Cass. crim., 30 mars 2016, n° 15-82.039
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Monfort
Avocat général :
M. Cuny
Avocats :
SCP Le Bret-Desaché, SCP Piwnica et Molinié
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la diffusion, sur la chaîne de télévision France 2, dans le cadre du magazine Les Infiltrés , d'un reportage, produit par l'agence Capa Presse, intitulé A l'extrême droite du père , réalisé par le journaliste M. C, qui, en dissimulant sa qualité professionnelle, et en opérant à l'aide d'une caméra cachée, s'était introduit dans des établissements et associations catholiques dits traditionalistes pour y enregistrer des images et des paroles à l'insu de ses interlocuteurs, plusieurs plaintes assorties de constitutions de parties civiles ont été déposées, des chefs d'atteinte à l'intimité de la vie privée, montage portant atteinte à la représentation de la personne, et escroquerie ; qu'après jonction des procédures, et mise en examen des auteurs et diffuseurs de ce reportage, le juge d'instruction a, au terme de son information, rendu une ordonnance renvoyant devant le tribunal correctionnel, M. C, M. E, président de France Télévisions, la société Capa Presse, et M. D, président de cette société, respectivement des chefs d'atteinte à la vie privée, utilisation de paroles et d'images obtenues à l'aide de ce délit, et complicité, et disant n'y avoir lieu à suivre des autres chefs ; que les parties civiles ont relevé appel de cette décision de non-lieu partiel ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-2 et 226-8 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance entreprise disant qu'il ne résulte pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis le délit de montage portant atteinte à la représentation de la personne ;
aux motifs, sur le délit de montage portant atteinte à la représentation de la personne, qu'aux termes de l'article 226-8 du code pénal, ‘ ‘ le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention''est constitutif de l'infraction punie d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, laquelle constitue une atteinte à la représentation de la personne ; que le magistrat instructeur a retenu que le délit n'est pas constitué en ses éléments, aux motifs que ‘ ‘ … si l'information a permis d'établir l'existence d'un montage non contesté par les mis en examen, celui-ci ne revêt aucun caractère illicite par l'absence de manipulation d'images et de paroles ayant pour objet de dénaturer la réalité initialement enregistrée ; qu'il sera prononcé un non-lieu partiel de ce chef''; qu'il est essentiellement soutenu par les parties civiles que cette infraction serait constituée en ce que :
- les personnes filmées n'auraient pas donné leur consentement,
- les paroles et images recueillies auraient été triées et assemblées les unes aux autres afin de donner une impression de cohérence et le montage ne serait pas évident,
- le montage aurait été fait sciemment pour tromper le spectateur, et ‘ ‘ il ne fait aucun doute que le fait pour un journaliste de filmer des personnes, enregistrer leurs propos à leur insu en caméra cachée, choisir des extraits et les assembler pour en faire un montage témoigne de la volonté de l'auteur de violer, en toute connaissance de cause, la loi pénale''(page 10 du mémoire déposé dans l'intérêt de M. G) ; que le texte réprimant le délit de montage n'a pas pour but de protéger l'intimité de la vie privée mais la représentation de la personne à travers ses paroles et son image, en empêchant que ces dernières soient dénaturées, et en privilégiant la restitution fidèle et respectueuse des propos de la personne considérée ; qu'ainsi, le montage n'est pas réprimé en tant que tel, mais en ce qu'il tend à déformer de manière délibérée des images ou des paroles, soit par ajout, soit par retrait d'éléments qui sont étrangers à son objet ; que le délit de l'article 226-8 est constitué par trois éléments qui sont, le montage, sa publication, qui doit faire apparaître d'évidence qu'il s'agit bien d'un montage ou en faire expressément mention, et l'élément moral de l'infraction, étant précisé que l'atteinte à la vie privée n'est pas un élément constitutif de l'infraction ; qu'il est constant et non contesté que le reportage