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Décisions

Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 19-85.374

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocat :

SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

St Denis de la Réunion à Mamoudzou, du 4…

4 juillet 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le procureur de la République de Mamoudzou a diligenté une enquête préliminaire concernant des irrégularités dans le marché à procédure adaptée passé pour les travaux de rénovation et d'aménagement de la mairie annexe de Kaweni.

3. L'avis d'appel public à la concurrence publié le 23 mars 2017 indique qu'il s'agit d'un marché à procédure adaptée ouverte, comprenant 10 lots donnant chacun lieu à un marché, la date limite de réception des offres étant fixée au 2 mai 2017.

4. Le règlement de la consultation prévoyait que, conformément aux articles 52 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et 62 du décret du 25 mars 2016, le marché serait attribué à l'offre, régulière, acceptable et appropriée économiquement la plus avantageuse, appréciée en l'espèce en fonction de quatre critères pondérés.

5. Quarante entreprises ont déposé des offres et, à l'issue de la procédure d'ouverture des offres, les lots ont été attribuées, par décision du 17 juillet 2017, notamment, aux sociétés HEB (lot n° 2), Impact 2000 (lot n° 4) et Djoundiy (lot n° 9).

6. Toutefois, le 14 septembre 2017, le préfet a adressé un courrier au maire de Mamoudzou relevant plusieurs irrégularités intervenues tant au stade du choix des offres que durant l'exécution du marché. Il était notamment dénoncé la validation et le mandatement de décomptes irréguliers de travaux non réalisés, en lieu et place d'avances, dépassant le seuil fixé au cahier des clauses administratives particulières (CCAP) à 5 %.

7. L'enquête a en effet révélé que le 31 juillet 2017, au cours de la réunion de démarrage de chantier, les représentants des entreprises ont demandé que l'avance prévue par le contrat passe de 5 % à 30 %, pour leur permettre d'acquérir les matériaux nécessaires.

8. Sur les recommandations de Mme U... E..., dirigeante de la société maître d'oeuvre, qui leur a indiqué que la demande ne pourrait pas, en l'état, être acceptée par le comptable public eu égard aux clauses du CCAP, les sociétés HEB, Impact 2000 et Djoundiy ont transmis un décompte présentant un avancement erroné des travaux à hauteur de 30 %.

9. A l'issue de l'enquête, plusieurs personnes ont été citées devant le tribunal du chef de favoritisme et, notamment, M. S... X... W..., en sa qualité de chargé d'opérations au sein de la direction des services techniques de la commune, pour avoir, entre le 21 mars 2017 et le 1er décembre 2017, en sa qualité d'agent de la commune de Mamoudzou, par des actes contraires aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans le marché public « Travaux de rénovation et réaménagement de la mairie annexe de Kawani «, procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, en l'espèce, en validant et transmettant au paiement des décomptes irréguliers de travaux non réalisés en lieu et place d'avances, dépassant les seuils fixés au CCAP, en se substituant aux candidats retenus dans la mise en place de la clause « promotion de l'emploi insertion professionnelle », allant ainsi à l'encontre des règles prévues à l'article 8-10 du CCAP.

10. Les juges du premier degré ont relaxé M. X... W... par un jugement du 21 novembre 2018 dont le ministère public a interjeté appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles 110 du décret du 25 mars 2016, ensemble l'article 432-14 du code pénal.

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il a renvoyé M. X... W... des fins des poursuites diligentées à son encontre, de l'avoir déclaré coupable de faits d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics au titre du marché public « travaux de rénovation et réaménagement de la mairie annexe de Kaweni » et l'avoir condamné à une peine de 3 000 euros d'amende, alors :


« 1°) que le délit de favoritisme résulte de l'octroi d'un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ; que l'article 110 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 applicable en la cause, qui réglementait les avances dans les marchés publics, n'avait pas pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans lesdits marchés publics, mais d'assurer un équilibre entre la protection des deniers publics et les besoins de trésorerie des entreprises attributaires de marché, de sorte que sa méconnaissance ne pouvait constituer l'élément constitutif du délit ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 110 du décret du 25 mars 2016, ensemble l'article 432-14 du code pénal ;

2°) que le délit d'atteinte à l'égalité dans l'accès aux marchés publics résulte de l'octroi d'un avantage injustifié par la méconnaissance des dispositions légales ou réglementaires relatives à la passation desdits marchés ; que M. X... W... faisait valoir que la décision de modifier le montant des avances avait été prise après l'attribution des marchés et qu'il ne pouvait y avoir délit de favoritisme dès lors qu'aucune information privilégiée n'avait pu influer sur le choix de candidater à cette opération, aucune entreprise, au moment du dépôt des offres, n'ayant été informée de la possibilité d'obtenir une avance de 30 % ; qu'en déclarant M. X... W... coupable de faits d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, sans constater en quoi les agissements de M. X... W... avaient eu pour objet ou pour effet de procurer à autrui un avantage injustifié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432-14 du code pénal, ensemble l'article 110 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016, applicable en la cause ;

