CEDH, sect. 5, 24 mai 2018, n° 28798/13
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
Arrêt
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28798/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Cyril Laurent (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 avril 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me F. Thouin-Palat, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue une violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’interception par un policier des papiers remis à ses clients.
4. Le 26 août 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1967 et réside à Brest. Il est avocat au Barreau de Brest.
6. Le 1er avril 2008, dans le cadre d’une permanence pénale au tribunal de grande instance (TGI) de Brest, il assura la défense de H.B. et B.D., deux personnes mises en examen et alors placées sous escorte policière.
7. À l’issue du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, dans l’attente du délibéré, H.B. et B.D. durent patienter, sous la surveillance de l’escorte policière, dans la salle des pas perdus du tribunal. Ils purent s’installer autour d’une table et s’entretenir avec le requérant, qui portait toujours sa robe d’avocat. H.B. et B.D. demandèrent une carte de visite professionnelle au requérant. Ce dernier, n’en ayant pas sur lui, nota ses coordonnées professionnelles sur un morceau de papier, qu’il plia ensuite en deux et remit ostensiblement à H.B.
8. Le sous-brigadier de police J.-L.B., chef de l’escorte, demanda alors à H.B. de lui montrer ce papier. Il le déplia, le lut puis le lui rendit. Le requérant reprocha au policier de ne pas respecter la confidentialité de ses échanges avec son client.
9. La même scène se déroula ensuite avec B.D.
10. Le 8 avril 2008, le requérant déposa plainte auprès du procureur de la République de Brest pour atteinte au secret des correspondances par une personne dépositaire de l’autorité publique.
11. Le 30 juin 2008, sa plainte fut classée sans suite. Le procureur précisa néanmoins avoir demandé « qu’un rappel des dispositions légales soit fait [à J.-L.B.] » et « que ce rappel soit également porté à la connaissance des fonctionnaires de police chargés des escortes afin qu’un tel incident ne se reproduise plus ».
12. Le requérant déposa plainte entre les mains du doyen des juges d’instruction du TGI de Brest, invoquant une violation de l’article 432-9 du code pénal. Il indiqua qu’il s’agissait de correspondances protégées, puisqu’elles émanaient d’un avocat et qu’elles avaient été rédigées dans le cadre de son mandat de défense à destination de ses clients.
13. Le 4 janvier 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu. Il indiqua tout d’abord qu’à l’issue de l’information, l’infraction d’atteinte au secret des correspondances n’était pas contestée dans ses éléments matériels. Il ajouta cependant que les policiers assumant la responsabilité d’une personne escortée doivent s’assurer que celle-ci n’est porteuse d’aucun objet présentant un risque et contrôler de manière systématique tout objet remis à la personne retenue, et ce quelle que soit la personne opérant la remise et la nature de l’objet concerné. Le requérant interjeta appel.
14. Par un arrêt du 28 octobre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes confirma l’ordonnance. Elle jugea que si l’interception de ces papiers avait « indéniablement pu porter atteinte au principe de la libre communication d’un avocat avec son client », elle ne pouvait cependant pas constituer une atteinte au secret de la correspondance telle que prévue et réprimée par le droit interne : selon elle, le fait de plier une feuille de papier, comme en l’espèce, avant de la remettre à son destinataire ne permettrait pas d’analyser cette feuille comme une correspondance au sens des articles 226-15 et 432-9 du code pénal.
15. Le requérant forma un pourvoi en cassation, dans le cadre duquel il invoqua notamment une violation de l’article 8 de la Convention et du principe de libre défense.