critiqué a fait l'objet d'un montage, s'agissant de choix et d'assemblages d'images et d'organisation dans le temps d'éléments sonores enregistrés, qui a donné lieu à publication par la voie audiovisuelle, en l'espèce sur France 2, et que les personnes victimes n'ont pas donné leur consentement antérieurement ou concomitamment à cette publication, pour s'y être opposé (sic), ainsi qu'il a été rapporté à l'exposé des faits ; que pour autant, le montage opéré tombe-t-il sous le coup de l'article 226-8 du code pénal ? ; qu'afin de répondre à cette question, il convient d'examiner la réalité du reportage au regard des éléments exigés par la loi, et des moyens développés par les parties ; que tout d'abord il sera constaté que si le mémoire de l'AEP et de MM. (sic) A, Zet Bmet l'accent en substance sur le fait que l'infiltration a duré plusieurs mois alors que le film est monté de telle façon que le spectateur croit que cela l'a été sur quelques heures ou jours, celui déposé pour le compte de M. (sic) Gsoutient que l'ordre des séquences ne correspondrait pas à la réalité chronologique des rencontres filmées, et ce, à dessein de d'effectuer (sic) des amalgames et manipulations, et d'opérer dans l'esprit du spectateur une confusion de la réalité ; qu'ainsi, le mémoire fait-il allusion à plusieurs séquences du film pour apporter contradiction aux faits tels qu'ils sont présentés à l'antenne ; que force est de constater que contrairement à ce qui est allégué, le téléspectateur ne peut se méprendre sur le temps passé par le journaliste à filmer les différentes scènes, dès lors que, il résulte clairement de la « voix off » du commentateur que ses déplacements sont étalés dans le temps, (environ cinq mois) et l'espace, l'auteur du reportage revenant notamment sur les lieux de certaines de ses observations quatre mois plus tard, pour constater que le « parcours du combattant »édifié par un certain L, (qualifié par la partie civile d « homme aigri par certaines de ses opérations militaires » du groupe Dies Irae, était achevé et que des membres « Lefévristes »étaient venus pour saluer cette réussite, étant relevé qu'il est explicité par un militant, dans la séquence antérieure sur ce même sujet, que l'usage d'un tel parcours est réservé à l'entraînement au combat pour la religion (musulmans contre chrétiens) ; qu'il apparaît du déroulement du reportage que celui-ci est tout d'abord consacré au groupe Dies Irae, dans un lieu situé en ville, puis à la campagne, où des personnes s'expriment respectivement, sur l'intérêt des « Cahiers de Turner », puis, sur une stratégie de combat à développer sur tout le pays, et ensuite à son président, M. G, entendu à visage découvert, sur l'objet de ce que la partie civile nomme une « association », et qu'il qualifie de mouvement politique sans connotation particulière ; qu'ensuite, le reportage est centré sur l'église et les propos du responsable de la paroisse qui explique l'enseignement religieux dispensé auquel il ajoute quelques commentaires sur l'opportunité de se préparer à une guerre de religion ; que le reportage se consacre ensuite à l'école hors contrat, qui reçoit des enfants de 3 à 15 ans, dont le directeur, un abbé, reçoit le journaliste qui se présente comme bénévole, susceptible de se voir engager comme surveillant, et se voit expliquer le fonctionnement et la nature de la formation pédagogique ; que cet abbé, et plus particulièrement le responsable de la gestion de cette école, en la personne de M. (sic) A, entendu à visage découvert, exposent qu'il y a de plus en plus de demandes d'inscriptions, et que les programmes dispensés, notamment en histoire, ne se livrent à aucune déformation historique, M. (sic) Asoulignant que le responsable du cours d'histoire est un enseignant à la retraite qui a une ancienneté de quarante années dans l'éducation nationale ; que l'auteur du reportage assiste ultérieurement à l'un des cours de ce professeur, et le téléspectateur peut ainsi entendre les explications par l'intéressé devant ses élèves, relatives au rôle du maréchal Pétain, qui a rendu « d'énormes services à la France », au général De Gaulle, qualifié de déserteur, en raison de son départ de la France pour se rendre en Angleterre durant la seconde guerre mondiale, aux « SS »dont les fonctions seraient à rapprocher de celles dévolues aux ‘ ‘ CRS'', ou qui sont décrites comme des troupes d'élite de l'armée allemande ; que le professeur explique au journaliste de ne pas parler aux enfants de la « Schoah »(sic ; il faut lire la Shoah) parce que (en substance) c'est déjà connu et on en parle suffisamment, et qu'en fait, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas en parler ; que le journaliste rencontre lors d'une autre séquence, des enfants de l'école qui lui posent la question de savoir s'il est « facho », et qui enchaînent sur une chanson concernant les juifs et les chambres à gaz, où sont vantés tout à la fois, Auschwitz, ‘ ‘ un camp magique'', et « les douches gratuites »dont ces derniers pouvaient bénéficier ; que lors de cette rencontre, au sujet de leur programme, l'un d'eux déclarera, sans y être convié, « j'aime pas les juifs, j'aime pas les noirs et j'aime pas les arabes.. »; qu'ainsi, et pour reprendre les différentes séquences auxquelles l'appelant fait référence pour dénoncer un montage frauduleux, si effectivement, le montage a consisté à procéder à des coupures et sélections de séquences, dans le but de faire rapport aux téléspectateurs de certaines réalités de milieux d'extrême droite, entretenant entre eux des rapports, groupe politique, église et école hors contrat sis à Bordeaux, ce procédé n'a pas manipulé l'information délivrée, le respect d'une stricte chronologie temporelle n'étant pas suffisante pour démontrer l'existence d'un montage illicite (sic) ; que la cour considère en outre qu'il apparaît d'évidence que ce reportage est le fruit d'un montage, de par sa présentation, l'existence de retours sur une grille d'images, effectués à plusieurs endroits du reportage alors que le commentateur s'exprime, et en raison de l'étalement dans le temps porté à la connaissance du téléspectateur, celui-ci étant à même de constater que les différentes situations portées à l'écran sont effectivement un concentré d'informations formatées selon une exigence propre au type d'émission concernée ; qu'enfin, s'agissant du délit considéré, il est à souligner que l'élément intentionnel est un dol général, aucun dol spécial n'étant exigé et le mobile étant indifférent ; qu'il convient donc de se référer au principe général posé par l'article 121-3 du code pénal selon lequel il n'y pas de délit sans intention de le commettre ; qu'il sera rappelé à cet égard, quelques déclarations des personnes mises en examen ou témoins dans la procédure, au sujet du travail réalisé :
- M. Hervé D: « … le montage fait partie de toute émission documentaire diffusée à la TV, c'est donc un moment important dont le but ultime est de raconter dans un temps mesuré l'histoire qui rend le plus compte de ce qui a été vécu pendant le tournage »
- M. Mathieu C: « Nous n'avons pas suivi une ligne chronologique mais plus certainement une ligne thématique, l'objectif tant (sic) de mettre en relief la vérité, sans altérer le fond, pour retranscrire les faits authentiquement. Donc effectivement, il y a eu inversion de séquences comme cela se produit dans beaucoup de reportages, le tout afin d'améliorer la compréhension de la vérité. Nous n'avons pas altéré le fond, ceci ayant été fait avec beaucoup d'éthique. »
- M. Laurent H: « après examen de ces documents je vous indique le montage (sic) fait partie de toute émission. Le processus de montage est en fait habituel, les reportages durent que (sic) 52 ou 53 minutes, et sont le fruit (sic..) de la sélection de plusieurs heures de tournage, le but étant de raconter au public en respectant scrupuleusement ce qui est constaté par le journaliste. Les séquences choisies sont issues de nombreuses heures de rusches.. je vous précise que le montage n'est pas fait en fonction de la chronologie mais en fonction des informations recueillies, et non par l'ordre chronologique du tournage de ces mêmes séquences.. »
- représentant de France Télévisions : « concernant le montage, le film à l'arrivée n'est pas constitué de l'intégralité des séquences tournées ; il y a donc forcément un montage, au sens où on l'entend professionnellement, c'est-à-dire sélection de séquences … dans notre métier, le montage contribue à informer et pas à déformer … »