3°) que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la cour d'appel a constaté que M. X... W... n'avait pas participé à la décision de verser l'avance de 30 % au lieu des 5 % prévus au CCAP ; qu'en le déclarant néanmoins coupable de faits d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics tout en constatant qu'il n'était pas l'auteur des actes constitutifs d'une méconnaissances des règles sur les marchés publics, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article 432-14 du code pénal ;

4°) qu'il n'y a pas de délit sans intention de le commettre ; que le délit d'atteinte à l'égalité dans l'accès aux marchés publics ne peut être retenu qu'à condition qu'il soit constaté que le prévenu a méconnu une disposition légale et réglementaire en connaissance de cause ; que M. X... W... faisait valoir qu'il avait reçu des consignes de la part du maître d'oeuvre et qu'il n'avait pas de raison objective de considérer qu'il n'y avait pas eu de concertation en amont entre le maître d'oeuvre, les entreprises et la commune de Mamoudzou, notamment lors de la réunion du 31 juillet 2017 à laquelle il n'avait pas assisté ; qu'il n'était donc pas établi que M. X... W... avait reçu plusieurs décomptes de travaux effectués à 30 % en connaissance de cause de ce qu'ils méconnaissaient les dispositions de l'article 110 du décret du 25 mars 2016 ; qu'en ne caractérisant pas l'élément intentionnel du délit de favoritisme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432-14 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 432-14 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

13. Il résulte du premier de ces textes que caractérise le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics le fait par l'une des personnes qu'il vise de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concessions.

14. En vertu du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

15. Pour déclarer le demandeur coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, l'arrêt attaqué relève les éléments suivants.

16. Le CCAP ne prévoyait que le versement d'une avance maximum de 5 % du montant initial TTC du marché et Mme U... E..., gérante de la société maître d'oeuvre a reconnu que pour permettre aux entreprises qui ont demandé des avances de 30 % afin d'avoir une trésorerie au démarrage, elle avait accepté de valider des situations mentionnant des travaux réalisés à cette hauteur alors que tel n'était pas le cas, plusieurs décomptes ayant été validés début août 2017 alors que les travaux n'avaient pas encore commencé.

17. Si l'article 110 du décret du 25 mars 2016 permet, dans certaines conditions, le versement d'avances pouvant aller jusqu'à 30, voire 60 % sur constitution d'une garantie à première demande, le même article prévoit que le taux et les conditions de l'avance sont fixés par le marché public et ne peuvent être modifiés en cours d'exécution de celui-ci.

18. La décision de verser une avance de 30 % constituait donc une modification illicite d'une condition du marché qui peut être qualifiée de substantielle au sens de l'article 139 du décret précité, puisqu'elle introduit une condition qui, si elle avait été incluse dans la procédure de passation initiale, aurait attiré davantage d'opérateurs économiques ou permis l'admission d'autres opérateurs économiques ou permis le choix d'une offre autre que celle retenue.

19. Le fait de modifier illicitement le montant de l'avance après attribution du marché constitue donc, pour les entreprises qui en bénéficient, un avantage injustifié.

20. Le prévenu n'a pas participé à la décision de verser cette avance dont il a été informé de l'existence par la société Arcad, désignée en qualité de maître d'oeuvre, et il résulte de ses déclarations qu'il savait que les travaux visés par les décomptes validés par la maîtrise d'oeuvre n'avaient pas été effectués et que ces décomptes constituaient un moyen de payer l'avance de 30 %, celle prévue dans le CCAP étant plafonnée à 5 %.

21. Il lui appartenait de vérifier le contenu des décomptes par rapport au marché et il a reconnu qu'il aurait pu bloquer les paiements des décomptes mais qu'il ne l'avait pas fait en raison d'un accord conclu entre la mairie, le maître d'oeuvre et les entrepreneurs et il a d'ailleurs été sanctionné à ce titre.

22. La chambre d'appel conclut que M. X... W... a contribué à permettre le versement de ces avances, en transmettant pour paiement des décomptes de travaux en réalité non réalisés et ce en sachant parfaitement que le versement d'avance de 30 % n'était pas possible au regard des dispositions du CCAP et de l'article 110 du décret susvisé et que les décomptes permettaient en réalité de dissimuler le versement de ces avances.

23. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

24. En premier lieu, elle a relevé que le prévenu, dont l'intervention est postérieure à la décision de verser les avances litigieuses, n'a pas participé à celle-ci.

25. En second lieu, les juges n'ont pas recherché si, bien qu'ayant connaissance de cet arrangement conclu entre la mairie, la société maître d'oeuvre et les entreprises attributaires du marché, le demandeur a eu conscience de procurer un avantage injustifié à ces dernières.

26. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

27. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la culpabilité de M. X... W... et aux peines prononcées à son encontre. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, en date du 4 juillet 2019, mais en ses seules dispositions relatives à la culpabilité de M. X... W... et aux peines prononcées à son encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.