16. Par un arrêt du 16 octobre 2012, la Cour de cassation rejeta son pourvoi, au motif que les billets litigieux circulaient à découvert et qu’ils ne répondaient donc pas à la notion de correspondance protégée au sens de l’article 432-9 du code pénal.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
17. L’article 66-5, premier alinéa, de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit ce qui suit :
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle ", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »
18. Les dispositions pertinentes du code pénal se lisaient ainsi à l’époque des faits :
Article 226-15
« Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions. »
Article 432-9
« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l’ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait, par une personne visée à l’alinéa précédent ou un agent d’un exploitant de réseaux ouverts au public de communications électroniques ou d’un fournisseur de services de télécommunications, agissant dans l’exercice de ses fonctions, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l’utilisation ou la divulgation de leur contenu. »
19. Le code de procédure pénale, dans ses dispositions pertinentes relatives aux personnes détenues et alors applicable, précisait notamment :
Article R. 57-6-6
« La communication se fait verbalement ou par écrit. Aucune sanction ni mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil. »
Article R. 57-6-7
« Le contrôle ou la retenue des correspondances entre les personnes détenues et leur conseil ne peut intervenir s’il peut être constaté sans équivoque que celles-ci sont réellement destinées au conseil ou proviennent de lui. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
20. Le requérant allègue que l’interception par le policier des papiers remis à ses clients constitue une violation de son droit au respect de sa correspondance tel que prévu par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
22. Se fondant sur l’article 35 § 3 b) de la Convention, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’absence de préjudice important.
23. Le requérant considère que le respect des droits de l’homme exige un examen au fond de la requête en ce qu’elle soulève une question nouvelle d’interprétation de la Convention sur la notion de correspondance. Selon lui, la requête soulève également une difficulté en droit interne, qui ne prévoit pas d’infraction spécifique d’atteinte au secret professionnel de l’avocat. Le requérant estime que, comme l’a relevé la Cour dans son arrêtFrérot c. France (no 70204/01, 12 juin 2007), la notion de correspondance ne fait l’objet d’aucune définition en droit interne et qu’il incombe donc à la Cour de la préciser, particulièrement lorsqu’elle concerne des échanges entre un avocat et son client.
24. Le Gouvernement considère, contrairement au requérant, que la notion de correspondance ne soulève pas de question nouvelle d’interprétation de la Convention. La requête ne poserait pas non plus de problème en droit interne, les dispositions existantes du code pénal étant suffisamment protectrices du secret des correspondances. Enfin, le Gouvernement ajoute que la jurisprudence citée par le requérant (Frérot, précité) ne s’applique pas au cas d’espèce, qui concerne des requérants certes privés de liberté mais non détenus.
25. La Cour est d’avis que les circonstances de la cause justifient un examen au fond de la requête, dans la mesure où celle-ci soulève des questions de principe importantes relatives à la correspondance entre un avocat et son client (Michaud c. France, no 12323/11, §§ 117–119, CEDH 2012). Elle relève également que la requête présente une modalité d’échange d’informations sur laquelle elle n’a pas encore eu à se prononcer. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.
26. Elle constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
27. Le requérant estime que le Gouvernement ne conteste pas que l’échange de papiers entre le requérant et ses clients constituait une correspondance. Il considère que la lecture ou non des papiers par le policier et le fait que ceux-ci étaient déjà parvenus à leurs destinataires sont sans incidence sur la question de l’existence d’une ingérence. Pour le requérant, cette approche reviendrait à priver de protection toute correspondance une fois celle-ci remise à son destinataire.
28. Le requérant expose ensuite que l’ingérence n’était pas prévue par la loi et qu’elle était, a fortiori, interdite par l’article R. 57-6-7 du code de procédure pénale, qui prévoit la protection de la correspondance entre un détenu et son avocat. Il ajoute que l’ingérence ne poursuivait pas un but légitime dans la mesure où, dans les circonstances de l’espèce, il n’existait aucune raison de soupçonner un acte délictueux. Enfin, le requérant estime que l’ingérence n’était, en tout état de cause, pas nécessaire dans une société démocratique. À cet égard, il fait remarquer qu’aucune raison de sécurité ne justifiait le contrôle des papiers et encore moins la lecture de ceux-ci par le policier.
29. Le Gouvernement considère qu’il n’y pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, le policier n’ayant pas lu les papiers que le requérant avait remis à ses clients et ayant seulement procédé à une vérification de sécurité. Le Gouvernement ajoute que le requérant ne saurait invoquer le droit au respect de la correspondance à l’égard des papiers en cause, dans la mesure où leur interception a eu lieu alors qu’ils étaient déjà parvenus à leurs destinataires, qui en avaient pris connaissance.