- M. Ipour l'agence Capa : « … si nous avons matériellement procédé à un montage qui est le propre de toute réalisation de programme audiovisuel, je conteste avoir procédé à un montage altérant la vérité et déformant les faits …. Pour autant qu'il y ait eu changement de la chronologie, j'observe que ces griefs sont à mon sens purement anecdotiques car ils n'affectent en rien la restitution de la vérité … »; qu'en l'espèce, il ne peut être sérieusement allégué ni démontré que les personnes mises en examen ont eu l'intention de se livrer à un montage illicite, dès lors que la cour considère et retient que celui-ci n'a utilisé ni trucage ni manipulation de nature à altérer la réalité des images et paroles filmées, et enregistrées, et n'a pas opéré de modification de leur portée ou de leur signification, en dépit des critiques portées par les parties civiles, la cour observant à cet endroit que celles-ci et particulièrement M. (sic) Gdans le mémoire déposé dans ses intérêts, discute (sic) de ce qui peut être qualifié d'approximations ou inexactitudes sans grande incidence, sur le fond, au détriment des informations ci-dessus rappelées dont la réalité du contenu n'est d'ailleurs, ni évoquée ni contestée ; que pour clôturer la question posée par le montage que la cour qualifie donc de licite, il sera observé que les moyens développés au mémoire déposé dans l'intérêt de France Télévisions et M. (sic) E, sont devenus sans objet, en ce qu'ils portent sur l'imputabilité du délit de l'article 226-8 du code pénal, dès lors que celui-ci ne trouve pas application en l'espèce ;
1°) alors que le montage portant atteinte à la représentation de la personne consiste en une dénaturation de la réalité ; que, tout en retenant que le reportage ne respectait pas la chronologie des séquences, la chambre de l'instruction a considéré qu'il était à l'évidence le fruit d'un montage ; qu'en statuant ainsi, alors que l'irrespect de la chronologie des séquences donnait l'apparence d'une continuité et dénaturait la réalité sans que le téléspectateur en ait été avisé, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;
2°) alors que le mobile est indifférent en droit pénal ; que la chambre de l'instruction a considéré que, si effectivement le montage a consisté à procéder à des coupures et sélections de séquences , c'est dans le but de faire rapport aux téléspectateurs de certaines réalités de milieux d'extrême droite, entretenant entre eux des rapports ; qu'en prenant en compte le mobile des journalistes pour apprécier l'élément psychologique du délit reproché et considérer que l'intention faisait défaut en l'espèce, la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 226-8 du code pénal ;
Attendu que, pour confirmer le non-lieu prononcé du chef de montage portant atteinte à la représentation de la personne, l'arrêt retient que l'article 226-8 du code pénal ne réprime pas le montage en tant que tel, mais en ce qu'il tend à déformer de manière délibérée des images ou des paroles, soit par ajout, soit par retrait d'éléments qui sont étrangers à son objet ; qu'au terme d'une analyse des différentes séquences litigieuses, les juges relèvent notamment que, si le montage a consisté à procéder à des coupures et sélections de séquences, dans le but de faire rapport aux téléspectateurs de certaines réalités de milieux d'extrême droite, ce procédé n'a pas manipulé I'information délivrée ; qu'ils observent en outre qu'il apparaît d'évidence que ce reportage est le fruit d'un montage, de par sa présentation, l'existence de retours sur une grille d'images, effectués à plusieurs endroits du reportage alors que le commentateur s'exprime, et en raison de l'étalement dans le temps porté à la connaissance du téléspectateur, celui-ci étant à même de constater que les différentes situations portées a l'écran sont effectivement un concentré d'informations formatées selon une exigence propre au type d'émission concernée ; que la chambre de l'instruction conclut que ce reportage n'a utilisé ni trucage ni manipulation de nature à altérer la réalité des images et paroles filmées et enregistrées, et n'a pas opéré de modification de leur portée ou de leur signification ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte que le reportage litigieux était à l'évidence le fruit d'un montage, et ne procédait d'aucune manipulation du sens des images et des paroles enregistrées, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que la chambre de l'instruction a, statuant par substitution de motifs, confirmé l'ordonnance entreprise disant qu'il ne résulte pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis le délit d'escroquerie ;
