil Curiel ; qu'au cours de ce repas la conversation porta sur l'opération immobilière en cours en Haute-Savoie, opération dont chacun connaissait déjà l'existence ; que s'il n'a pas été établi de façon formelle que chacun des faits révélés à des tiers par le prévenu ait, en lui-même, été couvert par le secret professionnel, il n'en reste pas moins évident qu'en brossant un tableau d'ensemble très précis de la situation de l'affaire, Me X outrepassait l'obligation de discrétion à laquelle il était tenu ; qu'il possédait seul, en sa qualité d'avocat de Y, l'ensemble des informations, de toute nature, dont le tout constituait le secret de sa profession qu'il devait respecter ; qu'il convient cependant de lui tenir largement compte de l'intention dans laquelle il a agi ; que dans une note remise au magistrat instructeur par Me Weil-Curiel (D. 216, p. 16) il est indiqué :
c'est en toute bonne foi et dans l'ignorance de cet accord qui reste à prouver que Fernand X a parlé de la surenchère possible, au cours du déjeuner du 10 juin 1963 à la fois pour préserver les chances de Y et pour, au cas où il n'aurait pu les matérialiser, sauver grâce aux apports de Mme de Z une affaire qu'il croyait appelée à prospérer ;
alors que, d'une part, la violation du secret professionnel suppose l'existence d'un secret ; que ne saurait être considérée comme secrète une information qui, sur un plan général est déjà connue des personnes auxquelles elle a été donnée et qui a fait l'objet d'une large diffusion ; que, par suite, la cour d'appel qui a expressément constaté qu'il n'a pas été établi de façon formelle que chacun des faits révélés à des tiers par le prévenu ait été en lui-même couvert par le secret professionnel, circonstances propres à exclure l'infraction incriminée, n'a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales qui s'imposaient ;
alors, d'autre part, et en tout état de cause que le secret professionnel suppose un élément intentionnel ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le demandeur n'avait, au cours de la conversation incriminée, évoqué les difficultés de son client que pour lui procurer des concours extérieurs et ainsi lui apporter l'aide qui lui faisait défaut ; que, par suite, la Cour ne pouvait légalement s'abstenir de vérifier si, en l'état de cette circonstance, l'élément intentionnel de l'infraction était bien caractérisé ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Robert Y qui désirait créer une station de sports d'hiver dans une localité de Haute-Savoie, a, dans ce dessein, procédé à diverses opérations et notamment acquis la majorité des actions d'une société anonyme exploitant un téléphérique ; qu'à la suite d'une décision préfectorale interdisant cette exploitation la société anonyme a été déclarée en faillite et ses biens mis en vente ; qu'ils ont été adjugés le 31 mars 1963, Y étant dans l'incapacité de se procurer les fonds nécessaires pour les acquérir ; que le 10 juin 1963, dernier jour du délai de surenchère, X, qui avait été le conseil de Y dans ses affaires en Haute-Savoie, et qui connaissait ses difficultés financières, a informé une dame de Z de la situation et lui a proposé de surenchérir en lui exposant que son client aurait ainsi un délai supplémentaire pour réunir des fonds et qu'en tout état de cause elle ferait une bonne affaire ; que la surenchère ayant été faite les biens de la société ont été définitivement adjugés le 20 septembre 1963 à une société Serem qui avait notamment pour associés Mme de Z et l'épouse de X ; qu'à la suite de la plainte de Y pour violation du secret professionnel, le tribunal correctionnel a déclaré X coupable de cette infraction ;
Attendu que pour confirmer le jugement sur la culpabilité la juridiction du second degré énonce notamment que s'il n'a pas été établi de façon formelle que chacun des faits révélés à des tiers par le prévenu ait, en lui-même, été couvert par le secret professionnel, il n'en est pas moins évident qu'en brossant un tableau d'ensemble très précis de la situation de l' affaire , X outrepassait l'obligation de discrétion à laquelle il était tenu ; qu'il possédait seul en sa qualité d'avocat de Y l'ensemble des informations de toute nature dont le tout constituait le secret de sa profession qu'il devait respecter ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel a caractérisé les éléments matériels et intentionnel de l'infraction sans encourir les griefs allégués ; que, d'une part, le principe posé par l'article 378 du Code pénal est général et absolu même s'il s'agit d'un fait connu dans son ensemble lorsque l'intervention du dépositaire du secret entraîne la divulgation de précisions qu'il était seul à connaître ; que, d'autre part, l'intention frauduleuse consiste dans la conscience qu'a le prévenu de révéler le secret dont il a connaissance, quel que soit le mobile qui a pu le déterminer ;
Que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le pourvoi de la partie civile : (sans intérêt) ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.