30. À supposer qu’il y ait eu ingérence, le Gouvernement considère que celle-ci était prévue par les articles 226-15 et 432-9 du code pénal. Il ajoute qu’elle poursuivait les buts légitimes de prévention des infractions pénales et de défense de l’ordre. Le Gouvernement estime ensuite que l’ingérence était proportionnée au but poursuivi, la Cour n’interdisant pas tout contrôle de la correspondance entre un détenu et son avocat. Le Gouvernement expose que le chef d’escorte a agi sur le fondement de deux notes de service dans le but de prévenir tout acte illégal ou dangereux. Il ajoute que l’ingérence a été entourée de garanties adéquates et suffisantes, celle-ci ayant eu lieu en présence du requérant et de ses clients et les papiers ayant été immédiatement restitués après contrôle.
2. Les observations du tiers intervenant
31. Le Conseil national des barreaux (CNB) expose que le secret de la correspondance est une expression de la protection du secret professionnel caractérisé par le droit de l’avocat et de son client à la confidentialité.
32. Le CNB se réfère à la jurisprudence de la Cour pour exposer que toutes les catégories de correspondance sont protégées par l’article 8 de la Convention, quelle qu’en soit la finalité, y compris entre un avocat et son client détenu. Il considère que les autorités internes disposent d’une marge d’appréciation réduite en la matière.
33. Il souligne que le droit au respect de la correspondance entre l’avocat et son client est également protégé par le droit de l’Union européenne. Il se réfère à l’arrêt AM & S Europe Limited contre Commission des Communautés européennes, 18 mai 1982 (155/79), dans lequel la Cour de justice des Communautés européennes a consacré le principe de confidentialité des communications entre l’avocat et son client. Le CNB rappelle ensuite que, dans l’arrêt Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd contre Commission européenne, 14 septembre 2010 (C–550/07 P.), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que la confidentialité était un corollaire de l’exercice des droits de la défense et trouvait son fondement dans le principe d’indépendance de l’avocat.
34. Le CNB conclut que la garantie du secret des correspondances participe de la confiance du justiciable en l’avocat. Il soutient que le champ d’application de la protection doit être élargi au maximum, afin d’éviter tout risque d’atteinte à la confidentialité de la correspondance avocat-client, à l’exception des cas révélant la participation de l’avocat à une infraction.
3. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
35. En consacrant le droit de « toute personne » au respect de sa « correspondance », l’article 8 de la Convention protège la confidentialité des communications, quel que soit le contenu de la correspondance dont il est question et quelle que soit la forme qu’elle emprunte (Michaud c. France, précité, § 90, Frérot, précité, § 53). C’est donc la confidentialité de tous les échanges auxquels les individus peuvent se livrer à des fins de communication qui se trouve garantie par l’article 8 y compris lorsque l’envoyeur ou le destinataire est un détenu (Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 84, série A no 61, Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie, nos 15672/08 et 10 autres, § 41, 11 janvier 2011, et Yefimenko c. Russie, no 152/04, § 144, 12 février 2013).
36. La Cour considère qu’une feuille de papier pliée en deux, sur laquelle un avocat a écrit un message, remise par cet avocat à ses clients, doit être considérée comme une correspondance protégée au sens de l’article 8 de la Convention. Partant, elle estime que constitue une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre un avocat et ses clients le fait, pour un policier, d’intercepter les notes rédigées par le requérant puis remises à ses clients.
37. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour le ou les atteindre.
b) Sur la justification de l’ingérence
i. Prévue par la loi
38. Le Gouvernement soutient que l’ingérence était suffisamment protégée par l’article 432‑9 du code pénal, qui réprime l’atteinte au secret de la correspondance par une personne dépositaire de l’autorité publique.
39. Le requérant considère, quant à lui, que l’ingérence n’était pas prévue par la loi et qu’elle était proscrite par l’article R. 57-6-7 du code de procédure pénale, relatif au contrôle de la correspondance entre un avocat et son client détenu.
40. La Cour constate que ni la chambre de l’instruction ni la Cour de cassation n’ont estimé que le contrôle des échanges entre le requérant, en sa qualité d’avocat, et ses clients, n’était régi par les dispositions spécifiques invoquées devant elles.
41. La Cour pourrait donc être amenée à se poser la question de savoir si l’ingérence litigieuse était ou non « prévue par la loi » en l’espèce. Toutefois, elle n’estime pas devoir se prononcer sur ce point, dès lors que la violation est encourue pour un autre motif.
ii. But légitime
42. La Cour estime que l’ingérence poursuivait les buts légitimes de prévention des infractions pénales et de défense de l’ordre.
iii. Nécessité de l’ingérence
43. La Cour a rappelé les principes généraux relatifs à la correspondance entre un avocat et son client dans l’arrêt Michaud c. France (précité, 117-119).