aux motifs propres, sur le procédé de l'infiltration, qu'il est constant que ce procédé consiste à aller rechercher par le biais d'une caméra cachée, des informations qu'il serait impossible pour un journaliste de se procurer par un autre moyen, compte tenu du sujet faisant l'objet d'investigations ; que ce procédé n'est pas légalement proscrit, toutefois, doit-il être justifié par les nécessités de l'information et effectué sans recours ni à la manipulation, ni au mensonge, et en respectant l'anonymisation des personnes filmées et auditionnées, dans une recherche de proportionnalité entre l'intérêt de l'enquête et le respect des personnes ; que, sur les éléments constitutifs de l'escroquerie, qu'aux termes de l'article 313-1 du code pénal, « l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale, et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'autrui, à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge »; que les parties civiles soutiennent en substance que M. C, en s'infiltrant sous le faux nom de M. Mathieu J, en cachant sa qualité de journaliste, et en se prétendant athée, bénévole ou militant selon les trois lieux où il s'est rendu en caméra cachée, a trompé ses interlocuteurs afin d'obtenir un bien quelconque, en l'espèce dématérialisé, des images et du son, et s'est rendu coupable du délit d'escroquerie, sans lequel les autres infractions n'auraient pu être commises (montage et atteinte à la vie privée) ;/ …/ ; que le délit d'escroquerie repose sur une tromperie, une duperie, c'est-à-dire un mensonge renforcé par des éléments de fait lui conférant une certaine crédibilité, par lequel l'escroc parvient à se faire remettre des valeurs ou à obtenir un service au détriment d'autrui ; qu'il convient de souligner que le délit d'escroquerie nécessite chez son auteur un ou des actes positifs, sa passiveté qui se bornerait à dissimuler un fait ou une particularité, ne suffisant pas à le caractériser, et que, par ailleurs, il est exigé une relation de cause à effet entre les moyens utilisés et la remise, de sorte que s'il apparaît que la fraude utilisée n'a pas eu d'influence sur la victime et s'il est démontré que celle-ci eût livré le ‘ « bien »ou la « chose », même en l'absence de manoeuvres, le délit d'escroquerie ne peut être constitué ; qu'ainsi la cour doit-elle vérifier si les éléments du délit dénoncé sont réunis à l'encontre des mis en cause, et, compte tenu des observations développées aux mémoires des parties civiles, qui visent le journaliste, la société Capa et M. D, doit-elle s'attacher particulièrement à l'existence éventuelle :
- d'un faux nom, d'une fausse qualité, ou de manoeuvres frauduleuses de la part de M. C,
- d'une intention frauduleuse et d'une tromperie qui ont déterminé autrui à remettre un bien, entraînant un préjudice,
- le faux nom : que M. Cs'est présenté sous le nom de M. Mathieu J, qui constitue pour lui un pseudonyme, ce qui, au regard de l'espèce, ne peut être considéré comme ayant joué un rôle déterminant dans la réalisation du délit et la remise alléguée d'images et de sons,
- la fausse qualité et le mensonge : que la qualité est le titre auquel une personne a droit en raison de sa naissance, de sa fonction, de sa profession ; qu'il y a donc prise de fausse qualité lorsqu'un individu s'est paré d'un titre auquel il n'a pas droit, pour tromper les tiers et leur inspirer une confiance qu'ils n'accordent qu'en raison de la qualité prétendue (Goyet) ; que pour M. André K, le législateur a entendu viser ce qui donne à la personne son rang ou sa condition dans la société, c'est-à-dire ne désigne que son état, ses titres, sa profession, sa nationalité, ou bien des prérogatives nées de certains rapports juridiques avec les tiers et spécialement ceux qui naissent du contrat de mandat ; qu'au-delà des interprétations différentes de la doctrine, une interprétation restrictive doit être retenue, dès lors que la jurisprudence, conformément à la volonté du législateur, ne tient pas compte du simple mensonge qui porterait sur un élément personnel de la situation de l'auteur, lequel ne modifierait pas sa qualité, au sens ci-dessus précisé ; qu'enfin, il doit être souligné que la religion ou l'honorabilité, ou encore l'idéologie ou l'appartenance idéologique à tel ou tel parti, ne sont pas des éléments de l'état d'une personne, pour être l'expression de la liberté de conscience et du libre arbitre ; qu'en l'espèce, M. Calias M. Js'est introduit auprès du groupe Dies Irae, de la paroisse et de l'établissement Saint-Projet, en taisant sa profession de journaliste et en se présentant respectivement comme étant militant, athée, ou bénévole, afin de pouvoir constater leur mode de fonctionnement ; qu'il y a lieu d'ores et déjà de souligner que l'escroquerie étant un délit de commission, il exige un acte positif tant pour ce qui concerne l'usage d'une fausse qualité que celui de manoeuvres frauduleuses ; qu'ainsi, le seul fait pour le journaliste, de taire sa qualité professionnelle, ce qui ne constitue qu'un acte passif, ne peut lui être reproché au soutien de la fausse qualité ; que d'autre part, le fait de se prétendre militant, athée ou bénévole ne constitue pas une prise de fausses qualités au sens de la loi, en ce que ces qualificatifs ne sont pas attachés à l'état ou au statut de la personne et de nature, à eux seuls, à créer une confusion dans l'esprit des personnes filmées, mais constituent des éléments relevant de valeurs personnelles, ou de l'intimité, que la loi ne compte pas parmi les qualités faussement alléguées ; que la cour considère que M. Calias M. Ja fait usage d'un simple mensonge auprès des personnes qu'il entendait observer, ce qui n'est pas punissable au sens de l'article 313-1 du code pénal, sans qu'il soit renforcé par des manoeuvres frauduleuses ;
- Les manoeuvres frauduleuses et la remise : que la manoeuvre suppose l'adjonction au mensonge d'un élément extérieur qui vient en augmenter la puissance de persuasion ; qu'en l'espèce, le journaliste avait pour dessein, en s'infiltrant dans ces divers lieux, de filmer des images et enregistrer des propos permettant de témoigner de l'existence éventuelle de méthodes susceptibles d'être nourries de l'idéologie de l'extrême droite ; que le seul procédé employé par le journaliste a donc été de s'infiltrer et de filmer en caméra cachée, les personnes rencontrées, sans qu'il ait fait usage de méthodes faisant appel à des éléments extérieurs dans le dessein de tromper ses interlocuteurs ou les personnes observées ; que les parties civiles soutiennent qu'il y a eu escroquerie en ce que le procédé utilisé par M. Jaurait eu pour effet de tromper les victimes qui auraient été déterminées à remettre le bien dématérialisé, constitué par des images et du son, étant observé que cette infraction peut porter sur tout élément, même sans consistance matérielle, dès lors que celui-ci est susceptible d'exploitation ; que, force est de constater que le journaliste s'est borné à regarder et à écouter ce qu'il se passait autour de lui, (et donc de filmer et d'enregistrer) dans le but d'en restituer la teneur et la substance dans un reportage dédié au grand public et produit par l'agence Capa ; que les questions qui peuvent être posées sont celles de savoir si, sans l'intervention du journaliste, dans les conditions fixées par la cour, les personnes filmées se seraient comportées autrement, auraient tenu des discours différents, face à un autre interlocuteur, et si, finalement, la remise critiquée, à supposer qu'elle ait été déterminée par le procédé utilisé, ne se résumerait pas à la réalité du vécu des personnes considérées, leur réalité, leurs idées, leurs projets ; que toutefois, ces deux questions n'en font qu'une, et il doit être retenu que le journaliste n'est dans cette opération, certes menée selon son initiative, que le témoin et non l'acteur et/ ou le provocateur à l'action ; qu'en soutenant que le procédé de l'infiltration serait constitutif de l'escroquerie, les parties civiles demandent à la cour de faire admettre, et de classer parmi les turpitudes définies par le législateur à l'article 313-1 du code pénal, et délimitées par la jurisprudence, des pratiques qui ne concourent qu'à la révélation ou la mise à jour, sans leur consentement, de leurs propres comportements ; que ce faisant, la remise alléguée, au sens de ces sources du droit, alors que cette appellation apparaît impropre, n'est-elle en réalité que la captation, la fixation et l'enregistrement de paroles et images, soit, l'atteinte à la vie privée déjà poursuivie à l'égard de M. C, l'auteur du film, et M. Det la société Capa dont il est le président directeur général, les producteurs du reportage, en qualité de complice (sic) ; qu'ainsi, le préjudice ne résulte-t-il pas d'une remise déterminée par la tromperie ou des manoeuvres frauduleuses, qui en l'espèce ne sont pas constituées, mais est circonscrit à l'atteinte à la vie privée qui a été portée par les personnes mises en examen de ce chef, lesquelles sont renvoyées, par ordonnance définitive sur ce point, devant le tribunal correctionnel pour y répondre de cette infraction, commise à l'égard de l'ensemble des parties civiles ; qu'en conséquence, pour l'ensemble des motifs ci-dessus retenus, au regard des éléments constitutifs du délit dénoncé, la cour retient que : qu'en l'état de cette constatation, et en l'absence d'infraction principale, aucune complicité de ce délit ne peut être recherchée ou retenue ; que la cour rappelle les propos du président du conseil supérieur de l'audiovisuel, M. (sic) Mquant à ce procédé de l'infiltration : « On ne peut recourir à la caméra cachée que lorsque les nécessités de l'information l'exigent et si on ne peut faire autrement. Par ailleurs, les personnes que l'on voit ne doivent pas pouvoir être identifiées,/ …/. Il faut naturellement qu'il n'y ait pas de mensonge, il ne faut pas qu'il y ait de tricherie/ …/ »;
1°) alors que le mensonge ou la dissimulation de son identité, dès lors que sa connaissance aurait mis obstacle à la remise, s'il y est joint un fait extérieur ou acte matériel, ou une mise en scène destiné à lui donner force et crédit, peut constituer une escroquerie ; que le recours à l'infiltration et à l'usage d'une caméra cachée constitue une mise en scène donnant force et crédit au mensonge et à la dissimulation d'identité ; qu'en l'espèce, alors que le journaliste a menti sur ses intentions en se faisant passer pour un athée désirant recevoir le baptême, en prétendant être un militant et en proposant son aide bénévole, et a dissimulé sa qualité de journaliste en recourant de surcroît à une fausse identité, et qu'il a conforté ses mensonges par des actes positifs en s'impliquant dans les activités des parties civiles aux seules fins de les mettre en confiance pour qu'elles lui remettent, à leur insu, des informations propres à la réalisation de son reportage, la chambre de l'instruction a écarté l'existence de manoeuvres frauduleuses et d'une remise ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a violé l'article 313-1 du code pénal ;
2°) alors que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que l'infiltration doit être effectuée sans recours ni à la manipulation, ni au mensonge, et en respectant l'anonymisation des personnes filmées et auditionnées , puis que le journaliste infiltré avait eu recours au mensonge et que deux parties civiles avaient été filmées à visage découvert, la chambre de l'instruction a retenu que le procédé journalistique de l'infiltration utilisé dans l'espèce, ne peut être assimilé/ …/ à une escroquerie ; qu'en statuant ainsi, par des motifs contradictoires, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale ;
Attendu que, pour confirmer le non-lieu prononcé du chef d'escroquerie, l'arrêt retient que, si le journaliste a usé d'un faux nom, celui-ci n'a pas joué de rôle déterminant, que le fait de taire sa qualité professionnelle ou de se prétendre militant, athée ou bénévole, auprès des personnes rencontrées, ne constitue pas une prise de fausse qualité au sens de la loi, mais un simple mensonge, et que le procédé de l'infiltration, s'il concourt à révéler ou mettre à jour, sans leur consentement, les comportements de ces personnes, sans les provoquer, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse caractérisant le délit de l'article 313-1 du code pénal ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.