44. La Cour a par ailleurs reconnu qu’un certain contrôle de la correspondance des détenus se recommande de la Convention et ne se heurte pas en soi à celle-ci (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, 45, série A no 233). Pour autant, les échanges entre un avocat et son client détenu jouissent d’un statut privilégié en vertu de l’article 8. Il en résulte notamment que les autorités pénitentiaires ne peuvent ouvrir la lettre d’un avocat à un détenu que si elles ont des motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite non révélé par les moyens normaux de détection. Il y a lieu de fournir des garanties appropriées pour en empêcher la lecture, par exemple l’ouverture de l’enveloppe en présence du détenu. Quant à la lecture du courrier d’un détenu à destination ou en provenance d’un avocat, elle ne devrait être autorisée que dans des cas exceptionnels, si les autorités ont lieu de croire à un abus du privilège en ce que le contenu de la lettre menace la sécurité de l’établissement ou d’autrui ou revêt un caractère délictueux d’une autre manière. La « plausibilité » des motifs dépendra de l’ensemble des circonstances, mais elle présuppose des faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’on abuse de la voie privilégiée de communication (ibidem, § 48).
45. La notion de nécessité, au sens de l’article 8 de la Convention, implique l’existence d’un besoin social impérieux et, en particulier, la proportionnalité de l’ingérence au but légitime poursuivi (voir parmi d’autres, Campbell, précité, § 44). La question qui se pose à la Cour en l’espèce est celle de savoir si l’interception des papiers échangés entre le requérant et ses clients, à l’aune du but légitime poursuivi, a porté une atteinte disproportionnée à la confidentialité de la correspondance entre un avocat et son client.
46. La Cour relève que les clients du requérant étaient, au moment de l’ingérence, privés de liberté et sous le contrôle d’une escorte policière. Dès lors, tout contrôle de leurs échanges ne saurait être exclu, mais il ne devrait s’opérer qu’en présence de motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite.
47. La Cour note que, selon le Gouvernement, le chef d’escorte a agi dans le but de prévenir tout acte dangereux ou illégal. Pour autant, elle constate qu’il n’apporte aucune raison susceptible de justifier le contrôle des papiers en l’espèce et qu’il ne prétend pas que ceux-ci auraient pu susciter des soupçons particuliers. Par ailleurs, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que le requérant, en sa qualité d’avocat, a rédigé et remis les papiers en cause à ses clients à la vue du chef d’escorte, sans tenter de dissimuler son action. Dès lors, en l’absence de tout soupçon d’acte illicite, l’interception des papiers en cause ne saurait se justifier. La Cour souligne également que le contenu des documents interceptés par le policier importe peu dès lors que, quelle qu’en soit la finalité, les correspondances entre un avocat et son client portent sur des sujets de nature confidentielle et privée (ibidem, § 48). La Cour relève d’ailleurs qu’à tous les stades de la procédure, les juridictions internes ont considéré que, si les faits en cause ne justifiaient pas de poursuites pénales, le comportement du chef d’escorte constituait néanmoins une atteinte au principe de la libre communication d’un avocat avec son client (paragraphes 11 et 13-14 ci-dessus).
48. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que l’interception et l’ouverture de la correspondance du requérant, en sa qualité d’avocat, avec ses clients ne répondaient à aucun besoin social impérieux et n’étaient donc pas « nécessaires dans une société démocratique », au sens de l’article 8 § 2.
49. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
51. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
52. Le Gouvernement considère que le simple constat d’une violation de l’article 8 suffirait pour réparer le préjudice moral invoqué par le requérant.
53. La Cour considère que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral éventuel.
B. Frais et dépens
54. Le requérant demande également 7 534,80 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.
55. Le Gouvernement considère que le requérant ne justifie pas avoir supporté personnellement les frais et dépens de la procédure, les factures fournies n’ayant pas été établies à son nom.
56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour constate que la somme réclamée n’a pas été payée par le requérant, mais par l’Ordre des avocats au Barreau de Brest. Partant, aucune somme ne doit lui être allouée à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mai 2018, en application de l’article 77- 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente